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Le néant ou de l’impossibilité d’un lien

Chapitre 2 : L’absence et le néant

3/ Le néant ou de l’impossibilité d’un lien

De par sa fonction phatique exacerbée, le dialogisme orphique articule une nouvelle

fois la mort et la vie, la présence et l’absence, dialectiques indépassables pour la pensée

humaine. La poésie de MacDiarmid nous dit encore que la vie et la mort sont inséparables,

que « la vie est ce qui meurt »32, et qu’une forme de lien demeure entre les vivants et les

défunts. Mais certaines pages nous renvoient à une absence qui nie tout reste de présence et

mènent vers un lieu qui a abandonné cette liminalité entre absence et présence. Dans un

mouvement identique à celui de l’énonciateur de Ode to All Rebels, l’œuvre continue à faire

voyage vers la sortie et vers l’absence la plus pure, expurgée de toute présence : le vide.

Même la mort s’est absentée et toute possibilité de contact avec autrui se dissout.

Les contours du vide se laissent d’abord distinguer par l’intermédiaire du départ des

artistes écossais dans A Drunk Man :

Whaur’s Isadora Duncan dancin’ noo?

Is Mary Garden in Chicago still

And Duncan Grant in Paris – and me fou’?

Sic transit Gloria Scotiae – a’ the floo’ers

O’ the Forest are wede awa’. (CP, p. 84)

La disjonction tragique entre le poète et la culture artistique, représentée par les artistes

écossais, apparaît grâce au tiret qui sépare la danseuse, la chanteuse d’opéra et le peintre de

l’énonciateur. L’émigration a provoqué une déchirure dans le corps de la nation. L’image bien

connue des fleurs arrachées de la chanson « Flowers of the Forest » montre quant à elle

l’achèvement du processus traumatique de séparation : l’absence la plus pure. Les fleurs, « a’

the floo’ers », les êtres glorieux que la nation a perdus, comme durant la bataille de Flodden

en 1513, sont isolées du reste de l’expression « O’ the Forest are wede awa’ ». Elles ne font

31

Pierre Van den Heuvel, Parole, Mot, Silence : Pour une poétique de l’énonciation, Paris : José Corti, 1985,

p. 60-61.

32

Parole de Phèdre dans Eupalinos ou l’architecte, de Paul Valéry (Eupalinos, L’âme et la danse, Dialogue de

l’arbre, Paris : Gallimard, 1956, p. 26).

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plus partie du refrain de la chanson et n’habillent plus la forêt de leurs couleurs. Elles ne sont

plus et ne laissent derrière elles que des trous sans racines, le même trou laissé par le chardon

quelques vers plus bas dans le poème33. Les élisions en scots contribuent à accentuer la

sensation de vide, un vide accentué par la nudité du cercle dépouillé « O’ » qui annonce

l’élision finale dans « awa’ ». À la manière de la serpe qui désherbe le bois, l’élision élague

mais elle désigne aussi le vide absolu laissé après la coupe, après la perte des autres, vide que

l’on retrouve aussi ailleurs que dans la forêt.

Le poème « Island Funeral » met en scène le même résultat dans les îles écossaises :

« There are few and fewer people / On the island nowadays, / And there are more ruins of old

cottages / Than occupied homes. » (The Islands of Scotland, 1939, CP, p. 578) Au centre de

ce passage, les ruines métaphorisent une ambivalence. Premièrement, elles incarnent une

forme de survivance : leur présence constitue les traces d’une culture détruite. Ces traces

autorisent l’énonciateur à se retourner vers un passé qui n’est plus mais auquel il peut encore

se référer. À travers elles, le passé peut encore communiquer avec les vivants. Deuxièmement,

les ruines commencent toutefois à désigner la fin du processus orphique. Plus aucune forme

de dialogue n’est possible, les gens ne sont plus là. Les murs des maisons ont survécu au

temps mais ils ont laissé l’herbe croître au milieu des habitations. À l’image du trou laissé par

le chardon et les fleurs dans A Drunk Man, les ruines renvoient à l’annihilation pure et simple

de la culture écossaise. Elles tracent sur le sol un simple carré au cœur duquel ne résonne plus

la voix des îliens. La dimension de la trace ou du souvenir se trouve alors dominée par

l’empreinte d’une béance absolue, à la temporalité nulle.

