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La poétique du nihilisme incomplet

Chapitre 3 : L’irréductible lien à Dieu

2/ La poétique du nihilisme incomplet

Bien que Dieu représente une des figures centrales de son œuvre poétique, la pensée

de MacDiarmid se veut profondément athée, désir qui s’écrit en toutes lettres dans son

autobiographie :

21

Irving Howe, « The Idea of the Modern » in The Idea of the Modern in Literature and the Arts, Irving Howe

(ed.), New York : Horizon Press, 1967, p. 11-40, p. 22.

22

Voir sur ce point l’intéressante étude (avec un parti pris croyant) dirigée par Jean Duchesne : Histoire

chrétienne de la littérature : L’Esprit des lettres de l’Antiquité à nos jours, Paris : Flammarion, 1996, et en

particulier les articles de Jean-Mary Pény, « La religiosité romantique : la pente vers le panthéisme et le

syncrétisme », p. 657-679, et « Les vertiges romantiques », p. 696-716.

23

« Chez Baudelaire se retire et agonise le Dieu dont Mallarmé suivra les obsèques. » (Jean-Michel Maulpoix,

op. cit., p. 33)

24

Cela corroborerait d’ailleurs l’analyse de Tom Nairn qui décrivait le travail de MacDiarmid et celui de tout le

mouvement de la Renaissance écossaise comme l’expression d’un romantisme tardif.

98

I do not believe in God at all. Like Etienne Gilson, ‘I still want to know if my religious experience is an

experience of God, or an experience of myself… In the first case only can there be a religion… […].’

Only I do not ‘still want to know’, I know – it is just an experience of myself’. There is no religion. […]

In these late days the descendants and protagonists of Audh must at least disavow and rid themselves of

Christianity altogether

26

.

MacDiarmid, le penseur qui évoque son parcours, semble vouloir dire qu’il n’y a pas lieu de

discuter de métaphysique chrétienne comme le fait le philosophe français Étienne Gilson dont

il rapporte les mots : Dieu n’existe pas et la religion chrétienne doit être abandonnée par la

civilisation occidentale qui n’a d’autre choix que de couper les liens avec une chimère

millénaire et de « vaincre son ombre »27. Parce qu’elles entrent en conflit avec la persistance

de Dieu dans la poésie, de telles déclarations ont conduit certains commentateurs à définir la

position métaphysique de MacDiarmid comme une alliance contradictoire entre athéisme et

religiosité, voire mysticisme. Athée déclaré, MacDiarmid ne fait, il est vrai, que parler de

Dieu28, ce qui fit dire à son ami Norman MacCaig qu’il était à la fois un poète religieux et un

athée militant29. Cette dualité de la pensée macdiarmidienne correspond bien au concept

nietzschéen de nihilisme incomplet dans lequel le sentiment religieux cohabite encore avec

l’athéisme.

Le poète lui-même semble par moments pouvoir se satisfaire de cette position

philosophique. Dans The Scots Observer par exemple, en 1930, sous couvert d’un

pseudonyme et dans une critique très ironique, il présente Cencrastus comme un mélange de

blasphème et de philosophie du divin30. MacDiarmid aurait sans doute dit qu’il faut

reconnaître là un exemple de sa capacité à concilier les contradictions et à contenir des

multitudes à la façon de Whitman. Néanmoins, la plupart du temps, il refuse d’admettre que

lui soit collée l’étiquette de croyant, comme le laissent entrevoir son appropriation du

pseudonyme Hugh MacDiarmid et son rejet du prénom Christopher, trop connoté31. Quand

MacDiarmid accepte la présence du sentiment religieux dans son œuvre, il le fait pour une

26

Hugh MacDiarmid, Lucky Poet, op. cit., p. 51, 398.

27

Friedrich Nietzsche, op. cit., p. 161.

28

« Like many declared atheists, he was forever talking about God, whom he could not forgive for failing to

exist. » (Kenneth Buthlay, Hugh MacDiarmid (C.M.Grieve), op. cit., p. 24)

29

Norman MacCaig, « A Note on the Author » (1936) in Hugh MacDiarmid. Scottish Eccentrics, Manchester :

Carcanet, 1993, p. vii-xii, p. vii, xi.

