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Une autonomie relativement assurée

DOGMATIQUE DE LA SEPARATION ENTRE LES POUVOIRS POLITIQUES

Section 2 – Une autonomie garantie dans le fonctionnement des organes

B. Une autonomie relativement assurée

160. Face à la pression médiatique et populaire, le Conseil n’a pas perdu de vue le dogme

séparatiste qu’il a établi dans le cadre de la séparation organique entre les pouvoirs politiques. Dans les deux décisions du 9 octobre 2013, le juge constitutionnel formule en effet deux réserves d’interprétation qui doivent conduire à tempérer considérablement l’impression générale de perméabilité qui pouvait résulter de l’ensemble des décisions.

161. S’agissant de la loi ordinaire relative à la transparence de la vie publique, le Conseil a

jugé que les dispositions permettant à la Haute Autorité, d’une part, de se prononcer sur les situations pouvant constituer des conflits d’intérêts dans lesquelles pourraient se trouver les collaborateurs des présidents des assemblées parlementaires et, d’autre part, d’enjoindre à ces personnes d’y mettre fin405 ne sauraient, « sans méconnaître les exigences de la séparation des pouvoirs, autoriser la Haute autorité à adresser (aux collaborateurs des présidents des assemblées), lesquelles relèvent de la seule autorité du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Sénat, une injonction de mettre fin à une situation de conflits d’intérêts »406. S’agissant de la loi organique relative à la transparence de la vie publique, à propos de la déclaration d’intérêts et d’activités des parlementaires, le Conseil a estimé que dans la mesure où cette dernière « porte notamment sur les activités et liens "susceptibles de faire naître un conflit d’intérêts" avec l’exercice du mandat parlementaire (…) les dispositions de l’article L.O. 135-4 ne sauraient, sans méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs, permettre à la Haute Autorité d’adresser à un député ou un sénateur une injonction dont la méconnaissance est pénalement réprimée, relative à ses intérêts ou ses activités, ou portant sur la déclaration qui s’y rapporte »407.

En formulant ces deux réserves d’interprétation, le Conseil constitutionnel a voulu rappeler que l’autonomie des pouvoirs politiques est bel et bien protégée par le principe de séparation des pouvoirs. Le législateur ne saurait donc y porter atteinte, quand bien même les dispositions législatives remettraient uniquement en cause sa propre autonomie.

405 Art. 20, I, 2° de la loi n°2013-907 préc. 406 Décision C.C., n°2013-676 DC, préc., cons. 45. 407 Décision C.C., n°2013-675 DC, préc., cons. 39.

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162. On peut toutefois regretter que l’une de ces réserves d’interprétation soit fondée sur

un raisonnement douteux. En effet, la réserve formulée dans la décision relative à la loi organique repose sur un distinguo408 opéré par le Conseil entre les pouvoirs de la H.A.T.P. selon qu’ils concernent la déclaration d’intérêts ou la déclaration de patrimoine. Ce faisant, le juge constitutionnel semble reprendre l’argumentation déployée par les députés dans leurs observations effectués à l’appui de la saisine, dans lesquelles ces derniers estiment que le choix du législateur de soumettre « l’appréciation de la déontologie des élus (…) à des personnes n’ayant pas exercé de mandats » en leur demandant « de juger si une situation relève ou non du conflit d’intérêts » pose problème. Pour les députés, « l’appréciation des déclarations d’intérêts par la Haute autorité est constitutionnellement contestable. Car si la Haute autorité peut être compétente sur des déclarations de patrimoine qui ne comportent que des données objectives, le fait qu’elle interprète des déclarations d’intérêt méconnaît le principe de séparation des pouvoirs ». Or, cette argumentation ne saurait emporter la conviction, et ce pour deux raisons. D’abord, la séparation des pouvoirs n’a pas pour but de séparer les « pouvoirs élus » des « pouvoirs non élus » ; le recours à ces notions doit donc être abandonné. Ensuite, si la marge d’appréciation laissée à la Haute Cour est si importante que les députés le prétendent, c’est que la loi n’est pas suffisamment précise quant à la définition du conflit d’intérêt409. Dès lors, cela ne met pas en cause la conformité de la disposition au principe de séparation des pouvoirs, mais plutôt aux normes constitutionnelles protégeant la qualité de la loi410.

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Voir le commentaire officiel des décisions C.C., n°2013-675 DC et 2013-676 DC, p. 30.

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La loi, en son article 2, définit le conflit d’intérêt comme « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».

