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La tragédie de la déchirure

Chapitre 1 : Délitement du lien social et communautaire

3/ La tragédie de la déchirure

Dans l’œuvre du poète, l’Écosse est traversée d’une faille tragique qui se laisse

d’abord entrevoir dans des images de maladie et de pourriture. Dès les premiers poèmes, une

pourriture morbide envahit l’Écosse rurale : le saumon des rivières est malade et le corps du

paysan pourrit dans sa ferme (« The Diseased Salmon », « Farmer’s Death », CP, p. 34). Cette

imagerie trouve son expression la plus virulente dans A Drunk Man avec le cancer qui

représente la condition de la nation écossaise dans son ensemble : « O filthy frae oor

cancerous soil / May this heraldic horror rise! / The Presbyterian thistle flourishes, and its

ain roses crucifies… » (CP, p. 152) Le chardon écossais, ici symbole du calvinisme, pousse

sur un sol cancéreux et offre le visage d’une nation au corps pourri, en voie de

désagrègement. Plus haut dans le poème, l’on avait déjà rencontré la métaphore des « germes

lépreux » de l’Écosse transformée en pomme de terre (CP, p. 115). À première vue, on

pourrait comprendre que c’est le chardon presbytérien qui crucifie l’Écosse et la phagocyte

car MacDiarmid interprétait l’arrivée du calvinisme en Écosse comme un coup d’arrêt à l’art

et l’imagination. Mais, à y regarder de plus près, l’image du cancer renvoie rarement à une

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attaque qui viendrait de l’extérieur. Même avant l’arrivée du calvinisme et de son influence

que MacDiarmid déplorait, la nation semble porter en elle les germes de sa propre maladie. Le

cancer se trouve déjà dans son corps car ses propres cellules le produisent. L’allitération en

[ f ] de la strophe relie les termes « flourish » et « filthy », et suggère ainsi que le chardon,

métaphore de la religion presbytérienne, peut s’épanouir parce qu’il est déjà sale, déjà entaché

par le cancer du sol natal. Les masses menaçaient de contaminer le langage poétique, l’Écosse

n’a même pas besoin de s’inquiéter d’un tel danger puisque l’altérité la plus abjecte se loge

déjà dans son être profond : « The vices that defeat the dream / Are in the plant itsel’» (CP,

p. 121). Ici, rien de jubilatoire à se rendre compte que « Je est un autre », surtout que l’Écosse

a comme accepté de subir les à-coups de la maladie. Par déplacement métaphorique, cette

pourriture symbolise l’idée de trahison : une partie du pays s’est retournée contre l’autre.

Les termes « betrayed », « betrayal » et « traitor » reviennent régulièrement dans les

écrits du poète25 et le thème de la trahison prend toute son ampleur dans la question écossaise.

Toutes les nations pourraient sans nul doute se targuer d’exemples de trahisons célèbres mais

l’histoire de l’Écosse semble très fortement marquée par le sentiment de trahison que certains

historiens26 et certains artistes ont élevé au rang de leitmotiv national. Le thème naît dans la

narration des Guerres d’Indépendance, la soumission du roi John Balliol à l’Anglais Edward I,

la signature des hommes de pouvoir et d’argent sur les tristement célèbres « Ragman Rolls »

au XIIe siècle. William Wallace ne signa pas ce traité de soumission et fut notoirement trahi

par le chevalier écossais John de Menteith, puis écartelé à Londres27. Après l’épisode de

Wallace, la trahison continue de distinguer l’histoire du fragile état écossais. Robert Bruce

incarne l’ambivalence de la trahison qui finit par payer : d’abord soutien des Anglais, traître

aux idées de liberté défendues par Wallace, il devient ensuite le roi d’une Écosse forte et

indépendante28. Les attaques successives des rois écossais contre la culture gaélique et le

système clanique des Hautes Terres fondent ensuite une autre trahison : celle des Highlands et

des îles par les Lowlands qui culminera dans le dépeuplement forcé des Highlands (Highland

Clearances) évoqué par MacDiarmid dans « Island Funeral » ou « The Glen of Silence ». La

25

Dans Cencrastus, l’énonciateur de la section intitulée « Treason » s’adresse à la trahison personnifiée (CP,

p. 267) et dans « Poetry and Propaganda », le poète s’insurge contre la trahison faite à l’humanité toute entière

(« a base betrayal of mankind », CP, p. 558).

