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La complexe reconnaissance d’un droit moral attaché aux créations générées par IA

2. L A COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX CREATIONS GENEREES PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

2.2. La nature des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle

2.2.1 La complexe reconnaissance d’un droit moral attaché aux créations générées par IA

Pour plusieurs raisons, le droit moral se prête mal aux créations générées par une IA. Il convient toutefois d’évoquer les hypothèses dans lesquelles il pourrait être mis en œuvre.

2.2.1.1 Le droit moral, intrinsèquement lié à la personne de l’auteur

Le droit moral, prévu à l’article L. 121-1 du CPI, est un droit extrapatrimonial, lié à la personne de l’auteur. Il est « perpétuel, inaliénable et imprescriptible » et il vise à préserver la personnalité de celui-ci au travers de plusieurs prérogatives. Le droit d’auteur français se conçoit difficilement sans ce droit moral, tant celui-ci est intrinsèquement lié au créateur et à son œuvre. Il est d’ailleurs perçu par certains comme le « symbole du droit d’auteur à la française »255. Comme le souligne d’ailleurs Jeanne Daleau, à l’occasion d’un arrêt de la

254 La reconnaissance d’un droit moral est intrinsèquement liée à la qualification d’œuvre, comme l’a rappelé

la Cour de cassation dans un arrêt Cass. civ. 1re, 7 avr. 1987 : RTD Com. 1988, p. 224 obs. A. Françon : « Le

droit moral de l’auteur sur son œuvre ne préexiste pas à celle-ci. » V. E. Derieux, Œuvre de de commande,

liberté de création et droit moral de l’auteur : RIDA juill. 1989, p. 199.

Cour de cassation de novembre 2016256 : « le droit moral [est] toujours intimement lié à la personne physique ». Cet arrêt rejette fermement l’amalgame entre le photographe auteur et la personne morale, titulaire des droits patrimoniaux.

La seule entorse à ce principe concerne le cas de l’œuvre collective dans lequel la personne morale peut effectivement se voir reconnaître une titularité ab initio du droit moral (mais aucunement la qualité d’auteur) : « en statuant ainsi, alors que la personne physique ou morale à l’initiative d’une œuvre collective est investie des droits de l’auteur sur cette œuvre et, notamment, des prérogatives du droit moral, la cour d’appel a violé le texte susvisé. » 257

Ainsi, reconnaître un droit moral reposant sur des créations générées artificiellement par une machine semble être un non-sens absolu. L’essence du droit moral est de protéger l’auteur et sa personnalité qui s’exprime à travers l’œuvre. Or, l’auteur, et donc a fortiori sa personnalité, sont totalement absents de ces créations. En plus d’être antinomique, le fait de reconnaître un droit moral sur des créations générées par IA n’est pas sans risque. En effet, cela reviendrait à admettre l’idée d’une personnalité relative à l’IA, une possibilité précédemment exclue.

Dans l’hypothèse hasardeuse mais non exclue où l’on parviendrait à prouver que le programmeur de l’IA ou bien son utilisateur ont su empreindre la création de leur personnalité, un droit d’auteur comprenant des prérogatives morales comme patrimoniales y sera rattaché. Cependant, ces deux situations sont bien différentes l’une de l’autre. Dans le cas où l’on reconnaitrait des droits au profit du programmeur, cela reviendrait à rattacher véritablement un droit d’auteur aux créations générées par IA. Tandis que si l’on reconnaissait des droits au profit de l’utilisateur, il s’agirait en réalité d’accorder ceux-ci à une création simplement assistée par IA, celle-ci jouant alors le rôle d’un outil. Cette situation dans laquelle un artiste a recours à un robot intelligent afin de créer peut se situer à la frontière entre la création assistée par IA et la création générée par IA. Si les choix créatifs de

256 Cass civ.1re 16 novembre 2016, n° 15-22.723.

257 Cass. civ. 1re, 22 mars 2012, n° 11-10.132, D. 2012. 1246, obs. J. Daleau, note A. Latil ; ibid. 2836, obs. P.

Sirinelli ; ibid. 2013. 1924, obs. J.-C. Galloux et J. Lapousterle ; Rev. Sociétés 2012. 496, note N. Binctin; RTD civ. 2012. 338, obs. T. Revet ; RTD com. 2012. 321, obs. F. Pollaud-Dulian ; CCE juin 2012, comm. 61, Ch. Caron ; JCP E 2013, 1060, § 2, obs. M.-E. Laporte-Legeais.

