• Aucun résultat trouvé

L’exemple Common law-iste d’une empreinte de la personnalité en retrait, au profit d’un critère de l’effort

1. L ES CREATIONS REALISEES PAR LE BIAIS D ’UNE INTELLIGENCE

1.2 La notion d’œuvre, décelable dans l’acte matériel de création à travers l’intention de l’humain derrière la

1.2.4 L’exemple Common law-iste d’une empreinte de la personnalité en retrait, au profit d’un critère de l’effort

Dans certains États de Common law176, l’originalité s’apprécie d’une façon différente de celle des États de tradition civiliste. En effet, l’empreinte de la personnalité de l’auteur y joue

176 Notamment le Canada, les États-Unis, l’Angleterre, l’Inde, la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Le droit

Québécois, quant à lui, empruntant à la fois à la tradition civiliste et à la tradition de common law pourrait offrir des éléments de comparaison intéressants.

parfois un rôle résiduel, au profit du critère de l’effort. La doctrine dite du « sweat of the brow » (« sueur du front ») souhaite tendre vers une valorisation de l’effort, plutôt qu’une valorisation de l’empreinte de la personnalité de l’auteur, élargissant ainsi le spectre des œuvres pouvant faire l’objet d’une protection. Par ailleurs, la finalité du droit d’auteur américain est de « promouvoir le progrès de la science et des arts utiles177 ». Dans une telle acception, il est permis de se demander si les créations générées par IA ne trouveraient pas leur place au sein du domaine protégeable.

Cette doctrine a émergé au Royaume-Uni, dans la décision Walter v. Lane178 qui récompense par la protection du droit d’auteur le « skill and labor » (« talent et travail ») de l’auteur179. Ce critère d’appréciation de l’originalité s’est ensuite développé et répété et a pris le nom de « sweat of the brow », ou « industrious collection » (collecte laborieuse)180. Il ressort des décisions britanniques que la créativité n’est pas requise pour accéder à l’originalité. Seul le critère du talent et du travail doit être rempli, c’est-à-dire que l’auteur peut accéder à la protection en ayant effectué un travail laborieux (même de collecte d’informations factuelles) et en ayant exprimé ces informations181. Cette conception est assez bien ancrée en droit britannique, et les juges ont recours à plusieurs expressions différentes telles que : « skill, judgement and labour”182 ou “labour, skill, and capital”183 ou encore “intellectual skill and brain labour”184. De la même façon, deux décisions australienne et néo-zélandaise ont reconnu l’originalité d’un annuaire pour l’une, et d’éléments annexes à un sondage (rubriques et sous-titres) pour l’autre, à cause de l’effort qui avait été déployé pour la collecte de ces

177 « To promote the Progress of Science and useful Arts. » art. I, § 8, cl. USC.

178 Walter v. Lane [1900] A.C. 539. Cité par Krishna Hariani et Anirudh Hariani, « Analyzing Originality in

Copyright Law: Transcending Jurisdictional Disparity » (2011) 51 IDEA Intellect Prop Law Rev 491‑510. P. 498.

179 Id. at 554-55. Cité par Ibid. 180 Ibid. p. 502.

181 Sawkins v. Hyperion Records Ltd., [2004] EWHC (Ch.) 1530, [2004] 4 All E.R. 418 (HC) (Eng.) at paras.

48-56 Ladbroke (Football) Ltd. v. William Hill (Football) Ltd, [1964] 1 W.L.R. 273 (Eng.) at 471; Univ. of London Press, Ltd. v. Univ. Tutorial Press, Ltd., [1916] 2 Ch. 601 (Eng.) at 611-14. Cité par Ibid.

182 Ladbroke (Football) Ltd v. William Hill (Football) Ltd[1964] 1 WLR 273 (HL). Cité par Mark Perry et

Thomas Margoni, « From music tracks to Google maps: Who owns computer-generated works? » (2010) 26:6 Comput Law Secur Rev 621–629.

183 W.R. Cornish, Intellectual Property, London, 2003 at 10-04; K. Garnet – J. Rayner James – G.

Davies, Copinger and Skone James on copyright, 14th Ed. at 3–85. Cité par Ibid.

184 Walter v. Lane [1900] AC 539, « decision reached before a statutory requirement of originality was inserted

données185. À l’inverse, dans l’affaire IceTV, la Cour suprême australienne précise sa position en jugeant que les seuls critères du « skill and labour », non liés à la production d’une œuvre, ne pouvaient pas constituer un acte d’expression empreint d’originalité186. Il semblerait que l’Inde n’ait pas encore pris position sur ce critère de l’originalité mais, dans plusieurs affaires, les juridictions se sont prononcées en faveur du test « sweat of the brow »187. Les cours indiennes ont en effet tendance à faire référence à une nécessité de démontrer du « skill and labor » afin d’accéder à la protection. Toutefois, il est parfois fait référence à un « original skill and labor188 », mêlant ainsi le système britannique à la conception européenne traditionnelle.

