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Une titularité des droits au profit de l’utilisateur de l’IA ?

2. L A COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX CREATIONS GENEREES PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

2.1 La titularité des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle

2.1.2 Une titularité des droits au profit de l’utilisateur de l’IA ?

L’utilisateur du logiciel de l’IA dispose de sérieux arguments en sa faveur pour se voir reconnaître une titularité des droits sur les créations générées par le robot. En effet, il est l’acteur nécessaire au déclenchement du processus créatif (c’est lui qui amorce le

219 UNESCO, « Bulletin du droit d’auteur » (1990) XXIV:3 UNESCO, p 31. Cité par Bertrand, supra, note 83.

§103.14.

220 V. supra, 1.1.3 La reconnaissance d’une personnalité juridique à l’intelligence artificielle, palliatif à

programme) et il est responsable de la mise en place éventuelle du « cadre créatif ». L’intervention humaine étant souvent requise, à des degrés variés, afin de permettre au programme de créer. Ici, l’utilisateur s’entend de la personne qui a la maîtrise concrète du robot (virtuel ou physique) ; il s’entend, de la même manière qu’en droit civil, de la personne qui a la garde de la chose, à savoir, qui en a l'usage, la direction et le contrôle221.

Dans le cas de l’art algorithmique recombinant (apprenant ou non), l’apport de l’humain est minime puisque l’IA va générer une création composée d’extraits ou de fragments d’œuvres préexistantes analysés et recombinés au moyen d’algorithmes. Ces programmes peuvent également être dotés d’une capacité d’apprentissage, mais cela ne change rien à l’action requise par l’utilisateur qui se limite à un choix entre plusieurs options fermées ou limitées. Ainsi, la création finale ne sera pas un reflet de ses choix personnels. Tout au mieux, on pourra y percevoir ceux effectués par les auteurs des œuvres préalablement incorporées au programme. Par exemple, le script du court-métrage « Sunspring », écrit par une IA auto- baptisée Benjamin, est quasi-intégralement le produit de calculs du logiciel. Des contraintes scénaristiques mineures avaient été posées : on a indiqué au programme le contexte approximatif de l’action (le futur, frappé d’un chômage de masse) et une scène dans laquelle l’un des personnages prend un livre d’une étagère222. Tout le reste du script repose sur l’analyse et la recombinaison d’extraits de films (notamment de science-fiction) qui ont été intégrés au logiciel et analysés par celui-ci, sans apport créatif de l’humain utilisateur. Quant au fonctionnement du programme DeepDream, il diffère légèrement, en ce qu’il est doté d’une capacité d’apprentissage mais cela ne modifie pas le rôle de l’utilisateur qui sera tout aussi limité. Ici, pour générer une création, la personne doit choisir une image préexistante et lui appliquer des effets ou des filtres, en couches successives, qui déforment l’image d’origine au point de la rendre méconnaissable223. L’on voit bien ici que le rôle de l’utilisateur est très restreint : il ne dispose pas de la marge nécessaire à l’expression de choix libres et

221 Cour de Cassation, Franck, Chambres réunies, du 2 décembre 1941, Publié au bulletin.

222 V. « AI-written film “Sunspring” a surreal delight, upchucked eyeball included », en ligne : CNET

<https://www.cnet.com/news/ai-written-film-sunspring-a-surreal-delight-upchucked-eyeball-included/> (consulté le 20 juin 2017). V. aussi le logiciel flowmachines : qui compose des morceaux de musique, sous réerve toutefois que son utilisateur ait choisi un genre musical. « Flow Machines: AI music-making », en ligne : Flow Machines <http://www.flow-machines.com/> (consulté le 20 juin 2017).

223 « Deep Dream Generator », en ligne : <https://deepdreamgenerator.com/generator> (consulté le 21 juin

créatifs.

