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Définition de la séparation des pouvoirs

15. A partir du concept de séparation des pouvoirs, il semble possible de définir tant la

« séparation des pouvoirs » que les différents termes qui la composent. Ainsi, la séparation

des pouvoirs est un principe visant à limiter le Pouvoir en distinguant des groupes d’organes

titulaires du pouvoir et en répartissant entre eux des ensembles de compétences ou de prérogatives. Ce sont ces groupes d’organes titulaires du pouvoir que l’on retrouvera dans la présente étude sous le vocable de pouvoirs. Quant aux ensembles de compétences ou de prérogatives, ils seront par la suite désignés comme des fonctions.

16. Cette définition est certes une définition a minima. Mais, de ce fait, elle présente

plusieurs intérêts. Le premier d’entre eux est de ne pas prendre parti pour l’une ou l’autre des notions développées par la doctrine. Dans la mesure où la présente étude a pour objet le droit

positif en vue de déterminer la ou les conceptions qui en résultent, il semble en effet

souhaitable de ne pas biaiser l’analyse en retenant a priori une notion particulière de la séparation des pouvoirs. A ce titre, la question se pose de l’autonomie du Conseil constitutionnel par rapport aux différents discours doctrinaux relatifs à la séparation des pouvoirs. De manière générale, les discours jurisprudentiel et doctrinaux portent sur deux objets différents : la séparation des pouvoirs en tant que norme pour le premier, la séparation des pouvoirs en tant que théorie pour les seconds. Il n’en demeure pas moins que le Conseil pourrait être influencé par une ou plusieurs positions doctrinales lorsqu’il s’apprête à développer le traitement du principe de séparation des pouvoirs. En outre, ces deux types de discours sont susceptibles de se rejoindre ou, plutôt, de se confronter, lorsque la doctrine s’attache à commenter la jurisprudence. Toute influence de la doctrine sur la jurisprudence du Conseil n’est donc pas à exclure. Pourtant, le Conseil semble construire sa jurisprudence relative à la séparation des pouvoirs de manière assez indépendante de la doctrine. D’abord, le Conseil conserve parfois une approche de la séparation des pouvoirs alors même qu’elle fait l’objet d’une critique largement partagée dans la doctrine. Ensuite, les convergences qui peuvent apparaître entre les discours doctrinaux et jurisprudentiel ne sont pas nécessairement imputables à l’influence que la doctrine aurait sur le juge constitutionnel. En second lieu, cette

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M. Troper, « L’évolution de la notion de séparation des pouvoirs », in L’héritage politique de la Révolution

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définition minimale proposée de la séparation des pouvoirs permet d’expliquer que l’expression « séparation des pouvoirs » figure dans bon nombre de Constitutions47, sans pour autant renvoyer à une même organisation des pouvoirs. Enfin, elle permet de commencer à circonscrire l’objet de cette étude.

II. Objet de l’étude

17. La présente étude vise à étudier le principe de séparation des pouvoirs dans la

jurisprudence du Conseil constitutionnel. Ce principe a d’ores et déjà été défini comme un principe visant à limiter le Pouvoir en distinguant des pouvoirs et en répartissant les différentes fonctions de l’Etat entre ces derniers. Pour autant, il ne s’agit pas d’étudier ce principe de manière générale, mais d’en faire l’analyse en tant qu’il est interprété puis appliqué par le Conseil comme norme constitutionnelle. Dès lors, l’objet de cette étude est circonscrit à plusieurs égards. La première limitation est de nature spatiale, puisqu’il ne sera ici question que de la France. À l’heure où le recours au droit comparé est fréquent, aucune des méthodes comparatives48 ne sera employée ici. Ce choix peut se justifier. D’abord, parce que des raisons pratiques, au premier rang desquelles le temps désormais imposé pour toute recherche doctorale, empêche de procéder à un état des lieux du principe de séparation des pouvoirs dans la jurisprudence de la totalité des cours constitutionnelles. Ensuite, parce que bien qu’il eut été possible d’effectuer une comparaison entre le traitement jurisprudentiel du principe de séparation des pouvoirs par le juge constitutionnel français et le traitement de ce principe par un ou plusieurs autres juges constitutionnels « étrangers », le choix de ces derniers aurait nécessairement résulté d’une démarche subjective. Enfin, le traitement

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Selon le site Constituteproject.org, qui répertorie aujourd’hui 194 Constitutions à travers le monde, 26 d’entre elles mentionnent la séparation des pouvoirs. Parmi elles, la Constitution de l’Azerbaïjan (art. 7, III : « State power in the Republic of Azerbaijan is based on the principle of separation of powers »), du Brésil (art. 60, §4° : « No proposed constitutionnal amendment shall be considered that is aimed at abolishing the following : (…) III. Separation of powers »), du Liban (Part I, Preamble, E : « The system is based upon the principle of separation of powers, their balance and their cooperation »), du Pérou (art. 43 : « Its form of government is unitary, representative and decentralized. It is organized pursuant to the principle of separation of powers ») ou encore du Turkmenistan (art. 4 : « State power is based on the principle of separation of powers between the legislative, executive and judicial branches, which operate independently, balancing each other »).

