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L’extension du champ d’application traditionnel

DOGMATIQUE DE LA SEPARATION ENTRE LES POUVOIRS POLITIQUES

Chapitre 1 – La protection de l’autonomie financière des pouvoirs publics pouvoirs publics

B. L’extension du champ d’application traditionnel

79. Parmi les organes qui tirent parti de l’extension du champ d’application originel du

principe d’autonomie financière figurent deux organes relevant des pouvoirs politiques, le Premier ministre et la Haute Cour206 (1.), ainsi que deux juridictions politiques, la Cour de Justice de la République et le Conseil lui-même (2.).

1. La consécration de l’autonomie financière de nouveaux organes politiques

80. Le principe de l’autonomie financière bénéficie, désormais, à un nouvel organe du

Parlement, créé par la loi constitutionnelle du 23 février 2007207, la Haute Cour, tout comme il bénéficiait, entre 2001 et 2007, à la Haute cour de Justice, à laquelle elle a été subst ituée. Ici, l’autonomie financière est une garantie de nature préventive, dans la mesure où ni la Haute cour de Justice, ni la Haute Cour n’ont encore été réunies depuis 1958. Le fait de ranger ces organes parmi les pouvoirs publics permet toutefois de s’assurer que si la procédure de destitution du Président de la République devait être mise en œuvre, la Haute Cour, chargée

206

La nature politique de la Haute Cour se déduit de sa composition. Le Conseil en a pris acte dans la décision C.C., n°2014-703 DC du 19 novembre 2014, Loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution, J.O. du 25 novembre 2014, p. 19698. Dans cette décision, le juge constitutionnel précise en effet que la Haute Cour « ne constitue pas une juridiction chargée de juger le Président de la République pour des infractions commises par lui en cette qualité, mais une assemblée parlementaire compétente pour prononcer sa destitution en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat » (cons. 5).

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Loi constitutionnelle n°2007-328 du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution qui modifie l’article 68 de la Constitution.

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d’examiner d’éventuels manquements du chef de l’Etat à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat, serait à même d’exercer cette fonction en toute indépendance.

81. Tout comme la Haute Cour, le Premier ministre, fait partie de ces pouvoirs publics qui

bénéficient de l’extension du champ d’application du principe constitutionnel de l’autonomie financière. Etant une institution relativement récente, le Premier ministre ne saurait en effet bénéficier d’une longue tradition de ce point de vue. La question se pose toutefois de savoir si le chef du Gouvernement, quelle que soit son appellation, a pu auparavant bénéficier d’une certaine autonomie financière. Or, il y a peu d’informations sur ce sujet et, en tout état de cause, la question ne se pose que pour les douze années qu’a duré le régime de la IVe République, puisque ce n’est qu’en 1946 que le chef du Gouvernement acquiert un véritable statut constitutionnel. Dès lors, quand bien même il aurait bénéficié de cette autonomie durant cette courte période, le fait pour le Conseil de l’inscrire parmi les pouvoirs publics n’en constitue pas moins une extension du champ d’application traditionnel du principe de l’autonomie financière des pouvoirs publics.

82. Ainsi, parmi les organes politiques, peu nombreux sont ceux qui ne bénéficient pas de

l’autonomie financière. L’absence la plus marquante est celle du Gouvernement, qui s’explique pourtant aisément. L’inclusion du Gouvernement dans le champ d’application du principe de l’autonomie financière serait en effet inutile, d’une part, parce que le Gouvernement n’est pas doté de l’autonomie par rapport au Premier ministre et, d’autre part, parce que la Constitution prévoit que le Parlement contrôle l’action du Gouvernement208, ce qui est difficilement conciliable avec une autonomie financière de ce dernier. Le Conseil a donc, logiquement, choisi de ne pas étendre le champ d’application originel de l’autonomie financière au Gouvernement. Il a, en revanche, procédé à une telle extension au profit de deux juridictions politiques par leur composition.

2. La consécration de l’autonomie financière du Conseil constitutionnel et de la Cour de Justice de la République

83. Le Conseil a étendu le champ d’application originel du principe de l’autonomie

financière des pouvoirs publics à deux juridictions politiques : la Cour de Justice de la République et le juge constitutionnel lui-même209. S’agissant de la première, créée par la loi

208

Article 24 de la Constitution.

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Cette double qualité du Conseil a d’ailleurs été anticipée dès la rédaction de la Constitution. Ainsi, P. Coste-Floret soutenait, à l’occasion des débats du Comité consultatif constitutionnel, que « le Conseil constitutionnel

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constitutionnelle du 27 juillet 1993210 afin de connaître de la responsabilité pénale des

membres du Gouvernement211, le choix d’en faire un pouvoir public répond peu ou prou à la

même logique que pour la Haute Cour. En effet, bien que la Cour de Justice de la République soit peu fréquemment saisie212, son inclusion dans le champ d’application du principe de l’autonomie financière permet de s’assurer qu’elle puisse, le cas échéant, juger les membres du Gouvernement en toute indépendance.

