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L’indépendance des pouvoirs politiques assurée par la Constitution

DOGMATIQUE DE LA SEPARATION ENTRE LES POUVOIRS POLITIQUES

Section 1 – Une indépendance garantie par la composition des organes

A. L’indépendance des pouvoirs politiques assurée par la Constitution

123. Les modalités de nomination des membres des organes du Parlement et de l’Exécutif

sont en grande partie régies par des dispositions de la Constitution. Ces dispositions prévoient tantôt que les membres seront élus, au suffrage universel direct ou indirect, tantôt qu’ils seront nommés. La première catégorie de dispositions échappe au principe de séparation des pouvoirs, le peuple n’étant pas un « pouvoir » aux yeux du Conseil constitutionnel295. Il n’en demeure pas moins que l’élection est une modalité qui assure de manière certaine l’indépendance de l’organe dont les membres sont élus vis-à-vis des autres pouvoirs296. En revanche, la seconde catégorie de dispositions intéresse la séparation des pouvoirs. Lorsque la Constitution prévoit la nomination des membres d’un organe, elle fait application du principe de séparation des pouvoirs interprété à la lumière du dogme séparatiste, puisque les nominations ont toujours lieu au sein d’un même pouvoir, de telle sorte que son indépendance est préservée (1.). Il est toutefois possible d’envisager que le législateur adopte une disposition afin de régir les modalités de nomination des membres de certains organes

295

Voir supra.

296

Par extension, échappent également au champ du principe de séparation des pouvoirs les dispositions législatives qui complètent l’article 71 de la Constitution afin de prévoir les modalités de composition du Conseil économique, social et environnemental, dans la mesure où elles font intervenir des entités relevant de la société civile. Voir l’article 7 de l’ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, modifié par l’article 7 de la loi organique n°2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental.

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politiques dans une hypothèse qui n’est pas expressément prévue par la Constitution, et d’anticiper l’approche contentieuse que pourrait en avoir le Conseil au regard du principe de séparation des pouvoirs (2.).

1. Une indépendance essentiellement assurée par des dispositions constitutionnelles spécifiques

124. La Constitution prévoit les modalités de nomination de la plupart des organes

politiques. Elle prévoit ainsi, en premier lieu, que le Président de la République297, les députés298 et les sénateurs299 sont élus par le peuple, au suffrage universel, direct ou indirect. La séparation des pouvoirs n’est donc pas ici en cause, et ces dispositions sont l’expression du caractère démocratique du régime, qui veut que le pouvoir soit attribué au peuple qui l’exerce soit directement, soit par l’intermédiaire de ses représentants, ainsi que le prévoit l’article 3 de la Constitution300. C’est cette dernière option, la démocratie représentative, qui a été privilégiée par la Constitution de 1958, comme dans la plupart des Etats européens. Ainsi, l’élection des membres des principaux organes politiques, tout en échappant au champ d’application du principe de séparation des pouvoirs, s’insère donc parfaitement dans la logique du régime de la Ve République.

La Constitution prévoit également, en second lieu, la nomination du Premier ministre et des membres du Gouvernement. Son article 8 énonce, d’une part, que les membres du Gouvernement sont nommés par le Président de la République « sur proposition du Premier ministre »301 et, d’autre part, que ce dernier est nommé par le Président de la République302. P. Blachèr explique ainsi ce choix : « influencé par le courant révisionniste qui, sous la IIIe République, plaidait pour libérer le Président de la République de toute entrave en matière de nomination des membres du Gouvernement, le constituant de 1958 réserve une compétence discrétionnaire au Président dans la nomination du Premier ministre. Dispensé de prendre quelque avis que ce soit, maître du moment de la nomination, le Président de la République exerce une compétence totalement discrétionnaire dans ce domaine »303. Il est toutefois

297

Art. 6 de la Constitution.

298

Art. 24, al. 3 de la Constitution.

299

Art. 24, al. 4 de la Constitution.

300

Art. 3, al 1er de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».

301

Art. 8, al. 2 de la Constitution : « Sur proposition du Premier ministre, (le Président de la République) nomme les autres membres du Gouvernement ».

302

Art. 8, al. 1er de la Constitution : « Le Président de la République nomme le Premier ministre ».