MacDiarmid inscrit le souvenir dans le carré des ruines, le cercle du « O’ » et les trous

dans le sol et, ce faisant, il présente l’absence comme une spatialité et plus du tout comme une

temporalité. Or, la disparition de la temporalité empêche la remémoration et prévient toute

possibilité d’un lien à l’autre. Pour exister, pour produire ce paradoxal lien à l’absence, le

dialogisme orphique nécessite la temporalité du souvenir pour que le mort fasse encore signe

aux vivants. Dans ces exemples, l’absence perd ce qui lui restait de temporalité pour

s’effondrer dans une spatialité désincarnée et vidée du souvenir. Elle se transforme en vide ou

en néant, un lieu où le passé, les anciens et les morts ne peuvent être rejoints, même par la

pensée.

Dans le poème Ode to All Rebels, la menace venait effectivement de la perte de

mémoire qui empêchait l’énonciateur de se rappeler le visage des enfants partis. On dit

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souvent du temps qu’il efface les blessures mais, au contraire, il permet aussi aux évènements

de rester gravés dans la mémoire d’un individu ou d’un peuple. Sans temporalité, aucune

histoire, aucune mémoire ne sauraient exister. Sans temporalité, l’existence humaine est

réduite à un éternel présent dans lequel l’homme ne peut se raconter. C’est sans doute cette

annihilation de la temporalité qui contraint MacDiarmid à personnifier l’esprit de la nation

écossaise ainsi dans Lucky Poet : « Scotland for the past century has been a country in which

emptiness has sat enthroned in a way to which history offers a few parallels. »34 L’analyse de

l’auteur évoque la même Écosse qu’Edwin Muir, celle qu’il décrivait dans Scott and Scotland

comme un néant spatial et temporel avec l’expression « nothing »35, une expression qui va

bien au-delà de la simple caractérisation de la nation comme absence36. Les termes choisis par

Muir, « nothing », et par MacDiarmid, « emptiness », soulignent bien que l’absence n’a rien à

faire dans la définition d’un pays sans mémoire qui a renoncé à son histoire et à sa culture.

Avec la disparition du temps, même l’absence s’est absentée et l’Écosse ne semble pouvoir

être décrite que comme un néant ou un vide.

Le poète a tenté d’analyser l’origine de ce néant et, dans l’article « Contemporary

Scottish Poetry: another view » publié en 1929 dans The Nineteenth Century, MacDiarmid

décrit le vide comme le résultat d’un oubli historique et culturel : « Every other country in

Europe has essays constantly being written about its intellectual and artistic tendencies […]

but Scotland is never mentioned: nothing is happening there; it is a blank.»37 La ponctuation

reflète la complexité de l’analyse macdiarmidienne. D’une part, les deux points indiquent la

cause : l’Écosse ne se raconte pas à l’étranger parce qu’elle n’a rien à dire. D’autre part, les

deux points indiquent la conséquence : la culture artistique nationale s’est néantisée par

manque d’être racontée, un point de vue qui domine dans l’article. Le vide culturel est de

nature purement discursive : il trouve son origine dans l’absence de discours des historiens.

La détresse de MacDiarmid pointe alors du doigt les creux dans le langage et dans l’histoire,

les béances qui sous-tendent le discours historique et qu’avait esquissées Walter Benjamin

dans ses Thèses sur l’histoire38. L’Écosse n’a pas été racontée ou a été mal racontée. Le poète

34

Hugh MacDiarmid, Lucky Poet, op. cit., p. 250.

35

« But this Nothing in which Scott wrote was not merely a spatial one; it was a temporal Nothing as well,

dotted with a few disconnected figures arranged at abrupt intervals: Henryson, Dunbar, Allan Ramsay, Burns. »

(Edwin Muir, Scott and Scotland: The Predicament of the Scottish Writer, op. cit., p. 2-3)

36

« Like MacDiarmid, Muir tropes Scotland as an absence. » (Paul Robichaud, « MacDiarmid and Muir:

Scottish Modernism and the Nation as Anthropological Site » in Journal of Modern Literature, vol. 28, 4, été

2005, p. 135-153, p. 143)

37

Hugh MacDiarmid, « Contemporary Scottish Poetry » (1929) in The Raucle Tongue - Hitherto Uncollected

Prose Vol. 2, op. cit., p. 160-169, p. 162.