Dans le cas de l’art algorithmique simple ou simplement apprenant (sans recombinaison), la marge décisionnelle de l’utilisateur est dans la plupart des cas tout aussi limitée que dans l’hypothèse précédente. En présence d’un robot virtuel qui génère des créations prenant leur source dans des calculs algorithmiques (peu importe que l’algorithme en question soit doté ou non d’une capacité d’apprentissage), l’utilisateur de l’algorithme peut entrer des paramètres basiques dans le logiciel mais, une fois le programme lancé, il perd toute maîtrise sur le processus de création. Par exemple, dans le cas du logiciel musicien Flow Machines, le libre-arbitre de l’utilisateur se limite au choix du style de musique et à la durée souhaitée du morceau224. Le programme « compose » puis génère un résultat sur lequel l’utilisateur n’a aucune prise. Ces cas sont assez représentatifs de l’utilisation qui est communément faite des programmes générateurs d’art algorithmique et démontrent la faible prise de participation de leur utilisateur au cours du processus créatif.

Accorder un droit d’auteur à cet utilisateur reviendrait à en dénaturer sévèrement la finalité et reviendrait à ouvrir la porte du régime protecteur à de nombreux acteurs connexes à la création, la personnalité des utilisateurs ne se retrouvant nullement dans les choix basiques qu’il leur est demandé d’effectuer. La Cour de cassation insiste sur cette dimension et a notamment énoncé que « la qualité d’auteur ne peut être reconnue à la personne qui s’est limitée à fournir une idée ou un simple thème »225 comme c’est le cas en l’occurrence.

De plus, dans le cas des programmes d’art algorithmique non-apprenants, il n’est pas invraisemblable que deux ou plusieurs personnes, indépendamment, sélectionnent les mêmes paramètres, ce qui aura pour effet de générer des compositions strictement identiques. En effet, la production d’un ordinateur ne s’apparente pas à celle réalisée par un humain en ce que le programme n’est pas capable d’imagination ou de variation. Tout au mieux, il pourra simuler l’aléa, mais l’exécution d’un programme configuré d’une façon donnée génèrera

224 Dans le cadre d’une utilisation « automatique » du logiciel. Il existe également un mode « interactif »,

permettant à l’utilisateur d’effectuer de véritables choix, mais l’on se situe ici davantage dans le cadre d’une création assistée par ordinateur. V. note 219.

toujours le même résultat, à l’inverse du fameux exemple de Desbois :

Voici deux peintres qui, sans s’être concertés et se promettre un mutuel appui, fixent l’un après l’autre, sur leurs toiles, le même site, dans la même perspective et sous le même éclairage. Le second de ces paysages n’est pas une nouveauté au sens objectif du mot puisque, par hypothèse, le premier a pour sujet le même site. Mais le défaut de nouveauté ne met pas obstacle à la constatation de l’originalité : les deux peintres, en effet, ont déployé une activité créatrice, l’un comme l’autre, en traitant indépendamment l’un de l’autre le même sujet […]. Elles constituent l’une et l’autre des œuvres absolument originales.226

Les productions robotiques, tout au moins celles dépourvues d’aléa, ne connaissent pas cette nuance. Le logiciel est programmé pour réaliser mathématiquement la même composition autant de fois qu’il le lui sera demandé.

Les problèmes découlant de la reconnaissance de droits d’auteur sur ces réalisations surgissent alors clairement. Faudrait-il considérer que les utilisateurs qui ne sont pas à l’origine de la première production mais des suivantes réalisent une reproduction de la première (alors même qu’ils peuvent ne pas avoir connaissance de l’existence de celle-ci) ? Si l’on admet qu’il s’agit d’une reproduction, comment demander l’autorisation alors requise, faute d’identification possible du premier utilisateur ? Faire peser une telle contrainte sur les utilisateurs du programme rendrait celui-ci inutilisable. Il est impossible, avant chaque création, de s’assurer qu’elle n’a pas déjà été réalisée. D’une autre façon, si l’on choisissait de conférer une cotitularité du droit d’auteur227 à tous les utilisateurs à l’origine de la création, celui-ci serait beaucoup trop complexe à mettre en œuvre puisque chaque reproduction ou représentation de la création serait conditionnée par l’accord d’autant d’utilisateurs qu’il y a de créations identiques. Par ailleurs, cette autorisation serait très aisément contournée puisque celui qui chercherait à l’obtenir pourrait s’en passer en générant lui-même la création souhaitée au moyen du programme créateur.