l’utilisateur sont suffisamment importants pour que l’on y décèle l’empreinte de sa personnalité, il sera alors possible d’accorder aux créations la qualité d’œuvre. Les droits d’auteur lui reviendront ensuite naturellement, dans leur aspect patrimonial aussi bien que dans leur aspect moral. Ici, les notions d’auteur, d’œuvre et d’originalité s’entendent au sens commun du droit d’auteur, dont ce cas ne déroge pas. Si en revanche le rôle de l’utilisateur n’a été que secondaire lors du processus créatif, il faudra conclure à une création générée par une IA, sur laquelle il ne peut se voir reconnaître de prérogatives de droit d’auteur.

2.2.1.2 La reconnaissance d’un droit moral au profit de l’utilisateur de l’IA ?

Rien n’empêche un artiste d’avoir recours à un robot intelligent dans le cadre d’une création qui porte par ailleurs l’empreinte de sa personnalité. La frontière peut certes être ténue entre la création assistée et générée par IA, mais il est nécessaire de distinguer ces deux cas et de ne pas exclure par principe l’originalité d’une œuvre dès lors qu’un robot intelligent a pris part au processus créatif. Le contrôle de celle-ci est alors, selon le principe en droit d’auteur, soumis à l’appréciation souveraine des juges du fond258 qui doivent préciser en quoi la création démontre un apport intellectuel de l’auteur caractérisant une création originale259. En effet, l’originalité ne peut s’attacher à un genre et s’apprécie au cas par cas260. L’originalité serait notamment plus susceptible de se déceler dans le cas des œuvres générées au moyen de techniques analogues à la photographie261.

Ainsi, sous réserve du caractère original de l’œuvre créée avec l’assistance d’une IA, son auteur pourra bénéficier du droit moral prévu à l’article L. 121-1 du Code civil et des prérogatives qui y sont rattachées, à savoir : un droit à la paternité262 (qui comprend le droit

258 Req. 27 juin 1910 : DP 1910. 1. 296 ; Cass. civ. 1re, 10 mai 1995 : RIDA oct. 1995, p. 291 et 233, obs.

Kéréver ; Com. 21 mars 1995 : RIDA oct. 1995, p. 279 et 231, obs. Kéréver ; Cass. civ. 1re, 23 mai 1995 : RIDA

oct. 1995, p. 299 et 231, obs. Kéréver ; Cass. civ. 1re, 11 mars 1997.

259 Cass. civ. 1re, 2 mai 1989 ; Com. 26 juin 1984 : Gaz. Pal. 1984. 2. Pan. 316 ; 3 mai 1994 : Bull. civ. IV, no

166 ; Com.17 mars 2004 : PIBD 2004. III. 367 ; RIDA juill. 2004, p. 183, note Kéréver ; Cass. civ. 1re, 12 juill.

2006 : Bull. civ. I, no 400 ; RTD com. 2007. 77, obs. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2006, no 21, p. 443, obs. Lucas ; Cass. civ. 1re, 12 mai 2011 : RTD com. 2011. 542, obs. Pollaud-Dulian ; Propr. intell. 2011, no 41, p.

286, obs. Bruguière.

260 TGI Paris, 7 mai 2010 : D. 2011. Pan. 2167, obs. Sirinelli ; Paris, 19 mai 2010 : D. 2011. Pan. 2167, obs.

Sirinelli.

261V. supra, 1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques. 262 art. L121-1 CPI.

de voir apposé sur l’œuvre ses nom, titre et qualité ainsi que d’en contrôler l’utilisation ainsi et le droit de publier l’œuvre sous un pseudonyme) ; un droit au respect de l’intégrité de l’œuvre263 permettant de s’opposer aux éventuelles atteintes qui peuvent y être portées ; un droit de divulgation264 (qui permet à l’auteur de contrôler la première communication au public de son œuvre par un mode d’exploitation) et un droit de retrait et de repentir265 (permettant de mettre fin à l’exploitation d’une œuvre ou de la modifier).