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perçoit cela comme une tragédie mais, puisque le discours historique est fondé sur le langage,

il semble difficile d’échapper à ce phénomène.

Le langage repose sur la dialectique du plein et du vide, de l’absence et de la présence.

MacDiarmid joue parfois de ces oppositions39, et un vers du poème « The Burning Passion »

atteste de la nature linguistique du vide : « A line, a word, – and emptiness again! » (First

Hymn, CP, p. 304) MacDiarmid repousse progressivement le langage vers le vide dans cet

extrait : la ligne de vers (« line ») se transforme en un mot unique (« word »), qui paraît

basculer lui-même ensuite dans le vide sémantique suggéré par le terme « emptiness ».

L’insertion du tiret rend même le passage du plein au vide encore plus violent. La brutalité de

ce vers est représentative d’une pensée qui bascule brusquement vers un vide que pourtant

elle abhorre. La plume de MacDiarmid ressent davantage le vide que le plein, ainsi que le

prouve le poème issu du même recueil First Hymn to Lenin « Prayer for a Second Flood » qui

met en scène la tragédie de l’apocalypse : « Whummle them again! / […] Let yoursel’ gang, /

Scour to the bones, and mak’ its marrow holes / Toom as a whistle as they used to be » (CP,

p. 300). L’énonciateur dialogue avec le Dieu vengeur de l’Ancien Testament et lui demande

de faire basculer l’humanité dans une béance qui prend la forme d’un son strident. Le vide

adjectival du mot « toom » (vide) répond au vide nominal de « holes », et ces deux vides

composent la matière du son produit par le sifflet (« as a whistle »). La redondance écrasante

de ces deux termes presque synonymes, « holes » et « toom », est accentuée par

l’enjambement performatif entre les deux mots ; le trou se vide pour de bon dans l’espace

blanc de la page qui témoigne d’un langage poétique qui a perdu l’équilibre. Ce poème

apocalyptique démontre que MacDiarmid laisse au vide le loisir de s’installer entre les lignes

et même de s’insinuer dans toute l’œuvre.

Le vide n’est pas uniquement une tragédie pour l’Écosse dans les poèmes puisqu’il

caractérise l’homme en général et en particulier l’homme occidental à l’époque du capitalisme

chez MacDiarmid. L’énonciateur du tapuscrit Glasgow 1938 décrit Glasgow et ses habitants,

39

Comme dans In Memoriam par exemple où des anaphores du vide offrent un contrepoint à des anaphores du

plein. La répétition de la préposition « without » annonce et contredit celle du déterminant « more » :

Without security from vexation from irresponsible tyrants,

Without protection of the home against the aggression of criminal bands,

Without impartial justice, without dignity.

[…].

More licences, more verbots,

More inspectors,

More and redder red tape

In every phase of life.

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l’incarnation de la société capitaliste pour l’auteur : « It is possible that all realities are

nothing to them,/ That their life runs on, unconnected with anything, / Like a watch in an

empty room? »40 Après cette description empruntée aux Carnets de Malter Laurids Brigge de

Rilke41, l’énonciateur animalise les habitants : « [they] understand nothing and love nothing, /

Devouring time as ducks gobble water, in order to live! »42 Annoncées toutes deux par la

béance contenue dans le pronom indéfini « nothing », le même qu’employait Muir à propos

de l’Écosse, les comparaisons dessinent un monde qui s’abîme dans une temporalité évidée de

sens. Dans le premier extrait cité, la pièce vide enlève toute raison au temps de la montre

tandis que, transformé en eau, le temps ne remplit plus l’estomac des êtres humains dans le

second extrait. Sous les coups du système capitaliste, la temporalité humaine s’est délocalisée

dans des espaces vides où résonne la vacuité. Comme sur les îles et dans les forêts écossaises,

le temps s’est fait espace et l’espace s’est fait évidement.