Si cette doctrine « sweat of the brow » s’est quelque peu exportée outre-Atlantique, elle n’a guère eu de succès. Elle a fait son apparition notamment dans l’arrêt Gray v. Russel189. Dans cette affaire, le Juge Story a accordé la protection à une grammaire annotée en prenant l’exemple d’une hypothétique carte à laquelle son créateur aurait dédié « une grande partie de son temps et de son attention » et affirme qu’un tiers ne devrait pas être en mesure de reproduire cette carte sans déployer les mêmes talent et travail que son créateur190. Il ressort de nombreuses conclusions du Juge Story que le droit d’auteur était accordé à des travaux réalisés grâce à du talent, du travail ou de l’argent191. Ce critère a également été employé dans l’affaire Jeweler’s Circular Publishing Co. v. Keystone Publishing Co. (au sujet d’un annuaire) : « La personne parcourant les rues d’une ville et recensant le nom de ses habitants, ainsi que leur profession et le numéro de leur rue acquiert ici un écrit dont il est l’auteur. Il

185 Australian Full Federal Court in Desktop Marketing Systems Pty. Ltd. v. Telstra Corp. Ltd.,48 and the New

Zealand Court of Appeal in The University of Waikato v. Benchmarking Services Ltd. Cité par Hariani et

Hariani, supra, note 178. p. 499.

186 IceTV Pty Limited v. Nine Network Australia Pty Limited, 2009 HCA, en ligne :

<http://www.austlii.edu.au/cgi-

bin/sinodisp/au/cases/cth/HCA/2009/14.html?stem=0&synonyms=0&query=ice%20TV>.

187 Hariani et Hariani, supra, note 178.

188 Govindan v. Gopalakrishna, 1955 A.I.R. Mad. 391, § 8-10; V. Burlington Home Shopping v. Rajnish

Chibber, 1995 P.T.C. (15) 278; McMillan v. Suresh Chunder Deb, I.L.R. 17 (Cal.) 951, 961. Cité par Ibid. p. 503.

189 10 F. Cas. 1035 (C.C.D. Mass. 1839) (No. 5728). Cf. Blunt v. Patten, 3 F. Cas. 763, 765 (C.C.S.D.N.Y.

1828) (No. 1580). Cité par Dale P Olson, « Copyright Originality » (1983) 48 Mo Law Rev 29‑62. P. 35

19010 F. Cas. at 1038. Ibid. p.36 191 10 F. Cas. at 619 Ibid. p.37

produit, par son travail, une compilation méritante, pour laquelle il mérite un droit d’auteur, et le droit exclusif d’effectuer des reproductions de son œuvre192. »

Mais cette doctrine a été largement controversée aux États-Unis et si, pendant un temps, les juges ont hésité sur la question de savoir si la créativité était ou non une condition de l’originalité, elle a été définitivement écartée dans l’arrêt Feist193 précité et a conduit certains auteurs à considérer que « doctrinally, at least, the ‘sweat of the brow’ test is as dead as the proverbial doornail.»194 (D’un point de vue doctrinal, tout au moins, la doctrine du sweat of the brow est morte et enterrée). La conception américaine de l’originalité se rapproche alors de la vision européenne et notamment française. Le droit américain a subi en effet l’influence de la conception continentale du droit d’auteur, ce qui a conduit les juges de la Cour Suprême à considérer qu’un : « écrit (…) ne peut être qualifié d’original que s’il émane des pouvoirs créatifs de l’esprit. Les écrits qui méritent protection sont le fruit d’un travail intellectuel, incarné sous la forme de livres, d’imprimés, de gravures et autres assimilés »195. Ainsi, « si la créativité n’émane pas d’un auteur, le procédé est purement mécanique, et son résultat n’est pas protégeable. Les Cours américaines n’ont pas encore décelé de matériel protégeable dans un produit ayant pour auteur un non-humain. Le copyright office américain interdit même l’enregistrement de créations produites par une machine196. C’est ensuite l’arrêt Bleistein v. Donaldson Lithographing Co.197 qui s’est attaché à préciser les contours de la notion d’originalité et le Juge Holmes en donne une définition devenue référence : « La copie

192 281 F 83, 88 (2d Cir 1922), cité dans Hutchinson Telephone, 770 F2d at 131; Leon, 91 F2d at 486 : « The

man who goes through the streets of a town and puts down the names of each of the inhabitants, with their occupations and their street number, acquires material of which he is the author. He produces by his labor a meritorious composition, in which he may obtain a copyright, and thus obtain the exclusive right of multiplying copies of his work. » cité par Howard B Abrams, « Originality and Creativity in Copyright Law » (1992) 55

Law Contemp Probl 3‑44.

193 « Feist Pubs., Inc. v. Rural Tel. Svc. Co., Inc. 499 U.S. 340 (1991) », en ligne : Justia Law

<https://supreme.justia.com/cases/federal/us/499/340/> (consulté le 13 juin 2017).

