• Aucun résultat trouvé

d'études Types d'intervention Champ

Chapitre 4 : Présentation des résultats

4.1 Caractéristiques biographiques individuelles

4.1.3 Trajectoires et expériences résidentielles

Des informations recueillies sur les trajectoires et expériences résidentielles des jeunes filles rencontrées, quelques tendances se dégagent. La très grande majorité d'entre elles ont en commun un passé plus ou moins lointain dans le milieu rural. Les mouvements résidentiels qui ont suivi, principalement dirigés vers Bamako, semblent quant à eux relever de situations diverses : décès d'un ou des deux parents, sévères difficultés économiques de la famille, placement chez la grand-mère suite à la survenue de grossesses très rapprochées de la maman demeurée au village, vente de produits alimentaires issus du village, notamment des oranges et recouvrement de la jeune fille au village après que la maman ait passé quelques temps en ville à occuper divers emplois, tel que respectivement relaté dans les passages qui suivent : « Je suis venue avec ma maman qui était devant la Mosquée, mais elle n'est plus là, elle est partie. En ce moment j'avais à peine 7 ans. Je gardais l'enfant, mon petit frère au moment où elle travaillait, elle faisait la lessive, mais maintenant elle fait le commerce de kolas en détail au Banconi28 » (E-8) et « J'ai été élevée par ma grand-mère

qui est à Ségou, une fois ma mère est partie à Ségou et m'a emmenée ici » (E-12).

L'arrivée à Bamako, pour certaines marquée par un emploi d'aide domestique, représente dans plusieurs cas le point de départ de déplacements résidentiels intra urbain répétés. Nombreuses et diverses sont d'ailleurs les sources de ces mouvements dont les fréquents changements d'emploi tel qu'illustré par le propos suivant :

et j'étais payé à 5.000 francs par mois. J'ai quitté parce que le volume du travail était tel que je terminais dans la nuit parce que je faisais la lessive, les habits de toute la famille, les enfants, les parents etc. Puis il y avait des problèmes d'eau dans la zone, donc je devrais aller chercher l'eau avant de faire la lessive et cela me prenait assez de temps et d'effort physique. Donc j'ai dit que je vais quitter parce que 5.000 francs pour ce travail c'est trop petit et j'ai quitté (E-14).

Les épisodes récurrents de mésentente avec la famille sont aussi à l'origine de déplacements dans la ville comme en témoigne cette jeune fille qui a dû, à plusieurs reprises et dans un court laps de temps, se relocaliser et réorganiser ses nuits suite à des malentendus avec divers membres de sa famille :

J'aidais ma grande sœur à faire le commerce en ville à l'artisanat, on faisait la gargotière. Avant d'aller chez ma sœur j'étais à la maison chez les parents. J'étais devant la grande Mosquée parce que je ne m'entendais plus avec ma grande sœur. J'étais chez les parents avant d'aller chez la sœur. Rien ne s'est passé entre moi et les parents. Le courant ne passait plus entre nous. [...] Quand on ne faisait plus la gargotière, j'ai quitté chez la sœur pour m'installer devant la Grande Mosquée. [...] Donc je suis restée là, comme après mon accouchement je n'avais plus d'enfant, j'ai décidé de retourner chez ma cousine qui après m'a refoulée en me demandant d'aller où je veux, qu'elle me gardait à cause de l'enfant comme je n'en ai plus qu'elle ne pourra plus me garder chez elle. C'est ainsi que j'ai quitté chez elle (E-l).

