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Tourisme et identités

III. Tourisme et identités : regard « postcolonial »

2. Tourisme et identités au prisme des études postcoloniales

Il s’agit maintenant de montrer en quoi ces recherches font écho au champ des études postcoloniales et en quoi elles gagneraient à s'y inscrire explicitement.

Déconstruire les rapports de force sous-tendus par les discours identitaires Le champ des études postcoloniales21 se donne pour objectif de comprendre, de déconstruire et de dénoncer les systèmes d’oppression passés et présents, en partie hérités de la période coloniale. Le terme « postcolonial » a d'abord été utilisé par les chercheurs dans un sens temporel (postérieur à la colonisation), pour caractériser la situation des pays issus de la décolonisation, puis aussi celle des pays anciennement colonisateurs22. Actuellement, le terme est plutôt employé dans un sens causal, pour désigner ce qui procède de rapports de domination de type coloniaux, sans distinction de temporalité.

Ce champ d'études s'inspire de l'une des idées qui a motivé le tournant culturel des sciences sociales, selon laquelle la culture constitue non un simple facteur explicatif des phénomènes sociaux mais un lieu majeur de production et d'expression de rapports de force (Collignon 2001, Hall 2007). Les études postcoloniales se donnent pour objectif d’analyser le rôle de la culture dans les processus de domination. Elles invitent à considérer les identités comme des discours sous-tendus par des rapports de force qu'il s'agit de déconstruire. C'est en cela que les recherches qui considèrent les identités mises en tourisme comme des lieux de négociation se rapprochent des études postcoloniales. Celles-ci postulent en plus que ces rapports de force ont une dimension coloniale. Cette idée semble constituer une clé de

21 Pour une histoire critique de ce champ d’études, je me réfère principalement aux écrits de Béatrice Collignon (2007), Claire Hancock (2001), Irène Hirt (2008) et Marie-Claire Smouts (2007).

Le champ des études postcoloniales est né aux Etats-Unis dans les années 1970, dans des études élaborées en littérature et en anthropologie notamment par des intellectuels issus du sous-continent indien et marqués par l’héritage de l’Empire colonial britannique. En France, le postcolonial a suscité des réticences, les ouvrages concernant ce courant étant le plus souvent critiques à son égard (Amselle 2008, Bayart 2010). Il n’a suscité d’intérêt que tardivement, dans les années 2000 en histoire (Stora 2012), au milieu des années 2000 en géographie, essentiellement en géographie culturelle (Collignon 2007, Hancock 2001). Auparavant, les géographes français faisaient déjà de la géographie postcoloniale, mais sans en revendiquer l’étiquette et sans avoir théorisé leur positionnement. Pour Smouts (2007), les réticences des chercheurs français sont liées à la rigidité des cloisonnements disciplinaires (qui interdisent la création de départements spécialisés dans les « postcolonial studies »), au primordialisme républicain et à la persistance du traumatisme colonial.

22 Comme le montre par exemple l’étude de Pascal Blanchard, Nicolas Bancel et Sandrine Lemaire (2005), intitulée La fracture coloniale. La société française au prisme de l’héritage colonial.

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lecture du processus de mise en tourisme des identités dans des contextes coloniaux et postcoloniaux, dans la mesure où les identités mobilisées par les acteurs touristiques y sont plus ou moins marquées par l’empreinte de la période coloniale.

Déconstruire les identités sociales et les imaginaires touristiques hérités de la colonisation

Les catégories sociales, des inventions coloniales

Les études postcoloniales s’attachent à déconstruire les identités sociales inventées et imposées à la période coloniale. Ainsi, Terence Ranger (1983) montre que les

« traditions » africaines dites « ancestrales » sont des inventions coloniales. Il analyse comment les colonisateurs ont importé dans les colonies africaines des traditions politiques et idéologiques européennes (la monarchie impériale dans l’empire britannique, la tradition républicaine dans l’empire français) et comment ils se sont attachés à sélectionner des éléments des cultures locales favorables à la présence coloniale, à les proclamer « traditions africaines », tout en les rigidifiant et en les simplifiant. Il se penche notamment sur la « tribu ». Selon lui, elle a été codifiée par les colonisateurs parce qu’elle paraissait garante de stabilité. Les colonisés ont été contraints de se plier à cette définition d’eux-mêmes - même si leurs identités précoloniales étaient multiples et ne se résumaient pas à la tribu. Le pouvoir colonial a donc manipulé la catégorie sociale de la « tribu » et l’a imposé.

