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Tourismes et identités dans les Atlas

II. Le tourisme, ressource identitaire dans les Atlas

2. Les identités dans les marges : lecture par la « ressource »

Ces recherches, qui abordent le couple tourisme-identités en termes de

« ressource », renvoient à des travaux anthropologiques qui analysent les identités dans les marges marocaines au prisme des théories post-nationales et postcoloniales. Elles pourraient tirer davantage profit de celles-ci en les mobilisant plus systématiquement.

Approches interactionnistes et post-nationales des cultures rurales

Elles s’inscrivent d’abord dans la lignée des anthropologues travaillant sur les sociétés des marges et sur l’évolution de leurs identités collectives.

Des structures sociales et des identités collectives qui évoluent

Les anthropologues qui ont travaillé sur les sociétés rurales au Maroc se sont attachés à identifier les structures sociales et les organisations territoriales qui leur sont associées, qui font la singularité et la continuité de ces sociétés. Dans son travail sur la tribu des Seksawa, une tribu chleuhe du Haut Atlas, Jacques Berque (1978 [1955]) identifie une organisation sociopolitique élémentaire en confédérations de tribus, en tribus et en sous-groupes agnatiques (fondés sur la parenté), qui correspondent à la division des terroirs. Au fur et à mesure de ses recherches (1974), il constate que ces structures ne sont ni figées ni refermées sur elles-mêmes mais qu’elles incorporent des éléments de provenance extérieure et qu’elles connaissent des tensions permanentes entre forces de dispersion, de morcellement et forces de structuration. Il montre que les sociétés rurales du Maghreb connaissent des évolutions, sous l’effet de la colonisation et des caïds, puis de l’exode rural et de l'influence croissante des modes de vie urbains, et que le

« fond berbère » ne cesse de faire des transactions avec le droit musulman, le droit

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européen, la culture venue de l'orient, la culture urbaine et la culture occidentale.

Cependant, il se focalise sur la façon dont les structures résistent au temps et aux évolutions imposées de l’extérieur. Ce faisant, il donne la primauté aux permanences.

A partir des années 1990, les anthropologues donnent plus d’importance aux mutations qui affectent les sociétés du Haut Atlas. Ali Amahan fait partie d’une génération qui entend insister sur la capacité des sociétés rurales à évoluer sans subir ce que lui impose l’extérieur, mais en choisissant soit d’incorporer, d’adapter des éléments extérieurs, soit de les rejeter, de leur résister. Dans son ouvrage sur les Ghoujdama (1998), il décrit un monde structuré par la parenté qui s’efforce d’utiliser les facteurs de changement (la modernité, l’emprise croissante de la culture urbaine, l’émigration, la scolarisation), d’endogénéiser des éléments au départ exogènes, pour qu’ils renforcent les structures sociales communautaires. La recherche de Romain Simenel sur la tribu des Aït Bra’amran (2010 (2)) s’inscrit dans cette perspective. Il analyse la façon dont les sociétés se définissent non en réaction face à l’extérieur mais en lien avec l’extérieur. Il montre que les Aït Bra’amran conçoivent leur origine comme étant renouvelée par l’intégration d’étrangers, dans les espaces frontaliers. Il souligne ainsi l’importance de l’Autre dans la définition de soi. D’autres auteurs (Jamous et Bourquia 2008) réfléchissent plus explicitement en termes d’« identités ». Leurs recherches portent sur la manière dont les communautés locales reconstruisent leur identité en référence à l’altérité et à d’autres espaces. Ils analysent comment le contexte de mondialisation, qui rend l’Autre omniprésent, participe à la redéfinition des identités locales.

Les approches anthropologiques des sociétés rurales marocaines ont schématiquement évolué d’une conception de la « culture » comme structure, fondement d’un système sociopolitique basé sur l’équation une culture = une communauté = un territoire, perdurant dans le temps par-delà les évolutions, à une conception de l’« identité » comme construction complexe, plurielle, évolutive, définie en interaction avec l’Autre, avec des limites spatiales plus fluctuantes. Une telle approche constructiviste des identités dans les marges permet de dépasser des conceptions fixistes de l’identité qui risquent d’essentialiser la différence. Elle permet également, dans l’esprit des approches post-nationales des identités, de concevoir celles-ci comme définies en référence à des territoires d’échelles variées et non uniquement à l’échelle du territoire tribal « traditionnel ».

