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Une titularité des droits au profit du titulaire de la licence du logiciel de l’IA ?

2. L A COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX CREATIONS GENEREES PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

2.1 La titularité des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle

2.1.4 Une titularité des droits au profit du titulaire de la licence du logiciel de l’IA ?

Les cas dans lesquels ce n’est pas directement le programmeur du logiciel qui utilise le robot créatif mais un cessionnaire d’une licence d’utilisation de celui-ci sont appelés à se multiplier. Comme mentionné précédemment, nombre de ces robots ont vocation à se développer et à être utilisés dans un contexte commercial. Dans cette section, il sera donc fait référence au cessionnaire en tant que personne ayant investi financièrement dans le robot créatif afin d’en récolter les fruits. Ici, le lien entre cet acquéreur et les créations générées par

l’IA est encore plus distendu que celui qui lie le programmeur au logiciel. A fortiori, il paraît donc encore plus difficile d’envisager de lui accorder un droit d’auteur : il a certes réalisé un effort financier, mais il n’intervient nullement dans le processus créatif. Lui accorder des droits reviendrait à dénaturer totalement le droit d’auteur et à lui retirer sa fonction première, à savoir celle de protéger la personnalité d’un auteur à travers sa création. D’autant plus qu’à l’avenir, cet investisseur risque dans la plupart des cas d’être une personne morale, ce qui rendrait encore moins justifiée l’application du régime du droit d’auteur.

Cependant, un mécanisme pourrait permettre aux personnes morales titulaires d’une licence d’utilisation d’un logiciel de création intelligent de se voir reconnaître des droits sur les créations générées par celui-ci : il s’agit du régime de l’œuvre collective. Celle-ci est définie par l’article L. 113-2 al. 3 du CPI comme : « L'œuvre créée sur l'initiative d'une personne physique ou morale qui l'édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l'ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu'il soit possible d'attribuer à chacun d'eux un droit distinct sur l'ensemble réalisé. » Excentricité du droit français, elle permet, comme l’analyse Thierry Revet, d’accorder des droits ab initio à une personne morale, dans un système centré sur l’auteur-créateur personne physique.

Dans le système français du droit d'auteur, dont le naturalisme semble exclure que des personnes non humaines puissent être auteur de créations littéraires et artistiques, l'œuvre collective est tenue pour une anomalie en tant qu'elle aboutit à conférer à un non créateur qui est très souvent une personne morale - initiateur et dirigeant du processus de production de cette œuvre - des prérogatives conçues comme le prolongement juridique de l'acte créatif et qui ne sauraient donc, pour ce motif, être accordées qu'aux créateurs.248

Ainsi, l’on pourrait considérer que tous les participants au processus créatif précédemment évoqués apportent chacun une contribution (qu’il s’agisse de la conception du robot mécanique, de la conception du logiciel – tant au stade de la programmation qu’au stade de l’apport de connaissances artistiques traduites dans le logiciel –, ou de l’utilisation du robot). L’agrégation de ces contributions aboutirait ainsi en une œuvre dans laquelle elles se fondent,

248 Thierry Revet, « La qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit ; Note sous Cour de cassation, première Chambre

et la personne responsable de l’édition, de la publication et de la divulgation se verrait reconnaître, non pas la qualité d’auteur, mais celle de propriétaire à titre originaire de l’œuvre249. C’est d’ailleurs la solution qui a été retenue par la cour d’appel de Riom en matière de photographies satellites250. Si celles-ci ont pu être considérées comme des œuvres, et si l’on admet de la même façon que les créations générées par IA puissent recevoir cette qualification, le régime de l’œuvre collective pourrait donc leur être appliqué afin d’accorder des droits à la personne (la plupart du temps morale) qui en est à l’initiative.

Aux États-Unis, c’est la doctrine du work made for hire (ou travail sur commande) qui pourrait venir au secours des personnes morales désireuses de voir les investissements qu’elles ont réalisés rétribués par certaines prérogatives du droit d’auteur. Ce principe du work made for hire est énoncé à l’article 201 U.S.C251 qui prévoit que, dans le cas d’un travail sur commande, l’employeur ou toute autre personne pour qui le travail a été effectué est considéré comme l’auteur de celui-ci et, sauf stipulation contractuelle contraire consignée par écrit, est titulaire de tous les droits d’auteur en découlant. Les créations robotiques, sous réserve de remplir les conditions légales, pourraient éventuellement se voir qualifiées de work made for hire, et ainsi les droits d’auteur qui y sont potentiellement rattachés pourraient être dévolus à l’employeur. Cependant, toutes les créations qui ont été réalisées dans le cadre d’un travail sur commande ne peuvent entrer dans la définition du work made for hire. La liste des œuvres susceptibles de recevoir cette qualification est prévue par la loi à l’article 101252 et se

249 V. Cass. civ. 1re, 28 oct. 2003, Malik c. Sté Eurêka livres diffusion et al., pourvoi n° W 01-03.059, inédit ;

Cass. civ. 1re, 17 mars 1982 : RTD com. 1982, p. 428, obs. A. Françon ; JCP G 1983, II, 20054, note R. Plaisant.

Cité par Christophe Caron, « Clair-obscur à propos de la protection d’une image satellite » (2003) 12 CCE 27‑29.

250 CA Riom, ch. com., 14 mai 2003, SAS Rubie's France c. SARL Msat Éditions et al. ; M. Bardel, prés. ; Mme

Despierres et Jean, cons. ; Maîtres Zylberstein-Halpern, Rojinsky, Rosenthal et SCP Portejoie, Bernard, François, av. : Juris-Data n° 2003-221740. Cet arrêt est toutefois à considérer avec précaution, car la Cour d’appel assimile ici la personne morale et l’auteur des photographies.

251 Copyright Law of the United States, supra, note 211 : « In the case of a work made for hire, the employer or

other person for whom the work was prepared is considered the author for purposes of this title, and, unless the parties have expressly agreed otherwise in a written instrument signed by them, owns all of the rights comprised in the copyright. »

252 Ibid. : « A “work made for hire” is—

(1) a work prepared by an employee within the scope of his or her employment; or

(2) a work specially ordered or commissioned for use as a contribution to a collective work, as a part of a motion picture or other audiovisual work, as a translation, as a supplementary work, as a compilation, as an instructional text, as a test, as answer material for a test, or as an atlas, if the parties expressly agree in a written instrument signed by them that the work shall be considered a work made for hire. For the purpose of the foregoing sentence, a “supplementary work” is a work prepared for publication as a secondary adjunct to

limite aux réalisations faites par un employé dans le cadre de ses fonctions ou à une création spécifiquement commandée afin d’être utilisée dans une œuvre collective, une traduction, un supplementary work253, une compilation, un texte à visée instructive, un examen (ou les réponses à celui-ci) ou un atlas. Ainsi, sous réserve de pouvoir être qualifiée de work made for hire, la création robotique pourrait se voir appliquer ce régime, conduisant à une dévolution automatique des droits à l’employeur, en l’occurrence la personne physique ou morale qui aura acquis le robot à des fins de création dans le cadre de son activité professionnelle.

a work by another author for the purpose of introducing, concluding, illustrating, explaining, revising, commenting upon, or assisting in the use of the other work, such as forewords, afterwords, pictorial illustrations, maps, charts, tables, editorial notes, musical arrangements, answer material for tests, bibliographies, appendixes, and indexes, and an “instructional text” is a literary, pictorial, or graphic work prepared for publication and with the purpose of use in systematic instructional activities. »

2.2. La nature des droits attachés à l’œuvre réalisée par une

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