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La forme associative interrogée : l’éducateur entrepreneur en question

PARTIE 4 Les LVA : un entreprenariat alternatif ?

4.4 Les formes de gouvernement des LVA

4.4.1 La forme associative interrogée : l’éducateur entrepreneur en question

Les LVA C2, D2 et M reflètent différentes manières de faire vivre la forme associative et d’y incarner les principes réciprocitaires. Le statut associatif est le plus souvent choisi pour des raisons liées à l’histoire de chaque LVA. Si, dans le LVA M, les membres du CA, deux personnes, un membre de la famille et un ami, ne sont pas investis dans la gestion associative et dans leur fonction administrative, les membres du CA du LVA C2, également proches des permanents, sont au contraire très investis dans la gestion de l’administration, voire même dans l’accueil des enfants sur les temps de vacances ou de week-end. Dans ce cas précis, la présidente du LVA est la compagne du permanent principal, la trésorière, une de ses filles, la secrétaire, une amie. On repère en quoi les relations filiales et amicales présentent des vecteurs puissants de l’entrepreneuriat solidaire. Le LVA C2 figure donc quant à lui un CA, particulièrement sa présidente, investi classiquement dans l’organisation et dans la définition des missions. Le CA prend les décisions concernant l’orientation du projet du lieu impulsé par le permanent. Certains administrateurs s’engagent également au-delà des missions d’administration, concourant à l’accompagnement des accueillis. Le LVA D2 illustre également un CA très engagé dans le développement de l’activité, avec la mise en place de modalités de « vivre avec » séparant délibérément sphère domestique et sphère professionnelle.

4.4.1.1 Le LVA D2 : association et projet entrepreneurial

Le LVA D2, sous forme associative, a la particularité d’être porté par une permanente dont l’espace domestique est matériellement séparé d’une distance de plusieurs kilomètres du lieu d’accueil et d’habitat des enfants. Le bâti destiné à leur accueil est loué par l’association à un propriétaire privé qui n’est pas partie-prenante du projet. L’association est administrée par un conseil d’administration de cinq personnes impliquées dans le projet d’accueil. Enfin, les cinq salariés ne vivent pas sur le lieu hors de leurs horaires de travail. Les permanents assument, dans l’organisation, les deux fonctions distinctes généralement propres au LVA : celle de la gestion logistique, technique et financière de l’accueil et celle de la prise en charge éducative, cette deuxième fonction étant partagée avec d’autres salariés.

Le bureau de l’association est organisé classiquement, cinq administrateurs validant annuellement la comptabilité et les orientations d’un point de vue formel. La forme associative est par ailleurs posée comme une obligation par le conseil départemental d’implantation. Un des membres actuel du CA,

également président d’une structure diffusant une monnaie locale complémentaire, avait expliqué à l’actuelle responsable permanente les « rouages » du monde associatif, en amont du lancement du lieu : « au niveau des impôts, du financier, ce qu’il faut faire, ne surtout pas faire, s’entourer de gens

de confiance. » (Catherine, permanente, LVA D2).

L’histoire personnelle et la trajectoire individuelle de la permanente, avec un départ du champ de l’éducation spécialisée « classique » (en MECS) par souci d’indépendance, conduisent à ce choix double : pouvoir créer son propre lieu, en toute indépendance, tout en conservant un espace privé, séparé du lieu d’accueil. Ici, le caractère entrepreneurial de la démarche émerge en opposition aux anciennes pratiques professionnelles, expérimentées notamment en MECS, et vise à les améliorer en posant ses propres conditions. Ces conditions sont celles d’une entreprise éducative qui assurera une continuité de la relation avec les accueillis sans pour autant privilégier un « vivre avec ».

L’ethos professionnel institutionnel est ici figuré par le souhait de cette stricte séparation entre l’accompagnement socio-éducatif (la mission professionnelle) et l’espace de vie de la permanente. De ce fait, dans le LVA D2, ce n’est pas l’espace domestique qui est partagé avec les jeunes accueillis mais un espace dédié, professionnel donc.

Dans ce modèle, plus proche de l’entreprise éducative que de l’éducatrice entrepreneuse, la réciprocité s’exprime à travers l’engagement formel du CA et par un engagement des accueillants dans la relation avec les enfants au-delà des normes de l’éducation spécialisée classique, proposant ainsi une alternative aux cadres éducatifs traditionnels.

