• Aucun résultat trouvé

Avant de revenir à l'itinéraire professionnel de Modzelewski, ouvrons ici une parenthèse pour évoquer un autre tournant qu'avait pris sa vie, sur le plan privé cette fois-ci : l'union de Jan avec la noblesse fribourgeoise qui lui assurait désormais sa position sociale sur sa nouvelle terre était scellée. Une fois n'est pas coutume, nous allons pouvoir aborder une affaire de cœur, du moins d'alliance. Au début du XXème

siècle, la belle époque bat son plein et le développement de l’industrie est extrêmement favorable pour certains, dont Jan. Jeune Polonais de 25 ans, il est plein d’ambitions et sans soucis financiers, avec une thèse de doctorat bien avancée. Une photo de Jan de cette époque a été sauvée. On y voit un jeune homme arborant une élégante barbe, un petit chapeau de paille et – suivant la mode de l’époque – une canne dans la main. Séduisant, bon parti, il avait probablement conscience de ces atouts. Il rencontra une représentante d’une vieille famille fribourgeoise qui allait devenir sa femme : Isabelle

142

de Diesbach. Elle ne passait apparemment pas inaperçu non plus. Selon un jeune Polonais séjournant à Fribourg pendant la Grande Guerre, Isabelle était l’une des plus belles Fribourgeoises.1 Plus encore que la beauté d’Isabelle, ses connections familiales permettent de penser que cette union représentait surtout pour Modzelewski une bonne alliance. Esquisser une brève histoire d’une branche de la famille de Diesbach nous fera découvrir une famille noble, dont plusieurs membres avaient occupés des postes stratégiques et d'importance au niveau national par le passé. Soulignons également qu'elle était évidemment très attachée aux valeurs traditionnelles, peut-être pas si éloignées de celles que Modzelewski avait lui aussi connues.

L'histoire familiale des Diesbach montre que les relations de cette famille avec la Pologne datent du XVIIIème siècle déjà. Georges Hubert de Diesbach de Belleroche fut engagé au service des rois de Pologne Auguste II et de son fils Auguste III.2 Il était un combattant courageux, qui se moquait du danger. D'abord lieutenant-colonel, il fut vite promu au grade de général-major. Il servit non seulement les rois de Pologne, mais il fut également envoyé en Suisse pour monter une compagnie de 100 soldats suisses. Le roi de Pologne avait une grande estime pour Hubert de Diesbach. Après la mort d’Auguste II, Hubert fut choisi par Auguste III pour représenter sa candidature au trône polonais devant la Diète. La mission se termina avec succès et, pendant la messe de couronnement du nouveau roi, Hubert fut directement à ses côtés. Le portrait du roi Auguste II offert à Hubert, toujours en possession de la famille, est l'une des preuves matérielles de ces relations entre les Diesbach et la Pologne.3

Le frère d’Hubert, Nicolas, fut l’ancêtre direct d'Isabelle.4 Nicolas et sa descendance avaient une prédilection pour la carrière militaire. Nicolas lui-même servit sous les ordres du roi de France. Tout comme son fils et petit-fils.5 Cette branche

1 Skowroński, Tadeusz, op. cit., p. 283. 2

Moser, Ulrich, « Georges Hubert de Diesbach de Belleroche », in : Jorio, Marco (dir.), Dictionnaire

historique de la Suisse, Vol. 4, Bâle, Schwabe AG, Hauterive, Éditions Gilles Attinger, 2004, p. 32.

3 Skowroński de, Thaddée, « Gardes-Suisses au service des souverains de la République de Pologne »,

in : Versailles, Coppet, 1972, No. 49, p. 19.

4 Il existe un nombre considérable de publications permettant d'étudier l’histoire de la famille de

Diesbach, mais de caractère plutôt généalogique. L'une des plus anciennes, qui reste une référence, est: de Ghellinck Vaernewyck, Amaury, La généalogie de la maison de Diesbach, Gand, 1921, 995 p. Benoît, un des membres de la famille de Diesbach-Belleroche, mène actuellement des études approfondies: La

maison de Diesbach, Fribourg, Intermède Belleroche, 2000, 63 p.; État présent et adresses de la maison de Diesbach, Fribourg, Intermède Belleroche, 1991, 48 p. On trouve aussi plusieurs biographies de

membres de la famille dans le Dictionnaire Historique Suisse, Vol. 4.

5 de Diesbach Belleroche, Benoît, La Maison de Diesbach, Fribourg, Intermède Belleroche, 2000, pp. 32-

143

Breitfield des Diesbach s’installa à Fribourg pour de bon après la révolution française et y gagna respect et renom. Cultivant toujours les traditions militaires, Amédée, le grand- père d’Isabelle, remplit ses devoirs d’officier pendant la Guerre du Sonderbund.6

Son père, Louis, occupa aussi plusieurs fonctions importantes dans l’armée suisse : lieutenant de la cavalerie, capitaine puis commandant de l’escadron 5 et chef de l’internement des troupes françaises après la guerre franco-allemande en 1870-1871. Il incarna aussi le grand intérêt de la famille de Diesbach pour les engagements civils, en l'occurrence politiques. Aussi prestigieux que sa carrière militaire d’ailleurs : il fut député au Grand Conseil et conseiller national entre 1893-1896 et entre 1902-1911.7

Cette tradition familiale d'engagement politique et militaire perdura aussi au XXème siècle. Des mérites particuliers en la matière revinrent au frère d’Isabelle, Roger de Diesbach. Plus jeune que Jan Modzelewski d’un an à peine, il se consacra à sa carrière militaire après avoir réalisé son doctorat à Fribourg. Comme lieutenant-colonel déjà, il dirigea le 7ème régiment qui restaura l’ordre public à Berne après les émeutes révolutionnaires de novembre 1917.8 Il fit une brillante carrière et devint commandant de la 2ème division en 1931.9 Raoul, second frère d’Isabelle resta aussi au service de l’armée en tant que capitaine d’infanterie, malgré sa carrière de scientifique (il était ingénieur de l’École Polytechnique de Zurich et docteur depuis 1907). Jan Modzelewski eut un contact plus étroit avec lui, surtout à cause du poste d’ingénieur à la Société des condensateurs électriques que Raoul occupa.10

L’année 1904 fut importante pour les deux jeunes Jan et Isabelle. Alors que ses collègues défendaient leurs thèses autour des condensateurs, Modzelewski célébrait son mariage avec Isabelle, qui allait rester solide jusqu’à sa mort.11

6 Ibidem, p. 35. 7 Ibidem, p. 36.

8 Ruffieux, Roland, La Suisse de l’entre deux guerres, Lausanne, Payot, 1974, pp. 50-65. 9

de Weck, Bernard, « Le colonel-divisionnaire Roger de Diesbach », in : Nouvelles Étrennes

Fribourgeoises, Septante-deuxième année, Fragnière Frères, Fribourg, 1939, p. 282.

10 de Diesbach Belleroche, Benoît, La Maison…, op. cit., p. 36.

11 Acte de mariage religieux, 8.11.1904, Papiers privés de Jan Modzelewski, en possession de Benoît de

144