Chapitre 4 : De Dieu à l’homme, de la Totalité à la collectivité
3/ La collectivité intertextuelle
MacDiarmid a toujours intégré les autres à son œuvre. Dès son plus jeune âge, il se
prend de passion pour la lecture, pour les romans et la poésie qu’il découvre dans la petite
bibliothèque de Langholm, située à l’étage du bâtiment de la poste dans lequel réside la
famille Grieve et, plus tard, il continue à dévorer les livres de la même manière. Avant d’être
un écrivain, MacDiarmid est donc d’abord un grand lecteur comme en attestent les
innombrables sources culturelles dans lesquelles il recueille sa matière première et, bien qu’il
se soit parfois défendu d’avoir été influencé par quiconque,39
l’étendue intertextuelle de son
œuvre poétique est presque illimitée.
La Bible demeure sans doute son premier réservoir d’images, mais sa poésie est aussi
pétrie de mythologie païenne : les personnages d’Orphée, d’Ulysse, de Prométhée, de Protée
ou de Sisyphe sont présents dans les poèmes pour figurer les drames humains et la figure
tutélaire d’Homère apparaît pour rassurer le poète énonciateur dans sa fonction (« Etika
Preobrazhennavo Erosa », Lament for the Great Music (Stony Limits)). Aux mythes grecs
s’ajoutent ensuite les ballades et les chansons écossaises. Comme nous l’avons déjà évoqué,
les premiers poèmes sont empreints du style de la ballade traditionnelle et A Drunk Man
réveille le souvenir douloureux de la bataille de Flodden dans la chanson « Flowers of the
Forest » (CP, p. 84). Les chants traditionnels de rameurs résonnent dans The Birlinn of
Clanranald (CP, p. 513), traduit du gaélique d’Alasdair MacMhaighstir Alasdair (Alexander
MacDonald) en 1935, avec l’aide de Sorley MacLean40
, et publié pour la première fois dans le
recueil de poésie écossaise de MacDiarmid, The Golden Treasury of Scottish Poetry41. Le
music-hall, plus populaire, mais ridiculisé par MacDiarmid, revient régulièrement sous les
traits de Harry Lauder, double obscur de Robert Burns et William Dunbar, les figures
tutélaires des premiers recueils en scots. MacDiarmid tente également de refouler les ombres
du Kailyard, de J. M. Barrie et de Walter Scott qui, selon lui, ont obscurci le ciel culturel
39
Dans l’entretien donné à Walter Perrie en 1974, le poète se défend de tout contact avec une influence
extérieure, sans doute dans le but de commencer lui-même sa propre hagiographie et de repousser la fameuse
« angoisse de l’influence » diagnostiquée par Harold Bloom : « Basically, I don’t think I’ve been influenced by
anybody at all. I’m a great admirer of Valéry and others but I haven’t been influenced by them. I’m not writing
the kind of stuff they were writing at all. » (Hugh MacDiarmid, « Metaphysics and Poetry » (1975) in The
Thistle Rises: An Anthology of Poetry and Prose, op. cit.,p. 250-261, p. 259)
40
Voir Douglas Sealy, « Hugh MacDiarmid and Gaelic Literature » in Hugh MacDiarmid: A critical Survey, op.
cit., p. 168-183, p. 171.
41
L’adaptation d’un chant traditionnel de marins apparaît également dans A Drunk Man : « We’re ootward
boond frae Scotland. / Guid-bye, fare-ye-weel; guid-bye, fare-ye-weel. » (CP, p. 100)
134
écossais. L’auteur leur préfère un autre poète écossais du XIXe siècle, John Davidson, ainsi
que les poètes de langue gaélique Alasdair MacMhaighstir Alasdair, Aodhagan O Rathaille, et
Donnchadh Bàn Mac an t-Saoir (Duncan Ban MacIntyre).
