Chapitre 5 : L’extension de la dualité
1/ Annals , Sangshaw , Penny Wheep : dualisme, dualité et rythme binaire
La parole poétique est caractérisée par un rythme, et un rythme toujours personnel : un
poète a une façon particulière de relier les éléments textuels entre eux et le tempo qu’il
impose au poème est unique. Le rythme est fondé sur le principe de succession ; il délimite de
quelle manière les éléments d’un texte se suivent. Ainsi, un examen du rythme et de ses
potentielles mutations peut expliquer de quelle façon les poèmes se sont allongés, de quelle
façon les vers ont commencé à se démultiplier. Un problème se pose alors : comment aborder
l’étude du rythme dans des poèmes d’une telle ampleur, malgré le délitement pur et simple de
la structure ? Pour appréhender la forme mouvante des poèmes tardifs et voir si elle concourt
au deuil du divin, il convient d’identifier d’abord un premier rythme originel, une matrice
rythmique dans les productions initiales de MacDiarmid, les poèmes courts. Dans un second
temps il faudra voir si ce rythme survit dans le premier long poème A Drunk Man Looks at the
Thistle ou bien s’il subit une transformation. La comparaison diachronique entre le rythme de
A Drunk Man et le rythme des poèmes courts peut fournir la clé pour comprendre la
transformation de l’œuvre poétique dans son ensemble.
Pour tenter de définir le rythme premier macdiarmidien, il est possible de se tourner
d’abord vers les analyses déjà fournies par certains critiques. Beaucoup étudient les poèmes à
l’aune des concepts de contraste entre opposés ; ou de paradoxe, comme Ann Boutelle dans ce
passage : « Essentially MacDiarmid is a poet of paradox. The guiding impetus behind all his
poetry and all his prose consists of an attempt to bring together under the aegis of paradox
‘contraries’ or disparate elements. His poetic role is to bring unity, to make possible a
149
synthesis, and to bridge an otherwise unbridgeable abyss. »1 Toute l’étude de Boutelle se
trouve d’ailleurs organisée autour de ces concepts. Poète du paradoxe, du chiaroscuro pour
Alan Bold2, MacDiarmid propose une poésie à la nature fondamentalement duelle, basée sur
des oppositions ou des contradictions, et sur le désir de les réconcilier. L’auteur lui-même
plaçait d’ailleurs l’écriture des poèmes en scots sous l’égide de la théorie de Gregory Smith,
son concept de « Caledonian Antisyzygy », qui fait de la littérature écossaise et de la psyché
nationale un « zigzag de contradictions » ou une « combinaison d’opposés »3. MacDiarmid
trouvait là une justification nationale à son amour des contradictions mentales, qu’il exprimait
très souvent en citant les célèbres vers de Walt Whitman dans Song Of Myself : « Do I
contradict myself? / Very well then I contradict myself, / (I am large, I contain multitudes) »4.
Plus tard, à partir des années 1930 et de Cencrastus, pour contrer le fameux déclin de
l’Occident théorisé par Spengler, MacDiarmid développe également un concept qu’il nomme
« East-West Synthesis » à travers lequel il expose son désir de voir une réconciliation des
conceptions philosophiques occidentales et orientales dans le « génie gaélique »5, équivalent
écossais de l’idée russe de Dostoïevski. Enfin, à partir de Scots Unbound (1932), il fait
reposer son œuvre sur l’idée d’une réunion de la poésie et de la science.
Dans son désir de réconcilier des civilisations ou des pratiques opposées, des idées
contradictoires et des humeurs contraires, MacDiarmid s’inscrit dans une tradition très
ancienne, celle de la coïncidentia oppositorum. Selon Plotin par exemple, « l’unité vient des
contraires qu’elle renferme », pour Lao Tseu « l’être et le néant s’engendrent l’un l’autre / Le
facile et le difficile se parfont / Le long et le court se forment l’un par l’autre / Le haut et le
bas se touchent »6. Le XIXe siècle, siècle de William Blake et son conflit nécessaire entre
opposés, ou celui de Coleridge qui définissait l’imagination comme la réconciliation de
1
Ann Edwards Boutelle, Thistle and Rose: A study of Hugh MacDiarmid’s Poetry, Loanhead, Scotland :
MacDonald Publishers, 1980, p. 10.
