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La reconnaissance de droits patrimoniaux attachés aux créations générées par IA, plus aisément identifiables

2. L A COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX CREATIONS GENEREES PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

2.2. La nature des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle

2.2.2 La reconnaissance de droits patrimoniaux attachés aux créations générées par IA, plus aisément identifiables

Les droits patrimoniaux – droit d’exploitation275 constitué du droit de reproduction276 et du droit de représentation277 et droit de suite278, quant à eux, semblent plus aisés à reconnaître lorsqu’il s’agit des créations générées par une IA, notamment parce que leur mise en œuvre ne heurte pas la philosophie du droit d’auteur. Ainsi, les droits patrimoniaux s’accommoderaient plus facilement que le droit moral du caractère non humain du créateur,

Vercken; CCE 2014. 30, no 15, note Caron; RLDI févr. 2014. 10, note Castets-Renard; Propr. intell. janv. 2014, no 50, p. 65, obs. Lucas.

275 art. L. 122-1 CPI. 276 art. L. 122-3 CPI. 277 art. L. 122-2 CPI. 278 art. L. 122-8 CPI.

du fait de leur finalité différente. Cependant, en fonction du titulaire de ces droits, leur mise en œuvre peut être rendue complexe.

2.2.2.1 Le droit de reproduction et de représentation au profit de l’utilisateur

Le droit de reproduction correspond à la faculté pour l’auteur d’autoriser ou d’interdire la fabrication d’une ou plusieurs copies (totales ou partielles) de son œuvre. Le droit de représentation, quant à lui, consiste en la faculté d’interdire ou d’autoriser la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque. Dans le cas de l’utilisateur de l’IA qui a su empreindre la création de sa personnalité, lui conférant ainsi une originalité qui lui ouvre la possibilité de recevoir la protection du droit d’auteur, ces deux droits patrimoniaux pourront être mis en œuvre sans difficulté conformément au droit commun du droit d’auteur. En effet, l’utilisateur possède matériellement les exemplaires réalisés par le robot dont il peut disposer comme il l’entend ; il peut également en contrôler la destination. Il a été envisagé précédemment l’hypothèse dans laquelle plusieurs utilisateurs, faisant chacun usage d’un exemplaire du robot ou du logiciel créatif, réaliseraient, sans concertation, des créations identiques, résultant d’un paramétrage identique du robot créateur. Cependant, la mise en œuvre du droit de reproduction ne pose pas de problème ici. Car, si des réglages ont permis à deux utilisateurs de générer la même création, cela signifie nécessairement que les réglages en questions étaient une combinaison de choix assez basiques pour avoir été reproduite fortuitement. Dans ce cas-là, l’on ne peut pas considérer que l’empreinte de la personnalité de l’utilisateur se retrouve dans ces créations, les excluant ainsi de la protection.

2.2.2.2 Le droit de suite au profit de l’utilisateur et du programmeur

Le droit de suite (droit inaliénable de participation au produit de toute vente d'une œuvre [sous certaines conditions] après la première cession opérée par l'auteur ou par ses ayants droit, lorsqu’intervient en tant que vendeur, acheteur ou intermédiaire un professionnel du marché de l'art.)279 peut également être mis en œuvre sans davantage de difficulté. Il concerne certes « les œuvres créées par l'artiste lui-même et les exemplaires exécutés en

quantité limitée par l'artiste lui-même ou sous sa responsabilité »280, mais le cas présent concerne les utilisations qui sont faites de l’IA dans le cadre d’un processus créatif dans lequel l’empreinte de la personnalité de l’auteur a toute latitude pour s’exprimer. Cette condition est ainsi remplie dans le cas envisagé. Toutefois, puisque, dans ce cas-là, c’est une machine qui produit la création graphique ou plastique, elle peut potentiellement en effectuer autant de reproductions mécaniques que souhaité et sa production peut devenir quasiment industrielle. Ainsi, il faudrait veiller à ce que celle-ci se limite au nombre d’exemplaires prévus par le droit de suite281.

En revanche, si l’on décidait d’accorder un droit d’auteur au programmeur de l’IA, il serait inexact de dire que les créations générées par sa machine ont été créées par l’artiste lui-même, voire sous sa responsabilité, puisque, comme expliqué précédemment, il perd tout contrôle sur la création une fois que la licence d’utilisation du programme a été cédée. Les créations générées par celui-ci ne sont pas « de sa main ». En conséquence, mettre en œuvre un droit de suite à son profit ne semble ni possible, ni souhaitable au regard de la loi. De plus, si l’on fait bénéficier les auteurs de programmes créatifs des mêmes droits que les auteurs de logiciels (comme évoqué dans le paragraphe précédent282), l’attribution d’un droit de suite serait un non-sens puisque celui-ci a vocation à s’appliquer uniquement aux œuvres graphiques et plastiques.