MacDiarmid laisse ses vers s’ouvrir aussi à d’autres espaces que celui de la culture
écossaise comme la Russie des poètes et des philosophes. La théorie du chaos et l’ouvrage
Job’s Balances de Léon Chestov sont parfois évoqués ou plagiés, les personnages récurrents
de Sophia et du serpent sont clairement inspirés des écrits de Vladimir Soloviev, tandis que le
Silentium de Fyodor Tyutchev et les théories de Piotr Ouspenski façonnent A Drunk Man et
« A Moment in Eternity ». Dès la parution de A Drunk Man, les noms d’écrivains russes
apparaissent dans les recueils, comme ceux de Blok, Tolstoï, Dostoïevski, Leontiev,
Pouchkine, Gogol et Maïakovski. Très influente pour toute une génération d’écrivains dont
MacDiarmid fait partie, la mystique nationale russe est contrebalancée par celle des grands
auteurs américains, Whitman et Melville, et celle des poètes romantiques anglais dont
l’influence dans l’énonciation macdiarmidienne a déjà été considérée. Les proto-modernistes
sont régulièrement convoqués aussi : le philosophe Nietzsche et sa théorie du surhomme, le
poète Rainer Maria Rilke dont MacDiarmid ne cessera de répéter l’injonction, « le poète doit
tout savoir », ainsi que Stéphane Mallarmé et Paul Valéry. Les auteurs contemporains de
MacDiarmid, en particulier ceux qui sont directement associés au courant moderniste,
constituent le dernier grand vivier intertextuel du poète : Charles Doughty, W. B. Yeats,
James Joyce, Ford Madox Ford et enfin Ezra Pound et T. S. Eliot déjà évoqués. Toutes ces
figures importantes du modernisme sont mentionnées, citées ou plagiées dans l’œuvre de
l’auteur.
Cette liste lacunaire de références essaie de rendre compte de l’étendue étourdissante
des apports intertextuels dans la poésie de MacDiarmid, une étendue qui force l’héritage
biblique à ne devenir qu’une référence intertextuelle parmi d’autres. Les poèmes deviennent
un lieu de dialogue constant entre soi et un autre humain, entre l’énonciateur principal et des
voix réelles venues d’autres horizons. Au-delà de l’intérêt que peut susciter la variété des
sources, la pratique intertextuelle de l’auteur, ce « palimpseste de l’infini » (Cencrastus, CP,
p. 189) tant désiré par le poète42, mérite une analyse plus approfondie car elle a quelque peu
évolué dans le temps.
42
Notons que la terminologie de MacDiarmid devance celle de Genette de cinquante ans quand ce dernier définit
l’hypertextualité comme l’« image du palimpseste, où l’on voit, sur le même parchemin, un texte se superposer à
un autre qu’il ne dissimule pas tout à fait, mais qu’il laisse voir par transparence. » (Gérard Genette,
135
L’intertextualité repose sur un ensemble de procédés : elle se fonde sur des dédicaces,
des citations, des allusions, des plagiats et des évocations de noms d’auteurs ou de leurs
œuvres. Ces méthodes sont toutes employées par le poète. Dans les premiers recueils et dans
A Drunk Man, MacDiarmid emploie aussi beaucoup la traduction. Certains poèmes présentent
de simples traductions en scots des originaux mais, le plus souvent, le poète propose des
traductions de traductions préexistantes en anglais des originaux. Le poème « The Last
Trump » (CP, p. 29, Sangshaw), un poème en scots est une traduction, non pas de l’original
russe de Dimitri Sergueïevitch Merejkovski, mais de la traduction de Babette Deutsch et
Avrham Yarmolinsky, « The Trumpet Call » dans leur anthologie, Modern Russian Poetry,
publiée en 192143. Malgré la mention « suggested by » dans le sous-titre, le poème est bien
une simple traduction en scots de l’anglais. D’autres poèmes constituent cependant un réel
effort de réécriture. L’analyse détaillée de « The Dead Liebknecht » (Penny Wheep, 1926)
montre que la traduction peut être plus personnelle.
Le poème offre un exemple remarquable de traduction créatrice. MacDiarmid modifie
peu le lexique mais la portée générale du poème de l’allemand Rudolf Leonhard « Der Tote
Liebknecht »44 se trouve magnifiée par le nouveau schéma rythmique du scots. Dans
l’original, les sirènes des usines semblent s’éterniser : « Da beginnen Fabriksirenen /
unendlich lange / dröhnend aufzugähnen, / hohl über die ganze Stadt zu gellen. »45 Le
redondant son [ en ] et l’allitération en [ g ] font du cri des sirènes un mugissement perpétuel
que le poète écossais transforme. Le hurlement des sirènes est raccourci dans le scots de
MacDiarmid : « The factory horn begins to blaw / Thro’ a’ the city, blare on blare. » (CP,
p. 57) L’écho consonantique et vocalique entre « blaw » et « blare » magnifie la puissance du
son des sirènes tandis que le monosyllabisme de ces deux expressions lui donne un caractère
haché. Alors qu’elle paraît inerte dans le poème original, la sirène de Leonhard prend même
vie sous la plume de MacDiarmid grâce au processus d’animalisation : la sirène se transforme
en « corne » (« horn ») qui beugle et bêle (« blare »), et laisse ainsi entendre le bêlement
43
Babette Deutsch & Avrham Yarmolinsky, Modern Russian Poetry: An Anthology, New York : Harcourt,
Brace & Company, 1921, p. 50.
