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27. Le matériau retenu pour effectuer la présente étude sera abordé d’un « point de vue

externe modéré »63, également appelé « point de vue "simplement" externe, c’est-à-dire un point de vue externe rendant compte du point de vue interne des sujets de droit »64, en l’occurrence du Conseil constitutionnel. Il s’agit donc, en étudiant le traitement jurisprudentiel du principe de séparation des pouvoirs, de s’interroger sur « les logiques internes »65 qui sous-tendent la jurisprudence. Pour ce faire, il a d’abord été procédé à une analyse et, partant, à une interprétation de chacune des décisions comprises dans le corpus de recherche, puis, dans un second temps, à une systématisation de cette analyse. Il est aujourd’hui acquis que l’interprétation d’un texte, « loin d’être une interprétation cognitive est un acte de volonté »66, qu’il s’agisse d’interpréter une disposition constitutionnelle, comme le fait le Conseil, ou les

est vrai que, de plus en plus, les commentaires officiels ajoutent à la décision, le plus souvent afin de justifier la solution retenue par le juge constitutionnel.

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On pense ici notamment à la jurisprudence de la Convention européenne des droits de l’homme ou de la Cour de justice de l’Union européenne.

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Dans cette catégorie figurent les constitutions françaises antérieures à 1958, ainsi que certains discours ou documents préparatoires à la Constitution ou à l’élaboration de certains textes législatifs, souvent nécessaires pour appréhender pleinement certaines questions.

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J.-M. Blanquer, « La distance parcourue : de l’ordre institutionnel à l’ordre constitutionnel », in Le Conseil

constitutionnel a 40 ans, LGDJ, Paris, 1998, p. 27.

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E. Millard, « L’aveu théorique comme préalable au travail juridique savant », contribution au Vie Congrès de l’A.F.D.C., 9-11 juin 2005, Montpellier, accessible à l’adresse suivante : http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes4/MILLARD.pdf.

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F. Ost et M. Van de Kerchove, Jalons pour une théorie critique du droit, Facultés universitaires Saint-Louis (Ed.), Bruxelles, 1987, p. 31.

65

F. Savonitto, Les discours constitutionnels sur la « violation de la Constitution » sous la Ve République,

LGDJ, Paris, 2013, p. 51.

66

A. Viala, « L’interprétation du juge dans la hiérarchie des normes et des organes », C.C.C., 1999, n°6, pp. 87-93. Sur ce point, voir également D. de Béchillon et M. Troper, « L’ordre de la hiérarchie des normes et la théorie réaliste de l’interprétation », R.R.J., 1994, n°, pp. 245-274 et M. Troper, « Le problème de l’interprétation et la théorie de la supra-légalité constitutionnelle », in Recueil d’études en hommage à Charles Eisenmann, Cujas, Paris, 1975, pp. 291-315. Pour une opinion contraire, voir not. O. Pfersmann, « Contre le néo-réalisme juridique. Pour un débat sur l’interprétation », R.F.D.C., 2002, n°50, pp. 279-334.

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décisions de ce dernier, comme il appartient au chercheur de le faire dans le cadre d’une telle étude. L’interprétation fait donc appel à une certaine subjectivité de celui qui interprète. L’auteur de la présente étude a fait le choix de retenir une conception particulière de l’interprétation en droit, à mi-chemin entre les tenants de la théorie réaliste de l’interprétation, pour qui la norme est constituée par la signification du texte, qui est nécessairement déterminée a posteriori par l’interprète67, et ceux pour qui le texte dit tout, de telle sorte que le juge n’a plus qu’à l’appliquer68. La position intermédiaire, retenue dans la présente étude, postule que la liberté de l’interprète est limitée, par des contraintes externes, telles que le texte ou la pression institutionnelle et médiatique qui sont susceptibles d’influencer le Conseil, et par des contraintes internes, comme l’autolimitation69 ou les intérêts du Conseil lui-même. De la même manière, il convient d’admettre que la systématisation d’une analyse induit le risque de devoir ponctuellement « grossir le trait ». Or, « à l’impossible, nul n’est tenu », et à défaut d’éliminer toute subjectivité, la présente étude tentera de procéder à une analyse aussi scientifique et argumentée que possible de la jurisprudence du Conseil.

28. Pour ce faire, il convient de ne pas oublier que le Conseil « est acteur de la théorie à

un double titre »70, en ce qu’il est à la fois juge et partie de la séparation des pouvoirs. Juge, en ce qu’il met en œuvre – à la suite du constituant – la séparation des pouvoirs et, partant, participe à définir l’organisation et le fonctionnement du système constitutionnel. À ce titre, il ne dispose pas d’une marge d’appréciation absolue. Il est, dans une certaine mesure, « prisonnier de ses décisions passées, (…) soumis au regard de la critique (… et) doit se conformer à l’image qu’il a réussi (avec d’autres) à imposer, celle d’arbitre juridictionnel »71. Partie, en ce que le Conseil est également l’un des rouages de ce système et peut donc parfois à être amené à appliquer un traitement jurisprudentiel du principe de séparation des pouvoirs qui lui est profitable. Ainsi, et bien qu’il s’agisse d’une hypothèse marginale, il peut être une partie « directe », lorsqu’il est directement concerné par la disposition législative soumise à

67

Voir not. H. Kelsen, Théorie pure du droit, LGDJ, Paris, 1999, spéc. p. 339-341, R. Guastini, « Interprétation et description de normes », in Interprétation en droit, Bruylant, Bruxelles, 1995, p. 89, ou encore P. Amselek, « La teneur indécise du droit », R.D.P., 1991, n°5, p. 1203.

