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Chapitre 4 : Présentation des résultats

4.3 Représentations liées au travail sexuel

4.3.1 Représentations du travail sexuel

Le travail sexuel est perçu, spécialement chez les jeunes filles qui s'y adonnent et dans leur entourage, comme une menace à leur santé et comme une source de maladies potentielles, autant pour elles que pour leur progéniture : « Tu continues à te prostituer? Oui je le fais de temps en temps, pas fréquemment car on dit que quand tu as un enfant qui allaite il peut tomber malade, avoir des diarrhées et des vomissements, quand tu te prostitues régulièrement » (E-10) ou encore : « Mon père également me dit simplement que je vais attraper le sida si je ne cesse pas de me balader » (E-5). Nombreuses sont par ailleurs les filles qui conseillent aux autres jeunes de cesser leurs activités de prostitution au risque d'y laisser leur santé : « Mon message c'est de ne pas se prostituer, il faut travailler, car la prostitution peut te donner des maladies, telles que sida, diabète, lémininpo45» (E-5). Bien

que les conseils prodigués soient en partie erronés, les filles sont tout de même en grande majorité conscientes qu'elles courent de grands risques pour leur santé en exerçant le travail sexuel. Nous reviendrons sur ce point important des informations souvent inexactes détenues par les jeunes travailleuses du sexe dans la section intitulée Connaissances, croyances et expériences en matière de VIH/sida et autres IST. Cette menace à l'intégrité physique est autrement illustrée par cette fille qui voit la prostitution comme une activité à haut risque de vivre une grossesse qui ne serait pas désirée : « Je leur dis de ne pas se prostituer pour ne pas tomber en état de grossesse » (E-l 1).

Les jeunes rencontrés, autant les garçons que les jeunes travailleuses du sexe, s'entendent pour dire que le travail sexuel est grandement motivé par des besoins économiques, besoins qui peuvent difficilement être comblés autrement en regard du contexte de grave précarité économique dans lesquels eux-mêmes et leurs proches se trouvent : « C'est la pauvreté, la misère qui amène la prostitution, parce que les parents n'ont rien pour entretenir

une démarche de survie : « Il y a des filles dont leur nourriture dépend de la prostitution, et souvent c'est pour aider les parents. Souvent même la mère intervient pour réconcilier sa fille et son amant parce qu'elle en tire profit» (GDF 14-16_A). Et ce garçon qui poursuit dans la même veine en présentant la prostitution comme un cercle vicieux issu de la pauvreté :

Il y a certaines filles qui [...] pour satisfaire leur besoin d'argent sont obligées de prendre de l'argent avec les hommes et c'est comme ça que la femme devient une prostituée, c'est de même [que] les filles abandonnent leur famille et prennent la rue. La prostitution est due essentiellement au manque de moyens des filles qui [...] sont obligées de se prendre en charge [à cause de] la pauvreté (GDG 17-19A).

Cette quête permanente de gains par le travail sexuel s'effectue ainsi en réponse à l'absence, réelle ou non, d'alternatives de travail pour ces jeunes filles qui doivent, de toute manière, arriver à combler leurs besoins :

C'est parce que je n'ai pas de travail que je fais la prostitution si jamais j'ai du travail je vais bien travailler [...] seulement le besoin d'argent qui nous pousse à la prostitution parce que ce dont on a besoin on ne peut l'avoir sans argent. Si on a du travail où on gagne de l'argent, on se passera de la prostitution, mais nos besoins ne peuvent pas être satisfaits sans argent c'est pourquoi on s'adonne à cette activité (E-2).