2.2.1.3 La reconnaissance d’un droit moral au profit du programmeur de l’IA ?

Comme évoqué précédemment266, dans le cas où un artiste a conçu un robot intelligent afin que celui-ci génère des œuvres, si sa personnalité transparaît clairement à travers les œuvres ainsi réalisées, il pourrait être envisagé de lui accorder un droit d’auteur sur celles-ci. À la différence de l’hypothèse précédente, il ne s’agirait pas d’un droit d’auteur sur des créations assistées par une IA mais bel et bien d’un droit sur des créations générées par IA. En effet, ici, l’acte créatif opéré par le programmeur a lieu au moment de la conception du programme. Une fois celui-ci terminé, le concepteur du programme ne peut plus interférer avec celui-ci (à moins de le mettre à jour en modifiant son code). Dans certains cas, ce développeur sera également utilisateur du robot créateur et pourrait donc bénéficier du régime évoqué dans la première hypothèse. Mais il faut ici s’intéresser au cas où le programmeur ne fait que développer le programme, sans intervenir par la suite. Si cette hypothèse semble difficile à mettre en œuvre et peu conforme à la finalité du droit d’auteur, plusieurs auteurs avancent des arguments en faveur d’une reconnaissance de droits d’auteur à son profit sur les créations ainsi générées267.

À présent, à considérer que la qualité d’auteur est retenue au profit du programmeur, le droit moral y afférant nécessiterait quelques aménagements du fait de la nature très particulière du processus créatif. Ici, l’œuvre effectivement réalisée par le développeur consiste en un

263 Ibid.

264 art. L121-2 CPI. 265 art. L121-4 CPI.

266 V. supra, 2.1.3 Une titularité des droits au profit du programmeur de l’IA ? 267 Ibid.

programme d’ordinateur (sur lequel il dispose bien entendu d’un droit d’auteur plein et entier). Dès lors, pourquoi ne pas considérer que, si un droit moral doit lui être accordé sur les créations découlant de son programme, le régime de celui-ci pourrait être calqué sur le droit moral des auteurs de programmes d’ordinateur ? Le faire bénéficier de ce régime serait une solution déjà généreuse et plus en adéquation avec sa contribution personnelle que si des droits sur une création totalement étrangère à sa création effective lui étaient accordés. Par ailleurs, rattacher aux créations générées par une IA les prérogatives de droit moral du droit commun du droit d’auteur serait impossible, à cause de l’ignorance par l’artiste de l’existence des créations générées par sa machine. Tout particulièrement, comment mettre en œuvre le droit de respect et de repentir, sachant qu’un tel droit n’est pas exerçable par lui sur le programme générateur des créations ?

Si ce régime était retenu, les prérogatives de droit moral du programmeur sur les créations générées par son programme seraient alors limitées, par rapport au droit commun du droit d’auteur. Les logiciels sont en effet soumis, selon la formule de certains auteurs, à un « droit moral atrophié et théorique »268. Tout d’abord, depuis la loi du 10 mai 1994 (transposant la directive du Conseil des Communautés européennes n° 91-250-CEE, du 14 mai 1991), l’article L. 121-7 al. 2 du CPI empêche – sauf stipulation contraire – l’auteur d’un logiciel d’exercer son droit de retrait ou de repentir269 (une faculté cependant rarement utilisée en droit d’auteur). De la même manière, il ne peut s'opposer à la modification du logiciel par le cessionnaire des droits lorsqu'elle n'est préjudiciable ni à son honneur ni à sa réputation270, limitant considérablement les hypothèses dans lesquelles il pourra exercer un recours contre l’atteinte à l’intégrité de son œuvre. En effet, il est bien difficile pour un programmeur de démontrer que l’altération de lignes de code porte atteinte à son honneur ou à sa réputation. Cependant, le droit moral dans sa conception française est l’un des plus protecteurs (si ce n’est le plus protecteur) au monde : ainsi la condition d’atteinte à l’honneur et à la réputation afin de pouvoir défendre l’intégrité de l’œuvre ne fait que suivre la tendance internationale majoritaire, en rapprochant le droit français de l’article 6bis(1) de la Convention de Berne qui dispose : « Indépendamment des droits patrimoniaux d’auteur, et même après la cession