26

C’est le cas de John Prebble dans son ouvrage aux couleurs nationalistes : The Lion in the North: One

Thousand Years of Scotland’s History, Harmondsworth : Penguin, 1973.

27

La toponymie nous renseigne encore aujourd’hui sur l’impact de la trahison. Le lac de Meinteith dans les

Trossachs est un des rares lacs d’Écosse à s’appeler « Lake », à l’inverse de « Loch ». La mémoire honteuse de

l’acte de trahison de Menteith continue de résonner dans la forme anglaise du terme pour désigner l’étendue

d’eau.

28

Le couronnement de Bruce, qui marque la fin des Guerres d’Indépendance, est entaché par le meurtre de son

rival Comyn dans l’église de Dumfries en 1306.

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Réforme fut également souvent analysée comme une trahison de la culture écossaise en

général, en particulier par les auteurs de la Renaissance écossaise comme Muir et

MacDiarmid. Enfin, le mythe de la trahison le plus célèbre naît de l’Union avec l’Angleterre,

d’abord celle des deux couronnes en 1603, puis celle des parlements en 1707.

La littérature écossaise contribua à mythifier la trahison de l’Union, à l’image du

barde national, Burns, qui reprit la célèbre ballade jacobite : « We're bought and sold for

English gold / – Sic a parcel o rogues in a nation! » Dans ces vers se découvre la dimension

économique de la trahison, souvent décrite comme le fruit de la classe supérieure et des

tenants du système dans l’histoire écossaise. L’Union correspond au moment où, pour certains

historiens, l’état écossais s’est auto-annihilé pour des raisons principalement économiques, ce

qui a conduit certains commentateurs à décrire le pays comme une société émasculée29. De la

même façon que les chefs de clans ont vendu leurs terres et les métayers ont abandonné les

Highlands, les parlementaires ont vendu leur nation pour des terres et de l’argent. Leur

trahison est emblématique d’une humanité qui se retourne contre elle-même au sein du

système capitaliste30 et corrobore l’analyse économique des masses de MacDiarmid évoquée

plus haut.

Tous ces exemples de trahison apparaissent à un moment ou à un autre dans les écrits

de MacDiarmid, qui ajoute aussi d’autres trahisons à la liste : la grève générale de 1926 dans

A Drunk Man et le sacrifice de son héros politique John Maclean par la classe supérieure et

les autorités du pays dans le poème « John Maclean (1879-1923) » (CP, p. 486). En ce qui

concerne la littérature, MacDiarmid pense que les écrivains écossais, Walter Scott en tête, ont

eux aussi trahi leur nation en produisant de fausses représentations de la culture écossaise.

Après avoir critiqué le malentendu littéraire créé par Burns, l’énonciateur de A Drunk Man

fustige également le rôle joué par le Kailyard31 : « And owre the Kailyard-wa’ Dunbar they’ve

flung » (CP, p. 106). Au début du XXe siècle, la littérature écossaise est pour la plupart des

Américains et des Britanniques encore synonyme de Kailyard et de quelques phrases en scots

glissées ici et là dans les romans ou les nouvelles. Ces vers suggèrent que le mouvement a

contribué à faire oublier les poèmes en scots de William Dunbar, qu’elles ont relégué l’âge

d’or de la poésie en scots aux oubliettes, et qu’elles ont trahi l’héritage littéraire de l’Écosse.

29

T. M. Devine, The Scottish Nation 1700-2000, London : Penguin, 2000, p. 289, et Tom Nairn, The Break-up of

Britain: Crisis and Neo-Nationalism, London : Verso Editions, 1981, p. 153.

30

Aujourd’hui encore, les débats autour des référendums de septembre 2014 et de juin 2016 ont remis au jour

cette même idée de trahison.

