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Le modèle traditionnel de la famille polonaise avait su envers et contre tout garder son assise. Malgré les chicanes, il existait toujours un groupe important de nobles ayant sauvé leurs propriétés, leurs privilèges et avant tout les anciens modes de vie. Toujours et encore, à la fin du XIXème siècle et même au début du XXème, il était tout à fait possible d’observer un phénomène que l'on pourrait désigner la famille polonaise

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noble. Il s’agissait non seulement d’un groupe de personnes apparentées par le sang ; il englobait également tout l'entourage, les serviteurs, les gouvernantes, et ceux que l'on appelait les résidents, amis ou proches de la maison moins fortunés, qui étaient à la charge des propriétaires. Ce modèle imposait une structure et une hiérarchie bien définies. La coutume voulait que ce modèle de la famille patriarcale et traditionnelle s'appliquât à tous les aspects de la vie : on peut le retrouver dans des fonctions productive, socio-éducative, culturelle, sociale et aussi religieuse.1

Les exemples qui suivent proviennent de l’analyse effectuée sur la vie quotidienne des nobles de la Pologne majeure, province appartenant au partage prussien, mais il est bien évident que cette couche sociale de nobles conservait un mode de vie semblable, quel que soit le lieu où elle vivait. Des exemples montrent d'ailleurs que malgré les milliers de kilomètres qui séparaient les anciennes provinces de la République des Deux Nations, le mode de vie des nobles restait partout presque inchangé. Ceci prouve l’existence d’une communauté spirituelle et d'une conscience d’appartenance à une classe spécifique : la noblesse polonaise, que ses membres fussent propriétaires ou non de terres.

La famille noble était occupée par la gestion de ses exploitations et tout son fonctionnement dépendait fortement de cette activité. Le propriétaire et maître de maison y était pour ainsi dire le chef, occupant la fonction de gérant, et était souvent épaulé par un administrateur. Il initiait habituellement sa progéniture aux arcanes de la gestion. Accompagné de ses fils, il chevauchait régulièrement ses terres, leur montrant ainsi comment surveiller et inspecter la bonne marche du domaine ainsi que la conduite des paysans. Les jeunes faisaient des pratiques (leur apprentissage pour ainsi dire) auprès de propriétaires de domaines voisins, ou d’autres membres de la famille. On espérait et faisait parfois même pression pour que les descendants choisissent de reprendre l'administration de la propriété. Pour emprunter le langage entrepreneurial, il ne faut pas oublier que du bon fonctionnement du domaine dépendait non seulement la vie du patron, mais également celle de tout le cercle élargi de la famille et des personnes y travaillant. Présentée sous cet angle, la conception de la famille des propriétaires montre que la gestion de l'exploitation n’était pas un métier comme les autres, mais qu'il remplissait aussi une mission importante au sein de la société. L’importance du

1 Szafer, Katarzyna, « Kilka uwag o codziennym życiu rodzinnym ziemiaństwa wielkopolskiego na

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propriétaire se manifestait aussi dans ses contacts avec les paysans de la région. Son autorité dépassait le cadre de son entreprise personnelle et lui permettait de donner des conseils concernant l’administration des terres autour de lui. Il présidait les cercles agraires, après la cueillette il organisait la fête de la récolte et y participait. Sa position, son savoir-faire, mais aussi sa fortune, permettaient de financer et ainsi de soutenir la commune la plus proche dans ses entreprises. Il était fondateur de crèches, de maisons paroissiales, organisait des cours de formation. Dans une perspective plus large, il était actif dans les organisations de gentilshommes de la province comme la banque ou l’association des propriétaires.2

D’autres fonctions, tout à fait distinctes, étaient réservées à la maîtresse de maison. Son rôle principal était de veiller à l’entretien, l’éducation des enfants jusqu’à un certain âge, et à l’accomplissement des activités sociales et culturelles. Elle était ainsi garante de la fonction sociale de la famille. L’éducation des enfants avait lieu à la maison, mais était menée de manière scrupuleuse par des précepteurs qui suivaient un plan bien établi. Étape obligée pour réussir, il fallait permettre aux enfants d'accéder ensuite au gymnase, ce qui était difficile en raison de la langue : en Podolie, les cours au gymnase étaient dispensés en russe.3

La maîtresse de maison gérait également les domestiques qui dépendaient directement d’elle. Ces domestiques étaient complètement intégrés à la vie de la famille noble et restaient parfois au manoir pendant de longues années. Ils étaient rémunérés mensuellement et il n’était pas rare qu'on leur fît des cadeaux pendant la période des fêtes. Les plus âgés, qui ne pouvaient plus effectuer leurs travaux, pouvaient habiter dans les bâtiments du manoir jusqu’à leur décès.

L'estime de la société envers la famille dépendait bien sûr du maître de maison, mais sa femme, qui avait elle aussi des tâches à remplir à cet égard, jouait un rôle important en parallèle. La première de ses tâches était d'œuvrer à des actions caritatives, qui dépendaient de la fortune et de la générosité de son mari. Elle prenait soin des malades et des invalides. Les pauvres recevaient les choses superflues du manoir.

2 Szafer, Katarzyna, op. cit., p. 307.

3 Il faut rappeler que la langue allemande était officielle dans les parties : prussienne (allemande) et

autrichienne de Pologne et le russe bien évidemment dans la partie du Royaume de Pologne et sur les Terres revendiquées.

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Entretenir les contacts nécessaires avec la société dont ils faisaient partie était une tâche qui incombait par contre aux deux maîtres de maison. Cette entreprise consistait avant tout à soigner les relations familiales qui comprenaient la famille élargie et donc les nobles régissant souvent des domaines voisins. En plus de rencontres informelles, on fondait aussi des unions familiales, possédant des statuts et parfois même une couverture financière, dont le but était de garantir les relations entre les membres d'une même lignée, de soutenir la solidarité. 4 Ceci fut d'autant plus important à l'époque où les voisins devenaient de plus en plus souvent étrangers : tout contact avec ces derniers était exclu, voire tabou. Cette attitude explique bien pourquoi la politique de colonisation des terres polonaises n’avait pas porté de fruits, ni du côté allemand ni du côté russe. Les familles polonaises manifestaient un tel rejet envers les nouveaux venus, que bientôt personne n'eut plus envie de s'installer en ses terres hostiles à toute nouvelle présence.