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Le dogme séparatiste comme limite à la mise en œuvre de la fonction de la Haute Cour

DOGMATIQUE DE LA SEPARATION ENTRE LES POUVOIRS POLITIQUES

Section 1 – L’application partiellement écartée du dogme séparatiste par la Constitution

B. Le dogme séparatiste comme limite à la mise en œuvre de la fonction de la Haute Cour

261. L’application du dogme séparatiste à l’occasion du contrôle de la loi organique

relative à l’article 68 de la Constitution a conduit le Conseil à limiter doublement la fonction de la Haute Cour. Il en a d’abord limité le champ d’application au seul Président de la République, en censurant la possibilité offerte au Premier ministre de participer aux débats devant cette instance (1.). Ensuite, le Conseil a encadré les pouvoirs de la Haute Cour ainsi que les éléments procéduraux prévus par la loi organique afin qu’ils ne portent pas au Président de la République une atteinte plus importante que ne l’autorise l’article 68 de la Constitution (2.)

1. La limitation du champ d’application des fonctions de la Haute Cour au seul Président de la République

262. Les deux premiers alinéas de l’article 7 de la loi organique portant application de

l’article 68 de la Constitution prévoyaient que seuls les membres de la Haute Cour peuvent participer aux débats devant cette dernière, à l’exception du Président de la République et du Premier ministre613. C’est la commission des lois de l’Assemblée qui avait estimé qu’il était préférable que, à l’occasion des débats devant la Haute Cour, le Gouvernement s’exprime d’une seule voix, et donc par l’intermédiaire du Premier ministre614. Politiquement, l’intervention de ce dernier se justifie. D’abord, parce que la procédure de destitution ayant plus de chance d’être mise en œuvre en période de cohabitation, le Premier ministre pourrait vouloir apporter des éléments d’information « à charge » contre le Président de la République intéressant la Haute Cour. Ensuite, parce-que même dans l’hypothèse où cette procédure serait mise en œuvre en période de convergence, le Premier ministre pourrait vouloir se porter au secours du Président de la République en fournissant, cette fois, des éléments d’information « à décharge ».

263. Toutefois, c’est sur le terrain juridique que le juge constitutionnel a dû examiner cette

disposition. Il a alors estimé qu’« en prévoyant la participation du premier ministre aux débats devant la Haute Cour alors que la procédure de destitution de l’article 68 de la Constitution ne le met pas en cause et qu’une telle participation n’est pas prévue par cet article, ces

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Il est d’ailleurs possible de noter que ors de son dépôt devant l’Assemblée nationale, il n’était pas question du Premier ministre, mais du Gouvernement.

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dispositions sont déclarées contraires à la Constitution »615. Selon F. Savonitto, par cette censure, le Conseil « poursuit l’objectif d’éviter toute tentative de mise en cause du chef du gouvernement par cette voie. Cette précaution n’est pas superflue à regarder l’histoire de la Ve République : les parlementaires n’hésitent pas à détourner de leurs buts les moyens d’action qui leur sont offerts, comme l’attestent certaines motivations de motion de censure qui visent – parfois expressément616 – le Président de la République »617. Ainsi, en censurant la disposition, le Conseil s’est opposé à une extension du champ d’application de la fonction de la Haute Cour qui, en ce qu’elle ne « met pas en cause »618 le Premier ministre, ne saurait permettre à l’assemblée parlementaire d’entendre ce dernier. L’absence de mention du principe de séparation des pouvoirs, bien qu’il soit à l’origine de la censure opérée, s’explique doublement. D’abord, parce que lorsque le juge constitutionnel dispose d’un fondement spécial – en l’espèce l’article 68 de la Constitution – il préfère s’y référer et, ensuite, parce que le principe de séparation des pouvoirs est mentionné dans le considérant de la décision qui énonce les normes constitutionnelles de référence qui irradient le contrôle de l’ensemble de la loi organique619. C’est donc bien le dogme séparatiste qui a conduit le Conseil à circonscrire le champ d’application de la fonction de la Haute Cour au seul Président de la République.

264. De même, l’application du dogme séparatiste a amené le juge constitutionnel à

encadrer tant les pouvoirs de la Haute Cour que la procédure devant être conduite devant elle.

2. L’encadrement des pouvoirs et de la procédure de la Haute Cour à l’égard du Président

265. A l’occasion du contrôle du projet de loi organique portant application de l’article 68

de la Constitution, le Conseil s’est assuré de ce que les précisions procédurales apportées par le législateur organique n’ont pas pour objet ou pour effet de fausser l’équilibre établi par la Constitution entre le Président de la République, qui fait l’objet de la procédure de destitution, et la Haute Cour, et ce au profit de cette dernière. Il s’est ainsi assuré que l’atteinte portée à la

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Décision 2014-703 DC, préc., cons . 36.