Ce type d’analyse vise à montrer que la culture a fait l’objet d’une instrumentalisation de la part des colonisateurs, à des fins politiques, pour contrôler les colonisés.

D’autres recherches analysent et dénoncent la perpétuation de représentations coloniales à travers l’usage actuel de catégories sociales forgées à la période coloniale. Dans L’orientalisme. L’Orient créé par l’Occident, Edward Saïd (2005 [1978]) démontre que l’utilisation contemporaine du terme d’« Orient » perpétue des représentations du monde imprégnées d’une vision coloniale et reflète la domination de l'Occident sur l'Orient tout en la renforçant. Il s’efforce de déconstruire ces représentations et ce qu’elles doivent à la colonisation pour dénoncer les logiques de pouvoir sur lesquelles elles reposent.

La dimension coloniale des imaginaires touristiques

Dans la lignée des recherches qui déconstruisent les catégories sociales héritées de la période coloniale, de nombreuses études ont été réalisées, notamment en histoire, sur la façon dont les colonisateurs ont instrumentalisé le tourisme et ont

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façonné des imaginaires touristiques susceptibles de présenter les sociétés locales comme inférieures, pour promouvoir les bienfaits de la colonisation (voir par exemple Zytnicki et Kazdaghi 2009, sur le tourisme dans l’Empire français). Dans la même veine, des anthropologues (Hall 2005) ont présenté le tourisme comme un

« soft power », un instrument utilisé par les anciens colonisateurs pour perpétuer les représentations des anciens colonisés qu’ils avaient façonnées, de façon à continuer à exercer une domination culturelle sur ceux-ci. Dans le champ de la géographie culturelle francophone, Jean-François Staszak (2012) s’est efforcé de montrer que les imaginaires touristiques contemporains restent imprégnés de représentations coloniales de l’Autre et de l’Ailleurs, que ce soit dans les formes de tourisme où il y a domination du touriste occidental sur les Autres, comme dans le tourisme sexuel, ou dans les formes de tourisme plus classiques. Il dévoile les fondements coloniaux de la quête d’« exotisme » des touristes. Il propose de comprendre l’« exotisation » comme un processus de construction de l’altérité propre à l’Occident colonial, qui réduit l’Autre au rang d’objet de spectacle et de marchandise (Staszak 2008). D’autres auteurs (Gauthier 2013) se sont penchés sur la manière dont des photographes de la seconde moitié du XIXe siècle, à l’époque de la colonisation et du développement du tourisme, ont participé à la diffusion d’imaginaires de l’Autre et de l’Ailleurs empreints d’un regard colonial, et sur la pérennité de ces imaginaires.

Apports et limites de la déconstruction des imaginaires touristiques

Du point de vue de la réflexion sur le couple tourisme-identités, ces études permettent de lire les imaginaires touristiques véhiculés par certains acteurs touristiques comme plus ou moins hérités de la période coloniale. Elles adoptent une posture critique, dénonçant la persistance d’imaginaires qui conduisent à dévaloriser les sociétés d’accueil et à considérer leurs identités de manière condescendante. Elles s’inscrivent dans la lignée de recherches qui montrent que les rapports touristiques sont des rapports néocoloniaux, parce qu’ils mettent en présence des acteurs occidentaux dominant les sociétés d’accueil, par leurs moyens financiers et par les identités qu’ils imposent à ces sociétés de jouer23. Cette posture déconstructiviste et dénonciatrice, nécessaire, me semble néanmoins présenter certains risques. Elle peut conduire à opposer les représentations des touristes occidentaux sur les populations « autochtones » aux

23 Voir par exemple Jaackson (2005) sur les relations néocoloniales entre touristes et sociétés d’accueil et Akama (2005) sur la domination des TO étrangers sur le tourisme de safari au Kenya.