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Car « pour la plupart des juristes, le droit comparé est une méthode, et non une discipline » (M.-C. Ponthoreau,

Droit(s) constitutionnel(s) comparé(s), Economica, Paris, 2010, p. 60. Pour des développements sur la séparation

des pouvoirs en droit comparé, voir not. G.H. Flantz, « La signification de la séparation des pouvoirs dans le développement du constitutionnalisme et dans les constitutions contemporaines », in Le constitutionnalisme

aujourd’hui, J.-L. Seurin (dir.), Economica, Paris, 1984, pp. 91-107, M. Landau, « La théorie constitutionnelle et

l’organisation des pouvoirs aux Etats-Unis », in Le constitutionnalisme aujourd’hui, J.-L. Seurin (dir.), Economica, Paris, 1984, pp. 61-84

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jurisprudentiel du principe de séparation des pouvoirs par le juge constitutionnel français apparaît comme un objet suffisamment autonome pour faire l’objet d’une étude à lui seul.

18. La seconde limitation est de nature temporelle. Puisqu’il s’agit d’étudier le traitement

du principe de séparation des pouvoirs par le Conseil constitutionnel, la présente étude concerne exclusivement la Ve République. Il ne s’agit toutefois que d’une limitation relative, dans la mesure où il sera parfois nécessaire, afin d’éclairer tant les choix du constituant de 1958 que ceux du Conseil constitutionnel, de faire appel à certains éléments – politiques et institutionnels – significatifs des régimes antérieurs, notamment des IIIe et IVe Républiques.

19. Enfin, la troisième limitation de l’objet de cette étude est une limitation de nature

matérielle. Il ne sera en effet question que de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, celle des juges ordinaires n’étant évoquée que marginalement, lorsqu’elle apporte une valeur ajoutée à l’analyse49.

III. Intérêt de l’étude

20. La séparation des pouvoirs a fait l’objet d’un très grand nombre de travaux. Pourtant,

la présente étude entend se démarquer par son objet. Si la grande majorité de la production doctrinale concerne en effet les notions de séparation des pouvoirs, se concentrant davantage sur sa dimension théorique, c’est ici le droit positif que l’on se propose d’analyser. Car la séparation des pouvoirs ne se cantonne plus au terrain théorique depuis qu’en 1971, le Conseil a reconnu valeur constitutionnelle au Préambule de la Constitution de 1958 et, partant, au Préambule de la Constitution de 1946 et à la Déclaration de 1789. Or, l’article 16 de cette dernière prévoit que « toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ». Dès lors, l’inclusion de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen dans le bloc de constitutionnalité fait du principe de séparation des pouvoirs une norme constitutionnelle positive.

Par la suite, le recours croissant du Conseil à ce principe a ensuite contribué à renforcer cet ancrage dans le droit positif, de telle sorte qu’un nouvel horizon apparaît pour la recherche. En effet, le principe de séparation des pouvoirs étant devenu une norme constitutionnelle, le Conseil est dans l’obligation de s’assurer que les dispositions législatives soumises à son contrôle y sont conformes. Pour ce faire, il va devoir élaborer, à son tour, sa propre

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conception de la séparation des pouvoirs, que va progressivement révéler le traitement jurisprudentiel de ce principe. C’est ce que se propose de traiter la présente étude.

21. Par ailleurs, l’étude du traitement du principe de séparation des pouvoirs dans la

jurisprudence du Conseil constitutionnel présente un intérêt majeur. En effet, le droit constitutionnel jurisprudentiel tend aujourd’hui à occuper de plus en plus de place50, ne serait-ce que parserait-ce qu’il a un impact direct sur l’activité politique de fabrication et d’édiction des lois. En outre, le principe de séparation des pouvoirs occupe une position importante dans la jurisprudence constitutionnelle. Quantitativement, d’abord, parce que les occurrences du principe de séparation des pouvoirs dans la jurisprudence constitutionnelle, en plus d’être nombreuses, tendent à être de plus en plus fréquentes. C’est d’autant plus le cas que le Conseil constitutionnel a admis l’invocabilité du principe de séparation des pouvoirs au titre de la question prioritaire de constitutionnalité (Q.P.C.)51. Qualitativement, ensuite, parce que la séparation des pouvoirs, au vu de la définition qui en a été retenue pour cette étude, irrigue une large part du contentieux constitutionnel, bon nombre de normes constitutionnelles pouvant s’y rattacher. Une telle étude paraît donc nécessaire.