Cette méthode apparaît également dans A Drunk Man : grâce à la note de bas de page qui dit « From the Russian
of Alexander Blok » (CP, p. 88), l’auteur semble indiquer qu’il a directement traduit du russe au scots le poème
d’Alexandre Blok, « L’Inconnue ». Pourtant, le passage en question s’avère résulter lui aussi de quelques
modifications apportées à la traduction anglaise de ce poème par Babette Deutsch, « The Lady Unknown », dans
son anthologie (ibid., p. 129).
44
Sans doute tiré cette fois de la traduction anglaise de Babette Deutsch & Avrham Yarmolinsky, Contemporary
German Poetry: An Anthology, New York : Harcourt, Brace & Company, 1923, p. 156. Dans la même
anthologie, MacDiarmid a également récupéré la traduction du poème « Sphinx » de Else Lasker-Schüler qu’il
utilise dans A Drunk Man (CP, p. 95-96).
45
Lionel Richard (dir.), Expressionnistes allemands : Panorama bilingue d’une génération, Paris : Éditions
Complexe, 2011, p. 242.
136
inquiet d’un animal qu’on égorge. La plosive [ b ] ajoute de la menace à ce cri angoissant, le
cri du sacrifié sur l’autel du capitalisme ; le cri des ouvriers et de Liebknecht.
La représentation de la sirène n’est pas la seule à se métamorphoser dans le poème de
MacDiarmid : l’original subit un changement de rythme profond grâce à une division en
strophes et une permutation des rimes. Détachée du reste du poème, l’image de fin, celle du
sourire radieux du cadavre de Liebknecht est placée en contrepoint. Après deux quatrains aux
rimes croisées, le poème se ferme sur un distique aux rimes suivies et sur l’insolence du corps
inanimé du révolutionnaire allemand : « And wi’ his white teeth shinin’ yet / The corpse lies
smilin’ underfit. » (CP, p.57) La blancheur des dents suggère que la mort n’a vaincu ni la
morale, ni la pureté du symbole politique que représente Liebknecht pour les ouvriers. La
rime « yet/fit », possible en scots, est un pied de nez sonore au capitalisme et à la mort :
malgré tout, Liebknecht sourit encore de toutes ses dents. La répétition entêtante de la lettre
« i » dans le passage force même le lecteur à entrouvrir les lèvres et à imiter inconsciemment
le sourire du défunt. Aux côtés de ce sourire, la vigueur de la rime et du distique écrase les
lancinantes sirènes des usines, émanation assourdissante du système capitaliste. L’original ne
jouait que sur la proximité sonore entre « Leiche » (le cadavre) et « lächlen » (sourire), ce qui
permettait un renversement surprenant. MacDiarmid convoque lui toute la puissance des sons
et la cadence poétique sur la page pour exprimer l’incommensurable pouvoir du symbole
politique. Le poète a transmis le sens du poème de Leonhard et l’a rendu intelligible en le
traduisant mais il l’a aussi interprété en le nourrissant de sa propre vision, de son propre
rythme et de son style personnel.