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représentations que celles-ci se font d’elles-mêmes, et à présenter les sociétés locales comme subissant les représentations des touristes occidentaux et les rôles qu’on entend les faire jouer. En ce sens, elle rappelle les recherches réalisées dans les années 1980 sur le tourisme comme nouvel impérialisme et rejoint le paradigme des impacts. Elle risque, plus généralement, de réifier les catégorisations et les hiérarchisations coloniales qu’elle s’efforce pourtant de dénoncer : le fait de porter son attention sur les identités héritées de la période coloniale conduirait à les remettre au premier plan (Hancock 2001). Ainsi, selon Bayart (2010, p. 66), « nous devons nous interroger sur la continuité du colonial et du postcolonial que véhiculent les postcolonial studies elles-mêmes et nous demander dans quelle mesure elles ne participent pas à la reproduction de l’hégémonie coloniale, en particulier à celle des catégories identitaires nées de celle-ci ». Surtout, ces recherches risquent de focaliser l’attention sur les identités héritées de la colonisation (même si c’est pour les déconstruire), au détriment des identités revendiquées par les populations concernées.

Les recherches précédemment citées évitent pourtant ces risques. Premièrement, elles interpellent les lecteurs sur leurs propres imaginaires, pour leur faire prendre conscience de la dimension souvent néocoloniale de ceux-ci, et les faire évoluer.

Deuxièmement, elles reconnaissent aux sociétés locales la capacité de réutiliser les imaginaires touristiques hérités de la période coloniale, dans des stratégies propres. Ainsi, Staszak (2012) considère que les travailleuses et les travailleurs du sexe, dans les pays d’accueil, ne sont pas les objets passifs de l’imaginaire néocolonial des touristes sexuels, mais qu’ils jouent sur cet imaginaire, les reprennent à leur compte. Il convient d’approfondir l’analyse des stratégies mises en œuvre par les sociétés d’accueil pour contrer l’imposition d’images d’elles-mêmes héritées de la colonisation ou, au moins, pour négocier ces images avec les acteurs qui les imposent.

Considérer et revaloriser les identités collectives revendiquées : les « subaltern studies »

Conscients des risques potentiels de la démarche consistant à déconstruire les identités sociales héritées de la colonisation, certains courants des études postcoloniales se sont donnés pour objectif de focaliser leur attention sur les identités collectives revendiquées et sur la façon dont les sociétés locales reprennent à leur compte les catégories sociales ou les imaginaires touristiques hérités de la période coloniale, en les réinventant. Il s’agit, comme le propose

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Hancock (2001, p. 95), de « rendre la parole à des populations locales sur leurs représentations spatiales et leurs identités, sachant que le colonisateur y a inévitablement laissé des traces indélébiles ». Ce projet reflète celui des études postcoloniales dans leur ensemble. Pour Smouts (2007, p. 33), « le postcolonial est une approche, une manière de penser les problèmes, une démarche critique qui s’intéresse aux conditions de la production culturelle des savoirs sur Soi et sur l’Autre, et à la capacité d’initiative et d’action des opprimés dans un contexte de domination hégémonique ».

L’ethnie : invention coloniale et réinventions postcoloniales

Certains auteurs qui s’attachent à déconstruire les catégories sociales inventées à l’époque coloniale, telle l’« ethnie », soulignent également la capacité des sociétés locales à les réutiliser. Tel est l’objectif que s’assignent Amselle et M’Bokolo (2005 [1985], p. 2) : « il s’agissait pour nous de mettre au premier plan le constructivisme aux dépens du primordialisme. En montrant qu’on ne pouvait assigner un seul sens à un ethnonyme donné, nous mettions l’accent sur la relativité des appartenances ethniques sans pour autant dénier aux individus le droit de revendiquer l’identité de leur choix ». Ils montrent comment l’ethnie est utilisée par certains mouvements identitaires pour revendiquer plus d’autonomie et également par certains Etats africains, qui mettent en avant la diversité ethnique pour mieux masquer leur refus du pluralisme politique.

Entendre et faire entendre les identités revendiquées par les subalternes

Les « subaltern studies » se sont plus systématiquement efforcées de rendre leur place aux cultures dominées et de revaloriser les discours identitaires minorés.