303

P. Blachèr, « Les pouvoirs discrétionnaires du chef de l’Etat, sources de la présidentialisation du régime »,

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permis de douter de cette dernière affirmation, dans la mesure où l’article 8, « typique du compromis de 1958 »304, ne saurait être lu indépendamment de l’article 49 de la Constitution, qui prévoit que le Gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale. Dès lors, bien que la Constitution de 1958 ne soit pas allée jusqu’à reprendre le principe de l’investiture existant sous la IVe République305, en prévoyant que le Gouvernement doit bénéficier de la confiance de l’Assemblée nationale, elle lie le choix du Président de la République à la conjoncture politique , laquelle s’incarne dans la composition de la chambre basse. L’étude des choix effectués par les Présidents de la République successifs confirme d’ailleurs l’existence d’un lien entre la majorité parlementaire et le choix du Premier ministre, ainsi que

le prévoyait déjà De Gaulle en 1946 à l’occasion du discours de Bayeux306. Il en va de même

de la pratique conduisant tous les gouvernements à solliciter la confiance de l’Assemblée dans les quelques jours qui suivaient leur nomination, devenue systématique depuis 1993307. Ainsi, s’agissant de la nomination des membres du Gouvernement et du Premier ministre, le constituant a fait le choix d’une conception perméable de la séparation des pouvoirs. Mais cette perméabilité demeure limitée, dans la mesure où le Parlement n’intervient pas directement dans la nomination des membres de l’Exécutif.

125. Dès lors, la Constitution ne prévoit pas les modalités de nomination des membres de

la totalité des organes politiques. Il n’est donc pas exclu que le Conseil puisse être, à terme, saisi d’une disposition législative organisant, dans le silence de la Constitution, les modalités de nomination des membres de l’un des organes politiques.

304

P. Avril, « Article 8 », in La Constitution de la République française. Analyses et commentaires, F. Luchaire, G. Conac et X. Prétot (dir.), Economica, Paris, 3ème édition, 2009, p. 353. J. Gicquel estime également que l’article 8 de la Constitution traduit « l’idée constamment affirmée depuis Bayeux que le Gouvernement émane du chef de l’Etat et non de la représentation parlementaire » (J. Gicquel, Essai sur la pratique de la Ve République, LGDJ, Paris, 2ème édition, 1977, p. 121).

305

L’article 45 de la Constitution du 27 octobre 1946 prévoyait en effet que « le Président de la République nomme le président du Conseil » (al. 1er), mais également que « le président du Conseil et les ministres ne peuvent être nommés qu'après que le président du Conseil ait été investi de la confiance de l'Assemblée au scrutin public et à la majorité absolue des députés, sauf cas de force majeure empêchant la réunion de l'Assemblée nationale » (al. 3).

306

« C'est donc du chef de l'État, placé au-dessus des partis, élu par un collège qui englobe le Parlement mais beaucoup plus large et composé de manière à faire de lui le président de l'Union française en même temps que celui de la République, que doit procéder le pouvoir exécutif. Au chef de l'État la charge d'accorder l'intérêt général quant au choix des hommes avec l'orientation qui se dégage du Parlement ».

307

Il y a quelque chose de paradoxal dans cette pratique dans la mesure où il n’a pas été donné suite à la proposition du Comité Vedel de modifier l’article 20 de la Constitution pour prévoir que « Dans les quinze jours qui suivent sa nomination, le Premier ministre engage la responsabilité du Gouvernement devant l’Assemblée nationale, selon la procédure prévue au premier alinéa de l’article 49 » (« Rapport remis au Président de la République, le 15 février 1993 par le Comité consultatif pour la révision de la Constitution », J.O., 16 février 1993, p. 2542). Sur le débat tenant au caractère juridiquement contraignant ou non de l’investiture, voir F. Hamon et M. Troper, Droit constitutionnel, LGDJ, Paris, 2009, 31ème édition, p. 637-638.

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2. Une indépendance virtuellement assurée par le principe de la séparation des pouvoirs

126. Il est deux hypothèses dans lesquelles le Conseil pourrait avoir recours au principe de

séparation des pouvoirs afin de contrôler des dispositions législatives relatives à la nomination de membres d’un organe politique.

