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Le choix du rejet du dogme séparatiste

DOGMATIQUE DE LA SEPARATION ENTRE LES POUVOIRS POLITIQUES

Section 2 – L’application du dogme séparatiste totalement écartée par le Conseil constitutionnel

A. Le choix du rejet du dogme séparatiste

272. La décision Blocage des prix s’inscrit dans le cadre d’une démarche quelque peu

hésitante de la part du Conseil quand à la question de la conformité des incompétences positives du législateur à la Constitution (1.). Il n’en demeure pas moins que cette solution, consistant à estimer que ces incompétences positives ne sont pas contraires à la Constitution et, partant, au principe de séparation des pouvoirs, constitue la position la plus durable du Conseil et qu’elle semble appelée à perdurer (2.).

1. Un choix hésitant

273. La position du Conseil à propos de la conformité à la Constitution des incompétences

positives du législateur est une de celles qui a connu le plus d’évolutions. Dans un premier temps, le Conseil a fait une application scrupuleuse des articles 34 et 37 de la Constitution.

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Saisi d’une disposition législative intervenant hors du domaine de la loi tel que délimité par la Constitution et, partant, intervenant dans le domaine réglementaire, le juge constitutionnel n’a pas hésité à censurer cette disposition642, ou à y apporter une précision à l’aide d’une réserve d’interprétation de manière à neutraliser tout risque d’incompétence positive du législateur643. Il semblait donc, d’une part, interpréter la Constitution comme prescrivant une certaine séparation des fonctions législative et réglementaire et, d’autre part, estimer que son rôle consiste à faire respecter cette répartition des compétences entre le législateur et le pouvoir réglementaire. Il a pourtant adopté, dans un second temps, la décision dite Blocage des prix644, dans laquelle il refuse de censurer, au titre de l’article 61 de la Constitution, les incompétences positives du législateur. De ce point de vue, la décision du 30 juillet 1982 constitue un véritable revirement, dans la mesure où le Conseil ne conçoit plus la répartition opérée par la Constitution entre les domaines de la loi et du règlement comme obligatoire, et n’interprète plus la Constitution comme prescrivant une séparation étanche entre ces deux domaines. La jurisprudence Blocage des prix a perduré jusqu’en 2005.

274. Le 21 avril 2005645, la jurisprudence du Conseil relative aux incompétences positives du législateur a connu une évolution supplémentaire. Saisi une nouvelle fois du grief d’incompétence positive à l’encontre d’un grand nombre de dispositions de la loi déférée, le Conseil a décidé de faire fi de la jurisprudence Blocage des prix en n’écartant pas ce grief pour inopérance. Sans aller toutefois jusqu’à revenir à sa jurisprudence antérieure en opérant un véritable revirement de jurisprudence le conduisant à censurer les dispositions législatives dénoncées, le juge constitutionnel a adopté une position pour le moins novatrice, en prononçant le déclassement préventif des dispositions. Ce faisant, le Conseil voulait permettre à l’Exécutif de pouvoir modifier ces dernières sans avoir à recourir à la procédure de l’article 37, alinéa 2 de la Constitution. Cette décision aurait pu constituer une amorce du retour à la jurisprudence antérieure à 1982 et à la pleine application du dogme séparatiste aux incompétences positives du législateur. Mais le Conseil est finalement revenu à la solution dégagée dans la décision Blocage des prix en deux temps, en 2010646 puis en 2012647.

642

Voir les décisions C.C., n°60-8 du 11 août 1960, Loi de finances rectificative pour 1960, J.O. du 13 août 1960, p. 7599, Rec. p. 25, cons. 4 et décision C.C., n°64-27 DC du 18 décembre 1964, Loi de finances pour 1965, J.O. du 24 décembre 1964, p. 11593, Rec. p. 29, cons. 1 à 7.

643

Décision C.C., n°68-35 DC du 30 janvier 1968, Loi relative aux évaluations servant de base à certains impôts directs locaux, J.O. du 1er février 1968, Rec. p. 19, cons 1 à 4.

644

Décision C.C., n°82-143 DC, préc.

