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Chapitre 2 : Approche théorique et objectifs de la recherche

2.2 Genre, sexualité et pouvoir : concepts et définitions

Bien que récemment employé pour exprimer les risques différenciés entre les hommes et les femmes face au VIH/sida, le caractère inégal de ce type de rapport social, a été, sous un vocable renouvelé tout au long du 20ième siècle, soulevé dès 1911 par Charlotte Perkins Gilman qui écrivait :

[...] ail our scheme of things rests on the same tacit assumption; man being held the human type; woman a sort of accompaniment and subordinate assistant, merely essential to the making of people. She was held always the place of a préposition in relation to man. She has always been considered above him or below him, before him, behind him, beside him, a wholly relative

existence - "Sydney's sister," "Pembrokes's mother" - but, never by any chance Sydney or Pembroke herself (20-22).

Simone de Beauvoir publiait de son côté, au milieu de ce même siècle, un ouvrage culte intitulé Le deuxième sexe (1949), qui allait non seulement poser un regard audacieux sur les dimensions sociale, politique, psychologique et philosophique de la condition des femmes de l'époque, mais aussi devenir une référence pour le mouvement féministe des années 1960 et 1970, mouvement qui à son tour alimentera la réflexion et les débats sur le statut des femmes, les façons de l'étudier et de le faire évoluer.

C'est en 1987 que pour la première fois le concept de «genre», venu de l'anglais « gender », fait son apparition dans la littérature. Diffusé par l'historienne Joan Scott (1987), il réfère à la dimension construite de l'identité des femmes et des hommes en définissant ce qui est approprié en termes de comportement, d'attitude et d'aptitude pour chacun de deux sexes. Au caractère construit de l'identité s'ajoute le caractère appris des

Liburd, 2006:492). Relatif au contexte socioculturel dans lequel il s'applique, le concept de « genre » englobe l'ensemble des facteurs économiques, politiques, sociaux et culturels qui déterminent les rôles attendus des femmes et hommes, leur accès aux ressources de production et l'autorité en charge de la prise de décisions (Rao Gupta, 2000). En plus de permettre la compréhension de la façon dont se structure et se maintient le déséquilibre entre les sexes, il met l'accent sur le caractère dynamique de ce rapport social, la situation des femmes devant être étudiée en relation avec celle des hommes (Rao Gupta, 2000), car « [...] the study of gender is more about the study of relationships. Thèse relationships are those between men and women, men and men, and women and women, as well as their relationships with the entire society » (Airhihenbuwa et Liburd, 2006:492).

Les nombreux travaux issus de ces réflexions, réalisés notamment dans le contexte des pays à faibles et moyens revenus, ont donné lieu à de multiples notions toutes interchangeables à notre avis. Ainsi, aux fins du présent travail, nous emploierons indifféremment les notions de rapports sociaux de sexe, de relations de genre, d'inégalités liées au genre ou au sexe ou tout simplement de genre du fait qu'ils se recoupent largement selon que nous nous y référions en des termes français ou anglais et qu'ils renvoient tous, selon nous, à un seul et unique phénomène soit « [...] the widely shared expectations and norms within a society about appropriate maie and female behaviour, characteristics and rôles, which ascribe to men and women differential access to power, including productive resources and decision- making authority [...] » (UNAIDS, 1999a:5). D'autres auteurs mentionnent aussi des différences de cet ordre dans les revenus, l'accès à la terre, au crédit et à l'éducation (Mehra, 1995; Mehra, Drost-Maasry et al., 1995; Sivard, Brauer et al., 1995). Reprise de de Bruyn (1995), cette définition du concept de genre resitue les comportements des individus, dans le cas qui nous intéresse les comportements sexuels, dans un environnement plus large où le contexte normatif ambiant engendre des façons de faire et de penser qui peuvent potentiellement donner lieu à des pratiques délétères pour la santé. Ajoutons qu'en accord avec cette dernière auteure (1995), de même qu'avec Lock et Kaufert (1998), nous

Étroitement liée au concept et à la réalité du genre, la sexualité, comme forme d'expression des rapports sociaux de sexe, se présente également comme un construit social subissant « l'influence de règles, explicites et implicites, règles imposées par la société et définies, entre autres facteurs, par le biais du genre, de l'âge, du statut économique et de l'appartenance ethnique. [Elle se définit de plus par] les partenaires sexuels d'un individu, la façon dont il partage des rapports sexuels avec eux, pourquoi, dans quelles circonstances et avec quels résultats » (Rao Gupta, 2000:2). Insistant sur le caractère multidimensionnel et dynamique de la sexualité, qui plus est, s'incarne au-delà des comportements sexuels, Rao Gupta et son équipe ont développé un modèle permettant d'en étudier les diverses composantes sous l'angle des rapports femmes-hommes. C'est ce qu'ils ont appelé les « cinq P » de la sexualité, à savoir : les pratiques, les partenaires, la triade plaisir/pression/douleur, la procréation et le pouvoir qui tient un rôle particulier sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. Les deux premiers éléments réfèrent aux comportements individuels, soit comment un individu a des relations sexuelles et avec qui, les deux suivants renvoyant quant à eux aux motifs sous-jacents (Rao Gupta, 2000). Le « cinquième P », le pouvoir, représente quant à lui, toujours d'après les travaux de Rao Gupta, la composante essentielle à un juste examen des interactions sexuelles entre les deux sexes.

Figure 13 : Le rôle du pouvoir dans les décisions relatives à la sexualité

POUVOIR

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HOMMES

détermine quel est celui des deux partenaires dont le plaisir sera prioritaire; c'est aussi le pouvoir qui détermine quand, comment et avec qui aura lieu le rapport sexuel. Chaque élément de la sexualité est certes intimement lié aux autres, mais c'est le poids du pouvoir qui fixera l'issue d'un rapport sexuel » (Rao Gupta, 2000:2). En prolongement de cette réflexion, Weiss et Gupta ajoutent que cette dynamique de pouvoir déterminera également qui sera en mesure d'adopter des comportements sexuels sécuritaires et ultimement, qui sera à risque de contracter différentes IST, incluant le VIH/sida (Weiss et Rao Gupta,

1998).

Le pouvoir serait ainsi à la base des relations de genre et des relations sexuelles, pouvoir inégalement réparti entre les hommes et les femmes et s'exerçant continuellement en faveur des premiers. Afin de bien saisir les comportements sexuels des individus, dans ce cas-ci de jeunes filles s'adonnant à des activités sexuelles contre rétribution, il convient de garder à l'esprit que les dynamiques dans lesquelles elles évoluent résultent de l'effet réciproque et complexe de forces sociales, culturelles et économiques qui déterminent la répartition du pouvoir entre les hommes et les femmes.