4.4.1.2 Le LVA M : l’éducateur entrepreneur et la figure individuelle de l’entrepreneur solidaire

Le LVA M est porté par une association qui emploie cinq salariés et dont les deux membres du CA ne sont pas impliqués dans le projet d’accueil. Le couple de permanents est propriétaire d’un bâtiment dans lequel le domicile (du couple et de leurs trois filles, âgées de 3, 6 et 9 ans) et le LVA sont concrètement distingués, ceci dans le même espace bâti. L’investissement dans le bâti et le projet d’extension concernent en premier lieu les permanents, engageant des emprunts à titre privé. Les horaires de travail des cinq salariés distinguent clairement les fonctions d’assistants-permanents et celles des permanents, ces derniers étant les seuls à être constamment sur le site. Les permanents assurent, par leur fonction, l’articulation entre l’organisation du travail, la gestion et l’accueil proprement dit. La sphère associative en tant que telle est très réduite, elle concerne avant tout le portage administratif de la structure.

[16.01.2019 - LVA M - Céline, permanente, discussion sur le modèle associatif porteur].

« Avant, ce n’était pas X, le président, mais une amie infirmière psy, qui venait au début aux

réunions du conseil départemental. Maintenant plus. La dernière évaluation interne, les membres du bureau n’étaient pas là. Ce n’est pas forcément le bon modèle mais c’est bien pratique. » La trésorière est la belle-sœur de Céline. Elle me dit que « tout ça n’est pas très démocratique, mais bon. »

Le CA est formellement amené à valider des comptes sans s’investir dans le projet. La forme associative relève simplement d’un instrument pratique, au bénéfice du projet des permanents. En revanche, analyser les budgets du LVA M permet de comprendre comment les différents apports financiers s’articulent, notamment vis-à-vis des projets de développement concret du lieu.

[Jeudi 17.01.19 – LVA M – sur l’investissement personnel dans une perspective de développement] L’investissement, c’est la famille Durand qui le fait (un emprunt de

180 000 euros pour les travaux et l’aménagement). Il s’agit à long terme de racheter la ferme à côté, construire des appentis dans le champ où sont les ânes, de créer des studios et des espaces balnéo-sauna, un lieu d’apaisement hors soin psy, un aménagement matériel des lieux. Ces projets seront au contraire sur le budget de l’asso. Ces projets de développement correspondent à des besoins de relais, pour apaiser les jeunes, comme pour le projet bateau, ou d’espace balnéo/spa/sauna, de studios en semi-autonomie, ou d’aménager dans le garage actuel plusieurs espaces, pour le sport ou une mini-cuisine.

Ce LVA prévoit donc le développement d’espaces d’accueil permettant l’autonomisation des jeunes accueillis, mais aussi la gestion de temps de crise pour éviter les hospitalisations. On retrouve ici, comme le souligne le permanent de ce LVA lui-même, des projets résultant de « conjonctions entre les

besoins évolutifs des jeunes et les appétences et aspirations des permanents. » (Yann, permanent,

LVA M). La réciprocité s’exprime dans cette articulation entre souhait personnel et besoins des jeunes accueillis. Ces projets mobilisent à la fois les ressources marchandes des permanents (emprunts bancaires) et les ressources non marchandes issues du budget associatif (prix de journée versé par les ressources non marchandes du département).

L’axe entrepreneurial s’exprime ici à travers le lieu de vie comme prolongement de la vie personnelle du permanent. L’exemple est intéressant dans la mesure où il illustre comment la prise de risque personnelle, caractéristique du modèle de l’entrepreneur, s’inscrit également dans la dimension collective via le financement non marchand par le conseil départemental. Le permanent incarne ici la figure d’un entrepreneur solidaire dont la vie personnelle serait toute entière mise au service de ce projet collectif.

Par ailleurs, le LVA M met en mouvement la sphère réciprocitaire par la transmission entre pairs. Les rapports de travail tendent vers une horizontalité entre les permanents et les assistants-permanents. La transmission peut prendre la forme d’un management sollicitant les passions des assistants- permanents pour mettre en place des activités, dans le cadre des stratégies d’empowerment portées par le permanent, comme déjà exploré.

Le LVA D2 et le LVA M illustrent un rapport ambigu des porteurs de projet à la forme associative. Celle-ci n’est pas choisie pour ses spécificités en termes de délibération et d’engagement communs, mais avant tout pour des raisons liées à la simplicité de fonctionnement et de mise en œuvre (en somme à des raisons techniques).

Seul le LVA C2 reflète des délibérations formelles et informelles et un engagement conséquent du CA dans l’administration, la gestion, et la réflexion sur les pratiques de l’accueil. Pour le LVA C2, ce sont d’ailleurs davantage des raisons politiques qui justifient le choix de la forme associative.

4.4.1.3 Le LVA C2 : l’éducateur entrepreneur contre l’entreprise

Le LVA C2, porté par une association dont les administrateurs sont des proches du permanent, est le projet d’un homme seul (malgré lui, suite à une séparation conjugale, rappelons-le). L’association salarie, le fondateur inclus, trois permanents dont l’une, Nathalie, n’est pas constamment sur les différents espaces d’accueil (elle travaille de jour une semaine sur deux et un week-end sur quatre). L’association est l’entité juridique produisant le service d’accueil pour le conseil départemental. Le choix du statut associatif provient d’abord d’une demande du département :

[04.03.19 - LVA C2] Le statut associatif provient d’une demande du département, mais les

permanents sont 100 % d’accord. Ils trouvent que ceux qui font une société sont juste intéressés par le fric.

