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PARTIE 4 Les LVA : un entreprenariat alternatif ?

4.3 Les LVA inscrits dans une économie plurielle

4.3.1 L’hybridation des ressources

En se tenant à la définition de l’économie issue des travaux de Karl Polanyi (2011) (cf. encadré 2), l’analyse des modèles socio-économiques des LVA prend au sérieux la pluralité des ressources produisant l’économie. En effet, les LVA s’appuient sur trois types de ressources : les ressources non marchandes (issues de la redistribution publique : subventions, prêt de locaux, financement sur projets, contractualisation) ; les ressources marchandes (issues du marché, de la vente de biens et services, de crédits bancaires) ; enfin, les ressources non monétaires (constituées de dons, cotisations, engagement bénévole, ou encore prenant en compte la valeur produite par « l’usager », l’engagement dans le travail, la collusion entre le projet de vie et le projet professionnel). Ces ressources sont générées par des types d’interdépendance qui traduisent des relations entre acteurs, formalisées ou non.

Le principe économique de la redistribution implique des liens d’interdépendance entre les permanents des LVA et le rôle central et redistributif du conseil départemental. Le rapport aux principes de l’échange implique des rapports d’interdépendance automatisée par les prix de produits achetés ou vendus pour les différentes activités du LVA. Enfin, les principes de réciprocité et d’administration domestique impliquent la reconnaissance mutuelle des membres du LVA comme fortement dépendants les uns des autres à travers la mise en œuvre de règles de vie partagées. Dans les six LVA enquêtés, la ressource dominante mobilisée est non marchande et provient du prix de journée, dont le montant variable se négocie avec le département dans lequel est implanté le LVA121. Les différents statuts (association, indépendant, société commerciale) ne différencient pas ce

recours aux ressources non marchandes. Les régulations avec les collectivités territoriales demeurent homogènes, même si elles peuvent varier en fonction des orientations politiques de la collectivité. Dans l’ensemble, l’outil de la régulation départementale est l’autorisation de fonctionnement. En pratique, les LVA vendent une prestation de service à un conseil départemental (ou plusieurs), facturant mensuellement l’accueil des enfants et des adolescents selon un coût globalisé (le prix de journée) qui prend en compte les charges de fonctionnement et la rémunération de l’ensemble des permanents.

Dans tous les LVA, la forme du lien au travail privilégié est le rapport salarial, même dans le cas du LVA porté par un indépendant qui salarie les assistants permanents.

121 N’oublions pas que le prix de journée sera effectivement versé par l’ASE du département qui est responsable du placement

Schéma 1 Les LVA en termes d’économie plurielle

Les ressources marchandes, issues de la vente directe de biens et services, ont une place très réduite dans les modèles économiques des LVA. Elles ne servent d’appui que dans le cas du développement d’activités économiques à la fois connexes servant de supports à l’accueil :

[15.04.2019 - LVA D1 - sur l’activité économique de la ferme équestre] Les locations

permettent des ressources occasionnelles : une fois par des vacanciers louant un bungalow, une fois par une Anglaise qui vient mettre ses deux poneys en pension à la ferme. En activité rémunérée, il y a donc la ferme (déficitaire selon Pascal), le LVA qui permet de compenser les pertes de la ferme, la location des bungalows, un camping-car transformé en habitation, un studio collé au LVA.

Les ressources marchandes sont aussi repérables à travers la propriété des lieux et des apports personnels des permanents. Elles sont en réalité premières dans l’impulsion des projets, car elles conjuguent épargne des porteurs de projet et emprunts bancaires. Ce sont en effet les emprunts bancaires personnels, en premier lieu, qui sont les marqueurs des ressources marchandes permettant l’investissement nécessaire à l’existence du lieu. Par ailleurs, les différents montages financiers en sociétés civiles immobilières, impliquant une diversification des espaces de vie d’un même LVA, signalent la mobilisation de ressources marchandes. Enfin, sans entrer dans les détails, les locations de certains bâtis signalent l’appel à d’autres ressources marchandes composant le modèle socio- économique.

• Ressources non marchandes

• Prix de journée, entendue comme ressources socialisées

• Règles : ASE - CD :

Autorisation de fonctionnement Convention de placement Redistribution - Conseil départemental Interdépendance établie à travers des systèmes

centralisés

• Ressources marchandes • Propriété privée du lieu de vie • Locations

• Recettes issues d'autres activités, vente de services (ferme équestre par exemple) • Emprunts

Echange/marché

Interdépendance naissant automatiquement entre acheteurs et vendeurs au travers de la fluctuation des

prix

• Ressources non monétaires (bénévolat, dépassement de la sphère de l'emploi et du salariat)

• Sphère associative • Engagement éthique

• Militantisme (Fédération nationale des lieux de vie et d'accueil, par exemple) • Ethique de la relation d'accueil • Engagement de la sphère intime et

domestique

• Solidarité territoriale, entraide entre habitants

Type d'interdépendance réciprocitaire Réciprocité volontairement instituée sur une base d'égalité : hybridation entre accord formel et informel

Encadré 2 L’appui sur une définition spécifique de l’économie

L’approche de l’économie mobilisée ici s’appuie sur la définition substantive de l’économie, telle qu’elle a été amenée par Karl Polanyi (Polanyi, 2011 ; 1983). Cette définition substantive aborde l’économie comme un processus institué. Elle critique l’approche formelle de l’économie entendue comme la sphère privée de l’économie de marché, telle qu’abordée par les sciences économiques de manière dominante depuis les années 1930, c’est-à-dire comme l’allocation des moyens en fonction de fins en contexte de ressources rares (Robbins, 2007).

L’approche substantive donne à l’économie un spectre plus large et plus contextualisé. Elle la définit à travers la notion de subsistance, soit l’ensemble des activités visant à satisfaire les besoins des humains (se nourrir, se loger, s’habiller, se soigner, s’éduquer, se cultiver, se déplacer, etc.).

Plus précisément, l’approche substantive définit l’économie comme « des activités de production, d’échange ou de circulation et de financement qui font l’économie, et pas seulement [comme] un ajustement rationnel entre fins et moyens tel que le donne à voir une appréhension formelle de l’économie » (Servet, 2007, p. 257).

L’économie désigne en ce sens les arrangements entre les humains d’une part, et entre ces derniers et leur environnement d’autre part, pour subvenir à leurs besoins matériels. Cette approche insiste sur la dépendance manifeste des humains entre eux et envers la nature. Dans cette définition, l’économie est plurielle et s’appuie sur plusieurs principes d’intégration économique. Ici, différents pôles de l’économie impliquent différents types d’interaction et d’interdépendance (Hillenkamp et Laville, 2013). Ces principes sont : la redistribution (impliquant une entité centrale redistribuant les ressources), l’échange (issu d’équilibres automatiques entre acteurs par le signal des prix sur le marché), et la réciprocité (issue d’arrangements entre acteurs se reconnaissant mutuellement comme dépendants et complémentaires dans des groupes ouverts, intégrant aussi les principes d’administration domestique et d’autarcie).

Aborder les modèles économiques des LVA de ce point de vue intègre donc la pluralité de leurs ressources et les différents types d’interdépendance qui permettent aux lieux d’exister. En ce sens, pour aborder les modèles socio-économiques des LVA, il est fondamental de ne pas confondre économie et marché.

L’économie des LVA ne saurait donc se confondre avec la mise en marché de la protection de l’enfance par les pouvoirs publics locaux, par exemple via les procédures d’appels à projets. Pris dans son sens substantif, l’économie des LVA s’appuie sur des ressources non marchandes, des ressources issues du marché et des ressources issues de la réciprocité.

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