L’image du creux continue à conditionner l’être humain sous la plume de l’auteur qui,

dans Cencrastus et « First Hymn to Lenin », expose le trou béant laissé par l’âme et le

cœur des hommes : « A human mole / Wi’ a hole for a soul? » (CP, p. 235), « the hollows

where their herts should be » (CP, p. 297). L’adjectif « hollow » et le nom « hole » rappellent

la description paradoxale des « hommes creux » de T. S. Eliot : « We are the hollow men /

We are the stuffed men / Leaning together / Headpiece filled with straw. Alas!»43 Empaillé

mais creux, l’homme moderne émerge comme un héros tragique tiraillé entre la contradiction

du plein et du vide, mais cette hésitation ne caractérise pas l’homme macdiarmidien. Dans les

vers d’Eliot, les brins de paille offrent encore la possibilité d’un lien au monde, même factice,

tandis que, dans la poésie de MacDiarmid, la béance ne permet à l’homme aucun contact avec

quoi que ce soit et transforme son existence en néant.

Le cerveau humain cède sous le poids de ce néant dans A Drunk Man : « His brain

inside his heid is like / Ariadne wi’ an empty birn » (CP, p. 129). La désorientation

ontologique atteint son paroxysme puisque le fil d’Ariane n’existe même pas : la bobine est

vide et la porte du labyrinthe fermée à jamais. Le fil d’Ariane incarne la possibilité pour le

sujet d’entrer en contact avec l’altérité mais l’image de la bobine vide annihile cette

40

Hugh MacDiarmid, Glasgow 1938, University of Delaware Library, MS Brian Coffey 382, f. 5. Les italiques

sont de l’auteur.

41

Rainer Maria Rilke, The Notebook of Malte Laurids Brigge, London : The Hogarth Press, 1930, p. 23. Les

phrases de Rilke sont reprises mot pour mot dans le poème « Glasgow » (CP, p. 1049) et dans Mature Art (Hugh

MacDiarmid, Mature Art, National Library of Scotland, MS 27019, 1937, f. 53).

42

Hugh MacDiarmid, Glasgow 1938, op. cit., f. 14. Nous choisissons ici de citer le tapuscrit, et non les portions

issues de Glasgow 1938 et publiées séparément dans trois poèmes sous le titre Glasgow (CP, p. 647, p. 1048,

p. 1333), car les deux passages n’apparaissent pas ensemble dans les poèmes individuels.

80

dimension nécessaire à la construction du sujet. L’autre, même distant, n’est plus. On pourra

comparer cette image avec celle du ventre vide du poème « Empty Vessel » (Penny Wheep,

CP, p. 66) qui témoigne de la même angoisse. Une femme dont l’enfant n’est plus continue à

chanter sa douleur d’être vide de sa création. Elle pleure d’avoir été dépossédée de l’autre

qu’elle portait en elle et qui l’aidait à se construire elle-même, telle la pythie de Valéry à

laquelle MacDiarmid fait référence dans Cencrastus.

Paul Valéry y est représenté, pieds nus, à l’écriture du poème « La pythie » : « Barefut

Valéry, writin’ Pythia » (CP, p. 187). Les pieds nus peuvent renvoyer au poème « Les Pas »

de Valéry, mais évoquent aussi la béance que la pythie affronte dans les vers du poète

français : « Don cruel ! Maître immonde, cesse / Vite, vite, ô divin ferment, / De feindre une

vaine grossesse / Dans ce pur ventre sans amant ! »44 La pythie de Valéry ressemble à

l’homme dans la poésie de MacDiarmid : elle est celle qui crée mais se retrouve confrontée à

l’angoisse du ventre vide. On lui refuse la création d’un autre être et, avec elle, la création de

sa propre individualité. Cette parenté d’images entre les deux poètes est renforcée par

l’emploi du mot « immonde » par Valéry. Ce terme fait plonger la description dans l’horreur

et suggère une forme extrême de dégoût que l’on retrouve aussi chez MacDiarmid.