Elles invitent à ne pas seulement déconstruire les discours des dominants, pour dénoncer leur prétention universaliste et les rapports de pouvoir qu’ils instaurent, mais aussi à prendre en considération et à reconsidérer le discours de ceux qui n’ont pas voix au chapitre. Ce courant des études postcoloniales émerge au cours des années 1980 autour d’historiens indiens, inspirés par la pensée marxiste et par celle d’Antonio Gramsci. Le projet initial, tel qu’il est formulé par Ramachandra Guha (1998), est de déconstruire l’histoire officielle de l’Empire britannique des Indes orientales et d’écrire une autre histoire, relayant le point de vue des subalternes et valorisant les mouvements de résistances populaires et paysannes.

Pour Gayatri Spivak (2009 [1988]), il s’agit d’entendre et de faire entendre la voix des subalternes, de faire exister les dominés non seulement comme objet mais aussi comme sujet du discours. Elle entend valoriser les identités politiques revendiquées par les groupes minorés, dans une approche compréhensive. Ces

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auteurs entendent ainsi valoriser la capacité d’initiative et d’action des opprimés et considérer les populations minorées comme des acteurs faiseurs d’identités (Guha 1998), se réappropriant ou rejetant les identités que le colonisateur leur a imposées (Bhabha 1994).

Le projet des subaltern studies répond aux critiques adressées aux recherches qui déconstruisent les identités, perçues comme pouvant potentiellement dévaloriser les identités revendiquées, les délégitimer au prétexte qu’elles ne sont que des inventions24. Avanza et Laferté (2005, p. 137) voient dans ces approches le risque

« de considérer que, puisque tout est « socialement construit », rien n’est essentiel, inévitable, tout est déconstruction, révisable », et redoutent qu’elles ne soient les instruments de la « négation de la réalité des objets sociaux indésirables ». Ces auteurs demandent que les identités revendiquées par les groupes minorés ne soient plus présentées comme de simples constructions intellectuelles mais qu’elles soient prises en compte comme faisant partie intégrante d’une réalité sociale empirique que l’on ne peut ignorer et qu’elles soient reconsidérées. Jodi A. Byrd et Michael Rothberg (2011) prônent le recours aux « subaltern studies » pour démystifier sans délégitimer les revendications identitaires. Selon eux, la notion d’« essentialisme stratégique », forgée par Spivak (1988), permet de comprendre que les discours identitaires correspondent à des stratégies complexes établies dans des contextes singuliers, tout en reconnaissant l’existence et la légitimité de ces discours.

Apports des études subalternes à la réflexion sur le couple tourisme - identités Du point de vue de la réflexion sur le couple tourisme-identités, les études subalternes présentent différents intérêts.

Premièrement, elles permettent d’étudier dans quelle mesure les identités mobilisées par les acteurs touristiques sont marquées de l’empreinte de la période coloniale. Elles invitent à dénoncer la mobilisation par certains acteurs touristiques d’imaginaires hérités de la période coloniale, conduisant à la persistance chez les touristes de représentations coloniales des sociétés d’accueil. Elles donnent des jalons pour analyser comment ces acteurs se positionnent par rapport aux imaginaires hérités de la colonisation, comment ils se réapproprient, modifient,

24 Ce type de critiques a été adressé aux approches constructivistes des identités par des chercheurs qui étudient les revendications identitaires autochtones (voir Bosa et Wittersheim 2009, Dorais 2009, Friedman 2009, Gagné 2009 et Morin 2011). Pour une lecture plus précise de ces auteurs, je renvoie à mon article paru dans Espaces, populations, sociétés en 2012.

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réinventent ou rejettent ceux-ci. Ainsi, elles permettent d’analyser les identités telles qu’elles sont revendiquées et valorisées par les acteurs touristiques.

Deuxièmement, elles invitent à comprendre les identités défendues par les acteurs touristiques comme négociées dans le cadre de rapports de pouvoir de nature néocoloniale, avec des acteurs qui ne prennent pas la même distance vis-à-vis des imaginaires hérités de la colonisation (comme les TO, qui dominent le marché touristique et véhiculent souvent des imaginaires hérités de la colonisation). Sur ce point, l’apport de l’approche subalterne réside dans le fait qu’elle permet de ne pas dénier aux acteurs touristiques une capacité d’action et de réaction face aux acteurs dominants.

