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La protection de l’Exécutif contre les injonctions des instances parlementaires non-législatives

DOGMATIQUE DE LA SEPARATION ENTRE LES POUVOIRS POLITIQUES

Chapitre 1 – L’application effective du dogme séparatiste à la séparation des fonctions politiques la séparation des fonctions politiques

A. La protection de l’Exécutif contre les injonctions des instances parlementaires non-législatives

207. Le principe de séparation des pouvoirs et la répartition constitutionnelle des fonctions

qui en découle interdisent qu’un organe adresse une injonction à un autre organe qui ne relève pas du même pouvoir afin de le contraindre à agir – ou à agir d’une certaine manière – dans l’exercice de ses fonctions. C’est donc conformément au dogme séparatiste que le Conseil a estimé que les dispositions qui permettaient une telle intervention d’un organe parlementaire dans les fonctions de l’Exécutif doivent être censurées. Le juge constitutionnel a ainsi, d’une part, censuré les dispositions qui permettaient aux présidents des assemblées de se substituer au haut-commissaire de la République (1.). D’autre part, il a précisé que les commissions d’enquête ne sauraient se substituer au Gouvernement en lui adressant des injonctions (2.).

1. L’interdiction faite aux présidents des assemblées d’adresser une injonction au haut-commissaire de la République

208. Depuis 1999, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie prévoit que la

décision de consulter le Congrès de cette collectivité relève du haut-commissaire de la

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Il convient toutefois de noter que la différence n’est pas toujours particulièrement claire dans l’esprit du Conseil au vu des termes qu’il emploie. Le juge constitutionnel utilise en effet parfois le terme d’ « instance législative » à propos des commissions permanentes des assemblées alors qu’elles n’interviennent pas au titre de la procédure législative (décision C.C., n°70-41 DC du 30 décembre 1970, Loi de finances rectificative pour 1970 et notamment son article 6-1 relatif à l’agence nationale pour l’amélioration de l’habitat, J.O. du 31 décembre 1970, p. 12322, Rec. p. 29, cons. 3 et décision C.C., n°2009-577 DC du 3 mars 2009, Loi relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision, J.O. du 7 mars 2009, p. 4336, Rec. p. 64, cons. 31).

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République477 qui peut, en outre, demander à cette assemblée de se prononcer en respectant

un délai réduit en cas d’urgence478. Or, dans une décision du 30 juillet 2009479, le Conseil constitutionnel examinait d’office une disposition modifiant la loi organique de 1999 et prévoyant que les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, après information du haut-commissaire, pouvaient également consulter le Congrès de Nouvelle-Calédonie. Sans plus de précision, la disposition examinée prévoyait également que le délai d’un mois dont dispose normalement le Congrès pour répondre « est réduit à quinze jours, en cas d’urgence, à la demande du président de l’Assemblée nationale ou du président du Sénat ». Le Conseil constitutionnel a alors jugé qu’ « il résulte de l’article 77 de la Constitution que le législateur organique peut fixer les conditions dans lesquelles les institutions de Nouvelle-Calédonie sont consultées »480. Il en a ensuite déduit qu’était contraire au principe de séparation des pouvoirs non pas l’intégralité de la disposition, mais seulement la faculté offerte aux présidents des assemblées de raccourcir le délai de réponse imparti au Congrès de Nouvelle-Calédonie481. La censure formulée par le Conseil peut faire l’objet de deux interprétations. Le recours au principe de séparation des pouvoirs pour censurer une disposition mettant en cause, d’une part, un organe national – les présidents des assemblées – et, d’autre part, un organe local – le Congrès de Nouvelle-Calédonie –, peut être lu comme un indice de l’existence de la séparation verticale des pouvoirs dans la jurisprudence constitutionnelle. Or, il semble falloir écarter cette interprétation pour deux raisons. D’abord, parce que rien dans la jurisprudence constitutionnelle ne laisse entrevoir que le Conseil accueillerait favorablement l’existence d’une séparation des pouvoirs482. Cette interprétation ne convainc pas, ensuite, parce que l’examen d’une autre décision du juge constitutionnel conduit à adopter une seconde interprétation de la décision.

477

Article 90, al. 1er de la loi organique n°99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie.

478

Dans ce cas, le délai n’est plus d’un mois, mais de 15 jours (art. 90, al.5 de la loi organique n°99-209, préc.).

479

Décision C.C., n°2009-587 DC du 30 juillet 2009, Loi organique relative à l’évolution institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie et à la départementalisation de Mayotte, J.O. du 6 août 2009, p. 13125, Rec. p. 152.

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Cette affirmation a de quoi surprendre, dans la mesure où si l’article 77 de la Constitution prévoit bien la compétence du législateur organique pour déterminer certains éléments énumérés afin d’ « assurer l’évolution de la Nouvelle-Calédonie dans le respect des orientations définies (par l’accord de Nouméa) et selon les modalités nécessaires à sa mise en œuvre », la consultation du Congrès de Nouvelle-Calédonie sur « les projets de loi et propositions de loi et les projets d’ordonnance qui introduisent, modifient ou suppriment des dispositions particulières à la Nouvelle-Calédonie » (art. 90, 1° de la loi organique n°99-209, préc.) ne fait pas partie de ces éléments.

481

Décision C.C., n°2009-587 DC, préc., cons. 16.