2
Alan Bold, MacDiarmid: The Terrible Crystal, op. cit., p. 108.
3
« The literature [of Scotland] is remarkably varied, and that it becomes, under the stress of foreign influence
and native division and reaction, almost a zigzag of contradictions. The antithesis needs not, however, disconcert
us. Perhaps in the very combination of opposites – what either of the two Sir Thomases, of Norwich and
Cromarty, might have been willing to call 'the Caledonian antisyzygy' – we have a reflection of the contrasts
which the Scot shows at every turn, in his political and ecclesiastical history, in his polemical restlessness, in his
adaptability, which is another way of saying that he has made allowance for new conditions, in his practical
judgement, which is the admission that two sides of the matter have been considered. » (Gregory G. Smith,
Scottish Literature: Character and Influence, London : MacMillian, 1919, p. 4-5.)
4
Walt Whitman, op. cit., p. 105.
5
« I have in recent years been greatly preoccupied with what I called the East-West synthesis, the bridging of the
gulf between the East and the West, believing that the clue to the process lies in the Gaelic genius » (Hugh
MacDiarmid, Lucky Poet, op. cit.,p. 14).
6
Cités dans Jacques Bonnet, De la coïncidence des opposés et autres variations sur les contraires, Paris : Le
Cherche midi, 2005, p. 72, 199.
150
qualités opposées, continue à explorer la même idée mais Arnold Hauser remarque que c’est
le XXe siècle qui fait de la coïncidentia oppositorum son thème de prédilection :
The new century is so full of such deep antagonisms, the unity of outlook on life is so profoundly
menaced, that the combination of the furthest extremes, the unification of the greatest contradictions,
becomes the main theme, often the only theme, of its art. […] The dualism of being is certainly no new
conception, and the idea of the “coincidentia oppositorum” is quite famous to us from the philosophy of
Nicholas of Cusa and Giordano Bruno, but the double meaning and the duplicity of existence, the snare
and the seduction for the human understanding which lie hidden in every single phenomenon of reality,
had never been experienced so intensively as now
7.
Exemple parmi tant d’autres de ce penchant pour l’unification des opposés, la poésie de
MacDiarmid présente toutefois une spécificité. Alors qu’il rappelle les confrontations des
extrêmes dans Finnegans Wake, les romans de Kafka et les pièces de Pirandello, John Baglow
explique à propos de A Drunk Man : « the polarities which one encounters […] are within the
modern context, distinctive only insofar as they are presented explicitly as polarities. »8
L’adverbe « explicitly » saisit bien l’essence de l’écriture macdiarmidienne : une forme
ostensible de dualité. A Drunk Man abonde en formulations qui mettent clairement en avant
des termes opposés.
Ces polarités ostensibles sont présentes dès les premiers recueils de MacDiarmid, en
particulier Sangshaw (1925). Dans « The Scarlet Woman », l’admirateur transi s’exclame :
« To Day and to Night, to Life and to Daith, / I gi’e me and fear nae ill » (CP, p. 28). La
même symétrie entre le jour et la nuit, associée à celle entre la mort et la vie, point à nouveau
dans « Ballad of the Five Senses » : « And day and nicht, or Life and daith » (CP, p. 38). La
lumière et l’obscurité se dessinent également dans « Spanish Girl » où l’énonciateur les voit
se rejoindre sur la tête de la jeune fille : « with dawn and darkness equal on your head » (CP,
p. 13). Dans « In The Hedge Back », elles se confrontent : « […] we / Drave back the
darkness with a bleeze o’ licht » (CP, p. 25). La mort et la vie forment une cage qui enferme
l’esprit humain dont la temporalité est opposée au Christ et au divin dans « I Heard Christ
Sing » : « twice caged it is, / In life and in death » (CP, p. 20). La séparation entre les
hommes et Dieu apparaît aussi clairement dans « Crowdieknowe » où les hommes observent
les cieux, arrimés au sol et ancrés dans leur physicalité que l’imperfection de leurs barbes
ébouriffées suggère : « muckle men wi’ tousled beards / […] glower at God an’ a’ his gang /
O’ angels i’ the lift » (CP, p. 26-27). À nouveau, le désir d’union entre l’esprit et le corps
anime l’énonciateur de « Ballad of the Five Senses » : « wi’ body and saul I socht to staun »
7
Arnold Hauser, The Social History of Art Vol. 4: Naturalism, Impressionism, the Film Age, London :
Routledge, 2005, p. 222, 224.