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Voir par ex. motion de censure du 2 octobre 1962, in Textes et documents sur la pratique institutionnelle de

la Ve République, D. Maus (dir.), La Documentation française, Paris, 1982, 2ème édition, p. 290 ; sur cet aspect, voir F. Savonitto, Les discours constitutionnels sur la "violation cim de la Constitution" sous la Ve République,

LGDJ, Paris, 2013, pp. 323-328.

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F. Savonitto, « Un Président enfin responsable politiquement. Enfin, presque ? », préc. Voir not. la motion de censure déposée et adoptée en 1962 suite à la décision du Président de la République, C. de Gaulle, de réviser la Constitution par la voie du référendum de l’article 11.

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Commentaire officiel de la décision C.C., n°2014-703 DC, préc., p. 16.

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séparation des pouvoirs par la fonction dévolue à la Haute Cour n’excède pas la portée de l’atteinte autorisée par la Constitution. En premier lieu, ce sont les pouvoirs de contrainte de la Haute Cour vis-à-vis du Président de la République qui ont fait l’objet d’un tel contrôle. Le projet de loi organique instaure une commission au sein de la Haute Cour. Constituée de six vice-présidents de chacune des deux assemblées parlementaires, elle a pour mission de « recueillir toute information nécessaire à l’accomplissement de sa mission par la Haute Cour »620 dans le but de rendre un rapport dans les quinze jours qui suivent l’adoption de la résolution621. A cette fin, la loi organique prévoit que la commission dispose des prérogatives reconnues aux commissions d’enquête622. C’est donc par un renvoi à l’ordonnance du 17 novembre 1958623 qu’étaient définies les prérogatives de la commission de la Haute Cour. Les membres de cette dernière ont donc la possibilité d’exercer leur mission sur pièce et sur place, de se voir communiquer tout document nécessaire à l’exception de certains documents à caractère secret, d’auditionner toutes les personnes dont l’audition est jugée utile. Les dispositions de l’ordonnance du 17 novembre 1958 rendues applicables à la commission de la Haute Cour prévoient également des sanctions pour les personnes qui refuseraient de communiquer des documents ou de déférer à la demande d’audition de la commission. Enfin, l’article 6 du projet de loi organique dispose que, « sur sa demande, le Président de la République ou son représentant est entendu par la commission » et, qu’à cette occasion, il peut se faire assister de la personne de son choix624. Le Conseil, examinant l’ensemble de ces dispositions, a estimé que « ces dispositions (…) ne sauraient, sans porter atteinte au principe de séparation des pouvoirs ainsi qu’aux exigences constitutionnelles qui résultent du deuxième alinéa de l’article 67 de la Constitution, permettre à la commission de faire usage des prérogatives (traditionnellement dévolues aux commissions d’enquêtes par l’ordonnance du 17 novembre 1958) lorsqu’elle entend le Président de la République, son représentant ou la personne qui l’assiste »625.

Par cette réserve d’interprétation, le Conseil a validé les prérogatives de la commission de la Haute Cour mais a exclu qu’il en soit fait application au Président de la République, à son représentant ou à la personne qui l’assiste. Cette non-applicabilité des prérogatives de la

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Article 6, alinéa 1er de la loi organique n°2014-1392, préc.

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Article 6, alinéa 4 de la loi organique n°2014-1392, préc. La disposition poursuit en prévoyant que le rapport est distribué aux membres de la Haute Cour, au Président de la République et au Premier ministre, et qu’il est rendu public.

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Article 6, alinéa 2 de la loi organique n°2014-1392, préc.

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Article 6, II à IV de l’ordonnance n°58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

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Article 6, alinéa 3 de la loi organique n°2014-1392, préc.

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commission à ces trois personnes est fondée, selon la motivation du Conseil, sur deux éléments. Elle est d’abord fondée sur l’article 67 de la Constitution, puisque celui-ci prévoit notamment que le Président ne peut faire l’objet d’une action devant les juridictions nationales626. Il ne saurait donc être poursuivi, comme le prévoit l’ordonnance du 17 novembre 1958, dans l’hypothèse où il refuserait de déférer à une demande d’audition ou de transmettre des documents à la commission. La réserve d’interprétation est également fondée sur le principe de séparation des pouvoirs. Il semble alors falloir comprendre cette réserve comme interdisant à la commission de la Haute Cour d’imposer au Président de la République une action quelconque, et notamment sa présence devant la commission. Celle-ci ne saurait résulter que de la propre initiative du chef de l’Etat. En formulant cette réserve d’interprétation, le Conseil a donc entendu préserver l’équilibre entre le Président et la Haute Cour – ou l’un de ses organes – en limitant la possibilité pour la seconde de mettre en cause le premier. Une fois encore, le Conseil a fait en sorte que l’application de l’article 68, qui déroge au principe de séparation des pouvoirs, fasse l’objet d’une interprétation stricte de la disposition constitutionnelle. L’application du dogme séparatiste par le juge constitutionnel est d’autant plus manifeste que les prérogatives de la commission ne sont pas non plus applicables au représentant du Président ni à la personne qui l’assiste.