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Il s’agit de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, consacré dans la décision C.C., n°99-421 DC du 16 décembre 1999, Loi portant habilitation du Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de certains codes, J.O. du 22 décembre 1999, p. 19041, Rec. p. 136 (cons. 13) et du principe de clarté de la loi, consacré par la décision C.C., n°98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail, J.O. du 14 juin 1998, p. 9033, Rec. p. 258 (cons. 7 à 10). Mais en réalité, le problème résulte de ce que le législateur a souhaité que la définition du conflit d’intérêts prévue par la loi ne s’applique pas aux parlementaires, au motif que cela serait contraire au principe de l’autonomie des assemblées parlementaires. Sur ce point, voir not. le rapport n°1008 et 1009 rédigé par J.-J. Urvoas au nom de la commission des lois sur le projet de loi organique (n°1004) et le projet de loi (n°1005) relatif à la transparence de la vie publique : « Les membres du Parlement, quant à eux, n’entrent pas dans le champ de cette disposition, en raison du principe d’autonomie des assemblées parlementaires. Chacune des deux chambres a, on l’a vu, d’ores et déjà pris des dispositions en la matière. (…) Cela témoigne de la spécificité du mandat parlementaire, qui suppose de son titulaire la capacité, sinon le devoir, de se prononcer sur tout sujet – à la différence d’un fonctionnaire ou même d’un ministre, dont le champ d’intervention est nécessairement limité à un sujet d’attribution en particulier. Cette "universalité" du mandat parlementaire a ainsi pour conséquence que (…) les conflits d’intérêts des parlementaires sont d’une nature différente de ceux des personnes qui ressortissent du pouvoir exécutif » (pp. 40-41).

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163. En réalité, le caractère douteux de la motivation du Conseil n’est pas véritablement

surprenant. En effet, dans les deux décisions du 9 octobre 2013, le juge constitutionnel semble tiraillé entre, d’une part, la garantie de l’autonomie des parlementaires, qui résulte du principe de séparation des pouvoirs et de la lecture séparatiste qui en est faite et, d’autre part, la volonté de satisfaire à l’objectif de transparence de la vie publique. Les solutions dégagées dans ces décisions apparaissent donc comme des compromis, bien qu’ils ne soient pas présentés – ni assumés – comme tels par le Conseil. Celui-ci tente donc de préserver, autant que possible, l’autonomie des organes politiques, ce qu’il fait de manière relativement satisfaisante dans la mesure où les prérogatives conférées à la Haute Autorité ne semblent pas menacer effectivement l’autonomie des parlementaires.

§2. L’autonomie dans le fonctionnement des A.A.I.

164. Les A.A.I. ne sauraient être absolument autonomes. Dans le cadre d’un régime

démocratique, elles ne peuvent en effet se soustraire ni à l’existence d’un contrôle juridictionnel de leurs actes, ni à un contrôle parlementaire411. Pour autant, l’autonomie dont bénéficient les A.A.I. est importante et doit être respectée par le législateur lorsqu’il élabore les textes relatifs à ces dernières. En effet, si ce n’était pas le cas, ces autorités perdraient le qualificatif d’« indépendantes » et devraient être à nouveau considérées comme de simples démembrements de l’Exécutif. C’est le législateur qui, en premier lieu, confère les garanties d’autonomie aux A.A.I. (A.). Or, l’absence de censure de ces dispositions au regard du principe de séparation des pouvoirs témoigne du niveau constant et suffisant de garantie de l’autonomie des A.A.I. par le législateur, mais également par le Conseil constitutionnel (B.).

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Voir E. Debaets., « Les autorités administratives indépendantes et le principe démocratique : recherches sur le concept d’"indépendance" », contribution au VIIIe Congrès mondial de l’association internationale de droit constitutionnel, Mexico, 6-10 décembre 2010, disponible sur http://www.juridicas.unam.mx/wccl/ponencias/14/254.pdf. Voir également l’arrêt de la Cour de justice du 9 mars 2010 (décision C.J.U.E., Grande chambre, 9 mars 2010, Comm. c/ R.F.A., C-518/07) dans lequel on peut lire que, bien que la directive exige que l’autorité compétente en matière de protection des données exerce ses fonctions « en toute indépendance », « ce qui implique un pouvoir décisionnel soustrait à toute influence extérieure à l’autorité de contrôle » (§19), il n’est pas concevable d’exclure « toute influence parlementaire » (§43).

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