30

« and all the blasphemy and the cheap sarcasm are no more than the froth on the surface of the depths of

essentially religious speculation. » (Hugh MacDiarmid, « Blasphemy and Divine Philosophy Mixed: Hugh

M’Diarmid’s extraordinary poem » (1930) in The Raucle Tongue - Hitherto Uncollected Prose Vol. 2, op. cit.,

p. 200-201, p. 201)

31

« Various writers recently have proclaimed that despite my own refusal of the term I am a Christian, that I was

properly named by my parents Christopher, and my reply to that is that I got rid of that name, of course, when I

began writing. I used Hugh instead. Hugh is a very different thing – it is not a Christ-bearer. Hugh in the old

Gothic is ‘divine wisdom’. This is a very different thing. » (Hugh MacDiarmid, « The MacDiarmids – A

Conversation: Hugh MacDiarmid and Duncan Glen with Valda Grieve and Arthur Thompson » (1968) in Hugh

MacDiarmid, The Raucle Tongue - Hitherto Uncollected Prose Vol. 3, op. cit., p. 554-569, p. 569)

99

raison bien distincte qu’il évoque dans un entretien donné à Walter Perrie en 1974 : « An

interesting point was raised recently about my philosophical position. I find a lot of people

who think they are Christians very anxious to call me a Christian poet, perhaps because I use

a certain number of references to Christian dogma»

32

. Les dogmes chrétiens dont parle

l’auteur sont multiples : de nombreux critiques ont noté la présence du Christ, du mot « âme »

dans sa poésie, de l’arbre de la connaissance, des pierres ou de la Caaba dans On a Raised

Beach33. Ils ont reconnu la force de l’héritage calviniste dans les thèmes de la rédemption ou

dans l’élitisme de l’auteur, et ont retrouvé un peu de la force oratoire de John Knox dans la

violence et l’énergie de son style34. Le dogme le plus puissant et le plus présent dans les

poèmes reste néanmoins celui de l’existence de Dieu, incarnation du religieux et de la

transcendance. Dans l’analyse qu’il propose, MacDiarmid ne renie pas la présence de telles

thématiques ou de tels symboles mais en rejette la portée réelle. Selon lui, la religiosité de sa

poésie se limite à de simple « références », ce qui indique qu’elle ne constitue pas la matière

même de l’œuvre et que le symbolisme chrétien acquis pendant son éducation religieuse ne

survit que sous forme de souvenir. L’attachement à la figure de Dieu dont nous avons déjà

constaté la force ne représente qu’une trace superficielle des dogmes inculqués à l’auteur

pendant son enfance.

Il revient sur son endoctrinement supposé en 1978, grâce à un autre entretien, donné à

Micheàl Ó hUanacháin :

My parents were so devout and as a boy, a small boy, I had to go to church several times every Sunday,

and I had to go to Bible class and Sunday School and so on… And it wasn’t until I was … about fifteen

or sixteen, that I repudiated the lot. […] I became a complete atheist, you see – and still am. But I’d had

all this indoctrination that I’d been subjected to up till then and it’s still part of my vocabulary

35

.

Le terme « indoctrination » renvoie bien à une chaîne, à un lien qui enferme le sujet humain

dans des concepts et des symboles qu’on lui a imposés. Dans les extraits analysés

précédemment, l’emploi du mot « Dieu », exemple le plus flagrant d’une persistance

thématique et lexicale du religieux, représente la trace de l’asservissement aux mythes

chrétiens, non pas la preuve d’une croyance encore soutenue. MacDiarmid a conscience que

sa poésie reste attachée à la figure de Dieu mais souhaite se défaire de ce lien dont la nature

est, selon lui, purement linguistique. Dieu est déjà parti mais il faut encore accepter cette

32

Hugh MacDiarmid, « Metaphysics and Poetry » (1975) in Hugh MacDiarmid, The Thistle Rises: An Anthology

of Poetry and Prose, London : Hamish Hamilton, 1984, p. 250-261, p.251.

33

Alan Bold, MacDiarmid – Christopher Murray Grieve, A Critical Biography, op. cit., p. 239, 339.

34

Neal Ascherson, « MacDiarmid and Politics » in The Age of MacDiarmid, P. H. Scott & A. C. Davis (eds.),

op. cit., p. 224-237, p. 230, et Roderick Watson, The Literature of Scotland: the Middle Ages to the Nineteenth

Century, Basingstoke : Palgrave MacMillan, 2007, p. 47.