266. En second lieu, l’application du dogme séparatiste a conduit le Conseil à encadrer les

éléments procéduraux applicables devant la Haute Cour, notamment ceux relatifs au temps de parole accordé au Président de la République. Sur ce point, le Conseil a choisi de retenir une solution différente selon que le Président s’exprime devant la commission de la Haute Cour, ou devant la Haute Cour. A propos de l’intervention du chef de l’Etat devant la commission de la Haute Cour, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation, dans laquelle il a précisé que « ces dispositions n’ont pas non plus pour objet ou pour effet de permettre, dans le cadre des travaux d’élaboration du rapport par la commission, de fixer de manière réduite le temps de parole du Président de la République, de son "représentant" ou de la personne qui l’assiste »627. Le Conseil a en revanche retenu une solution différente s’agissant de

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Article 67, alinéa 2 de la Constitution.

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Décision C.C., n°2014-703 DC, préc., cons. 33. Bien qe l’objet de la disposition contrôlée dans ces décisions diffère, il est possible d’évoquer la décision du 24 juin 1959 (Décision C.C., n°59-2 DC du 24 juin 1959, Règlement de l’Assemblée nationale, J.O. du 3 juillet 1959, p. 6642, Rec. p. 58), dans laquelle le Conseil censurait une disposition du règlement de l’Assemblée nationale. En effet, cette disposition prévoyait les modalités d’application de l’article 31 de la Constitution, qui prévoit que « les membres du Gouvernement ont accès aux deux assemblées (et qu’) ils sont entendus quand ils le demandent » (art. 31, al. 1er de la Constitution), en leur assignant un temps de parole de 5 minutes. Le Conseil décidait alors de censurer cette disposition au motif que la durée de l’intervention des membres du Gouvernement devant les assemblées ne peut être limitée (décision C.C., n°59-2 DC, préc., à propos de l’article 31-5 du règlement).

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l’intervention devant la Haute Cour. Il a en effet estimé que le temps de parole du chef de l’Etat peut être limité, à condition que ce soit par un règlement adopté par la Haute Cour et soumis à son contrôle, et non par le bureau de cette dernière628. Pour ce faire, le Conseil s’est appuyé sur le principe de séparation des pouvoirs et sur l’exigence de clarté et de sincérité des débats.

La différence de solution retenue par le Conseil s’explique par le fait que, devant la commission, le Président est entendu. Le principe de séparation s’oppose alors à ce que la commission de la Haute Cour empêche le Président de la République d’utiliser pleinement la possibilité dont il dispose de s’exprimer devant elle et de faire valoir le principe du contradictoire qui semble avoir inspiré le législateur organique lorsqu’il a prévu cette possibilité. En revanche, devant la Haute Cour, il s’agit d’un débat, de telle sorte que le Président ne peut s’exprimer indéfiniment, et ce d’autant moins que la loi organique lui confère la possibilité de « prendre ou reprendre la parole en dernier »629. Chacune de ces solutions est le résultat de l’application du dogme séparatiste. La censure de toute limitation du temps de parole du Président à l’occasion de son intervention devant la commission de la Haute Cour en est un premier exemple. Ensuite, c’est interprétation stricte de l’article 68 de la Constitution retenue par le Conseil à propos de l’intervention du Président durant les débats devant la Haute Cour qui témoigne, à deux égards, de l’application du dogme séparatiste. Celui-ci conduit en effet le Conseil, d’une part, à exiger que la limitation du temps de parole soit fixée non pas par le Bureau de la Haute Cour – dont l’existence n’est pas mentionnée à l’article 68 de la Constitution – mais par la Haute Cour elle-même dans son règlement. D’autre part, l’application du dogme séparatiste est également visible dans l’avertissement que le Conseil adresse implicitement au Parlement en lui rappelant que le temps de parole devra être fixé par le règlement de la Haute Cour, lequel sera « soumis à l'examen du Conseil constitutionnel en application de l'article 61 de la Constitution » et devra, par conséquent, respecter la Constitution et, notamment, le principe de séparation des pouvoirs630.

267. Ainsi, même lorsque la Constitution prévoit des dérogations au principe de séparation

des pouvoirs, le Conseil n’en poursuit pas moins l’application du dogme séparatiste afin que les fonctions dévolues au Parlement ne lui permettent pas de porter une atteinte à la séparation des pouvoirs plus importante que ce qui est prévu par la Constitution. Il existe toutefois une

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Décision C.C., n°2014-703 DC, préc., cons. 37. Voir not. P. Bachschmidt, « Le Conseil constitutionnel accentue son contrôle sur les règlements des assemblées parlementaires », Constitutions, 2015, n°1, pp. 41-42.

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Article 7 de la loi organique n° n°2014-1392, préc.

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hypothèse contentieuse dans laquelle le doute sur l’interprétation que fait le Conseil de la Constitution est permis. Or, selon que l’on estime cette interprétation valable, l’absence d’application du dogme séparatiste apparaîtra justifiée ou, au contraire, non-justifiée.

Section 2 – L’application du dogme séparatiste totalement