84. Il en va quelque peu différemment du Conseil constitutionnel. En effet, celui-ci

bénéficie d’une autonomie financière naissante depuis sa création, dans la mesure où l’ordonnance du 7 novembre 1958213 prévoyait déjà que « les crédits nécessaires au fonctionnement du Conseil constitutionnel sont inscrits au budget général »214. Cette formulation lapidaire porte en germe l’autonomie financière de la Haute juridiction, qui se manifeste tant au moment de la détermination des crédits placés à sa disposition215 que dans le cadre de l’exécution de sa dotation budgétaire, qui déroge à un certain nombre de règles de droit commun216 et reste presque exclusivement dans les mains du Conseil217. A ce titre, T. Di

est un organe politico-juridique qui a qualité pour statuer d’un point de vue juridique et du point de vue de l’opportunité politique » (Travaux préparatoires de la Constitution. Avis et débats du comité consultatif

constitutionnel, La Documentation française, 1960, p. 57). Il est en cela suivi, peu de temps après, par B. Chenot,

qui affirme n’avoir « jamais pensé une seconde que le Conseil constitutionnel fût un organe juridictionnel, c’est un corps politique par son recrutement et par les fonctions qu’il remplit » (B. Chenot, in in Vingt ans

d’application de la Constitution de 1958 : le domaine de la loi et du règlement, L. Favoreu (dir.), Economica,

Paris, 1981, p. 178). F. Luchaire met toutefois un coup d’arrêt à ce questionnement : « La qualification de l’organe ne présente pas d’intérêt juridique, car un même organe peut exercer tantôt une fonction juridictionnelle et tantôt une autre fonction. (…) Ce qui importe, c’est donc bien la fonction. Quelle que soit sa composition, un organisme devient juridictionnel lorsqu’il exerce une fonction juridictionnelle » (F. Luchaire, Le Conseil

constitutionnel, Economica, Paris, 1980, p. 41).

210

Loi constitutionnelle n°93-952 du 27 juillet 1993 portant révision de la Constitution du 4 octobre 1958 et modifiant ses titres VIII, IX, X et XVIII, art. 4.

211

Article 68-1 de la Constitution, al. 1 et 2 : « Les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis. Ils sont jugés par la Cour de justice de la République ».

212

A ce jour, elle ne s’est prononcée qu’à quatre reprises (arrêts des 9 mars 1999, 16 mai 2000, 7 juillet 2004 et 30 avril 2010).

213

Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel.

214

Article 16 de l’ordonnance n°58-1067, préc.

215

Pour la détermination de ses crédits, le Conseil bénéficie de la même liberté que les assemblées et le Président de la République. Concrètement, les services compétents de la rue Montpensier décident librement du montant de la dotation nécessaire au fonctionnement du Conseil constitutionnel, sans qu’aucune instance extérieure ne s’immisce dans ce processus. Une fois le montant fixé, il est transmis pour approbation au président de l’institution, puis inscrit sans modification dans le projet de loi de finances et, enfin, voté par le Parlement sans discussion.

216

Le président du Conseil est en effet désigné comme l’ordonnateur des dépenses (art. 16 de l’ordonnance n°58-1067 préc. : « Les crédits nécessaires au fonctionnement du Conseil constitutionnel sont inscrits au budget général. Le président est ordonnateur des dépenses », précisé par l’article 4, alinéa 1er, du décret n°59-1293 du 13 novembre 1959 relatif à l’organisation du secrétariat général du Conseil constitutionnel : « Les dépenses de fonctionnement du Conseil constitutionnel, sont mandatées par le président, ou, en application de l’article 2, alinéa 2, ci-dessus, par le secrétaire général ») et nomme un comptable, responsable devant le président du Conseil, et qui n’est autre que le trésorier du Conseil (art. 4, alinéa 2 du décret n°59-1293, préc.). Dans la mesure

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Manno note que la Ve République a fait le choix original d’une conception stricte de l’autonomie financière pour sa juridiction constitutionnelle, en limitant au maximum les interventions extérieures dans l’exécution de son budget218. Etant une « jeune » institution, le Conseil ne bénéficie pas, en ce qui concerne son autonomie financière, de la même assise historique que le Président de la République et les assemblées parlementaires. La constitutionnalisation de son autonomie financière constitue donc une garantie non-négligeable d’indépendance. D’ailleurs, l’examen attentif des décisions du 25 juillet219 et du 27 décembre 2001220 qui, respectivement, consacre et confirme le principe d’autonomie financière des pouvoirs publics, dévoile deux éléments laissant penser que le Conseil constitutionnel était avant tout guidé par la préoccupation de renforcer les garanties relatives à sa propre autonomie financière.