35

Hugh MacDiarmid, « Radio Telefis Eirann: The Arts: Hammer & Thistle » (1978) in The Raucle Tongue -

Hitherto Uncollected Prose Vol. 3, op. cit., p. 590-596, p. 594-595.

100

perte, accomplir le deuil de l’idéal divin, dans la langue ou le langage. Pour un poète comme

MacDiarmid, ce devoir passe forcément par son œuvre poétique. Elle seule peut tenter de

faire plier le langage, d’effacer l’empreinte judéo-chrétienne et d’entamer un processus de

déthéologisation et de sécularisation plus profond. Si MacDiarmid pense que le problème est

de nature lexicale et que seul le vocabulaire retient encore Dieu dans son œuvre, il s’agit à

présent de voir comment les poèmes peuvent faire disparaître la figure divine du tableau et si

le simple effacement du mot « Dieu » y parvient.

Dieu et la Totalité : la leçon des épigraphes

Pour remplacer Dieu et contrer la dislocation du monde moderne dans son œuvre,

MacDiarmid s’est pris de passion pour un nouveau lexique : celui de la totalité ou du tout. Les

écrits du poète écossais sont parsemés de déclarations d’intention et d’aphorismes directement

liés à cette obsession. Il aimait à répéter l’expression de Matthew Arnold, « we must press

forward to the whole » (lettre de 1852)36, et déclara à plusieurs reprises (dans une lettre de

1964 et dans un article de 1972 sur Maiakovski) : « the grandeur of the time requires great

syntheses »37. Avant d’étudier les répercussions concrètes d’une telle idée sur la structure des

poèmes, une analyse du lexique macdiarmidien de la totalité s’avère nécessaire car les mots

peuvent laisser transparaître une nouvelle approche conceptuelle de la transcendance et une

nouvelle tentative de métaphysique.

Une possibilité de définition de la totalité selon MacDiarmid se dessine dans le grand

œuvre du poète, In Memoriam James Joyce, et en particulier dans la page d’ouverture du

poème. Au premier regard, la liste de neuf épigraphes peut sembler ridicule38 et donner envie

au lecteur de sauter le long catalogue de citations. Cette liste contient pourtant des

interrogations philosophiques qui conduisent à effacer, à première vue, Dieu du tableau en

sondant le concept de totalité. La troisième épigraphe de In Memoriam offre tout d’abord

l’image d’une totalité qui se définit à la fois comme pluralité et comme unité : « Vers toutes

les traditions réunies. Sainte-Beuve » (CP, p. 737)39. L’image de réunion fait signe vers le

singulier mais laisse toutefois la place à l’expression d’une pluralité. Pas de mots tels que

« whole » ou « one » qui enracineraient le tout dans une unité et une unicité, mais au

36

Hugh MacDiarmid, « A Word to the Wise » (1949) in ibid., p. 148-151, p. 149.

37

Lettre au Scotsman du 10 avril 1964 (Hugh MacDiarmid, The Letters of Hugh MacDiarmid, op. cit., p. 826) et

article : Hugh MacDiarmid, « No Longer Bely Only [On Vladimir Mayakovsky] » (1972) in The Raucle Tongue

- Hitherto Uncollected Prose Vol. 3, op. cit., p. 513-519, p. 517.

38

Au regard des 57 épigraphes de Mature Art, la liste de neuf citations paraît pourtant bien courte… (voir : Hugh

MacDiarmid, Mature Art, National Library of Scotland, MS 27020 et Mature Art, National Library of Scotland,

ACC 12074/1)

101

contraire, une totalité qui se déclame à partir d’un déterminant pluriel, « toutes ». La

cinquième épigraphe rend compte de la même domination de la pluralité : « The true unity of

language is not an Esperanto or Volapuk or everyone speaking French not a single language,

but an all-embracing language, an interpenetration of all languages. Vladimir Solovyof »

(CP, p. 737)40. La présence d’une unité se fait sentir dans les termes « unity » et «

all-embracing » mais la forme finale du pluriel « all languages » fait basculer la définition du

langage idéal vers l’expression du multiple. Le concept d’ « interpénétration » contribue aussi

à rompre l’équilibre des forces centripète et centrifuge et à laisser le champ libre à

l’expression d’une multiplicité. La prédominance du déterminant « all » (et non de « every »)

dans les épigraphes amplifie d’ailleurs la visibilité de ce phénomène. Dans un premier temps,

ces épigraphes attestent donc du désir de l’auteur de penser la totalité davantage comme

multiplicité que comme unité.