645

Décision C.C., n°2005-512 DC, préc., cons. 22 et 23.

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La décision C.C., n°2010-617 DC du 9 novembre 2010, Loi portant réforme des retraites, J.O. du 10 novembre 2010, p. 20056, Rec. p. 310 (cons. 5-15) serait, à en croire le commentaire officiel (p. 12-13), une application classique de la jurisprudence Blocage des prix et des revenus. Il est toutefois nécessaire de nuancer

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275. Trois positions distinctes ont donc été retenues successivement par le Conseil sur la

question de la conformité des incompétences positives du législateur à la Constitution et, partant, au principe de séparation des pouvoirs. Une telle succession témoigne de la grande marge d’appréciation dont bénéficie parfois le Conseil lorsqu’il est amené à interpréter la Constitution. Mais elle témoigne surtout de ce que la position du Conseil sur la constitutionnalité des incompétences positives du législateur résulte d’un véritable choix de sa part.

2. Un choix destiné à perdurer ?

276. Entre 1982 et 2005, la jurisprudence Blocage des prix a fait l’objet d’une application

constante de la part du Conseil, qui s’est donc refusé à censurer, lorsqu’il était saisi au titre de l’article 61 de la Constitution, les empiètements du législateur dans le domaine réglementaire. Cette position du Conseil était relativement stable jusqu’à la décision du 21 avril 2005 dans laquelle le Conseil a décidé de déclasser, de manière préventive, les dispositions porteuses d’une incompétence positive. Cette décision ne représente toutefois qu’un léger vacillement dans le choix du Conseil de ne pas censurer les incompétences positives. En plus de ne pas donner de suite à cette décision, le Conseil a tenté par la suite d’en minimiser la portée en estimant, dans le commentaire de la décision du 15 mars 2012648, que « cette décision de 2005 constitue une décision d’espèce, rendue dans un contexte particulier d’un débat sur la "qualité de la loi". Elle n’avait pas de précédent et le Conseil n’a pas estimé nécessaire de lui donner

une suite. La jurisprudence du Conseil reste fondée sur la décision n°82-143 DC du 30 juillet

1982. (…) Le Conseil avait d’ailleurs, en 2005, dans les commentaires de la décision, clairement limité la portée de cette dernière. Il avait pleinement conscience qu’il était impossible de "renverser" la jurisprudence "prix et revenus" »649. Ces propos sont pour le moins paradoxaux. D’un côté, le Conseil présente la jurisprudence Blocage des prix comme la seule solution envisageable, puisqu’il est « impossible » de la renverser. D’un autre côté, il a procédé à une modification importante de cette jurisprudence en 2005. D’ailleurs, pour A.

cette affirmation, dans la mesure où elle ne résulte que de la lecture combinée de la décision et du commentaire officiel de celle-ci. L’application de la jurisprudence Blocage des prix est en effet imperceptible à la seule lecture de la décision.

647

La décision C.C., n°2012-649 DC du 15 mars 2012, Loi relative à la simplification du droit et à l’allègement des démarches administratives, J.O. du 23 mars 2012, p. 5253, Rec. p. 142 (cons. 9 et 10) met clairement un terme à l’ « égarement » que semble avoir été la décision de 2005 en rappelant sa jurisprudence Blocage des prix, d’une part, et en rejetant la demandes des requérants tendant à « requalifier d’office comme relevant du domaine réglementaire » les dispositions contestées, d’autre part (cons. 9 et 10).

648

Décision C.C., n°2012-649 DC, préc.

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Roblot-Troizier, le retour à la position déterminée en 1982 par le Conseil n’est pas surprenant. Il est l’une des manifestations du discours révérencieux du Conseil à l’égard de la loi, au même titre que l’affirmation récurrente selon laquelle le juge constitutionnel ne « dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement »650.

277. Dès lors, le choix de ne pas censurer les incompétences positives du législateur

semble appelé à perdurer, ce qui est d’autant plus critiquable que l’absence d’application du dogme séparatiste est fondée sur une interprétation douteuse de la Constitution.

B. Un choix fondé sur une interprétation douteuse de la