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Une objectivation de la notion d’originalité, la rendant accessible aux créations générées par un ordinateur ?

1. L ES CREATIONS REALISEES PAR LE BIAIS D ’UNE INTELLIGENCE

1.2 La notion d’œuvre, décelable dans l’acte matériel de création à travers l’intention de l’humain derrière la

1.2.3 Une objectivation de la notion d’originalité, la rendant accessible aux créations générées par un ordinateur ?

Depuis le célèbre arrêt Pachot de 1986162, et à cause de la multiplication du contentieux lié aux logiciels, la Cour de cassation s’est vue contrainte de nuancer la définition subjective classique163 de l’originalité jusqu’alors en vigueur. En effet, tenter de déceler l’empreinte de la personnalité d’un auteur au travers de lignes de code composées d’instructions standardisées relève d’un raisonnement assez artificiel. La notion d’originalité a donc dû subir une adaptation afin de pouvoir appréhender ces nouvelles créations et l’on a alors assisté à un mouvement d’objectivation de la notion d’originalité164.

160 « Pour peu qu'il soit « animé » d'une « intention artistique », le corps devient créatif dans la mesure où la

vie qui l'habite est elle-même créatrice. Il se conduit alors comme un pinceau vivant qui vient déposer sur un monochrome blanc, en attente de passion, la trace de l'amour physique. Et on est transporté dans les fameuses anthropométries d'Yves Klein, où l'artiste dirigeait la reptation de modèles nus enduits de peinture bleue sur des feuilles de papier. » Bernard Edelman, « La création dans l’art contemporain » [2009] D. 38.

161 Françoise Labarthe, « Dire l’authenticité d’une oeuvre d’art » (2014) 18 D. 1047‑1053.

162 Cass., ass. plén., 7 mars 1986 [1re esp.], Babolat c. Pachot, no 83-10.477, D. 1986. 405, concl. Cabannes et

note Edelman ; RTD com. 1986. 399, obs. Françon ; JCP 1986. II. 20631, obs. Mousseron, Teyssié et Vivant ; RIDA, 1986, no 129, p. 136, note A. Lucas.

163 L’originalité était alors définie comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur (voir supra, 1.1.1

Définition de l’œuvre de

l’esprit

).

164 Alexandra Bensamoun et Julie Groffe, « §3. Appréciation et siège de l’originalité » dans Répertoire de droit

Dans cette acception, la condition d’originalité peut être satisfaite si le programmeur du logiciel fait preuve d’un « effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort rési[dait] dans une structure individualisée165 », suffisant à conférer au logiciel « la marque de son apport intellectuel166. » Cette formulation emporte d’importants changements au regard de la notion d’originalité telle qu’appréhendée jusqu’alors. Comme l’analyse une partie de la doctrine :

L’approche retenue de l’originalité est (…) moins centrée sur la personnalité de l’auteur, et l’adaptation de la notion n’est pas sans conséquence, dans la mesure où le concept d’apport intellectuel semble lié, plus qu’à l’originalité, à la nouveauté, pourtant propre à la propriété industrielle. En outre, cette seconde définition fait que l’originalité change de nature : de notion-cadre, elle devient notion polysémique, participant du désordre et de l’incertitude167.

Ce détachement de la notion d’empreinte de la personnalité de l’auteur pourrait conduire à un élargissement de la catégorie des créations pouvant recevoir la qualification d’œuvre et s’interpréter ainsi au bénéfice des créations générées par une intelligence artificielle. Cet élargissement pourrait leur profiter, « compte tenu de la présence sous-jacente du programme qui a contribué à la réalisation de cette œuvre168 » bien que celles-ci ne s’apparentent nullement à des programmes d’ordinateur, mais à des créations à vocation artistique. Le Professeur Vivant « préconise [d’ailleurs] de ramener l’originalité à la nouveauté dans l’univers des formes », cette nouveauté étant par ailleurs aisément détectable dans nombre de créations réalisées par une IA169.

Toutefois, cette tendance à l’objectivation de la notion d’originalité est à nuancer car la Haute Cour pose une limite en sanctionnant les références abusives au « domaine de l’art connu »170

165 Arrêt Pachot précité note 117. 166 Ibid.

167 Alexandra Bensamoun et Julie Groffe, « §3. Appréciation et siège de l’originalité » dans Répertoire de droit

civil, 2017, 32‑33.

168 Gaubiac, supra, note 103.

169 Michel Vivant et Jean-Michel Bruguière, Droit d’auteur et droits voisins, 2e édition, coll Précis Droit privé,

Paris, Dalloz, 2013. p. 255 cité par Larrieu, supra, note 52.