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Les structures sociales, ressources pour un développement approprié

Dans le champ des recherches réalisées sur le développement des espaces ruraux, certains anthropologues et sociologues, tels Ali Amahan (1998) et Fatima Mernissi (1998), se sont efforcés de montrer que les structures traditionnelles telles que la jemaâ (l’assemblée villageoise) constituent des ressources potentielles pour la mise en œuvre d’un développement adapté aux cultures rurales. Selon Mernissi, la création des associations de développement dans les villages doit s’inspirer du fonctionnement des jemaâ et les membres des associations doivent travailler en collaboration avec les membres des jemaâ, afin de ne pas créer de tensions dans les villages. Sans ignorer les travaux qui remettent en cause le caractère démocratique de la jemaâ (Bouderbala 2007, Hammoudi 2001 [1977], Naciri 2007, Pascon 1983 [1977]), Mernissi pense que celle-ci constitue un patrimoine socioculturel que les associations doivent faire fructifier, dans des stratégies de modernisation34. Elle voit la jemaâ comme un système basé sur la solidarité, approprié par les populations (ce qui garantit leur adhésion aux projets de développement portés par les associations), à moderniser en élargissant la participation, en incluant les nouvelles élites, c’est à dire les personnes originaires de la campagne qui ont émigré à l’étranger ou en ville, car ils apportent des financements et des savoirs techniques indispensables au montage des projets.

Ces recherches conçoivent les savoir-vivre communautaires comme un héritage pouvant faire l’objet d’une modernisation, pour servir l’invention de modèles de développement appropriés localement et adaptés à la culture locale35. Elles

34 A la suite de Mernissi, des anthropologues (Roque 2004 (2)) et des géographes (Aderdar 2009, Gebrati 2004, Lacroix 2005) se sont penchés sur les associations dans les milieux ruraux et en particulier sur les associations de services, dont la vocation est de tenter de répondre aux besoins des populations en termes économiques et sociaux, insuffisamment pris en charge par l’Etat. Ils s’interrogent sur le caractère démocratique des associations, perçu comme la condition de la contribution des associations au développement. Ils soulignent, au contraire de Mernissi, les limites de la dimension participative des associations. Elles resteraient élitistes, à cause du manque chronique de cadres formés et de l’encouragement donné par l’Etat à la mainmise des élites traditionnelles sur les associations, pour mieux les contrôler.

35 Ces recherches rappellent le positionnement de politologues et d’économistes tels que Gilbert Rist et Serge Latouche. Ils expliquent les échecs des politiques de « développement » par le manque d’universalité de ce modèle. Pour Rist, « la prétendue neutralité culturelle du développement n’existe pas. […] Le développement n’est que la réalisation du projet culturel spécifique de l’occident » (1998, pp. 59-61). Ce modèle renvoie à une vision occidentale du mieux-être qui n’est pas forcément partagée ailleurs. Pour Latouche (1998), dans la pratique, les cultures autres que la culture « occidentale » n’adoptent pas les mesures préconisées par les organisations internationales mais les adaptent et inventent de nouveaux modèles, qui constituent moins un développement alternatif que des alternatives culturelles au

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invitent à comprendre la culture comme une ressource potentielle de développement, mobilisable par les sociétés locales pour lutter contre la marginalisation, et à envisager les sociétés locales comme capables d’inventer des manières de rechercher le mieux-être en s'appuyant sur leur propre culture. De la sorte, elles permettent de dépasser les approches opposant la culture occidentale exogène imposée et des cultures endogènes menacées. Néanmoins, elles se focalisent sur la mobilisation de la culture et des identités par les associations de développement à des fins socioéconomiques et non en même temps à des fins identitaires. Il convient donc d’étudier les stratégies socioéconomiques et aussi identitaires mises en œuvre par les associations de développement en milieu rural.

Pour cela, deux champs de recherches sur les identités dans les marges peuvent être mobilisés : le premier se penche sur les identités « berbères », le second sur les identités « amazighes ».

Approches déconstructivistes postcoloniales de la berbérité

Le champ des études sur la « berbérité » mériterait d’être exploité dans les recherches sur le tourisme et les identités dans les Atlas.