Troisièmement, elles invitent à comprendre les identités mises en tourisme dans le cadre des rapports de pouvoir qui structurent les sociétés d’accueil. En effet, les identités retravaillées par les subalternes ne font souvent sens que pour une élite.

Certains auteurs ont reproché à la catégorie des « subalternes » d’être une catégorie trop globalisante, ne permettant pas de saisir la complexité des mobilisations identitaires (Assayag 2007). D’autres (Byrd et Rothberg 2011) ont montré que les subalternes forment une catégorie qui n’est ni unanime ni unie, car les élites jouent un rôle majeur dans la représentation des subalternes. Selon eux, l’idée d’un groupe uni par le fait qu’il n’a pas la parole empêcherait les chercheurs de focaliser leur attention sur le rôle central des élites dans les mouvements de résistance réellement existants. D’autres (Pouchepadass 2000), enfin, pensent qu’assimiler les subalternes à une entité sociale empirique risque de réifier l’opposition, fausse, entre les élites et les subalternes. Dès 1988, Spivak était consciente des limites de la notion de subalterne et soulignait la nécessité d’introduire des nuances sociales dans la catégorie, qu’elle considérait comme hétérogène. L'auteure invite donc à analyser les profils des acteurs touristiques, leur position au sein des sociétés locales, pour voir s’ils constituent une élite, s’ils imposent à ces sociétés les identités qu’ils mettent en tourisme ou s’ils négocient ces identités avec elles (et, dans ce cas, avec qui). Ainsi, les études subalternes donnent des clés pour analyser les identités mises en tourisme comme des négociations entre les acteurs touristiques et certains membres des sociétés locales et pour étudier la constitution de sous-cultures touristiques.

L’apport des études subalternes à la réflexion sur le couple tourisme-identités est limité sur plusieurs points. Je vais en évoquer deux.

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Le risque de rester prisonnières des situations nationales

Premièrement, il a pu être reproché aux études subalternes de rester prisonnières des situations nationales (Bayart 2010). Jacques Pouchepadass (2007) pense qu’elles sont dépassées par l’avènement d’identités transnationales, la mobilisation de référents identitaires transnationaux et de réseaux d’acteurs permettant de défendre ces identités. Il propose, pour renouveler les « postcolonial studies », de passer du « post », d’une approche verticale de la construction des identités, au

« trans », à une approche horizontale, mettant l’accent non sur l’histoire mais sur l’espace et les interactions. Il garde malgré tout une attitude prudente, en soulignant que le cadre national reste important pour penser les identités, car de nombreux groupes utilisent des ressources identitaires mondialisées pour revendiquer davantage de reconnaissance dans le cadre des Etats-Nations.

Cette critique me semble excessive. Il est vrai que les premières études

« subalternes » ont focalisé leur attention sur le cadre national de l’Inde. Mais nombre d’auteurs qui se positionnent dans le champ des études postcoloniales affirment leur volonté de faire voler en éclat les cadres analytiques européens, dont celui de l’Etat-Nation, et de prendre en compte toutes les échelles de référence identitaire. De plus, certaines grandes figures du mouvement postcolonial, tel Arjun Appadurai, ont été parmi les premières à montrer que la mondialisation met à la disposition des groupes sociaux des moyens d’action - tels que des réseaux militants transnationaux et des référents identitaires globalisés -, qui constituent des ressources sans précédent au service de leurs stratégies. Il a également montré que la mondialisation permet une réaffirmation d’identités locales, qui étaient étouffées dans le cadre de l’Etat-Nation, lorsqu’il était encore le référent identitaire majeur. Il me semble que les études postcoloniales, dans leur version la plus récente, ne proposent pas autre chose que de considérer les discours identitaires aux diverses échelles auxquelles ils font référence : transnationale et locale, autant que nationale.

Ce débat permet d’interroger la dimension territoriale des identités mises en tourisme et négociées par les acteurs touristiques, qui mobilisent des référents identitaires renvoyant à des échelles variées. Il convient donc, pour prendre en compte ces différents référents, de compléter les approches postcoloniales et subalternes par des approches post-nationales des identités.

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Le risque de se focaliser sur les discours, au détriment des pratiques

Deuxièmement, il a pu être reproché aux études postcoloniales de prendre peu en

Deuxièmement, il a pu être reproché aux études postcoloniales de prendre peu en