Il serait susceptible de le faire, en premier lieu, en ce qui concerne les modalités de nomination du Conseil économique, social et environnemental (C.E.S.E.). Celui-ci, souvent présenté comme la « "troisième assemblée constitutionnelle" aux cotés de l’Assemblée nationale et du Sénat »308, et malgré l’indétermination de son statut, semble devoir être rattaché au pouvoir exécutif, et ce pour deux raisons. D’abord, il semble exclu que le C.E.S.E. soit rattaché au Parlement, dans la mesure où l’article 24 de la Constitution prévoit que le Parlement « comprend l’Assemblée nationale et le Sénat »309. Ensuite, le rattachement du C.E.S.E. au pouvoir exécutif semble la solution la plus pertinente dans la mesure où le texte originel de la Constitution de 1958 réserve la saisine de cet organe au seul Gouvernement310. Enfin, dans une décision du 13 décembre 2012, le Conseil qualifie le C.E.S.E. d’« autorité administrative »311. Les modalités de nomination des membres du C.E.S.E. confirment d’ailleurs cette idée puisqu’en l’état actuel du droit312, lorsque les membres de cet organe ne sont pas désignés par « les organisations professionnelles les plus représentatives »313, ils le sont par décret314. Dans la mesure où l’article 71 de la Constitution renvoie à une loi

308

L. Touzeau, « Le Conseil économique, social et environnemental après la loi organique du 28 juin 2010 : une assemblée constitutionnelle mal identifiée », R.D.P., 2011, n°3, p. 637.

309

Il est d’ailleurs possible de noter que les tentatives de révision de la Constitution dans le but de fusionner le C.E.S. et le Sénat ont échoué (voir le projet de révision de la Constitution, rejeté à l’occasion du référendum du 27 avril 1969, repris récemment par deux propositions de loi constitutionnelle, n°4432 déposée à l’Assemblée nationale le 6 mars 2012 par L. Luca, E. Blanc, C . Gatignol, A. Wojciechowski, E. Straumann, B. Depierre et J.-P. Dupont, et n°936 déposée à l’Assemblée nationale le 17 avril 2013 par L. Luca et J.-P. Labaune).

310

Le texte originel de la Constitution de 1958 prévoyait en effet que le C.E.S.E. est saisi par le Gouvernement pour donner son avis « sur les projets de loi, d'ordonnance ou de décret ainsi que sur les propositions de loi qui lui sont soumis » (art. 69, al. 1er C.), et « peut être également consulté par le Gouvernement sur tout problème de caractère économique ou social intéressant la République ou la Communauté. Tout plan ou tout projet de loi de programme à caractère économique ou social lui est soumis pour avis » (art. 70 C.). Ce n’est qu’en 2008 qu’une révision de la Constitution modifie son article 70 afin de permettre au Parlement de consulter le C.E.S.E. (art. 34 de la loi constitutionnelle n°2008-724, préc.). Il est possible de noter que la révision du 23 juillet 2008 a également aménagé la possibilité pour le C.E.S.E. d’être saisi par voie de pétition (art. 69 al. 3 C).

311

Décision C.C., n°2012-658 DC du 13 décembre 2012, Loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, J.O. du 18 décembre 2012, p. 19856, Rec. p. 667, cons. 39.

312

La composition du C.E.S.E. est actuellement régie par l’ordonnance n°58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social, modifiée par la loi organique n°2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental.

313

Art. 7, II, al. 1er de la loi organique n°2010-704, préc.

314

C’est le cas par exemple des deux représentants des associations syndicales d’étudiants, désignés par le ministre chargé de l’enseignement supérieur (art. 12 du décret n°84-558 du 4 juillet 1984 fixant les conditions de

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organique le soin de fixer la composition du C.E.S.E., il est possible d’imaginer que le législateur organique décide, dans l’avenir, de modifier ces règles afin de désigner lui-même certains membres du C.E.S.E, ou de conférer cette prérogative à un organe parlementaire. Il ferait alors intervenir un organe du Parlement dans la nomination de membres d’un organe relevant de l’Exécutif.

Saisi d’une telle disposition, le Conseil devrait choisir parmi plusieurs solutions. Il pourrait en effet décider que, dans la mesure où l’article 71 de la Constitution renvoie au législateur le soin de fixer les modalités de composition du C.E.S.E., rien n’interdit que le Parlement, sous quelque forme que ce soit, intervienne dans le choix des membres du C.E.S.E. Il refuserait alors de contrôler la disposition législative à la lumière du principe de séparation des pouvoirs. Ensuite, le Conseil pourrait également choisir de contrôler la disposition au regard de cette norme, tout en en retenant une approche relativement perméable, de telle sorte qu’il conclurait à la conformité de la disposition. Enfin, le Conseil pourrait retenir une approche étanche de la séparation des pouvoirs, conformément au dogme séparatiste, et conclure à l’inconstitutionnalité de la disposition, au motif qu’un organe ne saurait procéder, même partiellement, d’un organe qui relève d’un pouvoir distinct sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs.