53

Ces multiples trahisons ont eu pour effet de menacer l’unification du peuple écossais

voulue par MacDiarmid. De nombreux commentateurs ont en effet bien montré que ces

évènements ont dégradé l’image que les Écossais peuvent avoir d’eux-mêmes et ont altéré

leur perception de la communauté nationale. Carla Sassi explique par exemple les effets de

l’Union :

The “spontaneity” of the decision, albeit taken by a minority, and the fact that most of the leading

intellectuals did not raise their voice against the Union, made it impossible for subsequent generations

to say “we are the victims” – the cohesion implied in the simple use of this pronoun was not possible in

Scotland in the same way as other colonized countries

32

.

Fondée sur la trahison, l’identité narrative du pays est troublée, ce qui empêche

l’établissement d’une communauté soudée et la constitution d’un sujet national stable. Le

peuple ne peut plus s’imaginer comme un sujet unifié, comme un nous. L’analyse de l’Union

par Sassi décrit bien le processus qu’on voit se refléter dans les écrits de MacDiarmid.

Dans un article de 1927, « Towards a Scottish Idea » (publié dans The Pictish Review),

le poète évoque « l’unité effondrée » de l’Écosse et associe les adjectifs « ancient » et

« integral » quand il qualifie son pays33, comme pour souligner que l’intégrité de la nation

s’est envolée. L’auteur a toujours voulu tenter de concevoir l’Écosse comme une entité

mythique, une et indivisible, et il a toujours espéré contribuer à reconquérir cette unité grâce à

son œuvre. Mais, en présentant les traîtres dans sa poésie, MacDiarmid contribue aussi à

peindre un pays écartelé, rongé de l’intérieur par la trahison. Il fait ressortir la faille morale

qui court dans la nation et érige la communauté écossaise sur une déchirure. Divisée entre les

traîtres à la nation et les autres, l’Écosse ne peut plus se constituer comme un nous dans les

poèmes car la trahison a rendu illisibles les lignes de démarcation entre soi et l’altérité. La

dimension profondément négative de ses analyses indique que la représentation de la

déchirure écossaise n’est pas mise au service d’une propagande nationaliste mais relève plutôt

d’un douloureux processus d’auto-flagellation. À la disparition d’un sujet unifié, s’ajoute ainsi

le fameux complexe d’infériorité écossais, que MacDiarmid évoquait parfois34, le concept de

« Scottish Cringe » ou cette théorie d’une « conscience subalterne du sujet colonial »35. La

trahison a rendu les écossais inférieurs.

32

Carla Sassi, Why Scottish Literature Matters, Edinburgh : The Saltire Society, 2005, p. 45.

33

Hugh MacDiarmid, « Towards a Scottish Idea » (1927) in The Raucle Tongue - Hitherto Uncollected Prose

Vol. 2, Manchester : Carcanet, 1997, p. 37-41, p. 37.

34

« Scotland is suffering from a very widespread inferiority complex – the result of the psychological violence

suffered as a consequence of John Knox’s anti-national policy in imposing an English Bible » (Hugh

MacDiarmid, « Albyn: or Scotland and the Future » (1927) in Albyn: Shorter Books and Monographs,

Manchester : Carcanet, 1996, p. 1-39, p. 6).

35

Scott Lyall, « Hugh MacDiarmid and Scottish Identity » in International Review of Scottish Studies, vol. 29,

2004, p. 3-28, p. 4.

54

Une autre conséquence de la trahison, peut-être encore plus tragique cette fois,

apparait aussi dans les poèmes : l’absence. Dans A Drunk Man, MacDiarmid met à mal le

fameux « intellect démocratique » écossais : « They ha’e been Scots wha ha’e ha’en thochts, /

They’re strewn through maist o’ the various lots / – Sic traitors are nae langer Scots! » (CP,

p. 165) Ce qui est remarquable ici c’est que l’énonciateur s’indigne contre ces intellectuels qui

ont trahi leur nation, non pas parce qu’ils ont encouragé l’acculturation par les Anglais, mais

parce qu’ils sont partis. Ils sont éparpillés aux quatre coins du monde (« strewn through maist

o’ the various lots »). L’énonciateur blâme l’intelligentsia écossaise pour s’être enfuie et pour

être aller paître dans d’autres prés plus verts, et il est vrai qu’au XIXe siècle on assista à une