151
(CP, p. 38). Dans ce même poème, l’enfer et le paradis sont également représentés : «Water
for stane micht weel be ta’en / Or Heaven and Hell seem yin » (CP, p. 39).
Ces différents exemples démontrent tout d’abord que la variété thématique est quelque
peu restreinte, MacDiarmid privilégiant les oppositions absolues comme les oppositions
archétypales (la vie et la mort, la lumière et l’ombre, Dieu et les hommes, l’enfer et les
paradis, l’âme et le corps) et les oppositions chromatiques (le blanc et le noir). Gabriel Tarde
évoque ces couples antithétiques archétypaux : « il se forme ainsi en nous, de très bonne
heure, des couples d’ennemis irréconciliables, historiques ou mythiques (chrétiens et turcs,
anges et démons). Ce sont nos premières liaisons mentales »9. Les oppositions duelles
permettent à l’humain de dépasser le chaos de sa pensée et de relier entre eux les éléments
disparates reçus par son esprit. Même si, originairement, la dualité suggère une division, elle a
ainsi pour fonction de relier et de structurer la psyché humaine. Ces couples ostensiblement
antithétiques constituent aussi les premières liaisons mentales des poèmes. Ils les façonnent,
les structurent et rendent possible la description d’un monde chaotique. C’est de leur dualité
qu’émerge le premier rythme, le rythme originel de la poésie de MacDiarmid.
En apparence anodines, ces formulations qui lient les contraires en leur sein sont
présentes dans presque tous ses poèmes, même les plus tardifs, ce qui irritait le mentor du
poète, Francis George Scott qui, dans une lettre de 1932, commente un poème aujourd’hui
égaré, « On Bare Hills Tops » : « you occasionally come perilously near the bathetic when
you get ‘Yont the last blaeberry’ wi’ ‘ a storied landscape at my feet’ […] (Good God!) […]
And then come in your old pals ‘life and death’ like the ‘Two Bobs’ and the male and female
that for the one thousandth millionth time find entrance ‘to the sheer secrets o’ her being’
(body, you mean!) »10. L’expression « two bobs » employée par Scott sous-entend que les
oppositions macdiarmidiennes ne possèdent que peu de valeur poétique et sont devenues des
clichés et des expressions toute faites. Fondée sur l’énumération et la répétition de ces
oppositions archétypales comme la vie et la mort ou le masculin et le féminin dans cet
exemple, la parole de MacDiarmid prend en effet le risque d’une nécrose poétique puisqu’elle
se restreint à une « norme d’association verbale »11 ancrée dans la culture.
9
Gabriel Tarde, L’Opposition universelle : Essai d’une théorie des contraires, Le Plessis Robinson : Institut
Synthélabo pour le progrès de la connaissance, 1989, p. 53.
10
Lettre du 19 juin 1932 (John Manson (ed.), Dear Grieve: Letters to Hugh MacDiarmid, op. cit., p. 49).
11
Pierre Marquer, L’organisation du lexique mental : Des « contraires » aux expressions idiomatiques, Paris :
L’Harmattan, 2005, p. 23.
152
Le rythme miroir : « and »
Une analyse précise de cette forme de dualité permet de comprendre que ces
associations de termes contraires possèdent une dimension culturelle, voire idéologique. À
l’origine, les premiers poèmes de MacDiarmid déploient des couples de termes contraires
dans le but d’insister sur l’idée d’une union mythique, d’une coïncidence des opposés comme
dans le poème « Ballad of the Five Senses » : « And day and nicht, or life and daith / More
like each ither be » (Sangshaw, CP, p. 38). Ici, l’union est transmise à la fois par le sens
évident du deuxième vers dans lequel l’énonciateur insiste sur la coïncidence des opposés et
par le schéma accentuel. Le rythme iambique rend toutes les notions interchangeables
puisqu’elles portent toutes le même accent fort ; l’énonciateur tente de réunir ce que le temps
cosmique disjoint, le jour et la nuit, la vie et la mort. Plus tôt dans le poème, il cherche à
réunir des concepts très empreints de religiosité, l’enfer et le paradis : « And eke o’ Heaven
and Hell, / That separate seemed, as separate seemed / The warl’ wi’in mysel’ » (CP, p. 36).