Les liens salariaux et les hiérarchies symboliques sont organisés autour du projet du permanent fondateur dont la fonction est double : entrepreneuriale d’une part, et de prise en charge socio- éducative d’autre part. Par exemple, le projet de bateau, directement financé par le conseil départemental et propriété de l’association (et non du fondateur), permet de prolonger les possibilités d’accueil tout comme la maison de la compagne du permanent (par ailleurs présidente de l’association), située à quelques dizaines de kilomètres125. Le modèle du LVA C2 mêle également liens

familiaux et dimension associative. Ce modèle garantit la dimension collective de l’entrepreneuriat tout en s’opposant au modèle de l’entreprise, abordée comme un autre monde, forcément financiarisé.

[15.03.1 - 9h00 - Véronique, présidente de l’association, autour du statut associatif – LVA C2]

Cela implique qu’il y ait des gens autour qui garantissent quelque chose : « Tous les gens que

nous fréquentons ont conscience qu’ils font d’une manière ou d’une autre partie du dispositif : à un moment on va les solliciter pour les jeunes, ils vont les voir, etc. Rien à voir avec une entreprise. »

L’espace associatif soulève des réflexions plus politiques qui concernent les statuts commerciaux, le secteur à but lucratif, ainsi que des éléments relevant de la fiscalisation des associations : « Au niveau

de l’association, il y a un enjeu autour de la TVA. L’association c’est franco-français, rien ne dit qu’il faudra pas mettre ça à jour sous la pression de l’Europe un jour. C’est à but non lucratif et on ne paye pas d’impôts » (Didier, permanent, LVA C2). La mise en place d’une extension du LVA, développement

d’un nouveau projet porté par une des permanentes, n’allait pas de soi pour le conseil départemental. Un manque de lisibilité du projet a conduit le département à le retoquer.

« On nous a reproché de ne pas s’être vendus correctement. On a fait avec le cœur mais on est humble… Dans le projet on n’a pas dit tout ce qu’on avait fait. Et puis il y avait des confusions sur la propriété de la maison : qui sont les propriétaires ? Les grands-parents ou nous ? On a mis un an à liquider l’affaire avec le frère de Philippe, maintenant on est en pleine propriété. » (Marie-

Jo, permanente de l’extension, LVA C2, en cours de projet de LVA).

En raison du flou concernant la propriété de la maison du futur LVA, il est conseillé par Didier, qui accompagne sa salariée dans son projet personnel de LVA, de distinguer la maison du futur LVA de celle où elle vit actuellement avec son compagnon et ses beaux-parents, qui en sont les propriétaires. Et cela aussi pour éviter de se sentir accusée de rénover la maison à partir des ressources socialisées octroyées dans le cadre du partenariat avec le conseil départemental. Le projet s’avère plus viable à partir de la rénovation d’une grange, une fois clarifiée la pleine propriété des fondateurs du futur LVA. Les règles du jeu de ces négociations avec le département, partenaire nécessaire du projet, ne sont pas facilement accessibles.

« Il fallait un plan pour expliquer les choses, limite un plan en 3D… On n’était pas assez modernes.

Ils nous ont dit : "à vous entendre on vous dirait oui, mais en lisant votre dossier, ça passe pas." On n’a pas les termes, on parle pas le même langage. On leur a dit : "c’est pour ça qu’on a Didier

125 Rappelons que l’extension du LVA C2 où est accueilli un jeune concerne l’habitat de la troisième permanente salariée (en

pour nous guider". [...] Le projet c’est l’accueil de trois enfants : on nous a dit :"c’est pas rentable !" On veut pas faire de l’industriel, c’est comme pour le maraichage126… En fait c’était un piège pour voir notre réaction, on a dit : "on parle d’enfant ou d’argent ?". Par contre, ils ont exigé deux salles de bains :filles/garçons. » (Marie-Jo, permanente de l’extension C2, en cours

de projet de LVA).

Le cas de cette entrepreneuse éducative, épaulée dans son projet de création de LVA par son conjoint et par les administrateurs du LVA C2 qui l’emploie actuellement, illustre les réajustements dans la réciprocité conventionnée entre financeur et financé. Le mode réciprocitaire fonctionne aussi entre LVA : le LVA C2 agit comme source d’inspiration du modèle que souhaite développer la salariée sous la forme associative. De fait, l’association du futur LVA est déjà créée et le CA a été recruté dans l’entourage, pour son appétence concernant la mission éducative et pour les parcours des personnes impliquées, visant à donner du sens à cette implication comme c’est le cas pour le CA du LVA C2.

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