À l'instar de ce dernier témoignage, une autre des filles rencontrées nous a confié avoir vécu une désorganisation résidentielle suite à la progression d'une grossesse qui était non désirée et face à laquelle elle a dû se résigner à passer ses nuits dans une chambre sise à l'arrière d'un maquis: « La chambre là est en tôle avec une porte qui se ferme à clef. Je suis là-bas en attendant parce que l'endroit n'est pas décent en plus il n'y a que les hommes et je ne sais pas à quel moment précis je vais accoucher» (E-12). Finalement, la séparation d'avec le copain du moment, qui bien souvent permettait aux jeunes filles de dormir sous un toit, est également évoquée comme source de déplacement domiciliaire dans la ville. Qu'ils s'offrent ainsi en réponse à des changements soudains et fréquents d'emplois, à des conflits familiaux ou d'ordre relationnel, ou encore à des événements non planifiés tels que la venue d'une grossesse, la recherche et les mouvements résidentiels semblent occuper

officiellement exister pour ces jeunes filles en difficultés, les amène bien souvent, à défaut d'alternatives, devant ce lieu public, bien connu de toutes, à savoir la Grande Mosquée, dont la situation au centre-ville de Bamako représente un point de rencontre pour dormir en groupe. Elles ont en effet été nombreuses à avouer passer ou avoir déjà passé leurs nuits là- bas. Un peu moins connues et fréquentées par les jeunes travailleuses du sexe, les berges du fleuve Niger, sur la rive gauche de la ville, tout juste à la sortie du Pont du Roi Ibn Abdullaziz Fahd, nous ont été révélées comme un endroit où plusieurs jeunes filles viennent passer leurs nuits, lieu qui nous a effectivement permis de rencontrer quelques- unes d'entre elles, et ce, tôt le matin. Le graphique suivant présente la répartition des répondantes selon le lieu de résidence actuelle déclaré au moment de notre passage.

Figure 21 : Lieu de résidence actuelle déclaré par les répondantes (n=25)

■ Quartier du Fleuve ■ Kati

□ Kalaban couro ■ Kalaban coura

□ Devant la Grande Mosquée ■ N'tominkorobougou ■ Sans domicile fixe

□ Sogoniko (chez la grand-mère) ■ Sokorodji

■ Temps partagé entre la Grande Mosquée et le CAEO

Source : Auteure Ces deux derniers lieux, la Mosquée et les berges du fleuve, ont ceci en commun qu'ils ont d'une part été présentés aux jeunes filles soit par des copines, soit par d'autres jeunes qui les fréquentaient déjà et d'autre part, qu'ils présentent tous deux des risques pour ces jeunes filles. Plusieurs nous ont à ce propos raconté les vols et les tentatives de viols dont elles ont été victimes alors qu'elles se trouvaient en ces endroits : « C'était au début de la nuit ici au bord du fleuve, il me guettait et après il a voulu m'arracher le pagne de force, c'est en ce

j'avais m'a été volé la nuit quand je dormais devant la Mosquée par les petits bandits » (E- 7) et encore :

[...] il y avait un homme qui venait avec un couteau prendre [...] l'argent aux filles. Quand il n'y a pas assez de monde, il dépouille celles qui sont là de force de leur argent ou bien il te demande de venir avec lui à la maison. Même hier soir il est venu me trouver ici, moi je lui ai dit que je n'ai pas d'argent et je ne viendrais pas chez lui. C'est après que le gardien de la Mosquée est intervenu en me demandant si je le connaissais et ce qu'il voulait de moi. Quand j'ai expliqué il a dit au monsieur de me foutre la paix, quand il a essayé de déconner le gardien de la Mosquée l'a copieusement tabassé et jusqu'à présent, il m'en veut pour ça, que je vais payer ce que le gardien de la Mosquée lui a fait (E-3).

Les jeunes filles rencontrées partagent donc plusieurs points en commun en ce qui a trait à leur parcours et à leur vécu résidentiels. D'une origine principalement rurale, elles ont été nombreuses à migrer vers la capitale et ce pour divers motifs d'ordre familial, économique et de travail. Une fois à Bamako, les déplacements se multiplient suivant les opportunités de travail, les ruptures diverses et les rencontres nouvelles. Constamment en quête d'un lieu pour passer la nuit, les jeunes filles sont nombreuses à se retrouver devant la Grande Mosquée du centre-ville ou sur les berges du fleuve où elles sont en proie à diverses agressions.