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Des acteurs de l’économie sociale et solidaire ?

PARTIE 4 Les LVA : un entreprenariat alternatif ?

4.2. Les LVA comme aventure entrepreneuriale

4.2.2 Des acteurs de l’économie sociale et solidaire ?

La loi relative à l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) du 31 juillet 2014 institue cette dernière en France comme « un mode d’entreprendre et un mode de développement économique » (article 1er).

Le LVA, comme entreprise solidaire, s’inscrit alors dans ce spectre de l’ESS, quel que soit son statut et sa stratégie d’affichage. Notons au passage que le LVA Y, dont la spécificité est d’être organisé en réseau, est le seul à faire de cette appartenance une valeur affichée. L’ESS rassemble d’abord des personnes s’accordant sur une finalité commune avant de rassembler des sociétés de capitaux. La nature sociale de la finalité des activités de l’ESS conduit les acteurs à s’inscrire dans de multiples relations – partenariales, conflictuelles ou collaboratives – avec des entités marchandes (lucratives) et des entités non marchandes (de l’ordre des services publics). L’ESS, dont la diversité des familles, des structures et des mouvements rend son appréhension difficile, rassemble des entités, des collectifs d’acteurs et des organisations qui ont trois points en commun : l’hybridation de leur modèle

économique, dont la finalité n’est pas la maximisation du profit ; la « gouvernance » démocratique ; et l’ancrage territorial (Lacroix, Slitine, 2019).

Les LVA, qu’ils soient portés par un indépendant, une société commerciale ou une association, reflètent ces trois caractéristiques. Ils concernent l’accueil en protection de l’enfance et sont donc, même s’ils ne s’en revendiquent pas, inscrits dans le travail social, que les permanents soient issus ou non de ses formations et de ses certifications. Or, l’histoire de l’ESS croise rarement celle du travail social alors qu’elles trouvent une origine commune dans les mouvements d’entraides du XIXe siècle.

En effet, l’ESS et le travail social se sont institutionnalisés différemment dans leur lien aux pouvoirs publics car ils hybrident différentes formes et expressions de la solidarité et entretiennent un lien différencié aux cadres institutionnels et aux publics. Dans les deux cas, que l’ESS soit tournée vers l’association entre membres pour subvenir aux besoins du groupe, ou que le travail social tourne son action vers un tiers, que cela soit par des dynamiques participatives, d’auto-support ou de développement social local, on trouve entre ces deux champs un rapport commun aux principes d’une solidarité basée sur l’entraide. De fait, les LVA paraissent croiser les deux champs, rejoignant ainsi les dernières intuitions de Marcel Jaeger : « Il paraît possible de sortir de la simple juxtaposition, même accompagnée de coopérations ponctuelles, entre l’ESS et le travail social par une synergie entre leurs deux approches de la solidarité. » (Jaeger, 2019, p. 226-227).

L’expérience pratique des LVA concilie, par l’accueil quasi inconditionnel d’enfants et d’adolescents, une approche de solidarité privée comme réponse à un besoin collectif et une approche de solidarité publique comme aspiration d’une communauté éducative à la satisfaction de l’intérêt général. Pour autant, si d’un point de vue théorique les LVA appartiennent aux deux champs, ils ne se revendiquent ni du travail social, ni de l’ESS (mis à part le cas, comme souligné plus haut, du LVA Y). Or, les LVA semblent être précisément à la croisée d’expérimentations sociales ancrées dans des dynamiques d’ESS, au regard de leur fonctionnement et de leurs finalités, et de pratiques issues du travail social au regard des pratiques d’empowerment et d’autonomisation des jeunes qu’ils mettent en place. Un des enjeux de leur reconnaissance institutionnelle se situe peut-être, à ce titre, dans les apports respectifs des deux champs, aussi divers soient-ils. En effet, si l’on croise les apports de l’ESS à ceux du travail social, on peut repérer que la première apporte au second un cadre propice aux expérimentations sociales et aux innovations, quand le travail social implique le maintien d’une éthique dans la relation d’accueil et aux publics, ainsi que dans l’usage des fonds publics.

Aussi, les trois caractéristiques des LVA soulignées plus haut en termes d’économie sociale et solidaire rejoindraient-elles les origines philanthropiques du travail social de la fin du XIXe siècle

(Jaeger, 2011, p. 288, cité par Laville, 2012, p. 23). Les LVA sont-ils le fruit d’impulsions philanthropiques liées à des appétences pour l’accueil qui guideraient l’action expérimentatrice des permanents ? Comme nous l’avons vu, le « souci de l’autre » est une dimension importante dans la création et le portage des LVA. Or, il est à l’œuvre à la fois dans le travail social et dans le versant réciprocitaire de l’ESS (Servet, 2007).

D’un côté, les LVA sont ancrés dans des valeurs, souvent issues des socialisations primaires des permanents, qui se déclinent dans le déroulement concret de l’accueil. C’est là que s’exprime le « souci de l’autre », qu’il découle d’objectifs professionnels affichés ou d’histoires personnelles. Dans le décret du 6 mai 2017120, le travail social est défini notamment comme se construisant à partir des savoirs des

professionnels et des savoirs d’expérience. Or, ici, la figure de l’éducateur entrepreneur puise dans des

savoirs issus de sa pratique professionnelle tout comme dans ses savoirs d’expérience familiale, construisant l’ethos professionnel familial des pratiques.

D’un autre côté, les modèles économiques hybrides des LVA, permis par les fonds départementaux, offrent une souplesse d’organisation et d’expérimentation de pratiques d’accueil (collectives et individualisées). Ils génèrent également un cadre propice à l’expérimentation de réponses à des besoins non satisfaits par les institutions traditionnelles du secteur social ou médico-social, ceux de l’accueil et de la prise en charge des jeunes dits « incasables ». Ils répondent ainsi à un besoin d’innovation et d’expérimentation mentionné dans la loi 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. C’est à la fois ce caractère d’innovation dans les modèles de prise en charge (individualisée et basée sur le « vivre avec ») et leur articulation avec l’action des pouvoirs publics, qui font des LVA une sous-composante de l’ESS, champ dans lequel les organisations de l’action sociale ont une place majeure.

Ces analyses conduisent à réconcilier, d’un côté les activités sociales, et de l’autre les activités économiques, trop longtemps séparées dans les imaginaires sociaux entre un secteur social dirigé par l’État et un secteur économique autorégulé par le marché. Elles amènent à dépasser la disjonction entre une approche du travail social comme réponse palliative aux crises systémiques et régulées par l’État social d’une part, et d’autre part une approche de l’ESS comme le résultat de la « désétatisation de l’intérêt général » (Hély, 2019) du fait que ses activités concourent à une mission de service public et devraient, de ce fait, être prises en charge par la collectivité.

Enfin, l’entrée en jeu dans le paysage de la protection de l’enfance d’entreprises sociales sous statuts commerciaux interroge la nébuleuse des LVA. Cette entrée du commerce dans le secteur pourrait traduire une marchandisation de la prise en charge des mesures de placement. Or, dans l’enquête, les LVA ayant choisi des statuts commerciaux ne reflètent justement pas ce mouvement de marchandisation. Et cela semble venir du fait qu’en matière de LVA les acceptions et les oppositions habituelles des termes « privé » et « public » sont dépassées.

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