68

Voir not. C. Beccaria, Des délits et des peines, Flammarion, Paris, 1991, p. 66-67.

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La théorie des contraintes, postule la liberté de l’interprète, tout en soulignant que dans le cadre de l’opération d’interprétation, ce dernier s’impose lui-même des limites (voir not. M. Troper, V. Champeil-Desplats et C. Grzegorczyk (dir.), Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, Paris, 2005, 203 p.). Elle se distingue en cela d’une autre théorie intermédiaire, la « théorie du cadre », qui « consiste à considérer que le texte est porteur de plusieurs sens mais qui s’inscrivent dans un cadre limitatif. La qualité rédactionnelle d’un texte exclura certaines interprétations jugées hors-cadre » (V. Marinese, L’idéal législatif du Conseil constitutionnel. Etude sur les qualités de la loi, th. dact. Université de Nanterre Paris X, 2007, p. 403).

70

A. Pariente, « La Conseil constitutionnel et la théorie de la séparation des pouvoirs », art. cit., p.66.

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B. François, « La place du Conseil constitutionnel dans le système politique de la Ve République », in Le

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son contrôle. Plus fréquemment, sans être directement concerné, il peut apparaître comme une partie « indirecte », susceptible de tirer des bénéfices de la solution qu’il s’apprête à retenir. Cette seconde hypothèse représente une difficulté diffuse mais omniprésente, dans la mesure où la stratégie jurisprudentielle est indissociable de la fonction de juger72. Il conviendra alors de ne pas négliger ce facteur dans le cadre de l’analyse des décisions du Conseil.

29. Enfin, afin de procéder à l’analyse des décisions du Conseil dans lesquelles il est fait

application – implicitement ou explicitement – du principe de séparation des pouvoirs, il convient, préalablement, de recenser et comprendre les différentes options qui s’offrent au Conseil. En effet, l’article 16 de la Déclaration de 1789 n’apporte aucune précision sur ce qu’il convient d’entendre par « séparation des pouvoirs ». Le juge constitutionnel semble donc, a priori, avoir toute latitude pour définir le traitement jurisprudentiel qu’il convient d’appliquer à ce principe. Il peut, d’abord, retenir une conception étanche73 de ce principe en estimant que lorsqu’il s’applique, il implique une séparation nette et franche des pouvoirs, organes et fonctions en cause dans la disposition contrôlée. Mais il peut également retenir une conception perméable de ce principe. Dans cette hypothèse, la séparation peut être plus ou moins perméable, puisque le Conseil peut décider de fixer différentes limites à cette perméabilité. Enfin, on peut, sans prendre trop de risques, écarter l’idée selon laquelle le Conseil retiendrait une conception absolument et systématiquement perméable de la séparation des pouvoirs, une telle conception apparaissant comme antithétique à l’essence même de la séparation des pouvoirs. Cette palette d’options dont semble bénéficier le Conseil dans le cadre du traitement jurisprudentiel du principe de séparation des pouvoirs permet de réaliser à quel point le juge constitutionnel dispose d’une vaste marge d’appréciation. L’étude du contentieux de la séparation des pouvoirs présente donc un intérêt accru de ce point de vue.

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Voir not. J. Meunier, Le pouvoir du Conseil constitutionnel. Essai d’analyse stratégique, LGDJ, Paris, 1994, 373 p., T. Di Manno, « L’autonomie financière des cours constitutionnelles en Europe », in Les budgets de la

justice en Europe, La documentation française, Paris, 2001, pp. 53-75, V. Crisafulli, « Le système de contrôle de

constitutionnalité des lois en Italie », R.D.P., 1968, pp. 83-132 et Y. Poirmeur et D. Rosenberg, « La doctrine constitutionnelle et le constitutionnalisme français », in Les usages sociaux du droit, D. Lochak (dir.), PUF, Paris, 1989, pp. 230-251

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Plusieurs raisons ont conduit, dans cette étude, à faire le choix d’utiliser les termes d’ « étanche » et de « perméable » dans cette étude pour deux raisons. D’abord, parce que les termes traditionnels employés par la doctrine, « souple » et « stricte » sont fortement connotés, puisqu’ils renvoient généralement à la définition des régimes constitutionnels (voir not. J. Boudon, « Le mauvais usage des spectres. La séparation "rigide" des pouvoirs », R.F.D.C., 2009, n°78, pp. 247-267). Ensuite, cette dichotomie « étanche » / « perméable » permet d’adopter une approche plus dynamique, en mettant l’accent non seulement sur la nature de la séparation, mais également sur les conséquences de celle-ci. Enfin, parce que, plus imagés, ils permettent idéalement de comprendre ce dont il est question.

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