194 Abrams, supra, note 192. p. 42.

195 En anglais dans le texte : « "originality is required" for anything to be classified as the writing of an author. »

(…) « [W]hile the word writings may be liberally construed, as it has been .... it is only such as are original, and are founded in the creative powers of the mind. The writings which are to be protected are the fruits of intellectual labor, embodied in the form of books, prints, engravings, and the like. » These three cases, United States v. Steffens, United States v. Witteman, and United States v. Johnson, are jointly decided at 100 US 82

(1879). Cité par Ibid. p. 6.

196 Cindy Alberts Carson, « Laser Bones: Copyright Issues Raised by the Use of Information Technology in

Archaeology » (1996) 10 Harv J Law Technol 281‑320. p. 298.

[originale] est la réaction personnelle d’un individu à la nature. La personnalité contient toujours quelque chose d’unique. Sa singularité s’exprime jusque dans l’écriture [manuscrite], et même une contribution artistique très modeste contient quelque chose d’irréductible, propre à chaque homme. C’est cette chose unique et irréductible que protège le droit d’auteur198. »

Ainsi, c’est surtout lorsque l’originalité au sens classique du terme était difficile à déceler, notamment dans le cas d’une compilation de données199, que les juges en référaient à d’autres critères afin de l’évaluer et notamment à l’approche « sweat of the brow ». Celle-ci considère « à défaut » qu’une démonstration de l’effort est suffisante afin d’établir l’originalité, même lorsque cet effort est dépourvu d’imagination ou de jugement. Ici, l’originalité requise réside dans le temps, l’effort et l’argent engagés afin de générer le produit pour lequel la protection est demandée.

Le Canada, quant à lui, se situe dans un entre-deux et a récemment pris position sur la question. Jusqu’en 1997, la Cour fédérale d’appel considérait que200 les juridictions canadiennes ne devaient plus se plier à cette doctrine de l’effort et devaient adopter la conception américaine et continentale fondée sur la créativité qui a été mise en place dans l’arrêt Feist précité. Mais un revirement partiel a eu lieu lors de l’arrêt CCH, dans lequel la Cour a décidé d’opter pour une voie médiane entre « l’éclat de créativité » et « l’effort de collecte ou l’effort industriel »201, jugeant que la conception américaine avait des exigences trop élevées en matière de créativité et que le Royaume-Uni, à l’inverse, adoptait une position trop laxiste. Pour la Cour canadienne, l’expression artistique ne doit pas être un exercice purement mécanique. La Cour considère, dans le retentissant arrêt CCH, que :

198 En anglais dans le texte : « The copy is the personal reaction of an individual upon nature. Personality

always contains something unique. It expresses its singularity even in handwriting, and a very modest grade of art has in it something irreducible, which is one man's alone. That something they may copyright unless there is a restriction in the word of the act » Bleistein, 188 US at 250. Cité par Ibid. p.7.

199 Dans le cas d’une compilation de données v. par exemple : Feist, note 190.

200 Tele-Direct (Publications)Inc. v. American Business Information Inc. [1998] 2 F.C. 22 (Can.). at paras. 29-

38; cité par Hariani et Hariani, supra, note 178.

Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

La Cour canadienne place ainsi le siège de l’originalité dans le talent et le jugement, ceux-ci impliquant un effort intellectuel et non une action purement mécanique.

Si les juges américains font une utilisation plus souple, et peut-être plus opportuniste de la notion d’originalité que les juges français202, et si d’autres États de Common law ont recours au critère « sweat of the brow », cette interprétation semble toutefois servir principalement à protéger un effort intellectuel qui ne peut être appréhendé par le droit d’auteur. Cette notion est principalement utilisée afin de protéger une collecte industrieuse d’informations dans des pays qui ne connaissent pas de droit sui generis des bases de données. Il faut donc nuancer l’apport de cette doctrine en s’intéressant à sa finalité : dans la majorité des cas, elle avait pour objectif de protéger des éléments à forte valeur ajoutée mais dépourvus d’originalité au sens traditionnel du terme. Les juges américains ont par ailleurs explicitement refusé d’accorder la qualité d’auteur à un non-humain. Il est donc assez peu probable que les juges acceptent d’y recourir afin de faire entrer dans le champ de la protection des œuvres qui ont été générées par une intelligence artificielle ; la finalité serait ici très différente.

Donc, si l’accès à la qualité d’œuvre de l’esprit des créations générées par une IA paraît compromis, en raison principalement de l’absence d’auteur personne physique à l’origine de

202 D’ailleurs, dans le 17 U.S. Code § 102, l’originalité n’est intentionnellement pas définie, démontrant

ces créations, plusieurs arguments, portés notamment par le législateur européen, pourraient conduire à une intégration progressive des robots, physiques comme virtuels, dans notre société, et pourraient à terme conduire à reconnaître à leurs créations la qualité d’œuvre. Dans une telle hypothèse, il paraît nécessaire d’envisager, dans un second temps, les droits qui pourraient être rattachés à de telles créations, et les acteurs qui, parmi tous les intervenants sur la chaîne de la production artistique, pourraient revendiquer le bénéfice de tels droits.

2.

L

A COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX

Documents relatifs