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209. Dans une décision rendue le 6 décembre 2007483, le Conseil examinait une disposition proche de celle contrôlée dans la décision du 30 juillet 2009, puisqu’il s’agissait pour le juge de se prononcer sur la constitutionnalité de la possibilité pour les présidents des assemblées d’enjoindre au haut-commissaire de consulter l’assemblée de Polynésie française. Le Conseil avait alors formulé une réserve d’interprétation afin de préciser que, pour ne pas être jugée contraire à la Constitution, la disposition « ne saurait avoir pour effet de permettre au président de l’Assemblée nationale ou du Sénat d’enjoindre au haut-commissaire de la République de déclarer l’urgence (…) pour réduire le délai de consultation de un mois à quinze jours »484. Le Conseil ne précisait toutefois pas à quelle norme constitutionnelle se heurtait cette interprétation de la disposition. Le rapprochement avec la décision du 30 juillet 2009 est ici utile. En effet, le principe de séparation des pouvoirs, tel qu’il est invoqué dans cette dernière, est tout à fait à même de justifier la réserve d’interprétation de 2007.

Il résulte alors de la combinaison de ces deux décisions l’affirmation suivante : le principe de séparation des pouvoirs fait obstacle à ce que les présidents des assemblées aient la faculté de prescrire l’urgence dans le cadre de la consultation d’autorités locales en lieu et place du haut-commissaire. Il est toutefois possible de regretter l’imprécision qui résulte de la lecture croisée des décisions du 6 décembre 2007 et du 30 juillet 2009, et ce pour deux raisons. D’une part, aucun fondement ne vient étayer l’idée selon laquelle le haut-commissaire de la République serait le titulaire exclusif de la compétence visant à prononcer l’urgence dans le cadre de la consultation des assemblées locales. D’autre part, la formulation de ces décisions laisse quelque peu perplexe quant à l’absence d’unité du raisonnement développé par le Conseil alors même que les dispositions contrôlées présentent de fortes similitudes.

210. Il n’en demeure pas moins que, là encore, le Conseil fait application du dogme

séparatiste afin de délimiter strictement les fonctions des instances parlementaires et les fonctions non-réglementaires de l’Exécutif, ce qui a pour effet d’interdire aux présidents des assemblées d’intervenir dans ce que le Conseil semble considérer comme étant une fonction réservée au haut-commissaire de la République.

483

Décision C.C., n°2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, J.O. du 8 décembre 2007, p. 19905, Rec. p. 439.

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2. L’interdiction faite aux commissions d’enquête d’adresser une injonction au Gouvernement

211. De même que le Conseil interdit aux présidents des assemblées de se substituer au

haut-commissaire de la République, il censure toute disposition qui aurait pour objet ou pour effet de permettre aux commissions d’enquête de se substituer au Gouvernement en lui imposant des actions par le biais des rapports qu’elles établissent. Il en va ainsi, par exemple, dans une décision du 26 février 2004485, à l’occasion du contrôle de la disposition d’une résolution prévoyant qu’un député serait désigné pour effectuer une mission de suivi de la

mise en œuvre des « conclusions » soumises à l’Assemblée par une commission d’enquête486.

Le Conseil estimait alors que, « s’agissant des commissions d’enquête, dont les conclusions sont dépourvues de tout caractère obligatoire, le rapport présenté ne saurait en aucun cas adresser une injonction au Gouvernement »487.

212. La condamnation de toute tentative de substitution des commissions d’enquête au

Gouvernement se manifeste doublement. Elle résulte, d’abord, et de manière expresse, de la réserve d’interprétation formulée par le Conseil. Mais elle résulte également, et plus subtilement, de la terminologie retenue par le Conseil pour désigner les rapports des commissions d’enquête. En effet, comme le note S. de Cacqueray, le Conseil a choisi de ne pas réutiliser le terme retenu par l’Assemblée dans la résolution, à savoir le terme de « recommandations »488, et lui préfère celui de « conclusions ». Selon l’auteur, « le Conseil constitutionnel a sans doute considéré que les recommandations d’une commission d’enquête peuvent s’apparenter à une exhortation incitant le Gouvernement à leur mise en œuvre tandis que les conclusions ressemblent davantage à des propositions ou à un avis qui ne lient pas le Gouvernement »489. Le principe de séparation des pouvoirs constitue dès lors le fondement idéal pour justifier tant la formulation de la réserve d’interprétation que l’interdiction pour les commissions d’enquête de se substituer au Gouvernement lorsqu’il s’agit de prendre des décisions dans le cadre des fonctions qui sont les siennes. Il est alors possible de regretter que le Conseil ne mentionne pas expressément ce principe.

485

Décision C.C., n°2004-493 DC du 26 février 2004, Résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, J.O. du 29 février 2004, p. 4164, Rec. p. 64.

486

Décision C.C., n°2004-493 DC, préc., cons. 2.

487

Décision C.C., n°2003-493 DC, préc., cons. 3.

488

Résolution A.N. du 12 février 2004 modifiant le Règlement en vue d’informer l’Assemblée nationale sur la mise en application des lois et sur la mise en œuvre des recommandations de ses commissions d’enquête.

489

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213. Saisi d’une disposition permettant à un organe parlementaire d’intervenir,

directement, et de manière importante, dans les fonctions de l’Exécutif en se substituant à lui, le Conseil prononce systématiquement une censure. Ce faisant, il retient une conception étanche – et attendue – du principe de séparation des pouvoirs, conforme au dogme séparatiste. Or, le Conseil adopte la même position lorsqu’il s’agit de juger de la constitutionnalité d’une disposition prévoyant l’intervention du législateur dans les fonctions de l’Exécutif.

B. La protection de l’Exécutif contre les injonctions des