268 Caron, supra, note 87, §288. 269 Art. L. 121-7 2° CPI.

desdits droits, l’auteur conserve le droit de revendiquer la paternité de l’œuvre et de s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de cette œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciables à son honneur ou à sa réputation. » Il est utile de relever, par ailleurs, comme le souligne Yves Gaubiac, que le Copyright Act anglais refuse expressément le droit à la paternité et le droit au respect de l’œuvre271, non seulement pour les programmes d’ordinateur en eux-mêmes, mais aussi pour les créations générées par ces programmes272. Cependant, les créations qui seraient ici protégées ne seraient pas des programmes d’ordinateur mais les créations générées par celui-ci, ainsi : il serait plus aisé de porter atteinte à leur intégrité. Mais, comme évoqué précédemment, le programmeur du logiciel, lorsqu’il accorde des licences d’utilisation de celui-ci, n’a pas connaissances des créations réalisées ultérieurement : cela rend hypothétiques les cas dans lesquels il pourra agir en défense de l’intégrité des créations.

Finalement, comme le précise la cour d’appel de Douai, en matière de logiciel, « Le droit moral du programmeur, par interprétation a contrario de l'article L. 127-7 du CPI, se réduit en matière de progiciel au droit au nom. »273 C’est-à-dire que le droit moral de l’auteur d’un logiciel se limite au droit de voir mentionné son nom. Il ne faut pas cependant laisser de côté le droit de divulgation de l’œuvre, prévu à l’article L. 121-2 du CPI, et qui permet à l’auteur de contrôler le devenir de son œuvre et les modalités de sa divulgation au public. Mettant un terme à une période de controverses et d’hésitations, la Cour de cassation précise que ce droit de divulgation s’épuise, sauf indication contraire de l’auteur, lors de la première mise à disposition du public de l’œuvre274.

271 Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211. art. 81.2 cité par Gaubiac, supra, note 103 : « The right

conferred by section 80 (right to object to derogatory treatment of work) is subject to the following exceptions. (2) The right does not apply to a computer program or to any computer-generated work. »

272 art. 79.2(c) Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211 : « (1) Le droit conféré par la section 77

(droit d’être identifié comme auteur ou comme réalisateur) subit les exceptions suivantes. (2) Ce droit ne s’applique pas relativement aux œuvres suivantes (a) les programmes d’ordinateur (…) (c) n’importe quelle œuvre générée par ordinateur ». (« (1) The right conferred by section 77 (right to be identified as author or director) is subject to the following exceptions.

(2) The right does not apply in relation to the following descriptions of work — (a) a computer program;

(…)

(c)any computer-generated work. ») Cité par Gaubiac, supra, note 103.

273 CA Douai, 1re ch., 1er juill. 1996, PIBD 1993, III, 129 cité par Bertrand, supra, note 83, §202.82.

274 Cass. civ. 1re, 11 déc. 2013, nos 11-22.031 et 11-22.522 P: D. 2014. 2078, obs. Sirinelli; RTD com. 2014.

Appliquée aux créations générées par IA, la paternité serait respectée si l’utilisateur du robot rattachait le nom du programmeur du logiciel aux créations de celui-ci. Quant au droit de divulgation, sa mise en œuvre est complexifiée par le fait qu’il y a, d’une part, la conception du logiciel et, d’autre part, les créations que celui-ci va générer. Or, si l’on accorde au programmeur un droit de divulgation sur les créations générées par le robot, ce droit sera impossible à mettre en œuvre dans le cas où le programmeur cède la licence d’utilisation de son logiciel et, à terme, après son décès. Dans ces hypothèses, le programmeur n’aura pas connaissance des créations générées par son programme et sera face à l’impossibilité d’en autoriser la divulgation. Dans ce cas-là, peut-être pourrait-on conclure à l’épuisement du droit de divulgation lors de la première communication au public du logiciel. Cette solution se justifierait, d’une part, parce que le régime de protection de la création générée par IA accordée au programmeur serait calqué sur le droit relatif au programme, et, d’autre part, parce que ce droit serait impossible à mettre en œuvre autrement. En effet, dès que le logiciel quitte les mains du programmeur, celui-ci perd toute maîtrise sur les créations. L’impossibilité pour le programmeur, pour les mêmes raisons, d’exercer un droit de retrait et de repentir sur les créations générées par son programme justifie d’autant plus l’application à celles-ci du droit moral associé aux programmes d’ordinateur.

2.2.2 La reconnaissance de droits patrimoniaux attachés aux créations

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