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II. Sous la guidance du grand mentor

2. Deuxième action de Piltz : une encyclopédie polonaise

Piltz ne voulait pas rester les bras croisés. Avant son départ du Comité de Vevey, il avait déjà commencé à organiser une autre activité. En tant que journaliste, Piltz commença à préparer un ouvrage scientifique sur la Pologne. L’enthousiasme ne manquait pas. Pendant une réunion de Polonais en novembre 1914, tout le monde était persuadé qu'une œuvre de ce genre pouvait être menée à bien en un mois et en trois ou quatre langues : français, allemand, anglais et russe.24 Piltz pensait qu'une telle œuvre serait utile dans l’ouest de l’Europe où la connaissance des affaires polonaises était très réduite.25

On avait conscience de ce manque de connaissances depuis longtemps. Pour cette raison, des entreprises encyclopédiques n'étaient pas menées qu'en Suisse. Piltz, toujours pratique, commença dès le début à sonder non seulement l’engagement de plusieurs comités de rédaction, mais essaya aussi de les réunir pour la création d’une œuvre commune, ce qui présentait beaucoup d’avantages. Bien évidemment, chaque comité avait sa propre vision pour l’élaboration des articles encyclopédiques.26

Piltz savait que les milieux polonais à Paris, à Varsovie et à Vienne travaillaient à

22 Szklarska-Lohmannowa, Alina, « Erazm Piltz », Polski..., op. cit., p. 296. 23

Erazm Piltz à Jan Modzelewski, Rome, 8.1.1917, AAN, Akta Erazma Piltza, Korespondencja Jan Modzelewski-Erazm Piltz, 160.

24 Skowroński, Tadeusz, op. cit. p. 91.

25 Śladkowski, Wiesław explique bien cette situation dans: Opinia publiczna we Francji wobec sprawy

polskiej w latach 1914-1918, Wrocław, Zakład Narodowy im. Ossolińskich, 1976, 309 p.; voir aussi E.

Piltz dans sa lettre à J. Modzelewski, Rome, 8.1.1917, AAN, Akta Erazma Piltza, Korespondencja Jan Modzelewski-Erazm Piltz, 160.

26 Les entreprises éditoriales concernant la Pologne surtout à l’étranger sont décrites dans: Florkowska-

Frančić, Halina, « Encyklopedie polskie na obczyźnie w latach I wojny światowej », in : Przegląd

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l'encyclopédie. La collaboration entre Lausanne et Paris fut la plus fructueuse : le comité parisien abandonna sa propre édition et transmit toute la documentation déjà amassée à Piltz.

Piltz cherchait un terrain d’entente avec la rédaction varsovienne de l’encyclopédie. On soulignait qu’il fallait trouver un accord sur les thèmes traités pour éviter les éventuels doublons. Piltz ne parvint toutefois jamais à associer les deux comités, pour des raisons avant tout politiques. Varsovie n’acceptait pas que l’encyclopédie lausannoise fût rédigée par des acolytes de la Démocratie nationale – parti peu aimé à Varsovie pendant la guerre à cause de son engagement auprès des Alliés.

La collaboration avec les rédacteurs de Vienne fut elle aussi impossible. Malgré tous les efforts déployés, aucun consensus ne put être trouvé. Pour des raisons purement politiques à nouveau. Le milieu viennois était évidemment constitué d'activistes et de membres du Comité général national persuadés que la libération nationale proviendrait de l’aide d’austro-hongroise. Pour eux, Piltz, réaliste et prorusse, n’était pas acceptable. Finalement, c’est en raison de l'insuffisance des fonds financiers que l’encyclopédie viennoise tomba dans l’oubli et les collaborateurs intéressés à poursuivre dans leur engagement éditorial collaborèrent à titre privé à l’œuvre de Piltz.

Les négociations visant à trouver une vision commune de l’encyclopédie durèrent très longtemps. Même si tout le monde soulignait qu’elle devait rester neutre, le fait que l’encyclopédie était réalisée par plusieurs personnes de milieux politiques différents multipliait les problèmes. Le manque de confiance régnait.27 Malgré ces difficultés, Piltz décida d'éditer l’œuvre à son nom. En avril 1915, il nomma le Comité éditorial, composé entre autres de Tadeusz Estreicher, professeur de chimie à Fribourg, Józef Wierusz-Kowalski, Ignacy Jan Paderewski et évidemment Jan Modzelewski, qui fut membre de la Commission de révision de l’encyclopédie.28