127. En second lieu, il est possible d’imaginer que l’une des deux chambres du Parlement

décide, dans une résolution modifiant son règlement intérieur, de faire nommer certains membres d’un organe parlementaire par l’Exécutif. Il est vrai que cette hypothèse est pour le moins fantaisiste, dans la mesure où cela reviendrait pour l’assemblée concernée à porter elle-même atteinte à son indépendance. Il n’en demeure pas moins que, là encore, le Conseil aurait le choix entre ne pas contrôler la disposition à la lumière de la séparation des pouvoirs, retenir une approche perméable de cette dernière et juger la résolution conforme à la Constitution, ou retenir une approche étanche de la séparation des pouvoirs et censurer la résolution au motif qu’elle porte atteinte à l’indépendance de l’organe parlementaire dont la résolution prévoit la nomination de certains membres par l’Exécutif.

128. Dans le premier comme dans le second cas, et bien qu’il s’agisse de « droit fiction »,

c’est la troisième solution qui semble la plus cohérente, à la fois au vu de la théorie de la séparation des pouvoirs et au vu de l’attachement manifeste du Conseil à l’indépendance organique. Ainsi, dans l’hypothèse où celui-ci se trouverait confronté à une disposition faisant

désignation des membres du Conseil économique, social et environnemental modifié par le décret n°2010-886 du 29 juillet 2010 et de certaines personnalités qualifiées, désignées par décret en Conseil des ministres pris sur le rapport du Premier ministre (art. 14 du décret n°84-558, préc., modifié par le décret n°2010-886, préc.).

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intervenir un organe dans la nomination des membres d’un organe relevant d’un pouvoir distinct, il est plus qu’envisageable qu’il retiendrait une conception étanche de la séparation des pouvoirs afin de préserver l’indépendance des organes politiques de l’Exécutif et du Parlement au stade de leur composition. Cette solution devient d’autant plus envisageable que c’est ce que fait le Conseil lorsqu’il s’agit d’assurer l’indépendance des A.A.I.

B. L’indépendance des A.A.I. assurée par le Conseil grâce à

l’abandon circonstanciel du dogme séparatiste

129. L’identification du fondement constitutionnel de l’indépendance des A.A.I. a eu lieu

en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le juge constitutionnel n’a pas semblé s’interroger sur le fondement de l’indépendance de ces autorités. Au gré des décisions, lorsque l’indépendance ne résultait pas d’une disposition constitutionnelle315, elle semblait découler tantôt de l’intention du législateur de conférer une certaine indépendance à l’autorité administrative316, tantôt de l’importance du rôle ou de la mission de celle-ci317. Puis, en 2012, le juge constitutionnel a affirmé que le principe constitutionnel d’indépendance des A.A.I découle de l’article 16 de la Déclaration de 1789. Il estimait alors que, lorsqu’un pouvoir de sanction est dévolu à celles-ci, « doivent être (…) respectés les principes d’indépendance et d’impartialité découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 »318. Il restait donc, pour plus de précision, à identifier lequel des deux volets de l’article 16 de la Déclaration – séparation des pouvoirs ou garantie des droits - fonde le principe d’indépendance des A.A.I. La formulation déployée par le Conseil à partir de 2012, en ce qu’elle semblait réserver la

315

Décision C.C., n°2011-626 DC du 29 mars 2011, Loi organique relative au Défenseur des droits, J.O. du 30 mars 2011, p. 5507, Rec. p. 165, cons. 5 : « Considérant, d’une part, qu’en érigeant le Défenseur des droits en "autorité constitutionnelle indépendante", le premier alinéa de l’article 2 rappelle qu’il constitue une autorité administrative dont l’indépendance trouve son fondement dans la Constitution ».

316

Décision C.C., n°86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, J.O. du 19 septembre 1986, p. 11294, Rec. p. 141, cons. 96 ; décision C.C., n°93-324 DC du 3 août 1993, Loi relative au statut de la Banque de France et à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, J.O. du 5 août 1993, p. 11014, Rec. p. 208, cons. 18 ; décision C.C., n°2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse D., et autres [Secret défense], J.O. du 11 novembre 2011, p. 19005, Rec. p. 528, cons. 27 et 28.