émigration massive des intellectuels écossais, vers Londres en particulier36. Cet éloignement

spatial autorise l’énonciateur à déchoir ces Écossais de leur nationalité dans l’énoncé à la

valeur quasi performative « – Sic traitors are nae langer Scots! », comme si la séparation

n’avait pas seulement déchiré le corps de la nation en deux, mais avait annihilé un pan entier

de sa communauté. Le sujet national, le nous, n’a pas uniquement perdu de son unité, il a

égaré une partie de lui-même. Une telle sentence de privation de nationalité pourrait n’être

que le fruit de la colère de l’auteur face à des comportements jugés immoraux mais ce genre

de remarque apparaît aussi dans Cencrastus pour évoquer le dépeuplement des Highlands et

l’émigration, cette fois forcée, de certains Écossais.

L’énonciateur, la grive musicienne (Mavis), regarde vers les Amériques :

Maun I flee the Atlantic tae

Whaur ten thoosan o’ the clan

Host whaur the first ane landit

– I’d liefer ha’e seen nae dawn.

Can I sing them back hame again?

The nicht has lasted owre lang,

And I doot if American clansmen

Are worth the orts o’ a sang. (CP, p. 191)

MacDiarmid a souvent rejeté l’appropriation du patrimoine culturel écossais par les

Américains, et plus loin dans le poème, l’énonciateur mentionne même leurs « kilts

d’imitation » (« their imitation kilts », CP, p. 275). Aux questions posées par le poème

« Emigration » du poète contemporain Mark Ryan Smith, « Letters would come, / with words

moving east, to home, / and west, to hope. / America: / Can you ever box the compass? / Can

you ever make the broken parts whole? »37, les vers de Cencrastus répondent brutalement par

la négative. Les Américains descendants directs d’émigrés écossais peuvent toujours se

targuer d’être membres du clan car ils sont les membres des clans qui ont été dispersés aux

36

Tom Nairn, op. cit., p. 123-125.

37

These Islands, We Sing: An Anthology of Scottish Islands Poetry, Kevin MacNeil (ed.), Polygon : Edinburgh,

2011, p. 230.

55

XVIIIe et XIXe siècles. La cause de l’émigration de ces descendants américains est différente ;

ils ne sont pas partis faire fortune ailleurs comme les intellectuels ou les hommes d’affaires à

l’esprit entrepreneur mais ont été forcés à partir par leurs propriétaires ou par la pauvreté.

Pourtant, ils ne font plus désormais partie de la famille. Trop de temps s’est écoulé depuis leur

départ. L’idée même d’imitation les éloigne davantage de leurs ancêtres et un gouffre spatial

et temporel les sépare, l’abysse de l’Atlantique et des siècles.

Ces Écossais américains incarnent le terme du processus de la déchirure : ils ne font

même plus partie de la nation et, même s’ils n’ont pas fait le choix de partir, ils ne méritent

plus d’être chantés. Lorsque l’énonciateur de Cencrastus évoque les « étrangers » qui sont

dans la maison (CP, p. 264), il ne faut pas y lire l’expression d’une forme de racisme, mais

plutôt l’angoisse face à un processus d’annihilation engendré par l’éclatement de la

communauté. Quand l’énonciateur de « The Glen of Silence » décrit les Highlands après leur

évacuation, il met bien l’accent sur ce processus : « – The fœtal death in this great ‘cleared’

glen / Where the fear-tholladh nan tighean38 has done its foul work / – The tragedy of an

unevolved people! » (CP, p. 1310) Dans les tirets et le point d’exclamation qui cisaillent le

texte, la colère se fait jour et déchire le silence morbide des glens dépeuplés. Ce n’est même

plus sur la déchirure causée par le départ du peuple des Highlands que l’énonciateur insiste,

mais sur le vide qui en résulte et qui s’exprime dans la métaphore glacée de la mort fœtale et

dans le silence tonitruant de l’adjectif « cleared ».

L’humanité mutilée

Emblématique d’une communauté dissoute où les liens humains se sont rompus, la

caractérisation de l’Écosse proposée par MacDiarmid déploie les stigmates d’une déchirure

peut-être plus universelle. Le dépeuplement des Highlands est le produit de l’industrialisation

et du système capitaliste ; il correspond au passage de la société traditionnelle à la société

moderne et au moment où les forces impersonnelles du progrès ont délité le tissu

communautaire. L’avènement de la modernité est donc responsable de la déchirure écossaise

et il a aussi amené avec lui d’autres déchirures, certaines d’entre elles sont plus littérales et

touchent au corps même des hommes.