Le travail sexuel se développe donc en réponse à l'absence ou à l'insuffisance de moyens financiers du à un contexte économique difficile certes, mais aussi à des rôles conjugaux et familiaux qui n'ont pas été remplis, qui se sont soldés par un échec ou qui ont été trop contraignants pour les enfants : « La prostitution c'est quand il y a divorce entre la mère et le père, et la fille supporte mal la situation difficile, ou bien l'enfant a une éducation dure de la part des parents, il ne s'entend pas avec certains membres la famille » (GDF 17-19A) ou encore :

[...] pour nous les femmes, l'homme n'a plus de valeur [...] parce que [...] on est trop fatiguées puisque des filles de 19 et 12 ans dans le maquis en train de se prostituer vraiment c'est dommage. Même moi c'est la trahison qui a fait que je suis dans le maquis, parce que mon mari m'a trahi, car il a fui. L'homme doit

ville, gaspiller son argent entre les jupons. [...] Donc elle est obligée de faire le maquis pour gagner de l'argent et nourrir ses enfants si elle en a (GDF 17-

19E).

Le travail sexuel se présente par ailleurs comme un tremplin, une étape dans le processus de création d'un emploi autre, dans la recherche d'une activité plus lucrative ou d'un travail plus gratifiant : « [...] le maquis qu'on fait là c'est provisoire, c'est en attendant de trouver mieux, et je pense que c'est travailler autrement que la prostitution qui paye mieux » (GDF 17-19A) ou encore : « [ . . . ] pouvoir trouver un bon travail où peut gagner honnêtement sa vie, un travail décent dont personne ne se plaint de toi » (E-8). Il y a aussi celle-ci qui pratique la prostitution en vue de se créer un fonds de commerce, fonds qui se doit d'avoir été « gagné honnêtement » (E-8) :

Avant que je ne parte à Sikasso, je vendais les mangues, donc je les déposais ici, et le matin je venais [les] prendre. Mais j'ai quitté Sikasso il y ajuste 8 jours et je n'ai pas eu d'argent pour mon fonds de commerce. Mais avant je me suis prostituée pour constituer le fonds de commerce, c'est ainsi que j'avais commencé mon commerce de mangues. Si je parviens à reconstituer mon fonds de commerce je vais continuer à faire le commerce (E-3).

Les jeunes, garçons et filles, entretiennent par ailleurs une vision du travail sexuel où l'honneur des filles et du même coup de leur famille, est menacé. Cette activité, qualifiée de « pas très honorable » (E-4), risque à jamais de ternir la réputation de celle l'exerçant : « [...] quand tu finis dans la prostitution tu n'a pas une bonne renommée » (E-9) ou : « [...] la prostitution n'est pas une bonne chose parce que c'est une mauvaise renommée » (GDG

17-19B). Paradoxalement, l'exercice de la prostitution servirait à la préservation de cette fierté en permettant aux jeunes filles de veiller à combler leurs besoins de façon autonome, sans solliciter et surtout sans exposer au grand jour les difficiles conditions dans lesquelles elles vivent : « La prostitution pour moi c'est parce que tu n'as rien, les parents n'ont rien à te donner, tes autres copines vivent mieux que toi. C'est surtout pour avoir de l'argent qui va te procurer ce dont tu as besoin sans aller quémander aux autres » (GDF 17-1.9D). Cette idée d'honneur pour soi et pour ses parents est également liée chez ces jeunes à celle du

prostituée : « Le mariage signifie faire honneur à ses parents. La différence est que dans le mariage, les gens te respectent mais une prostituée tu n'as aucune considération sociale si ce n'est la considération sexuelle » (GDF 14-16A). Ce propos très explicite exprime de façon juste comment une jeune travailleuse du sexe est perçue par le monde qui l'entoure, si bien qu'on s'assure plus d'une fois de la conduite adéquate de la fille à marier : « Quand tu as un bon comportement tu peux avoir un mari, mais quand tu te balades par-ci par- là...Le plus souvent on fait un sondage au niveau des voisins pour savoir si tu es de bonnes mœurs » (GDF 14-16B).