Ce poème indique que la voix de l’autre et celle de MacDiarmid cohabitent
parfaitement. Le poète s’est reposé sur le texte d’un autre mais, puisqu’il a proposé de
nouvelles configurations et de nouvelles significations, il a vraiment réécrit le poème. « The
Dead Liebknecht » est devenu aussi son œuvre. La traduction représente une autre forme de la
collectivisation de la parole. De la même manière que les pronoms « I » et « we » font osciller
l’énonciation entre l’individu et le collectif, la traduction se construit sur un débat entre le
poète et ses sources. C’est en partie pour cette raison qu’Alan Riach développe une définition
de la traduction qu’il élargit à tous les types de pratique intertextuelle. Pour lui, l’utilisation
que fait MacDiarmid de ses sources, par des traductions, plagiats ou citations, compose un
« processus de traduction » plus large46. Tous les procédés intertextuels s’apparentent en
théorie à la traduction dans la mesure où ils sont faits de la même conversation perpétuelle
137
entre soi et la pluralité, et il est possible d’avancer que, grâce à ses différentes pratiques, la
poésie de MacDiarmid ne sort jamais de cet interstice entre l’individu et le collectif47
. Le cas
des plagiats est toutefois particulier.
Le plagiat
Au fil des années, le plagiat semble être devenu l’option intertextuelle la plus
appréciée par MacDiarmid. Sa fréquence augmente sensiblement avec le projet Mature Art et
le passage au poème long. Les plagiats du poète sont souvent réservés à des écrivains ou des
littérateurs peu connus, à des ouvrages scientifiques obscurs mais ce qui apparaît clairement
dans les emprunts des années Trente c’est la récupération massive de morceaux d’articles de
journaux et de revues, en particulier de la revue Times Literary Supplement qu’il consultait
très régulièrement48. Michael Whitworth note par exemple que le passage sur le camouflage
animal de On a Raised Beach (CP, p. 424-5) est issu d’un compte rendu de The Meaning of
Animal Colour and Adornment de R. W. G. Hingston, paru dans le Times Literary Supplement
en 193349. Alan Riach montre quant à lui que la note de bas de page expliquant le vers « All
the knowledge is woven in neatly » dans In Memoriam (CP, p. 872) n’est pas directement
tirée de la lecture de The Origin of European Thought du professeur R. B. Onians, comme
MacDiarmid le prétend, mais est en réalité un plagiat pur et simple, avec suppressions et
compressions, d’une critique anonyme de cet ouvrage parue dans le Times Literary
Supplement en 195250. MacDiarmid indique donc en note :
See also the third section of Professor R. B. Onians’ The Origin of European Thought (London, 1952),
which is concerned chiefly with words connected with fate which can be interpreted as terms connected
with spinning and weaving and the use of their product. The word peirar, often translated ‘end’, means
a bond or cord which the gods can put on a person or an army (and Ocean is the bond round the Earth,
although here the bond is slipping over into the meaning of boundary and so end); the image of binding
is often used to express the power of fate or the gods over men. (CP, p. 872)
Cette note offre un exemple parfait de dialogisme intertextuel puisque le poète y reconnaît sa
dette à l’égard de l’ouvrage d’Onians et, en proposant un résumé personnel de lecture, il met
en avant sa créativité langagière et sa capacité à faire sien le contenu d’un autre texte.
47
La traduction semble également être un espace de créativité très apprécié des auteurs écossais (Morgan,
Crichton Smith). Dans une nation plurilingue, la traduction est une manière de célèbrer la multiplicité
linguistique.
48
Même s’il décrivait le Times comme un organe au service du capitalisme et de l’impérialisme anglais : « that
most important of the organs in the service of those powerful cultural manipulations that sustain English
Imperialism and Capitalism. » (Hugh MacDiarmid, « Signposts in Scottish Poetry Today » (1945) in The Raucle
Tongue - Hitherto Uncollected Prose Vol. 3, op. cit., p. 75-84, p. 81)
49
Michael H. Whitworth, « The Use of Science in Hugh MacDiarmid’s Later Poetry » in The Edinburgh
Companion to Hugh MacDiarmid, Scott Lyall & Margery Palmer McCulloch (eds.), op. cit., p. 97-110, p. 100.
Consulter l’article de Michael Whitworth pour une analyse détaillée de certains emprunts scientifiques dans
Stony Limits, The Kind of Poetry I Want et In Memoriam.
138
MacDiarmid semble ainsi appliquer la recette d’une intertextualité équilibrée, dans laquelle
soi et l’autre peuvent échanger, dans laquelle l’énonciation est partagée entre la parole
d’autrui et l’instance principale d’énonciation. Cet équilibre intertextuel n’est toutefois
qu’apparence.
