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Jan Modzelewski descendait d’une famille installée aux Confins de la République des Deux Nations pour qui les traditions avaient une importance primordiale et qui estimait avoir une responsabilité quant à la prospérité du pays. Pour trouver les racines de sa noble ascendance, il faut remonter au Moyen Age sur les terres de Mazovie. Là-bas, dans le village Modzele, les ancêtres avaient construit leur résidence et Trzywdar ornait leur blason. En tant que représentants de l’ordre de chevalerie, ils prirent part aux batailles contre les Prussiens, tribu païenne venant du bord de la mer Baltique, contre les Lithuaniens, contre les chevaliers de l’ordre teutonique et plus tard contre les Suédois. Au temps de l’union entre la Pologne et le Grand-duché de Lituanie, certains membres de la famille avaient décidé de quitter le nid familial et s'étaient rendus soit en Livonie, soit en Podlachie.

Ces origines sont souvent présentées dans des ouvrages d’ordre généalogique, qui nous semble parfois un peu apologétique. Dans La famille. L’Armorial de la

noblesse polonaise (Rodzina. Herbarz szlachty polskiej), Seweryn Uruski fait remonter

l'origine de tous les Modzelewski à la Mazovie et affirme qu'ils appartenaient à une noblesse modeste. Ce n’est qu’à partir du XVIème

siècle qu’ils partirent pour gagner

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d’autres parties du pays et surtout la Podlachie. On trouve plusieurs hameaux portant le nom de Modzele dans les provinces mazovienne de Łomża et de Wizna, ce qui rend l'identification de l'origine précise de la famille difficile. De plus, les familles Modzelewski étaient nombreuses, et les distinguer les unes des autres est également compliqué. Le fait qu’elles changeaient souvent leur appartenance aux différents blasons accroît encore la confusion. Uruski le démontre en citant les attestations de l’Autorité héraldique du Royaume de Pologne, où les descendants d’un seul ancêtre se réclamaient souvent de deux ou trois blasons différents.5 Pour les Modzelewski, les blasons suivants apparaissent : Herburt, Bojcza, Bończa, Piasecznik, Syrokomla et justement Trzywdar. Même si Uruski ne cite aucune famille du sud de Pologne ayant porté ce blason, ce dernier était justement celui de la famille de Jan Modzelewski. Néanmoins, l’œuvre d’Uruski se concentre sur les familles de Mazovie, et ne remonte pas assez loin pour y trouver la branche de Jan Modzelewski qui avait quitté ce lieu d'origine.6

Le spécialiste de l'héraldique polonaise Kasper Niesiecki du XIXème siècle cite la description des armes de la famille d’Okolski : « Trois croix allongées se rencontrent en un lieu au milieu de l’écu ; deux d'entre elles montent en biais, l'une vers la gauche l’autre vers la droite. La troisième descend droit en bas, la croix n'ayant plus qu'un bras du côté gauche. Trois étoiles, une entre les deux croix, les deux suivantes au côté de la croix pendante. Les croix sont blanches, les étoiles dorées, le champ couleur sang et il y a 5 plumes d’autruche sur le timbre ». Okolski pensait que le blason signifiait « Tria in donum ». Mais lui non plus ne cite pas la famille Modzelewski comme portant ce blason.7

Il est prouvé qu’au XVIème

siècle, l'un des Modzelewski partit vers le sud suite à un différend avec son père concernant l’élection du nouveau roi de Pologne. Ce genre de conflits avait parfois cours dans d’autres familles aussi. Ignacy Modzelewski se retrouva aux alentours de Sanok, bien accueilli par son oncle paternel, en désaccord avec son frère lui aussi. Peu après, Ignacy partit avec son cousin pour combattre les

5 Il faut mentionner une grande différence entre la noblesse polonaise et les noblesses de l’Europe

occidentale : les familles polonaises recevaient un blason qui se transmettait à tous ses descendants alors qu'en Europe occidentale, chaque union donnait naissance à une nouvelle famille possédant son propre blason. En Pologne, plusieurs familles avaient donc le même blason du moment qu'elles avaient les mêmes ancêtres.