Les réticences actuelles des géographes à parler de la berbérité

La géographie a joué un rôle important dans la mise en place de l’équivalence entre le berbère et le montagnard, à l’époque coloniale. Suivant une conception géographique imprégnée de naturalisme, les géographes associaient à un milieu naturel singulier une ethnie singulière, et ils comprenaient les caractéristiques humaines comme liées aux caractéristiques biophysiques. Dans le cas du Maroc, ils ont associé les traits identifiés comme ceux des Berbères aux caractéristiques de leur environnement montagnard. Jean Célérier opposait ainsi « les groupes qui se laissaient amollir par l’influence de la plaine, par la soumission à l’ordre makhzen, donc par l’arabisation » aux « tribus insoumises, [des berbères] entraînés par la dure existence de la montagne [qui] sont des guerriers-nés » (Célérier 1938, cité par Debarbieux et Rudaz 2010, p. 179).

Après la période coloniale, la berbérité a fait l’objet d’une attention prudente de la part des géographes. Rares sont actuellement ceux qui abordent les dynamiques identitaires dans les montagnes et qui les abordent au prisme de la berbérité. En développement et qu’il invite à étudier. Cette proposition de recherche me semble pouvoir s’appliquer utilement aux projets de développement touristique menés dans les Atlas qui mobilisent les identités locales. Mernissi se situe dans la lignée de cette proposition.

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effet, ils cherchent à se démarquer du rôle qu’a pu jouer la géographie dans la construction de l’équivalence berbérité-montagne et dans la mise en œuvre de politiques coloniales basées sur l’ethnie, qu’ils récusent. S’ils n’attribuent pas la responsabilité des politiques coloniales aux géographes de la période coloniale (ils montrent qu’ils ont été influencés par les politiques coloniales et non l’inverse36), ils « gardent en mémoire le souvenir de l’instrumentalisation de la géographie par le pouvoir colonial » (Debarbieux et Rudaz, 2010, p. 270). Ils produisent peu de travaux sur les identités parce qu’ils redoutent l’instrumentalisation politique de leurs travaux. Ils se retrouveraient probablement dans les mots de Berque lorsqu’il écrit : « la science et l’action ont tellement gâché le nom des Berbères qu’aujourd’hui sa seule mention appelle des réserves » (Berque 1962, p. 111). Cela a conduit certains à déconstruire l’identité berbère pour montrer qu’elle est une construction politique coloniale.

La déconstruction de l’identité berbère fabriquée à la période coloniale

Quelques travaux de géographie politique, qui désignent la responsabilité des politiques publiques dans la marginalisation des montagnes, abordent et dénoncent la logique ethnique des politiques territoriales coloniales. Boujrouf (2001, p. 141) évoque « le déterminant ethnique » pour parler de la fabrication, à l’époque du Protectorat, de représentations politiques faisant des montagnards un peuple connu pour sa « force guerrière », et de la montagne « un espace rebelle et refuge », ces représentations justifiant une politique de ségrégation entre

« plaine arabe » et « montagne berbère », et une politique de contrôle de la montagne. Naciri s’attache lui aussi à montrer que la partition du pays entre un Maroc développé, dans les régions civiles, et un Maroc exclu de la modernisation, sous contrôle militaire, était basé sur le principe de la « dualité ethnique de la population » (Naciri 1999, p. 18).

Des historiens ont entrepris de montrer de manière plus systématique que l’invention de la berbérité et de l’équivalence berbérité-montagne est à mettre en rapport avec le projet colonial et d’identifier, pour les déconstruire, les traits identitaires attribués alors aux Berbères. Charles-Robert Ageron (1976), Gilles Lafuente (1999) pour le Maroc et Jean-François Guilhaume (1996) pour l’Algérie

36 Naciri (1999) montre comment l’administration coloniale a instrumentalisé les travaux de Robert Montagne (1930). Celui-ci élabora une théorie de l’organisation berbère en petites républiques, à partir d’études réalisées dans le Souss, et l’étendit à d’autres ensembles berbères.

Selon Naciri, l’administration vit dans cette étude la confirmation qu’il y avait une spécificité berbère et le moyen d’avaliser sa politique dualiste.