170 Cass. com., 10 sept. 2013, n° 12-19.873 : JurisData n° 2013-019085 : « Alors (…) qu'en annulant en l'espèce

le modèle de flacon déposé sous le n° 942417 aux motifs que la forme du buste masculin qui le compose ne se différencie pas des dessins et modèles de bustes appartenant au domaine de l'art connu (…), la Cour d'appel a

ou à la caractérisation de l’originalité en référence à « l’absence d’antériorité de toutes pièces et le caractère nouveau »171. Cette notion reste éminemment subjective, ce qui est rappelé à intervalles réguliers par la CJUE, notamment dans l’arrêt Eva-Maria Painer172 qui fait par exemple référence à la « création intellectuelle de l’auteur reflétant la personnalité de ce dernier et se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci »173.

De la même façon, le droit de la propriété intellectuelle a également su faire preuve de souplesse afin d’accorder une protection aux bases de données, créations recelant une forte valeur ajoutée mais dépourvues de l’empreinte de la personnalité de leur créateur à proprement parler. En effet, celles-ci ont reçu une protection au niveau international174 avant d’intégrer le CPI en 1998 dont l’article L.122-3 dispose alors : « Les auteurs (…) jouissent de la protection instituée par le présent code sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale. Il en est de même des auteurs (…) de recueils d’œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles. » Cette protection est également reconnue par la Cour de cassation qui a jugé a contrario que « ne sont protégeables par le droit d’auteur que les bases de données qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles originales »175.

privé sa décision de base légale au regard des articles L. 511-1 et L. 511-3 du Code de la propriété intellectuelle ».

171 Cass. civ. 1re, 22 janv. 2014, n° 11-24.273 : JurisData n° 2014-001202 : « La Cour d'appel, qui a fondé sa

décision sur l'absence d'antériorité de toutes pièces et le caractère nouveau des choix opérés par l'architecte, n'a pas caractérisé en quoi ces choix, pour arbitraires qu'ils soient, portaient l'empreinte de la personnalité de leur auteur ; qu'en statuant ainsi, elle a violé les articles L. 112-1 et L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle. »

172 V. not. CJUE 1er déc. 2011, aff. C-145/10, Eva-Maria Painer c. Standardverlag et alii, Eva-Maria Painer,

supra, note 141. D. 2012. 471, obs. J. Daleau, note N. Martial-Braz; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F.

Jault-Seseke; ibid. 2836, obs. P. Sirinelli; RTD com. 2012. 109, obs. F. Pollaud-Dulian; ibid. 118, obs. F. Pollaud-Dulian; ibid. 120, obs. F. Pollaud-Dulian. Ibid.

173 Eva-Maria Painer, supra, note 141. point 99.

174 Art. 5 traité OMPI 1996 : « Compilations de données (bases de données). Les compilations de données ou

d’autres éléments, sous quelque forme que ce soit, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles sont protégées comme telles. Cette protection ne s’étend pas aux données ou éléments eux-mêmes et elle est sans préjudice de tout droit d’auteur existant sur les données ou éléments contenus dans la compilation. »

175 Cass. civ. 1re, 22 septembre 2011, Strato Ip c. Benamran, n° 10-23.073, non publié au Bulletin ; RIDA oct.

2011, p. 243, obs. P. Sirinelli ; Cass. civ. 1re, 22 sept. 2011, Winsure, n° 09-71.337, non publié au Bulletin ; RIDA oct. 2011, p. 243, obs. P. Sirinelli.

Par ailleurs, le producteur de la base de données bénéficie d’un droit sui generis sur celle-ci, qui lui est conféré au niveau national par l’article L. 341-1 du CPI : « Le producteur d’une base de données, entendu comme la personne qui prend l’initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d’une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d’un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection est indépendante et s’exerce sans préjudice de celles résultant du droit d’auteur ou d’un autre droit sur la base de données ou un de ses éléments constitutifs. »

Ainsi, le droit sait s’accommoder sans trop de peine de l’absence d’originalité, au sens strict du terme, pour accueillir certaines créations telles que les logiciels ou les bases de données qui en sont à première vue dépourvues. Un effort créatif se retrouve, bien entendu, derrière de telles réalisations mais l’on peut difficilement l’analyser comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Une distorsion similaire des catégories juridiques au profit des créations générées par IA semblerait également envisageable et conforme au penchant du droit d’auteur qui tend à s’adapter aux mutations technologiques, afin de ne délaisser aucune forme de création.

Si cette objectivation de la notion d’originalité venait à être pérennisée et élargie au profit des créations générées par une IA, cette évolution s’inscrirait dans le sens d’une harmonisation du régime du droit d’auteur dans les États observant une tradition de Common law, ceux-ci n’attachant pas autant d’importance à l’empreinte de la personnalité de l’auteur que les États de tradition civiliste.

1.2.4 L’exemple Common law-iste d’une empreinte de la personnalité

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