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Du « terrain » aux terrainS

II. Choisir les terrains

3. Un terrain « multi-site »

Si le « terrain » de cette recherche est composé d’espaces qui constituent des ensembles cohérents de projets touristiques, il ne peut s'y résumer. En effet, les projets sont portés par des acteurs qui ne se situent pas toujours physiquement sur le lieu des projets qu'ils réalisent en montagne, qui sont mobiles et s'insèrent dans des réseaux d'acteurs locaux, régionaux, nationaux. Les espaces autres qu'ils parcourent ou dans lesquels ils se fixent contribuent à donner du sens à leurs projets : ils disent quelque chose des acteurs, de leurs trajectoires socio-spatiales, donc de l’histoire de leurs projets. Pour cette raison, il m'a fallu également prendre en compte dans mon étude les espaces des acteurs et m'y rendre pour les y rencontrer.

Cosmopolitisme méthodologique, anthropologie multi-site et terrain mobile Plusieurs auteurs se sont attachés à montrer l'intérêt d'une approche pluri-spatiale pour les recherches portant sur des mouvements identitaires. Ainsi, Ulrich Beck (2006) prône la prise en compte des connexions et réseaux constitutifs de ces mouvements, bien souvent influencés par des acteurs et des phénomènes qui se déroulent à l'échelle internationale. Pour considérer les revendications identitaires comme une dynamique dépassant le cadre national, l'auteur propose d'adopter une nouvelle position de recherche, un cosmopolitisme méthodologique, à la place du seul nationalisme méthodologique, qui conduit selon lui les chercheurs en

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sciences sociales à assigner les individus à une identité unique, nationale. Il les invite à prendre en compte la cosmopolitisation du monde et des identités, à comprendre ces dernières comme renvoyant à des échelles différentes, aussi bien transnationale que locale et encore souvent nationale.

D'autres auteurs (Marcus 1995) ont montré que le contexte de mondialisation actuel entraîne une complexification des objets de recherche et remet en cause le terrain ethnographique classique, sédentaire et topographique, réalisé pendant un séjour fixe, long, dans un lieu unique67. Il prône, pour étudier la circulation de représentations, d’objets et d’identités dans des espace-temps diffus, une anthropologie « multi-site » impliquant un travail de terrain prenant en compte le temps long et des lieux différents. Julien Brachet (2012) montre la pertinence d'une pratique de terrain mobile quand l'objet d'étude est mobile : pour comprendre les tenants et les aboutissants des migrations transsahariennes, le chercheur doit suivre les migrants dans leur mobilité.

Un terrain multi-situé dans l'espace

Dans mon étude, la mobilité est une donnée importante : les touristes et les guides qui les accompagnent sont mobiles pendant les séjours. Pour comprendre ce qui se joue durant ceux-ci, j'ai ponctuellement suivi des groupes de touristes. Mon terrain peut être considéré comme un « terrain mobile », dans le sens où j'ai suivi les acteurs dans leur mobilité, ou comme un « terrain rhizomique » qui « suppose de travailler à la fois dans plusieurs sites fixes et en mouvement entre ces sites » (Brachet 2012, p. 555).

Mon terrain peut aussi être considéré comme un « terrain archipélagique », c'est-à-dire focalisé sur les espaces de fixité des acteurs mobiles. En effet, les porteurs de projets touristiques effectuent des allers retours entre la montagne, où ils réalisent leurs projets touristiques, et les grandes villes marocaines et l'étranger, où ils vivent parfois et où ils se rendent ponctuellement pour rencontrer des partenaires ou des membres d'un réseau touristique ou militant. Je suis allée interroger les acteurs dans les lieux où ils se fixaient pour un temps68.

67 Cette conception classique du terrain a imprégné aussi la géographie vidalienne, focalisée sur la région, et a influencé les géographes travaillant dans des terrains lointains. Quand le « choc culturel » était considéré comme plus important pour le chercheur, il lui était conseillé de réaliser un séjour de longue durée, en un même lieu, au sein d'une même population.

68 Ainsi, j'ai rencontré : des porteurs d'initiatives privées à Marrakech, Azilal et Casablanca ; des guides à Marrakech (à la fin des circuits) ; des voyagistes marocains à Marrakech ; des membres d'associations régionales à Azilal, Demnate, Beni Mellal et Taroudant ; des membres

137 Un terrain multi-situé dans le temps

Marcus préconise, dans l'article de 1995 déjà cité, un travail de terrain permettant de prendre en compte les différents espaces dans lesquels s'inscrivent les acteurs du phénomène étudié et également les différentes temporalités de ce phénomène.

Cette proposition fait sens dans mon cas : les acteurs du tourisme dit alternatif se positionnent par rapport à des représentations héritées de la colonisation. Il a donc paru nécessaire d'analyser les imaginaires touristiques de la montagne marocaine véhiculés durant le Protectorat français par les acteurs touristiques (j'y reviens en détail plus loin).

Il convient maintenant d'exposer les méthodes de collecte et d'analyse des données que j'ai choisi d'adopter, ces méthodes faisant partie intégrante du

« terrain », compris comme une construction scientifique.

d'associations nationales à Marrakech, Casablanca, Rabat, Kénitra, Meknès, Agadir et Taroudant ; des représentants d'institutions chargées du tourisme à l’échelle d’une province à Azilal, Tahanaoute et Taroudant, à l’échelle d’une région à Beni Mellal, Marrakech, Agadir et Ouarzazate, à l’échelle nationale à Rabat ; des membres de réseaux internationaux à Lyon et Genève, pour les associations amazighes, en Ardèche et dans la Drôme, pour les associations agro-écologiques ; des voyagistes français à Villeurbanne, Bourgoin-Jallieu et Lyon ; une ONG de solidarité internationale à Grenoble.

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Chapitre 4.