Dans une perspective phénoménologique, il montre que le macrocosme du monde n’existe
que dans et par le microcosme de la subjectivité humaine. La séparation entre les deux
concepts monde et homme n’est qu’apparence. De même, la disjonction entre l’enfer et le
paradis ne constitue qu’une construction artificielle et fausse : l’emploi du verbe « seem »
souligne la facticité d’une division produite par un esprit humain limité mais aussi trop
influencé par les catégories chrétiennes.
Cette envie platonicienne de faire tomber le masque ou d’aller au-delà des apparences
pour trouver l’unité correspond à un besoin d’éradiquer une forme de pensée dualiste que
MacDiarmid relie directement au christianisme dans son autobiographie Lucky Poet. Dans cet
ouvrage, il déclare que la doctrine chrétienne est fondée sur le conflit entre opposés et non sur
une relation continue et équilibrée comme dans la philosophie chinoise. La pensée orientale
donnerait accès à une représentation du monde différente, dualiste mais apaisée, à l’inverse de
la raison chrétienne où le paradis, le bien et la lumière doivent triompher de l’enfer, du mal et
de l’ombre12
. Quelques pages plus loin, MacDiarmid décrie dans un élan très nietzschéen « la
loi négative de la raison classique et de la morale chrétienne »13. Il n’est pas étonnant que le
poète associe la raison classique à la morale chrétienne et les rejette toutes les deux. Les
dualismes cartésien ou kantien, sans doute désignés ici, continuent à dissocier le corps et
l’esprit et, ainsi, à proposer un schéma ontologique identique à celui de la religion chrétienne.
Malgré des formulations duelles, la présentation de l’union des contraires, tentative de
12
Hugh MacDiarmid, Lucky Poet, op. cit., p. 371.
153
dépassement de tout dualisme, constituerait alors un moyen potentiel pour contrer le dualisme
d’une pensée occidentale encore et toujours ancrée dans les dogmes judéo-chrétiens et dans la
représentation d’un monde divisible et divisé en deux. Or, à regarder de plus près l’expression
même de cette union des opposés, il semble que le combat soit perdu d’avance.
Dans les deux extraits précédents, ce sont les syntagmes verbaux « More like each
ither be » et « That separate seemed » qui expriment un lien de coïncidence entre les
contraires. L’unité des termes opposés ne semble pouvoir s’accomplir que par périphrase
interposée. De plus, un élément coordinateur se détache singulièrement du reste dans les
formules duelles citées plus haut : la conjonction de coordination « and ». La conjonction de
coordination « or » n’est presque pas utilisée dans les poèmes publiés avant ADrunk Man. Or,
si la notion de coïncidence peut être amenée grâce à l’emploi de « or », la conjonction de
coordination neutre « and » ne dit rien de la relation entre les termes qu’elle relie. Pour Lang,
cette conjonction alloue à chacune des unités qu’elle coordonne une existence et une validité
simultanée14, ce qui pourrait autoriser une forme d’union virtuelle mais, pour les linguistes
Lapaire et Rotgé, une fusion théorique des termes reliés s’avère impossible. Selon eux, la
conjonction « and », « avant de devenir une conjonction permettant de relier entre elles des
unités syntagmatiques ou propositionnelles, a été une préposition signifiant ‘against’ ». Ainsi,
plus que tous les autres processus de connexion, « elle sépare avant de lier »15. Les contraires,
unis ou plutôt séparés par « and », entretiennent une relation, non pas de coïncidence, mais de
symétrie ou de miroir qui les oblige à se refléter plus qu’à s’unir réellement.