6 Uruski, Seweryn, Rodzina. Herbarz szlachty polskiej, T. XI, Warszawa 1914, p. 202. 7

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Cosaques dans les Champs sauvages en Ukraine. Finalement, il s’installa sur la terre de Sanok où il obtint le poste de panetier (stolnik) de la province. Son compagnon de batailles, le cousin Jakub, avait obtenu quant à lui le poste de trésorier du Trésor de champs de la Confédération de Bar pendant les émeutes suscitées par l’influence étrangère en Pologne.8

Le frère du grand-père de Jan Modzelewski, Justyn Modzelewski, servit sous Napoléon dans sa campagne contre la Russie en tant que capitaine et fut nommé capitaine d’un régiment de chasseurs de cavalerie par Józef Poniatowski, neveu du dernier roi de Pologne. Il poursuivit son activité après la défaite de Napoléon encore. Il prit également part à l’insurrection de 1830. Une fois le soulèvement terminé, habitant tout près de la Zbroutch qui marquait la frontière avec l’Autriche, il facilita l'évasion de rebelles et fut condamné pour cette activité à 2 ans de prison et sa demeure fut saccagée. Cette activité réfractaire se transmis à Narcyz, le fils de Justyn. Après ses études à l’École polytechnique, il prit part à la rébellion en 1846 puis en 1848, pendant le Printemps des peuples. Après une période de captivité, Narcyz fut intégré dans l’armée autrichienne et obligé de combattre contre les Hongrois. 9 ans plus tard, lorsque son service militaire terminé, il décida de traverser la frontière et de s’installer en Podolie, où habitait déjà la famille de son père. Malgré son mariage et le risque qu'encourait alors toute la famille, Narcyz n’abandonna pas son activité pour l’indépendance nationale. En 1863 encore, il décida de participer à l’insurrection de janvier. Actif dans la lutte contre l’oppresseur, il était conséquent dans sa fidélité aux valeurs traditionnelles défendues qu'il vivait au quotidien. Son fils unique, Tadeusz (et cousin de Jan, notre futur diplomate), avait reçu son prénom en mémoire du héros national Tadeusz Kościuszko. Que ses trois filles choisissent de se retirer du monde pour entrer au couvent ne fut d'ailleurs pas pour lui plaire.9

Malgré son activité patriotique, Narcyz n’avait pas perdu le sens des affaires, ni négligé de s'en occuper. Il était propriétaire de deux bâtiments à Lvov, dont l'un allait plus tard être vendu. Or, cette ville avait son importance et pour plusieurs raisons. Elle était avant tout la capitale de la Galicie autrichienne et serait par la suite un bon endroit pour l’éducation des jeunes générations. Il est confirmé aussi qu’une partie de la famille

8 Jóźwiak, Wanda, op. cit., pp. 36-37. 9

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Modzelewski habitait à Lvov : Jadwiga Wiśniewska, cousine de Jan et fille de Zygmunt, l'oncle de Jan, par exemple.10

Les mémoires de Narcyz Modzelewski, gardées avec piété par la famille, nous livrent un précieux témoignage quant aux opinions de ce dernier. Il commémorait également chaque événement familial, mariages et naissances, par des poèmes écrits exprès pour l'occasion. En 1903, sa famille organisa en grande pompe l’anniversaire de ses 80 ans. Il était le doyen de la famille et profondément respecté. Dans la mémoire familiale, Narcyz représentait l'exemple du sacrifice pour la cause nationale au plus haut degré. Il fut le membre de la famille qui aura donné et fait le plus pour cette cause et fut, pour les générations suivantes, l’exemple du comportement à adopter dans la lutte contre les régimes des usurpateurs.

En dépit des difficultés liées à la politique des oppresseurs, la famille Modzelewski en Podolie faisait partie de celles qui avaient réussi dans la vie quotidienne. Zygmunt Modzelewski, qui avait repris le domaine de son père (celui dont on a vu qu'il disait ne pas savoir administrer sans servage), apporte la preuve que si le fonctionnement ancestral était efficace, il fallait aussi faire preuve d’une certaine habilité et opter pour certaines modifications. Il réussit à administrer le patrimoine avec les nouvelles méthodes. Il construisit un nouveau manoir, en s’offrant certaines aisances. Le bâtiment fut équipé d’eau courante et du chauffage central. Zygmunt veillait aussi au développement de la localité. À ses propres frais, il fonda l’école pour les enfants des paysans. Le destin de cette lignée ne fut toutefois pas clément. Son fils, qui reprit le domaine, trouva aussitôt tragiquement la mort. Ses filles héritèrent des terres qui furent partagées en deux : le domaine de Łoszkowice revint à Maria Grocholska et le domaine de Morozów alla à Jadwiga Wiśniewska. Malgré tout ce qu'il tenta de faire pour la population durant sa vie, son portrait et celui de sa femme furent brûlés devant leur demeure pendant la révolution de 1917.11

10 Ibidem, p. 33. 11

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