La description de la « plaie largement fendue » dans « La guerre et l’univers » de

Maïakovski dénonce le drame de la Première Guerre et « le vent des boulets [qui] a mis en

56

pièces chair et vêtements »39. Le poème de MacDiarmid « In the Children’s Hospital »

(Second Hymn, 1935) rend lui aussi compte de la déchirure engendrée par la violence des

boulets et des baïonnettes :

Does it matter? Losing your legs?... Siegfried Sassoon

Now let the legless boy show the great lady

How well he can manage his crutches.

It doesn't matter though the Sister objects,

'He's not used to them yet', when such is

The will of the Princess. Come, Tommy,

Try a few desperate steps through the ward.

Then the hand of Royalty will pat your head

And life suddenly cease to be hard.

For a couple of legs are surely no miss

When the loss leads to such an honour as this!

One knows, when one sees how jealous the rest

Of the children are, it's been all for the best! —

But would the sound of your sticks on the floor

Thundered in her skull for evermore! (CP, p. 547)

Reprenant à son compte le poème « Does it matter ? » de Siegfried Sassoon40, MacDiarmid

offre une interprétation bien plus clairement anti-impérialiste que le poème du poète anglais

mais rend néanmoins d’abord compte de l’horreur de la mutilation. Le sentiment de sidération

de l’énonciateur face aux membres mutilés trouve à s’exprimer dans l’utilisation répétée du

présent tandis que la présence cruellement ironique des [ l ] du premier vers renvoie à la

verticalité des béquilles tout en rendant l’absence des jambes plus visible. La chambre

d’hôpital se transforme en petit théâtre de la monstruosité, celle de la royauté, de l’Empire et

de la religion, mais aussi celle de l’enfant amputé. Devenu un pantin désarticulé, planté sur

des échasses, qu’on sort pour amuser le visiteur, l’enfant subit la condescendance du monde

39

Vladimir Maïakovski, « La guerre et l’univers » in À pleine voix, Anthologie poétique 1915-1930, Paris :

Gallimard, 2005, p. 85-86.

40

Does it matter? – losing your legs?...

For people will always be kind,

And you need not show that you mind

When the others come in after hunting

To gobble their muffins and eggs.

Does it matter? – Losing your sight?...

There’s such splendid work for the blind;

And people will always be kind,

As you sit on the terrace remembering

And turning your face to the light.

Do they matter? – those dreams from the pit?...

You can drink and forget and be glad,

And people won’t say that you’re mad;

For they’ll know you’ve fought for your country

And no one will worry a bit.

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adulte et celle de l’autorité impériale, qui le maintient à distance en lui tapotant la tête. La

violence des sons [s ] et [ k ] tente de rendre le bruit des béquilles sur le sol et, en même

temps, de rendre la conscience morale à cet Empire qui a démembré l’innocence de ses

enfants. Mais, plus effroyable, cette intrusion du son des béquilles dans le poème vient

également rendre la conscience morale à un autre voyeur, le lecteur.

L’emploi du discours direct dans le poème lui a fait prendre part à cette mise en scène

de l’horreur. Nous aussi sommes devenus les visiteurs du petit Tommy et le poème vient nous

rappeler à la souffrance du corps, nous met sous les yeux les cicatrices que l’on peut vouloir

oublier. L’humanité a cherché à écarter cet enfant, personnification de la blessure de guerre,

de son champ de vision. Dans l’œuvre de MacDiarmid, les images de déchirure et de plaie

ouverte jouent le même rôle. Les représentations de fossés et de gouffres (« gulf », « gap »)41,

de césures violentes (« cut off ») ou de « fissures »42, nous rappellent que l’humanité, un bras

cassé43, est ressortie brisée ou démembrée, semblable aux hommes et aux cadavres revenus du

front. Néanmoins, la caractérisation macdiarmidienne de la déchirure tend à se délocaliser