La deuxième épigraphe, qui vient d’une traduction du sanskrit, illustre toutefois le fait

que cette conception cohabite avec une autre définition de la totalité : « When the whole world

meets in one place. » (CP, p. 737) L’équilibre initial entre le singulier et le multiple a disparu

puisque les parties du monde ou les individus n’existent pas, remplacés d’abord par un seul

monde puis par un seul endroit. Dans une vision qui reste très platonicienne et très chrétienne,

le multiple ne serait en réalité qu’un masque de l’unité du monde. À la différence de « all », le

terme « whole » trahit la supériorité du principe unitaire et contribue à forger une mystique de

l’unité : la totalité est une et indivisible et représente l’unité supérieure à laquelle les hommes

doivent aspirer. La huitième épigraphe exprime elle aussi ce désir de dépassement : « … did I

not need / A language by itself, which would exceed / All those which are in use. Lord Herbert

of Cherbury » (CP, p. 737). Le verbe « exceed » dessine une dialectique de type hégélien : la

fusion des langues singulières doit amener à la création d’une langue supérieure et unique. La

quatrième épigraphe nous renseigne davantage sur la nature de cette langue idéale : « To

purify the dialect of the tribe. Mallarmé » (CP, p. 737)41. Ici, le singulier domine le pluriel

puisque les individualités sont noyées dans l’idée d’une tribu unique, d’une langue unique et

qu’elles se voient même obligées de rejoindre la perfection. La reprise de ce vers montre que

la pensée de MacDiarmid demeure irrémédiablement assujettie au rêve prométhéen d’une

totalité unifiée. Qu’elle soit de nature linguistique ou pas, la totalité macdiarmidienne n’est

40

Vladimir Solovyov, The Justification of the Good: An Essay on Moral Philosophy, London : Constable, 1918,

p. 426.

41

Une épigraphe empruntée à la traduction d’un vers de Mallarmé (« Le Tombeau d’Edgar Poe ») par T. S. Eliot

dans son poème « Little Giding ».

102

pas simplement fondée sur une unité mais sur une forme parfaite d’unité et d’unicité qui

rappelle la perfection divine.

La septième épigraphe porte encore visiblement la trace de Dieu : « Every voice in thy

music is found / And in every voice art thou diffused. » (CP, p. 737) À nouveau, l’épigraphe

compose une conversation avec Dieu et propose une dialectique qui force la singularité de

chaque voix humaine à se faire le porte-parole de la voix de Dieu. Le déterminant « every »

atteste de l’existence de chaque homme mais la répétition de ce terme ne suffit pas pour

effacer la supériorité du divin. La présence du pronom « thou » et de l’adjectif possessif

« thy » démontre que Dieu est partout, qu’à travers les voix de chaque individu s’exprime

uniquement la voix du Créateur. Bien que le principe de multiplicité soit aussi défendu dans

les épigraphes, il se soumet donc à Dieu, l’Un de la religion chrétienne. Comme le prouve une

expression du poème déjà citée dans notre étude, « alone »42, le multiple est également

assujetti à l’Un néo-platonicien de Plotin. MacDiarmid emprunte l’expression « alone with the

Alone » (CP, p. 786) au philosophe ce qui montre encore une fois qu’il succombe aux sirènes

de l’Un. L’unique prend une majuscule et fait encore et toujours chemin vers la figure du

divin.

À l’origine, le désir de totalité n’est pas directement attaché aux dogmes chrétiens :

Freud indique que le besoin d’union avec le tout « est entré tardivement en relation avec la

religion », même s’il constitue « une première tentative de consolation religieuse »43.