317

Décision C.C., n°94-352 DC du 18 janvier 1995, Loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité, J.O. du 21 janvier 1995, p. 1154, Rec. p. 170, cons. 6 et décision C.C., n°2013-676 DC, préc., cons. 47.

318

Décision C.C., n°2012-280 QPC du 12 octobre 2012, Société du Groupe Canal Plus et autre [Autorité de la concurrence : organisation et pouvoir de sanction], J.O. du 13 octobre 2012, p. 16031, Rec. p. 529, cons. 16 ; décision C.C., n°2013-331 QPC du 5 juillet 2013, Société Numéricâble SAS et autre [Pouvoir de sanction de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes], J.O. du 7 juillet 2013, p. 11356, cons. 10 ; décision C.C., n°2013-678 DC du 14 novembre 2013, Loi organique portant actualisation de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, J.O. du 16 novembre 2013, p. 18634, cons. 8 ; décision C.C., n°2013-359 QPC du 13 décembre 2013, Société Sud Radio Services et autre [Mise en demeure par le Conseil supérieur de l’audiovisuel], J.O. du 15 décembre 2013, p. 20432, cons. 3.

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protection constitutionnelle de l’indépendance des A.A.I. aux seules d’entre elles exerçant un pouvoir de sanction pouvait conduire à rattacher cette protection à la garantie des droits. Or, le Conseil a écarté cette interprétation dans une décision du 9 octobre 2013319. En effet, saisi de la disposition relative aux garanties d’indépendance de la Haute autorité de transparence de la vie publique, le Conseil estimait ces garanties suffisantes, et jugeait la disposition conforme au principe de séparation des pouvoirs320. C’est donc bien le principe de séparation des pouvoirs qui fonde l’exigence constitutionnelle d’indépendance des A.A.I.

130. Le caractère désormais systématique du rattachement de l’indépendance des A.A.I.

au principe de séparation des pouvoirs permet de renforcer cette exigence d’indépendance des A.A.I. et témoigne, à lui seul, de l’attachement du Conseil à cette dernière. Il n’est donc pas étonnant que le juge constitutionnel s’emploie à garantir l’indépendance des A.A.I. au stade de la nomination de leurs membres. Mais, pour ce faire, la spécificité des A.A.I. oblige à abandonner le dogme séparatiste et à retenir une approche perméable de la séparation des pouvoirs (1.). Ce n’est qu’au prix de cet abandon que le Conseil peut exercer un contrôle destiné à s’assurer que les dispositions qui lui sont soumises assurent pleinement l’indépendance des A.A.I. (2.).

1. Le caractère spécifique de la protection de l’indépendance des A.A.I.

131. Les A.A.I. semblent être progressivement érigées par le Conseil constitutionnel en un

pouvoir indépendant, autonome des trois pouvoirs classiques. Dès lors, en toute logique, la règle découlant du dogme séparatiste, selon laquelle aucun organe relevant d’un autre pouvoir ne saurait nommer leurs membres, devrait s’appliquer. Pourtant, cette règle est inadaptée dans la mesure où elle supposerait que les membres des A.A.I. ne peuvent être nommés que par d’autres A.A.I., et ainsi de suite. Or, en plus d’être impraticable, cette idée présente le risque de créer une sorte d’ « aristocratie administrative dépourvue de tout lien avec le pouvoir politique »321, ce qui, comme le notent G. Eckert et J.-P. Kovar, est difficilement conciliable avec le système démocratique322.

319

Décision C.C., n°2013-676 DC du 9 octobre 2013, Loi relative à la transparence de la vie publique, J.O. du 12 octobre 2013, p. 16847, Rec. p. 972.

320

Décision C.C., n°2013-676 DC, préc., cons. 47.

321

G. Eckert et J.-P. Kovar, « Introduction », R.F.A.P., 2012, n°143, p. 625.

322

« Les autorités de régulation ne peuvent être légitimées que par la délégation qui leur est consentie par des institutions procédant de l’élection et, plus encore, par l’obligation qui pèse sur elles de rendre compte de leurs activités devant les autorités démocratiquement élues » (G. Eckert, « L’indépendance des autorités de régulation