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montrent comment, à l’époque coloniale, sont objectivés deux groupes présentés comme homogènes et antagonistes, selon des critères ethniques, religieux, racialistes et géographiques : les Berbères étaient perçus comme un peuple peu attaché à la religion musulmane, hostile à la loi coranique, démocratique, à l’esprit indépendant, tandis que les Arabes faisaient figure de peuple fanatique et despotique. Les traits physiques attribués aux Berbères (leur grande taille, leurs cheveux, leurs yeux et leur teint clairs) étaient mis en rapport avec leur supposée origine européenne, par différence avec les Arabes, originaires de la péninsule arabique. Les Berbères étaient identifiés comme les habitants de l’intérieur des terres et les Arabes comme ceux des villes et des plaines. Les auteurs qualifient ce système d’oppositions de « mythe colonial » pour souligner que, loin de correspondre à une quelconque réalité culturelle ou géographique, il était destiné à accentuer les antagonismes internes, selon le principe du « diviser pour régner ».

La dénonciation de la stigmatisation continue de la berbérité

Nombre de travaux effectués en histoire, en anthropologie et en sociologie politiques étudient comment, à l’indépendance du Maroc, en 1956, la composante berbère de l’identité marocaine a continué à être stigmatisée, au nom d’une conception de la Nation consacrant la composante arabe. Gilbert Grandguillaume (1983) montre ainsi les choix politiques qui ont été faits en faveur de la langue arabe (l’adoption en 1962 d’une Constitution qui reconnait comme seule langue officielle l’arabe, puis d’une politique d’arabisation de l’enseignement, de l’administration et des médias). Pierre Vermeren (2011) interprète ces choix comme une volonté de défier le colonialisme et ses projections berbérophiles.

Mohamed Othman Benjelloun (2002) comprend quant à lui le triomphe de la composante arabo-musulmane comme l’adoption paradoxale du modèle de la Nation de l’ancien colonisateur, un modèle fondé sur une « hantise unitaire », sur l’idée d’indivisibilité, sur un modèle jacobin qui ne reconnait pas les particularismes régionaux et linguistiques.

D’autres auteurs montrent comment, après l’indépendance, toute opposition à la monarchie d’inspiration identitaire a été étouffée. Pour Rémi Leveau (1985), les souverains ont fait en sorte, pour neutraliser les nationalistes des villes et s’assurer le soutien du monde rural, d’intégrer les élites rurales berbérophones au système politique. D’autres analysent comment la stigmatisation politique de la berbérité a entraîné la stigmatisation sociale des ruraux. El Katir Aboulkacem (2006) parle de la berbérité comme d’une identité dévalorisée, donc insupportable et inavouable. Il évoque le malaise ressenti par les Berbères face au mépris manifesté à l’égard de

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leur langue et à l’égard de leur origine identifiée comme rurale (ce mépris se traduisant par le sobriquet « bledard »). Il montre comment les représentations populaires retiennent une image passéiste et condescendante de la berbérité, l’associant à une ruralité perçue comme archaïque et arriérée. Cette recherche montre que la berbérité n’est plus assimilée à la montagne aussi grossièrement qu’elle pouvait l’être à la période coloniale, mais qu’elle est assimilée plus largement à la ruralité.

Ces recherches s’attachent donc à déconstruire la berbérité et la correspondance faite entre berbérité et montagne pour en dénoncer leurs origines coloniales, et pour souligner la continuité de politiques et de représentations qui stigmatisent les Berbères et continuent de les relier à la montagne ou, du moins, aux espaces ruraux. En même temps, elles s’efforcent de déconstruire l’identité marocaine telle qu’elle a été construite politiquement, à l’Indépendance, et ses présupposés unitaristes.

La berbérité, une identité plurielle

Les sciences sociales présentent les identités berbères comme une construction fondamentalement hétérogène, faite d'emprunts multiples, de façon à démystifier la représentation, héritée de la colonisation, d’un groupe homogène37. Les travaux anthropologiques les plus récents (Chaker 1989, 2006 et 2008) présentent le phénomène berbère comme étant diffus dans la société, en mettant en avant le processus continu de métissage que connait la société marocaine depuis la conquête arabo-musulmane. Ils montrent que l’interpénétration des cultures amazighe et arabe rend vaines et largement contestables les tentatives pour catégoriser des populations selon des critères ethniques, et s’attachent à montrer que le phénomène berbère est diffus dans l’espace, en réfutant le lien établi entre berbérité et montagne, et en valorisant la présence dans les villes de populations berbérophones.

