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Du « terrain » aux terrainS

II. Choisir les terrains

2. Les espaces d’étude « témoins »

En complément de ces trois espaces d’étude, d’autres espaces et projets ont fait l’objet de mon attention. Il s’agit de la station de ski de l’Oukaïmeden (Haut Atlas occidental), du site des cascades d’Ouzoud et de la vallée des Aït Bou Oulli (versant Nord du Haut Atlas central), de la région de production des roses de Kelaat M’gouna (vallée du Dadès), du village et de la kasbah de Timidarte (vallée du Draa) et du projet de l’association Terre et Humanisme à Skoura (Jbilet). Ils m’ont servis d’incubateurs de réflexion, de points de comparaison, me permettant de mettre en perspective les dynamiques que j’observais dans les espaces d’étude principaux.

Certains de ces espaces et projets « témoins » m’étaient présentés par les acteurs des espaces d’étude principaux tantôt comme des modèles à suivre, tantôt comme des contre-modèles. Je me suis donc intéressée autant aux projets en eux-mêmes qu’aux représentations que pouvaient en avoir les acteurs des projets situés dans les espaces d’étude principaux. La présentation de ces espaces d’étude complémentaires s’appuie sur l’ouvrage de Troin (2002) et sur les données plus récentes comprises dans les monographies des communes concernées.

La station de ski de l’Oukaïmeden

L’Oukaïmden est une commune située dans le Haut Atlas occidental, à 74 kilomètres de Marrakech, à laquelle on accède par la vallée de l’Ourika. Elle est relativement peu peuplée62 : les personnes qui travaillent à la station n’y résident pas, car elle n’a pas été créée à partir d’un noyau villageois existant. Elle date de la période coloniale : à partir de 1936, des routes, le refuge du Club Alpin Français, des chalets privés, 2 hôtels, et 2 téléskis y sont construits et, en 1948, des championnats de ski y sont organisés. Actuellement, le domaine skiable couvre 300 hectares, concentrés sur le flanc Nord du Jbel Oukaïmeden, entre 2620 et 3262 m d’altitude. Il est équipé d’1 télésiège et de 6 téléskis d’une capacité de 4000 skieurs par heure63.

62 La commune comprend 4440 habitants en décembre 2009 selon la DPE Al Haouz.

63 Selon la Monographie de la province Al Haouz (juin 2010).

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Figure 10 : la station de l’Oukaïmeden (octobre 2011).

Figure 11 : le télésiège de l’Oukaïmeden (février 2009).

Mais la station est peu fréquentée, du fait, entre autres, d’un problème d’enneigement récurrent ces dernières années. Face à ces difficultés, le Roi a décidé d’appuyer un projet financé par le groupe émirati Emaar sur une superficie de 600 hectares et pour un montant global de 1,4 milliards de dollars. Le projet vise à étendre le domaine skiable et la saison de ski, en ayant recours à la neige artificielle, et à attirer une nouvelle clientèle, en installant des hébergements de luxe, un golf et un centre commercial.

Le site des cascades d’Ouzoud

L’évolution du site de l’Oukaïmeden peut être mise en regard de celle des cascades d’Ouzoud. Ce site, à 36 km à l’Ouest d’Azilal, dans la commune d’Aït Taguella, borde le Haut Atlas central. Bien relié par la route à Marrakech et aux pôles touristiques régionaux (Beni Mellal, Azilal et Demnate), le site accueille 100 000 touristes par an, avec un pic de fréquentation en été64. Le tourisme s’y est développé particulièrement à partir de la fin des années 1990. La clientèle est une clientèle nationale, populaire. Les visiteurs restent une journée, pendant le weekend, et quelques jours, pendant les vacances. Dans ce cas, ils séjournent dans des campings ou des auberges. Quelques groupes d’étrangers font une excursion d’une demi-journée aux cascades. Certains touristes étrangers voyageant individuellement s’y arrêtent quelques jours et logent dans leur camping-car ou dans un hôtel. Durant leur séjour, les touristes se promènent, profitent de la fraîcheur des cascades et des nombreux cafés-restaurants situés à proximité, et réalisent quelques achats dans les bazars.

64 Selon le Schéma Régional d’Aménagement du Territoire, 2008.

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Figure 12 : touristes près des cascades (avril 2011).

Le site connait de nombreuses difficultés : saturation en été, pollution (bien que le site soit classé comme SIBE depuis 1943), manque de coordination entre les acteurs, absence de valorisation des produits locaux, manque de retombées économiques du tourisme pour les habitants de la commune, manque de diversité des activités. Face à ce constat, les autorités ont décidé de réaménager le site. Le projet revendique une dimension patrimoniale puisqu’il prévoit la création d’un circuit de randonnée qui permette de valoriser le patrimoine local naturel (grottes, sources de Tabounoute) et culturel (moulins à grains, greniers, village et zaouia de Tanaghmelt, tissage).

Les deux grands projets de réaménagement des sites de l’Oukaïmeden et d’Ouzoud permettent d’examiner les politiques touristiques menées par les institutions publiques en montagne dans leur ensemble et dans leurs contradictions, et de mieux situer les projets menés par les autorités qui visent à protéger et valoriser le patrimoine. Ils permettent de plus de mieux comprendre les projets dits alternatifs réalisés par des acteurs privés et associatifs, leurs responsables considérant les programmes de réaménagement de ces sites comme des repoussoirs.