226 Desbois, supra, note 67. n°3.

227 A l’image du régime de l’œuvre de collaboration, qui prévoit une copropriété et un exercice en commun des

droits sur l’œuvre, conformément aux dispositions de l’article L. 113-3 du CPI : « les coauteurs doivent exercer

leurs droits d’un commun accord », et à la jurisprudence : Cass. civ. 1re, 4 oct. 1988 : D. 1989, jurispr. p. 482, note P.-Y. Gautier ; RTD com. 1990, p. 32, obs. A. Françon.

Toutefois, il faut ici encore mettre à part le cas des robots fonctionnant selon une technique analogue à la photographie : c’est-à-dire dotés d’une structure, mécanique ou non, guidée par un programme d’art algorithmique simple (ni recombinant ni apprenant) qui lui permet de reproduire sur un support physique ou numérique un sujet auquel il est confronté228. En effet, comme évoqué précédemment, l’utilisateur d’un tel robot, qui effectue des choix libres et créatifs pouvant être complexes (de choix d’un sujet, d’un cadre, d’outils et de support…), dispose ici d’une véritable marge lui permettant d’empreindre de sa personnalité la création finale. La marge de liberté créative constatée sera souvent plus grande a priori dans le cas de l’utilisation d’un robot physique que dans le cas d’un robot virtuel, puisque les choix à réaliser (des outils, du support…) auront tendance à être plus nombreux. Cependant, ce type de robot se distingue d’un simple automate en ce qu’il est programmé. La création qu’il génère repose sur les calculs d’algorithmes et n’est pas prédéterminée (à l’inverse d’une imprimante 3D par exemple, qui n’a aucune autonomie dans sa création : et qui ne fait qu’imprimer des objets en suivant le plan qui lui a été indiqué). Ainsi, dans cette hypothèse exclusivement, il semble que l’utilisateur pourrait se voir reconnaître des droits d’auteur sur la création (ou même l’œuvre) générée au moyen de l’IA. Bien entendu, cette protection reste soumise à l’incontournable condition d’originalité dont le contrôle incombe au juge.

Le Copyright Act anglais vient au soutien de cette proposition car il prévoit dans son article 9.3 que « dans le cas d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique qui est générée par ordinateur, l’auteur sera considéré comme la personne qui prend les dispositions nécessaires pour la création de l’œuvre »229. Ainsi, le droit d’auteur anglais a déjà envisagé cette question de la création générée par ordinateur et a conclu que l’intervenant le plus à même d’en percevoir le fruit était celui « qui prend les dispositions nécessaires pour la création de l’œuvre ». Si cet acteur peut s’entendre de plusieurs façons, il correspond le plus vraisemblablement à l’utilisateur du robot. Cette disposition est quasiment contemporaine aux conclusions de l’OMPI, intervenues trois ans plus tôt, et qui se prononçait également en faveur d’une titularité des droits au profit de « la ou les personnes ayant fourni

228 V. supra, : 1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques.

229 Art. 9.3 Copyright, Designs and Patents Act, supra, note 211 : « In the case of a literary, dramatic, musical

or artistic work which is computer-generated, the author shall be taken to be the person by whom the arrangements necessary for the creation of the work are undertaken. »

l'élément de création sans lequel l'œuvre finale n'aurait pu faire l'objet d'une protection par le droit d'auteur. »230 Cette position est également défendue par André Bertrand qui considère que « Si une œuvre est créée de toutes pièces au moyen d'une machine ou d'un ordinateur, son auteur sera, normalement, le manipulateur de la machine. »231

Toutefois, il est délicat ici de parler véritablement de « création générée par IA ». Ce cas très spécifique se situe exactement à la frontière de la création générée par IA et de la création assistée par IA. C’est la marge de manœuvre dont usera ou dont disposera l’utilisateur en pratique qui fera basculer la création dans l’une ou l’autre des deux catégories.

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