L'activité sexuelle contre rétribution semble liée de près, chez les jeunes rencontrés, au monde urbain. Ils associent en effet la condition de prostituée aux difficultés de la vie urbaine : « Les filles qui viennent chercher du travail en milieu urbain et qui n'en trouvent pas et tombent dans la prostitution » (GDG 14-16D) ou encore : « Parmi les prostituées il y a les étrangères, les aides ménagères, surtout ici à Bamako les employeurs ne payent pas normalement (GDG 17-19B). Cette référence aux problèmes vécus par les jeunes filles face à des employeurs malhonnêtes, notamment en matière de règlement des sommes dues, porte à croire qu'ils sont fréquents et qu'ils ont un rôle à jouer dans l'histoire de prostitution de ces jeunes filles :

Quand tu commences à travailler chez quelqu'un, dès l'instant où la fin du mois s'approche, on te fait des histoires pour ne pas te payer et te renvoyer sans salaire. Quand tu t'en vas chez l'autre, c'est le même scénario à l'approche de la fin du mois. C'est après que tu es allée aux alentours de la Grande

Mosquée? Oui. Et que faisais-tu là-bas? Aux alentours de la grande mosquée je

ne faisais rien et c'est là où petit à petit on a commencé à fréquenter les maquis (E-6).

Le monde urbain est consciemment pour eux un lieu où se côtoient les différentes communautés africaines, où chacun, peu importe son âge, tente de survivre par divers moyens : « Ici la plupart des prostituées sont des Ghanéennes qui viennent de leur pays pour se prostituer ici » (GDG 17-19A) ou « La prostitution se fait partout dans le monde, même ici il y a les étrangères qui se prostituent, notamment les nigériennes » (GDF 14-

font le maquis. J'ai sillonné beaucoup d'endroits où se pratique la prostitution » (GDF 17- 19E). La ville a de plus ceci de particulier qu'elle offre une infinité de lieux possibles où peuvent se dérouler les actes de prostitution, autant de lieux qui permettent de se cacher et de préserver son anonymat : « La prostitution se pratique dans les gares, dans les bars, les maquis, au nouveau marché, devant la Mosquée, les gares routières. Il y a beaucoup de prostituées à Bamako» (GDG 17-19 _B). À l'inverse de cette hétérogénéité urbaine, le phénomène du travail sexuel serait absent ou du moins, quasi invisible en milieu rural, milieu qui semble plus homogène : « La prostitution c'est surtout dans les centres urbains sinon dans les zones rurales cela se pratique en cachette et en nombre limité, puisque pour trouver une prostituée en milieu rural ce n'est pas facile» (GDG 17-19C) ou : «C'est surtout à Bamako qu'il y a la prostitution, sinon les régions ou en milieu rural c'est très peu, sauf celles qui quittent la ville pour aller en milieu rural » (GDG 17-19B). Les valeurs et les pratiques liées aux traditions villageoises sont enfin pointées du doigt comme étant responsables du sort souvent réservé aux filles en milieu urbain : « Souvent les filles qu'on donne en mariage de force, la fille fuit et finit par la prostitution » (GDG 14-16A) ou « La prostitution commence, par exemple les filles enceintes exclues de leur famille, entrent dans la prostitution, ou les filles qui viennent des villages et ont accidentellement des enfants et elles ne peuvent plus retourner au village avec un enfant » (GDG 14-16B). Le travail sexuel est enfin considéré, spécialement chez les filles qui l'exercent, comme une activité sans avenir, qu'il vaudrait mieux abandonner car de toute façon, personne avant elles n'a retiré quelque satisfaction que ce soit sur le long terme : « [...] la prostitution n'a pas d'avenir, puisque les personnes qui nous ont devancées dans cette activité n'ont pas pu prospérer, en tout cas je conseille aux autres de laisser tomber la prostitution et de se trouver une activité» (E-3) ou « [...]la prostitution n'a pas de lendemains. En tout état de cause la prostitution ne fait pas prospérer » (E-4). Bien qu'elles poursuivent leurs activités de prostitution, les jeunes filles rencontrées sont tout à fait conscientes qu'un jour ou l'autre elles devront laisser tomber leur gagne-pain sans toutefois