Les phrases de MacDiarmid appartiennent originellement à la critique anonyme du
Times Literary Supplement ; elles ont été volées et réutilisées sans aucun signe de
reconnaissance. La référence à Onians, et pas au supplément du Times,révèle la préférence de
l’auteur pour une source primaire, plus prestigieuse qu’une source indirecte de savoir comme
peut l’être le résumé du Times Literary Supplement. Cette appropriation pose bien entendu
des questions d’ordre éthique mais le présent plagiat, volontaire ou non, illustre surtout les
mécanismes à l’œuvre dans cette pratique. Ce plagiat de prose est fondé sur deux mouvements
contradictoires : d’une part, que cette voix, déjà anonyme dans le Times Literary Supplement,
a été complètement ingérée et qu’elle s’est fondue dans la parole de l’instance énonciative
principale. L’absence de guillemets apparaît comme une affirmation forte de la parole du
poète et laisse le « je » poétique l’emporter. D’autre part pourtant, la parole du plagié survit
derrière la barrière de l’oubli et s’impose dans le texte : les mots du poème n’appartiennent
pas à MacDiarmid et, comme l’indique Antoine Compagnon dans le cas de la citation, « la
parole est donnée à un autre, […] l’auteur se démet de l’énonciation au profit d’un autre. »51
Le plagiat témoigne effectivement de la faiblesse d’un sujet créateur à qui l’expression juste
fait défaut et le place dans une position de possédé : « L’orateur qui vocalise perd le contrôle
de lui-même et du discours, il est inspiré par une puissance qui le transcende (celle du
déjà-dit), il est possédé comme le prophète, le devin ou le poète de la Grèce archaïque. »52 L’autre
prend toute la place et empêche l’individualité de l’énonciateur de s’emparer seule de la
parole. Traversée de part en part par la voix des autres, la poésie se trouve à nouveau
possédée, comme dans « A Moment in Eternity », mais par des voix humaines cette fois. Nées
des lectures faites par l’auteur, ces voix qui survivent dans les plagiats participent alors au
phénomène de brouillage des identités énonciatives mentionné plus haut. Elles aussi, en
parallèle au passage du « je » vers un sujet « je-nous », rendent possible une collectivisation
de l’instance énonciative. L’utilisation de plus en plus systématique des plagiats montre
d’ailleurs que la parole poétique est de plus en plus dominée par la fusion du « je » et du
« nous ».
51
Antoine Compagnon, La Seconde main ou le travail de la citation, Paris : Seuil, 1979, p. 40.
139
Certains passages de In Memoriam permettent d’aller plus loin dans cette analyse du
plagiat comme forme de collectivisation de la parole. L’énonciateur utilise la métaphore de la
calligraphie chinoise pour évoquer le cas du plagiat, de la « copie » :
There is an urgent need for a new humanism.
(And to that end we must have a language
As personal as Chinese calligraphy
– When a Chinese calligrapher ‘copies’
The work of an old master it is not
A forged facsimile but an interpretation
As personal within stylistic limits (CP, p. 765)
Le créateur est censé copier sans copier, interpréter et non imiter. Selon l’énonciateur, la
pratique du plagiat représente une forme de répétition herméneutique. Elle est mue
théoriquement par un mouvement qui part du texte originel, traverse l’individu interprétant, et
retourne au texte source. Plagier revient à écrire dans cet espace entre l’imitation pure des
formes et l’interprétation de ces dernières, entre l’apport personnel de l’individu et les limites
stylistiques culturelles qu’on lui impose. Le plagiat est donc censé incarner le lieu de
l’articulation parfaite entre la voix principale et la voix d’un autre.
L’énonciateur de In Memoriam continue sa réflexion sur l’intertextualité un peu plus
loin dans le poème : « And in a real writer’s experimenting there can be / An effect of
originality, as one can achieve / A kind of Venetian needlepoint by fitting into each other /
Two pieces of hackneyed pattern of peasant edging. » (CP, p. 779-780) Le plagiat devient,
non seulement herméneutique, mais aussi créateur de nouveau sens quand il se trouve intégré
à un nouvel ensemble. Cités littéralement, le frivole ou le laid, le vieux et le pauvre,
deviennent profonds et beaux dans cette métaphore de broderie vénitienne qui s’apparente aux
théories cubistes du collage. Une nouvelle organisation produit une configuration sémiotique
Dans le document
La problématique du lien dans l'oeuvre poétique de Hugh MacDiarmid
(Page 135-150)