Les apports d’une approche déconstructiviste et postcoloniale de la berbérité Ces recherches sont utiles pour aborder le couple tourisme-identités en termes de ressources, d’une part car elles permettent de comprendre la mobilisation d’identités « berbères » dans les Atlas par des acteurs associatifs locaux, parmi

37 Elles s’opposent en cela à la tentation de Gabriel Camps (1980, 1995) ou Jean Servier (1990) de vouloir identifier les points communs aux groupes berbères du Maghreb, le premier évoquant les

« permanences berbères » et le second proposant de définir les invariants d’une « civilisation berbère ». Ces auteurs sont pourtant conscients de l’impossibilité d’une telle tâche, au vu de la diversité des origines des Berbères et du caractère composite du groupe.

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lesquels des acteurs touristiques, à des fins socioéconomiques et également identitaires. D’autre part car elles adoptent une conception constructiviste des identités et un positionnement postcolonial : elles s’efforcent de déconstruire les représentations actuelles de la berbérité héritées de la période coloniale (soit les identités sociales imposées) et les rapports de pouvoir néocoloniaux qu’elles sous-tendent (en montrant comment la berbérité est utilisée par le pouvoir central, y compris après la colonisation). Un tel positionnement sera utile pour analyser la création et la diffusion d’imaginaires touristiques des « Berbères » par le pouvoir central et par les acteurs touristiques, à la période coloniale, et pour analyser les enjeux de pouvoir que sous-tendent la diffusion, continue depuis la colonisation, de ces imaginaires touristiques.

Approches subalternes et post-nationales du mouvement amazigh

Un dernier champ de recherches anthropologiques sur les identités dans les marges mériterait d’être exploité pour l’analyse du couple tourisme-identités. Il porte sur le « mouvement amazigh » au Maroc38.

Les revendications amazighes au Maroc : un nouveau champ de recherches La mobilisation de ce champ de recherches est novatrice dans le sens où, jusqu’ici, aucune recherche n’a été réalisée sur les liens existant entre les revendications amazighes et l’activité touristique, car peu de géographes se sont intéressés aux identités revendiquées actuellement dans les montagnes. En anthropologie aussi les revendications amazighes n’ont que tardivement fait l’objet d’une attention, et elles suscitent encore la méfiance. Certains chercheurs, tels qu’Aderghal et Simenel (2012), sont notamment réticents vis-à-vis des revendications « autochtones ». Ils s’attachent à les déconstruire en mettant en avant le fait que les sociétés rurales marocaines ne construisent pas leur identité en référence à un territoire bien délimité et à une occupation ancienne de ce territoire. Pour eux, ce sont les politiques coloniales qui ont identifié des communautés soi-disant originelles, ayant un ancrage territorial. Ils voient dans l’autochtonie une reconstruction

38 Le « mouvement amazigh » désigne l’ensemble des acteurs, essentiellement associatifs, qui militent pour la cause amazighe. Pour l’aborder, je m’appuie sur des travaux que j’ai publiés dans plusieurs articles, qui portent sur les revendications identitaires au « printemps marocain » (L’Espace politique, 2012), sur les revendications autochtones (Espaces populations sociétés, 2012), sur les associations amazighes et la mobilisation de l’identité dans les milieux ruraux (à paraitre dans un ouvrage collectif aux éditions Bouchène) et sur la réinvention des identités locales dans les montagnes à travers la mobilisation de réseaux amazighs transnationaux (à paraitre dans un ouvrage collectif chez Actes Sud).

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politique sans profondeur historique. Et ils relaient l’idée selon laquelle ce type de revendication risque d’encourager l’ethnicisme. De mon point de vue, ce positionnement représente les travers d’une approche déconstructiviste poussée à bout. En effet, les auteurs se concentrent sur les revendications amazighes les plus radicales, occultant la diversité du mouvement amazigh et accentuant l’image

politique sans profondeur historique. Et ils relaient l’idée selon laquelle ce type de revendication risque d’encourager l’ethnicisme. De mon point de vue, ce positionnement représente les travers d’une approche déconstructiviste poussée à bout. En effet, les auteurs se concentrent sur les revendications amazighes les plus radicales, occultant la diversité du mouvement amazigh et accentuant l’image