Aït Bou Oulli

La vallée des Aït Bou Oulli est la voisine de la vallée des Aït Bouguemez. Elle fait partie des 4 communes ayant bénéficié du PHAC. Cependant, les flux touristiques sont restés réduits et les infrastructures touristiques peu nombreuses (il existe 8 gîtes contre 41 dans les Aït Bouguemez65), si bien que la vallée a peu bénéficié des effets du tourisme, contrairement à sa voisine66. Les touristes (en majorité

65 Selon les Diagnostics Territoriaux Participatifs des deux communes (février 2010).

66 La vallée est décrite comme une « poche de pauvreté » dans le Diagnostic Territorial Participatif. Elle est plus en difficultés que sa voisine, tous les indicateurs économiques et sociaux lui étant défavorables. Pour n’en donner qu’un seul : en 2007, le taux de pauvreté atteignait

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étrangers) qui viennent visiter la vallée font de la randonnée et parfois du ski au Jbel Rat. Quelques voyagistes proposent en effet des circuits qui passent par la vallée. Depuis quelques années émerge une offre touristique qui valorise davantage les spécificités de la vallée (grottes, gravures rupestres, village fortifié d’Abachkou, savoir-faire artisanaux, danses et chants, paysages plus encaissés que ceux de la vallée des Aït Bouguemez). Cette nouvelle offre est principalement le fait d’un guide-propriétaire de gîte qui s’inscrit dans différents réseaux de tourisme dit alternatif et est en lien, par ce biais, avec des acteurs de la vallée des Aït Bouguemez et de la région de Taliouine. Son projet s’inspire de leurs réalisations. Il m’intéresse dans la mesure où il est le produit d’une réflexion nourrie d’échanges avec d’autres acteurs et dans laquelle le porteur du projet a une vision externe des projets menés dans les Aït Bouguemez et à Taliouine.

Kelaat M’Gouna et Timidarte

Ces deux espaces d’étude complémentaires se situent dans la région Souss-Massa-Draa, à proximité d'Ouarzazate : dans la vallée du Dadès, au Nord-Est d'Ouarzazate, dans la Province de Ouarzazate pour Kelaat M’Gouna, et dans la vallée du Draa, au Sud-Est de Ouarzazate, dans la Province de Zagora, pour Timidarte. Ils relèvent eux-aussi d’espaces de marge, où l’agriculture oasienne, dominée dans le Draa par le palmier-dattier et dans le Dadès, plus en altitude, par les noyers, les figuiers et les oliviers, est menacée par différents facteurs (aridité dans le Draa, ensablement des canaux d’irrigation, spéculation, etc.). Les populations de ces espaces peuvent néanmoins compter sur l’appui des migrants partis à l’étranger et dans les grandes villes marocaines (dans la fonction publique et l’armée), sur les associations qu’ils contribuent à animer, et sur le passage des touristes qui vont vers Errachidia et Zagora, attirés par les étendues désertiques du Sud-Est. La région de Kelaat M’Gouna est de plus un lieu de passage de randonneurs étrangers (la région a elle-aussi bénéficié du PHAC) et un lieu de séjour pour les touristes, étrangers et marocains, qui viennent visiter les kasbahs et assister au moussem (festival) de la rose, au mois de mai (figure 13). La région est intéressante en ce qu’elle a une expérience de valorisation du patrimoine architectural en terre et d’un produit du terroir, la rose, que je peux comparer avec le processus de valorisation du safran dans la région de Taliouine, plus tardif. A Timidarte, je me penche sur un projet de tourisme patrimonial mené en étroite collaboration entre un acteur privé et une association villageoise, qui vise à valoriser la kasbah et le ksar du village (figure 14).

10,6% dans la commune de Tabant et 19,1% dans la commune des Aït Bou Oulli, selon le Haut-Commissariat au plan.

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Ce projet m’intéresse car il est considéré par certains acteurs touristiques de la région de Taliouine comme un modèle à suivre.

Figure 13 : une échoppe pendant le moussem de la rose (mai 2010).

Figure 14 : le ksar en cours de rénovation vu depuis le haut de la kasbah rénovée (novembre 2011).

Skoura

Le dernier projet complémentaire étudié est celui réalisé par l’association Terre et Humanisme Maroc (THM), une association militant en faveur de l’agro-écologie, dans un village situé dans les « Jbilet », au Nord de Marrakech, dans la plaine du Haouz. Cette petite barrière montagneuse, qui ne dépasse pas les 900 mètres d’altitude, domine de petites cuvettes arides. Celle de Skoura ne permet qu’une agriculture de subsistance, basée sur la céréaliculture et un peu d’élevage. Le village frappe par sa pauvreté. Le projet de THM est de créer un jardin agro-écologique expérimental et d’en faire un centre de formation pour les paysans marocains et les étrangers demandeurs. L’accueil de touristes apporterait les ressources nécessaires pour faire fonctionner le centre. Le projet est intéressant en ce qu’il constitue une réflexion sur le(s) tourisme(s) dits alternatif(s), sur le respect et la valorisation des singularités du village d’accueil, et en ce qu’il constitue une source de réflexion pour des acteurs touristiques de Taliouine impliqués par ailleurs dans l’association THM.

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Figure 15 : le village de Skoura (R. Viegas, printemps 2010).

Précisons enfin que ma réflexion a également été alimentée par quelques autres lieux (vallée du N’fiss, Tazenakht, oasis de Tioute) et projets touristiques, notamment des musées, qui mettent en scène la « berbérité ». Il s’agit de la Maison de la Photographie, du musée Dar Si Saïd et du Musée berbère du jardin Majorelle à Marrakech, du Musée archéologique de Rabat et du Musée municipal du patrimoine amazigh à Agadir.