L’abcès buccal de l’horreur

Le poète travaille souvent à rendre compte de « l’horreur ouverte pure »45 dans des

images d’abcès et de gueules ouvertes. Ces métaphores du vide employées par MacDiarmid

permettent de comprendre toute l’horreur que dissimule le néant. Les diverses instances

énonciatives se font régulièrement l’écho d’une horreur indicible qui définit à la fois le

système capitaliste46 et l’influence de l’Angleterre, et, dans « Cornish Heroic Song for Valda

Trevlyn », l’abcès purulent est justement causé par la voisine de l’Écosse : « Cornwall and

England, David and Goliath! / Not the ideal but the actual Cornwall / Full of the wandering

abscesses of the English influence! » (A Kist of Whistles, 1947, CP, p. 706) Le terme médical

employé par le poète révèle une infection culturelle souterraine qui se déploie bien au-delà de

l’Angleterre. Métaphore de l’influence culturelle anglaise sur son voisin écossais, l’abcès

métastatique (expression beaucoup moins poétique en français) se forme à une distance plus

ou moins éloignée de son point d’origine. En écartant la définition purement médicale de la

locution « wandering abscesses », on peut reconnaître, dans le participe « wandering », une

44

Paul Valéry, « La Pythie » in Œuvres I, Paris : Gallimard, 1957, p. 131.

45

Paul Éluard, « Le Travail du Poète » in Poésie ininterrompue, Paris : Gallimard, 2002, p. 56.

46

Des « horreurs impensables » prennent place dans les villes. (« Unthinkable horrors », Ode to All Rebels, CP,

p. 503) et des « larves hideuses » rampent dans « An Apprentice Angel » (« the dragonfly’s hideous larva

creeps », CP, p. 332).

81

force de dislocation, comme si la blessure même se scindait et explosait dans différentes

directions. L’infection se déplace mais provoque aussi la dispersion des chairs à l’image de

l’influence anglaise qui blesse, infecte et disloque la culture celte de Cornouailles et d’Écosse.

La blessure a pourri, la déchirure s’est comme écartée à l’infini et n’y est à présent perceptible

que l’horreur du vide.

Dans les Sonnets à Orphée, Rilke utilise une expression très similaire que

MacDiarmid reprend dans son poème issu de Mature Art et tiré du même recueil que

« Cornish Heroic Song », « The Wreck of the Swan » : « Töten ist eine Gestalt unseres

wandernden Trauerns… » (CP, p. 733) qui signifie « Tuer est une des formes de notre deuil

vagabond » (II, sonnet 11) mais que MacDiarmid traduit par « Killing is only a form of the

sorrow we wander in her… » (« Tuer est seulement une des formes de la tristesse dans

laquelle nous errons… »47) La violence du meurtre rappelle la violence symbolique faite à la

culture celte, néanmoins, l’emploi de l’adjectif « wandernden » et du sémantisme de l’errance

est plus significatif. La tristesse elle-même se conçoit comme un mouvement d’errance,

comme un mouvement de dispersion comparable à celui de l’abcès du corps de la culture

celte. Même l’expérience de la peine ressemble à une plaie béante dont les rebords ne cessent

de s’écarter pour laisser entrevoir le vide.

Par la suite, l’énonciateur de « Cornish Heroic Song for Valda Trevlyn » tente

d’annihiler la béance en s’inspirant d’images très melvilliennes :

The Celtic genius – Cornwall, Scotland, Ireland, Wales –

Is to the English Ascendency, the hideous kahki Empire,

As the white whale is to the killer whale,

The white whale displaying in its buccal cavity

The heavy oil-blood-rich tongue which is the killer’s especial delight.

The killer slips his head into the behemoth’s mouth

And rives away part after part of the tongue until

Nothing remains in the white whale’s mouth but a cicatrized stump.

Yet to-day we laugh gaily and show our healthy red tongues,

Red rags to John Bull – the Celtic colour flaunting again

[…]. We young Celts arise with quick tongues intact (CP, p. 708-709)

Dans une description qui se veut chirurgicale, la langue de la baleine blanche, métaphore de la

voix de la culture celte, se trouve mise en pièces par l’expression redondante « rives away part

after part ». L’enchaînement du verbe « rive », de la préposition adverbiale « away » et du

groupe adverbial « part after part », imite les coups de couteau successifs qui ont provoqué la

déchirure culturelle diagnostiquée par l’énonciateur. Ce dernier trouve la force de répondre en

tirant la langue, un geste de révolte lui permettant d’affirmer la vivacité et la force de sa

47

Nous traduisons. Dans le poème, MacDiarmid introduit le vers original en allemand puis une traduction