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Tourismes et identités dans les Atlas

I. Les impacts du tourisme sur les identités

2. Les identités dans les marges : lecture par les « impacts »

Les critiques évoqués précédemment renvoient aux recherches effectuées en géographie sur le développement des marges marocaines, qui considèrent que les sociétés montagnardes sont perturbées par des politiques ne tenant pas assez compte de leurs spécificités culturelles et, plus généralement, par ce qui vient de l’extérieur.

Une insuffisante prise en compte des sociétés locales

Dans les années 2000, de nombreux travaux ont été menés en géographie sur les politiques réalisées dans les Atlas au nom du « développement durable ». Ils décrivent le passage d’un « système makhzénien » de gestion des territoires, centralisé et destiné à contrôler les marges (Planel 2009), à un système basé sur

30 Peyron (2010 (2)) affirme ainsi que « les limonadiers de l’aventure qui proposent la Grande Traversée du Haut Atlas en 22 jours se targuent de pratiquer une forme de « tourisme responsable » voire « durable » : formule floue, fourre-tout, qui sert à donner à ces agences bonne conscience, à rassurer leurs clients, sans que l’on sache vraiment de quoi il s’agit. Esbroufe et faux-fuyant, nous pensons que tout cela flaire l’effet d’annonce plutôt qu’autre chose ! ».

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une « logique de participation » (Fauvel et Vanier 2006), encourageant la réalisation de projets de développement en concertation avec les collectivités et les associations locales, dans le contexte du désengagement de l’Etat suite aux plans structurels des années 1980, du succès des modèles de « développement durable » et de la « bonne gouvernance », prônés par les organisations internationales, et du développement spectaculaire des associations dans les espaces ruraux (Chraibi Bennouna 1999).

Ces politiques dites participatives ont fait l’objet de critiques multiples31. Giraut et Boujrouf (2000) montrent ainsi que les périmètres de mobilisation locale et associative ne sont pas pris en compte dans les périmètres de gestion administrative, ce qui limite fortement « l’innovation par le bas », par les associations (Boujrouf 2005 (1), p. 11). Fauvel et Vanier montrent que la logique de participation est concurrencée et fragilisée par la « logique de concession », par laquelle un grand projet de développement est concédé à un acteur privé, sur un périmètre déterminé non pas en concertation avec les acteurs locaux mais par les acteurs politiques nationaux. Pour Planel, les démarches dites participatives cachent la permanence d’un système de gestion territoriale très centralisé. Elles serviraient, selon Guyetant-Fauvel (2009), à imposer des politiques toujours définies à l’échelon national, au prétexte que les populations ont été sensibilisées à tel ou tel enjeu. La critique principale adressée aux politiques de développement durable appliquées dans les marges au Maroc porte sur le manque de considération qu’elles accordent aux sociétés montagnardes, alors même qu’elles prônent leur participation.

Une insuffisante prise en compte des spécificités culturelles locales

D’autres auteurs, géographes et anthropologues, critiquent les politiques publiques menées en montagne parce qu’elles ne prennent pas assez en considération les spécificités culturelles locales (Auclair, Simenel, Alifriqui, Michon 2010 ; Bourbouze 1997, Fray 1986, Romagny, Auclair, Elgueroua 2008). Ils montrent que l’échec des

31 Ces critiques s’inscrivent dans le champ des recherches réalisées en géographie politique sur les formes innovantes de constructions territoriales (Antheaume et Giraut 2005, Giraut 2006 et 2009 (1), Giraut et Vanier 1999), en particulier dans les marges (Antheaume et Giraut 2002, Giraut 2009 (2)). Elles font le constat d’une complexité territoriale croissante et de la profusion des périmètres d’intervention et de mobilisation institués par de nouveaux acteurs, associatifs notamment. Elles montrent la fréquente incapacité des structures institutionnelles à travailler en coordination avec les acteurs de la société civile, à maitriser un processus d’« ONGisation » qui laisse craindre une fragmentation territoriale (Antheaume et Giraut 2005, p. 34).

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politiques de protection de l'environnement des montagnes marocaines, visibles à l’accroissement de la pression sur les ressources naturelles, tient à une insuffisante prise en compte des savoir-faire coutumiers en matière de gestion des ressources naturelles, malgré l’intention affichée dans les politiques publiques de vouloir favoriser une approche participative pour la gestion durable de ces ressources, et malgré l’efficacité des systèmes de gestion communautaires en matière de protection de ces ressources, qu’ils s’attachent à prouver32.

Plus généralement, Ahmed Bellaoui (2000) critique l’adoption de modèles de développement exogènes, non adaptés au contexte marocain. Il dénonce « le transfert pur et simple dans les sociétés non industrialisées et dites traditionnelles, des rôles et fonctions des institutions issues des sociétés industrielles dites modernes ». Il pose la question du « transfert ou de la transposition des modèles et donc de leur adaptabilité » et « la question de l’uniformisation des stratégies de développement sans aucune conformité avec les conditions spécifiques de chaque pays » (p. 28). Il prône, contre l’importation brute de modèles de développement, une réflexion collective autour d’un projet adapté aux cultures locales.

Une vision essentialiste des identités

Dans ces recherches, les identités sont souvent comprises comme des structures intemporelles que des éléments externes viendraient endommager et au travers de systèmes d’opposition : culture « occidentale » versus culture marocaine, culture

« moderne » versus culture « traditionnelle ». Les cultures montagnardes sont conçues comme des cultures traditionnelles devant être protégées des agressions extérieures et des politiques de développement telles qu’elles sont actuellement appliquées, véhiculant des cultures modernes, occidentales, qui risquent de les endommager.

Cette conception des identités, sur laquelle repose les recherches qui se focalisent sur les impacts négatifs du tourisme sur les identités dans les montagnes marocaines, me semble induire une lecture trop méfiante et simplificatrice du tourisme. Elle conduit à concevoir le tourisme comme le véhicule de la culture occidentale et de la modernisation, comme un élément exogène, qui risque de

32 Ils montrent également les limites de ces savoir-faire traditionnels. Bourbouze relève ainsi les faiblesses du système de l’agdal. Le terme désigne un mode de gestion communautaire caractérisé par la mise en défens des ressources au sein d’un territoire délimité. Mais il est souvent employé, comme chez Bourbouze, pour parler de l’agdal pastoral. Il désigne alors un pâturage commun soumis à des mises en défens saisonnières.

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perturber la culture locale dite traditionnelle. Cette perspective passe sous silence les actions mises en œuvre par les acteurs locaux pour se réapproprier les cultures et les identités véhiculées par le tourisme. Pour la dépasser, et reconsidérer le rôle joué par ces acteurs, il convient de s’appuyer sur les recherches qui abordent le couple tourisme-identités dans les Atlas en termes de « ressources ».