La préoccupation du Conseil pour son intérêt propre résulte d’abord de ce que, dans chacune de ces deux décisions, le juge constitutionnel a examiné de son propre chef la question de la constitutionnalité des dispositions mettant en cause le principe de l’autonomie financière221. Mais ce constat ne suffit pas à démontrer que la consécration du principe d’autonomie financière par le Conseil vise avant tout à protéger sa propre autonomie. Ce sont surtout les documents annexes aux décisions du Conseil qui témoignent de ce que la constitutionnalisation du principe de l’autonomie financière des pouvoirs publics poursuit un but propre au Conseil. Ainsi, la reprise dans le commentaire officiel de la décision du 25 juillet 2001 de l’analyse du dispositif de l’article 7 de la L.O.L.F. est accompagnée d’une précision pour le moins étonnante. Il est en effet affirmé que « ce dispositif assure la

où le trésorier est responsable devant l’ordonnateur, il s’agit d’une dérogation à la règle de droit commun de séparation des ordonnateurs et des comptables (décret n°62-1587 du 29 décembre 1962 portant règlement général sur la comptabilité publique, réaffirmé par le décret n°2012-1246 du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique).

217

La seule trace d’une telle intervention réside dans l’assistance d’un conseiller-maître à la Cour des comptes (voir not. O. Schrameck, « Le secrétariat général du Conseil constitutionnel », R.F.D.A., nov.-déc. 1994, p. 1212), et cette intervention ne constitue, selon T. Di Manno, qu’une « caution morale à (la) gestion financière » du Conseil (T. Di Manno, « L’autonomie financière des cours constitutionnelles en Europe », in Les budgets de

la justice en Europe, La documentation française, Paris, 2001, p. 71).

218

T. Di Manno, ibid, p. 69-70. Il s’agit selon l’auteur d’un choix original dans la mesure où la plupart des autres Etat européens ont fait le choix d’une approche souple de l’autonomie financière, selon laquelle « l’exécution du budget de la Cour constitutionnelle peut être soumise au contrôle d’une institution régulatrice extérieure. C’est la solution qui prévaut en Espagne et en Allemagne où la Cour des comptes est reconnue compétente pour contrôler l’exécution du budget de la Cour constitutionnelle. Dans ces pays, on considère que les exigences inhérentes à l’indépendance de la Cour constitutionnelle n’emportent pas dérogation à la compétence générale de la Cour des comptes quant au contrôle des comptes et de la gestion économique de l’Etat, qui est directement garantie par la Constitution ». 219 Décision C.C., n°2001-448 DC, préc. 220 Décision C.C., n°2001-456 DC, préc. 221

C’est le cas dans la décision C.C., n°2001-448 DC, préc., cons. 25 et dans la décision C.C., n°2001-456 DC, préc., cons. 46 et 47

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sauvegarde du principe d’autonomie financière des pouvoirs publics concernés », puis précisé qu’« au nombre (des pouvoirs publics) figure le Conseil constitutionnel »222. Le caractère intéressé de la reconnaissance du principe d’autonomie financière est confirmé par une autre annexe à la décision du 25 juillet 2001, les « Fiches par article », avant que celles-ci ne soient supprimées du site internet du Conseil. Ce document rappelait que si les « programmes », auxquels sont attachés des objectifs, sont l’unité de spécialisation des crédits de droit commun, certains crédits dérogent à cette règle en faisant l’objet de « dotations », en particulier « lorsque la définition d’objectifs serait artificielle »223. Il énumérait ensuite les trois catégories pour lesquelles les crédits seront spécialisés par dotation, parmi lesquelles les « pouvoirs publics, dont le Conseil constitutionnel »224. En tout état de cause, la présence du Conseil parmi les pouvoirs publics bénéficiant de l’autonomie financière s’inscrit de manière cohérente dans la jurisprudence de ce dernier. En effet, après avoir estimé qu’il était un « organe régulateur de l’activité des pouvoirs publics »225, ce qui semble sous-entendre qu’il

ne se considère pas comme un de ces pouvoirs, le Conseil a abandonné ce qualificatif226, de

telle sorte qu’il peut désormais se qualifier de pouvoir public.

85. Ainsi, le principe d’autonomie financière des pouvoirs publics est désormais une

norme constitutionnelle, dont le champ d’application, bien qu’il ne couvre pas l’intégralité des organes politiques, s’étend aux plus importants d’entre eux. Le principe de l’autonomie financière contribue donc, de manière substantielle, à la protection de l’indépendance des pouvoirs politiques. Encore faut-il, pour cela, qu’il ait une véritable portée.

222

Commentaire officiel sous la décision C.C., n°2001-448 DC, préc., p. 3.

223

« Fiches par article » sous la décision C.C., n°2001-448 DC, préc., p. 12.

224

« Fiches par article », ibid., p. 12.

225

Décision C.C., n°62-20 DC, préc., cons. 2.

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Section 2 – La portée étendue du principe de l’autonomie