À cette étape des travaux, la chose la plus importante fut de se procurer les sources et documents importants et nécessaires à l'élaboration d'une encyclopédie. Le Musée de Rapperswil en conservait une partie. Un Russe (sic !), Nikolaj Rubakin qui

27 Ibidem, pp. 15-17.

28 Explications à propos de la Petite Encyclopédie, 11.8.1915, AAN, Akta Erazma Piltza 4, Mała

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habitait Clarens, disposait d'une collection très riche et intéressante pour les Polonais. Les sources qu'ils trouvèrent en Suisse n’étaient pourtant pas suffisantes : la recherche de matériel en Pologne était inévitable. Ce manque de sources était probablement l'une des raisons pour lesquelles les Polonais de Suisse avaient essayé d’éditer l’encyclopédie en collaboration avec d'autres comités éditoriaux à l'étranger.

La première idée, très optimiste, de composer rapidement une œuvre polyglotte fut abandonnée. Au vu des difficultés concernant les sources, et des négociations interminables avec les autres rédactions, on pensa qu'il faudrait six mois pour achever l’œuvre et on révisa le rôle qu'on voulait lui donner : elle n'allait pas servir à négocier l'indépendance polonaise sur la scène diplomatique, mais revêtir un caractère plus historique : elle constituerait un témoignage de la présence et de l'activité polonaises en Suisse.29 Ces changements poussèrent Piltz à prendre la décision radicale de diviser les travaux pour l’encyclopédie en deux. En août 1915, il proposa de préparer aussi vite que possible une sorte de manuel, comprenant les dates, faits et chiffres les plus importants, pour créer un ouvrage de données concernant la Pologne de l’époque. L’idée était bonne, d'autant plus que la rédaction fut suivie par une seule personne : Edward Woroniecki, qui, se basant sur les documents déjà sur place, élaborait des articles qui étaient corrigés ensuite par des spécialistes de chacun des sujets avant d'être imprimés. Le projet prévoyait la rédaction de 15 chapitres sur 120 pages, avec une carte de la Pologne en deuxième de couverture. Dans ce projet, La Petite Encyclopédie devait donner un aperçu historique présentant le pays, la population, la vie économique, le régime politique, l’instruction publique, la littérature, la musique, etc.30

Après encore plusieurs difficultés liées à la correction du texte assurée par l'éditeur Payot, l’œuvre fut terminée.31

Cette première encyclopédie était prête en été 1916 et son impression achevée en octobre de la même année. Sa forme finale n’était pas celle prévue au début des travaux. La Petite Encyclopédie comptait presque 500 pages et était divisée en trois parties, dont les titres étaient : Statistique, histoire, vie politique ; Vie économique et sociale ; Vie intellectuelle. Chacune comptait entre six et

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Skowroński, Tadeusz, op. cit., p. 235.

30 Explications concernant l’édition de la Petite Encyclopédie, 11.8.1915, AAN, Akta Erazma Piltza 4,

Mała Encyklopedia.

31 Payot à Erazm Piltz, Lausanne, 26.7.1915 et 5.8.1915, AAN, Akta Erazma Piltza 4, Mała

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neuf chapitres.32 Le mois suivant l'impression, Piltz prépara des instructions concernant les destinataires de l’encyclopédie. Il s'agirait avant tout des ambassadeurs des pays de l’Entente à Londres, Petersburg, Rome et Paris, le président des États-Unis, le comte Cecil, Lloyd George et les premières ministres d’Espagne, du Portugal, de Suède, du Danemark, de la Norvège et de la Grèce. L'ouvrage étant publié en français et en terre francophone, un nombre considérable d’œuvres fut adressé à des politiciens français, dont on pensait qu'ils allaient être les plus présents et donc influents lors des négociations de paix attendues à Paris.33 L’engagement minutieux de Piltz dans presque chaque détail concernant l’encyclopédie montre aussi combien il était persuadé qu'elle allait jouer un rôle positif et servir la cause polonaise.

Parallèlement au travail sur la petite encyclopédie, on poursuivait la rédaction de la grande. Sa commission scientifique trouva sa place non pas à Lausanne comme la petite, mais à Fribourg à cause de son « potentiel scientifique polonais » pour reprendre l’expression de l’époque. Prirent part aux travaux de cette commission : Józef Wierusz- Kowalski et Tadeusz Estreicher, déjà mentionnés, ainsi que le professeur de littérature Józef Kallenbach et les jeunes activistes Polonais Józef Puzyna, Andrzej Plater et bien évidemment Jan Modzelewski.34

Vu l’ampleur de l’œuvre, les travaux n’avançaient pas aussi vite qu’à Lausanne. Le tome premier, traitant du territoire, du peuple et de l’économie devait compter 57 articles à lui seul. Le système de travail différait aussi selon les auteurs. Très peu d’articles furent écrits directement en français. La plupart nécessitaient une traduction, après quoi on en vérifiait le style et les articles étaient finalement relus par les professeurs. Les travaux n’avançaient certes pas vite, mais la qualité de l’œuvre entière s'en trouvait améliorée de beaucoup.35 Lorsque la petite encyclopédie fut distribuée, la grande parvenait à publier le premier cahier de son premier tome concernant la géographie, l'industrie minière et la population de la Pologne.