Selon la manière dont elle est exprimée, la dualité peut contribuer à former des liaisons
mentales, à réunir des éléments ou, au contraire, elle peut être synonyme de division. Dans les
expressions où la conjonction « and » est employée, la liaison est présentée comme
impossible. L’emploi de ce type de locution contrecarre donc le projet anti-dualiste initial de
MacDiarmid et son désir d’intégrer la philosophie orientale dans sa poésie. En conservant une
dualité ostensible et incoercible, ces formules produisent toujours une division duelle du
monde qui reste éclaté entre les catégories vie et mort, enfer et paradis ou âme et corps,
catégories en partie établies par l’Ancien Testament16
. Elles désignent même précisément
14
« [and] takes the unities represented […] as simultaneously valid » (cité dans Lucie Hoarau, Linguistique
contrastive et traduction numéro spécial: Étude contrastive de la coordination en français et en anglais, Paris :
Ophrys, 1997, p. 16).
15
Jean-Rémi Lapaire & Wilfrid Rotgé, Linguistique et grammaire de l’anglais, Toulouse : Presses universitaires
du Mirail, 2002, p. 302.
16
« l'Ancien Testament établit le binarisme comme mode de pensée quasi-obligatoire » (Jacques Coulardeau,
« La dimension poétique du discours religieux » in Aspects linguistiques du texte poétique, David Banks (dir.),
Paris : L’Harmattan, 2011, p. 271-297, p. 294).
154
Dieu dans « A Moment in Eternity » (Annals, 1923) et forcent le poète à faire perdurer
l’opposition entre Dieu et les hommes.
Dans ce poème où l’énonciateur se délecte de la brise d’une épiphanie religieuse, le
sujet poétique semble possédé d’une fièvre d’associations paradoxales d’opposés dont
l’origine prend corps dans les vers suivants : « A sudden thought of God’s / Came like a
wind / Ever and again / […] Delaying, hastening, / Blazing and serene » (CP, p. 4). C’est le
souffle de Dieu qui permet à l’énonciateur de faire l’expérience du paradoxe et structure
l’expression poétique des contraires qui, encore une fois, se clôt sur une formule construite
autour de « and ». Le sentiment de la présence du divin submerge le poème entier et se
transfère à l’énonciateur qui n’incarne que le réceptacle passif de l’union des contraires. Ce
passage évoque les théories de Nicolas de Cues, au XVe siècle, qui déclarait que Dieu seul
peut rapprocher les contraires : « dans la pensée divine se regroupent les extrêmes du
Maximum absolu et du Minimum absolu. En Dieu, seul absolu (« sphère infinie dont le centre
est partout et la circonférence nulle part »), s’opère l’union des opposés, la coïncidentia
oppositorum »17. Même si l’homme n’est pas en mesure de joindre les contraires, le fait de
convoquer les opposés permet à l’énonciateur de se rapprocher de Dieu et de côtoyer la
perfection du divin.
L’analyse d’une expression citée plus haut, tirée de « Spanish Girl », révèle un dessein
similaire : « Sin / Bodied in living ivory / With dawn and darkness equal on your head » (CP,
p. 13). Annoncées par la description paradoxale du péché drapé dans la pureté de l’ivoire,
l’aube et la pénombre se partagent le front de la jeune fille de façon égale. Ces deux
antonymes sont synonymes de péché et de pureté mais aussi de vie et de mort. Ce passage est
tout d’abord représentatif d’une vision chrétienne de la femme tentatrice et virginale,
symbiose entre la madone et la prostituée. Il démontre ensuite qu’aucun processus de fusion
des opposés ne peut naître : grâce au rythme iambique, les accents renvoient dos à dos le mot
« dawn » et la première syllabe de « darkness » tandis que les termes « and » et « equal »
signalent une concomitance des deux notions. Dans cet extrait, la conception des opposés
ressemble à première vue à celle de Blake, qui déclarait : « Without Contraries is no
progression. Attraction and Repulsion, Reason and Energy, Love and Hate, are necessary to
Human existence. »18 Pourtant la réalisation concrète de l’union des contraires ne coïncide pas
avec la formule de Blake car elle ne sous-entend aucune progression à partir d’un combat,
aucune dynamique, mais au contraire une stagnation.
17
Nicolas De Cues, Docta Ignorantia, 1439 (cité dans Jacques Bonnet, op. cit., p. 18).
Dans le document
La problématique du lien dans l'oeuvre poétique de Hugh MacDiarmid
(Page 150-167)