L’examen des épigraphes de In Memoriam révèle cependant que la totalité n’est pas employée

par MacDiarmid comme un concept païen et qu’elle ne saurait représenter une méthode

adaptée pour se débarrasser des dogmes chrétiens. Le poète l’associe trop à l’unité et à la

perfection de Dieu pour cela. Sa totalité est une forme que nous pouvons désormais appeler

Totalité, avec une majuscule, puisqu’elle s’avère être le pendant conceptuel du divin, et

qu’elle est devenue une sorte de masque lexical qui ne dissimule qu’à peine le visage de Dieu

dans les réflexions du poète.

Une poétique du retour à la Totalité et à Dieu

La préférence philosophique pour une totalité déifiée apparaît régulièrement dans la

suite de In Memoriam et dans d’autres poèmes. La Totalité n’est cependant pas uniquement

reflétée par les choix lexicaux ou thématiques de MacDiarmid car elle influence également

42

Voir le chapitre 1, p. 35.

103

l’élaboration de ses projets poétiques. Dans un document autobiographique de 1954, non

publié et intitulé A Poet’s Choice, il définit sa quête en ces termes :

I have sought to write poems which resemble what Mr Mark Van Doren says of King Lear when he

contrasts the whole ‘vast and shaggy as the cosmos is to fearful man’ with the wonderful refinement of

the fitting in to it of the parts, ‘line after line carrying in its apparently frail body the immense burden of

the whole’

44

.

MacDiarmid évoque les « parties » qu’il faut assembler pour former un tout. C’est bien à

partir de ces parties et d’une multiplicité que se construit le poème mais pour ensuite accéder

à un niveau supérieur d’achèvement ou de clôture. Dieu n’est plus là pour organiser le monde

mais son unité, son unicité, et sa perfection demeurent ; les parties sont censées fusionner

pour former le grand Tout dont l’auteur rêve, un Tout unifié et parfait, qu’il métaphorise à

plusieurs reprises par la tunique sans coutures du Christ45.

Dans le poème « The Seamless Garment », après avoir présenté les grands talents de

communiquant de Lénine, l’énonciateur insiste sur les qualités artistiques de Rainer Maria

Rilke : « A poet like Rilke did the same / In a different sphere, / Made a single reality – a’ a’

e’ oo’ – / O’ his love and pity and fear; / A seamless garment of music and thought » (CP,

p. 312). La poésie de Rilke incarne le poème idéal : elle est décrite comme étant capable de

réunir en son sein les termes antagoniques « love », « pity », et « fear », ainsi que le silence de

la pensée et la clameur de la musique. Puisqu’elle est comparée à la Sainte Tunique, cela

indique en plus qu’elle est censée le faire sans heurt, sans que le trait de l’écriture puisse

rendre visible la réunion de ces contraires46. Les fils disparaissent dans le poème idéal qui

peut combiner le tout et les parties dans une harmonie sans pareille, et offrir une seule et

unique consistance (« a’ a’ e’ oo’ », all one wool) que lui aura inspirée la tunique.

Certes, que le projet poétique soit métaphorisé par un symbole chrétien ne signifie pas

d’emblée que la Totalité macdiarmidienne est encore imprégnée du religieux puisque, comme

MacDiarmid l’a indiqué, le lexique ne forme que la trace d’un endoctrinement superficiel. En

revanche, la tunique représente un désir de retour symbolique vers une perfection disparue,

celle du Christ et, par extension, celle du Père. Avant d’être métaphore du texte, le vêtement

est métaphore du divin, de l’Unité et de l’harmonie du Tout Puissant. Quand, des années plus

tard, l’image de la tunique est reprise dans « In the Slums of Glasgow », elle ne définit

44

Hugh MacDiarmid, A Poet’s Choice, op. cit., f. 118.

45

Dès le recueil Annals of the Five Senses et la nouvelle « Sartoria », la vision du poète s’apparente à la

tunique parfaite : « And suddenly I divined how the Saviour had known that someone had touched the hem of

His robe. ‘For she said if I may touch but His clothes I shall be made whole’. […] My brain fluttered and filled

and my thoughts wound in and out like slender ribbons of honey-coloured silk. » (Hugh MacDiarmid,

« Sartoria » (1923) in Annals of the Five Senses, op. cit., p. 62-67, p. 67)

46

« Les soldats, après avoir crucifié Jésus, prirent ses vêtements, et ils en firent quatre parts, une part pour

chaque soldat. Ils prirent aussi sa tunique, qui était sans couture, d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en