Les travaux sur cette grande encyclopédie ne furent pas menés à terme. La réussite de la petite avait certainement fait retomber l’enthousiasme. Il faut rappeler que sa présentation tomba au même moment que l’acte des deux empereurs. Les

32

Florkowska-Frančić, Halina, op. cit., pp. 24-25.

33 Erazm Piltz à (?), Lausanne, 1.11.1916, AAN, Akta Erazma Piltza 4, Mała Encyklopedia.

34 Explications concernant l’édition de la Petite Encyclopédie, 11.8.1915, AAN, Akta Erazma Piltza 4,

Mała Encyklopedia.

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informations sur la Pologne étaient recherchées. Les différents cahiers des Publications

encyclopédiques sur la Pologne. Encyclopédie Polonaise fribourgeoises, parurent

irrégulièrement jusqu’en 1921. Un changement de concept retarda également la publication. En 1918, on décida que la grande encyclopédie devrait être divisée en six volumes reconstruits différemment. En conséquence, les parties déjà imprimées avaient dû être réimprimées pour répondre aux nouveaux besoins éditoriaux.

Les travaux retrouvèrent un peu de leur élan en vue du Congrès de la paix à Paris. Un peu seulement, parce que les mêmes personnes qui façonnaient l’encyclopédie furent appelées à prendre part au travail de préparation des négociations parisiennes. En 1921, l’encyclopédie fribourgeoise changea de nom pour s’intituler : Les Publications

du Département national polonais en Amérique (Publikacje Wydziału Narodowego Polskiego w Ameryce). Il s'agissait d'une entreprise stratégique visant à flatter les

Polonais américains qui fournissaient les capitaux nécessaires à sa publication dans le but de résoudre ainsi les problèmes financiers qui les embarrassaient. Ceci ne suffit toutefois pas à résoudre l'ensemble du problème.36 De tous les membres du comité encyclopédique, Modzelewski fut le seul en Suisse à s'en occuper après la guerre. Les éditions encyclopédiques connaissaient de graves problèmes financiers que Modzelewski dut assumer également. Dans une lettre à Paderewski datant d’octobre 1923, il écrivait que 100'000 francs étaient nécessaires pour couvrir tous les frais engagés. Le problème était de taille. Modzelewski avait entendu que pendant la séance du Congrès des émigrés polonais à Cleveland en avril 1923, son président Jan Smulski avait décidé que 40`000 dollars seraient transmis sur le compte de l’encyclopédie. Plein d’espoir, Modzelewski décida de continuer l’impression des volumes encore manquants. La version française était presque achevée et l’anglaise bien avancée. Malheureusement d’autres informations beaucoup moins positives en provenance d’Amérique arrivèrent. La collecte des fonds rencontrait des difficultés. Il n’était pas sûr que la somme annoncée fût rassemblée.37 Une autre lettre mentionne les menaces des créanciers dont Modzelewski voulait éviter à tout prix l'exécution. Dans un premier temps, il proposa de se contenter d’une somme de 20`000 francs, et d'attendre que le

36 Ibidem, p. 27.

37 Jan Modzelewski à Ignacy Jan Paderewski, Berne, 11.10.1923, AAN, Archiwum Ignacego Jana

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reste lui parvienne six mois plus tard.38 Même les lettres d’encouragement des ministres des affaires étrangères Marian Seyda et Maurycy Zamoyski ne libérèrent pas Modzelewski de ses soucis.39 Le problème de l’encyclopédie se fit amer pour lui. En juin 1924, Modzelewski écrivait qu’il n’avait jamais tiré aucun profit ou mérite de l'encyclopédie, tant sur le plan financier que moral.40 Les créanciers continuaient pourtant d'attendre. En décembre 1924, Modzelewski suppliait encore qu'on lui versât les 25`000 dollars promis, parce que les 15`000 premiers n’avaient permis de calmer les choses que pour quelques mois.41 Finalement, quelques jours plus tard, la somme fut versée, véritable cadeau de Noël (il remerciait alors Paderewski pour les sommes reçues).42