22. Elle paraît d’autant plus nécessaire que si de nombreuses études sectorielles portant

sur certaines des nombreuses déclinaisons contentieuses du principe de séparation des pouvoirs ont été menées52, il n’existe aujourd’hui aucune étude globale sur le traitement de ce

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Voir not. O. Beaud, « Joseph Barthelemy ou la fin de la doctrine constitutionnelle classique », in Droits, n°32, 2000, pp. 89-108 ; O. Beaud, « Constitution et droit constitutionnel », in Dictionnaire de la culture juridique, S. Rials et D. Alland (Dir.), PUF, Paris, 2003, pp.257-266 ; B. François, « La constitution du droit ? La doctrine constitutionnelle à la recherche d’une légitimité juridique et d’un horizon pratique », in La doctrine en droit, Y. Poirmeur (dir.), PUF, Paris, 1993, pp. 210- 229.

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Or, l’invocabilité du principe de séparation des pouvoirs au titre de la QPC n’était pas évidente, dans la mesure où il n’apparaît pas nécessairement comme un droit ou une liberté que la Constitution garantit (article 61-1 de la Constitution). La position du Conseil est d’autant plus surprenante que celui-ci n’a pas jugé bon de dissocier le volet institutionnel du principe de séparation des pouvoirs de son volet « garantie des droits » afin de juger de son invocabilité dans le cadre de la QPC (sur cette question, voir not. J. Roux, La question prioritaire de

constitutionnalité, D. Rousseau (dir), Lextenso, Paris, 2012, 2e édition, pp. 76-78).

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Parmi les plus traités, on retrouve la question des lois de validation (voir not. B. Mathieu, Les « validations

législatives ». Pratique législative et jurisprudence constitutionnelle, Economica, Paris, 1987, 329 p. ; J.-P.

Camby, « Validations législatives : des strates jurisprudentielles de plus en plus nombreuses », R.D.P., 2000, n°3, pp. 611-616 ; C. de la Mardière, « La réticence du Conseil constitutionnel à sanctionner les validations législatives », C., 2011, n°2, pp. 247-248 ; X. Prétot, « Le Conseil constitutionnel, la Cour européenne de Strasbourg et les validations législatives. A constitutionnalisme, conventionnalisme et demi », in Le nouveau

constitutionnalisme : mélanges en l’honneur de G. Conac, Economica, Paris, 2001, pp. 219-233),

l’indépendance des juridictions (voir not. D. Rousseau, « Indépendance de la Justice et justice constitutionnelle : une occasion manquée », R.P.P., n°1045, 2007, pp. 78-82 ; L'indépendance de la justice. Actes du deuxième

congrès de l'Association des Hautes juridictions de Cassation des pays ayant en partage l'usage du français (AHJUCAF). Dakar - 7 et 8 novembre 2007, Association des hautes juridictions de cassation des pays ayant en

partage l'usage du Français (Ed.), 2008, 229 p.) et la répartition des compétences législative et réglementaire (voir not. A.-H. Mesnard, « Dix années de jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière de répartition des compétences législatives et réglementaires », A.J.D.A., 1970, pp. 259-282 ; G. Saccone, « La répartition des compétences entre pouvoir législatif et pouvoir réglementaire », A.I.J.C., 1985, pp. 169-182 ; L. Favoreu (dir.),

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principe dans la jurisprudence du Conseil53. Une telle étude paraît alors essentielle afin d’améliorer la connaissance du droit positif et d’éprouver certains des présupposés doctrinaux. Parmi ceux-ci, figurent l’idée selon laquelle le principe de séparation des pouvoirs serait aujourd’hui impuissant et inefficace face à l’installation du fait majoritaire et à la présidentialisation du régime, ou encore l’affirmation selon laquelle il ne serait qu’un instrument au service de la garantie des droits54. A l’opposé, certains auteurs, à l’instar d’O. Pfersmann, ont pu émettre l’hypothèse qu’en tant que « principe », la séparation des pouvoirs relèverait d’ « une espèce de normes à plus forte généralité et plus forte indétermination, éventuellement dotées d’une fonction structurante et d’un statut hiérarchiquement supérieur »55. L’existence de discours si contrastés attestent de la nécessité d’une telle étude.

23. Il est donc nécessaire d’étudier la jurisprudence du Conseil pour savoir ce que ce

dernier fait du principe de séparation des pouvoirs et, partant, quelle est la notion de séparation des pouvoirs retenue par le droit positif, telle qu’elle transparaît de ce traitement jurisprudentiel.

IV. Méthode de l’étude

24. Il convient ici de présenter et de justifier le matériau sur lequel porte cette étude (A.)

ainsi que la méthode retenue pour traiter ce matériau (B.).