2.2.2.3 Le droit de reproduction et de représentation au profit de l’utilisateur et du programmeur du robot intelligent

Quant à la mise en œuvre des droits de reproduction de représentation, elle ne se heurte à aucun obstacle légal mais à une sérieuse contrainte technique : même si l’on souhaitait accorder de tels droits au programmeur du robot intelligent, comment mettre cela en œuvre ? Accorder de telles prérogatives au développeur supposerait, une fois les licences sur le logiciel concédées, que l’utilisateur demande l’autorisation du programmeur à chaque fois qu’il souhaiterait effectuer des reproductions ou des représentations de la création générée

280 Ibid.

281 Par exemple 12 exemplaires pour les sculptures.

au moyen de celui-ci. Si cette hypothèse semble assez peu réaliste, elle est également contraire à la finalité de nombre de ces programmes. En effet, de nombreux outils sont rendus accessibles aujourd’hui, parfois à titre gratuit, pour permettre à leurs utilisateurs de réaliser des images ou des morceaux de musique rapidement, sans connaissance technique dans le domaine artistique en question. L’objectif de nombre de ces programmes est d’ailleurs de permettre à ses utilisateurs de créer rapidement des morceaux « libres de droit »283. Ainsi, forcer un droit de reproduction et de représentation sur de telles créations semble peu réaliste d’un point de vue technique et même contraire à la volonté des développeurs des programmes créatifs. Si ce droit était mis en œuvre, son application resterait purement théorique. En revanche, dans l’hypothèse où un artiste souhaiterait conserver la maîtrise des créations générées par sa machine (ce qui se conçoit aisément, notamment parmi le mouvement des algoristes), il lui suffirait de ne pas diffuser les robots créateurs (virtuels ou physiques). Ainsi, l’artiste garderait la maîtrise pleine et entière des créations qu’ils généreront et, dans ce cas- là, la mise en œuvre du droit de reproduction et de représentation sur ces créations serait parfaitement envisageable.

2.2.2.4 La durée des droits

La durée de protection ne poserait pas de question particulière dans le cas de la création d’œuvres par l’utilisateur au moyen de la machine : le délai de droit commun de soixante-dix ans à compter de son décès284 pourra s’appliquer. Si c’est en revanche le programmeur qui est protégé, ici encore, dans le cas où il perd la maîtrise de son robot créatif, la durée des droits de soixante-dix ans serait impossible à mettre en œuvre et conduirait à un monopole potentiellement perpétuel si de nouveaux droits étaient générés à chaque nouvelle création du robot. Ainsi, en prenant ici encore exemple sur le régime de protection du logiciel, on pourrait considérer que celui-ci, ainsi que les œuvres qui en découlent, seraient protégés par le délai de soixante-dix ans après la mort de l’auteur.

283 « Jukedeck - Create unique, royalty-free soundtracks for your videos », en ligne : Jukedeck

<http://www.jukedeck.com/> (consulté le 29 juin 2017).

Le droit britannique a, quant à lui, déjà envisagé cette situation et prévoit un aménagement de la durée de protection pour les créations générées par ordinateur, de « cinquante ans à compter de la fin de l’année de réalisation de l’œuvre »285. Si l’on appliquait cette disposition dans le présent cas, le raccourcissement du délai de protection aurait une incidence dans les cas suivants : dans le cadre de la mise en œuvre du droit de reproduction, de représentation et du droit de suite (pour le programmeur uniquement, et dans la mesure où il n’aurait pas accordé de licence sur le robot créateur et conserve la maîtrise des créations générées par celui-ci). Le droit moral étant imprescriptible, il ne serait pas affecté par ce raccourcissement.

Pour conclure, si des droits d’auteur sont accordés relativement à une création générée par une IA, ils le seront dans une acception bien moindre qu’en droit commun du droit d’auteur. Encore une fois, il faut distinguer le cas des créations assistées par IA des créations générées par IA. Dans le premier cas, un auteur a simplement recours à un robot intelligent dans le cadre de la réalisation d’une œuvre, sans que cette utilisation amoindrisse son apport créatif et diminue la place que prendra l’empreinte de sa personnalité. Ici, l’artiste se verra reconnaître un droit d’auteur plein et entier, ne nécessitant aucun aménagement par rapport au régime de droit commun, si les conditions légales sont remplies. Dans le second cas, celui de la création générée par ordinateur, l’utilisateur est donc mis à part, laissant subsister une titularité au profit du programmeur. Comme évoqué, le droit moral du programmeur sur les créations générées par son programme serait encore plus affaibli que le droit moral qui lui est en principe accordé sur la conception d’un programme. Il se limiterait à un simple droit de paternité dans les cas où le programmeur a cédé des licences d’exploitation de son programme, droit auquel pourrait s’ajouter un droit de divulgation dans les cas où il conserve la pleine et entière maîtrise de celui-ci. Les droits patrimoniaux seraient, ici également, assez malmenés puisqu’ils ne pourraient être mis en œuvre que dans le cas où le programmeur a gardé la maîtrise de son logiciel, et n’a pas concédé de licences d’utilisation à des tiers, licences qui l’empêcheraient de suivre les créations générées au moyen de celui-ci.

285 art. 12(7) Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211 : « If the work is computer-generated the

above provisions do not apply and copyright expires at the end of the period of 50 years from the end of the calendar year in which the work was made. »

2.2.3 Une absence de titulaire en cas d’indiscernabilité de l’empreinte de

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