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La reconnaissance d’une personnalité juridique à l’intelligence artificielle, palliatif à l’absence d’auteur personne physique ?

1. L ES CREATIONS REALISEES PAR LE BIAIS D ’UNE INTELLIGENCE

1.1 Un défaut des éléments qualificatifs de l’œuvre fermant la porte du droit d’auteur ?

1.1.3 La reconnaissance d’une personnalité juridique à l’intelligence artificielle, palliatif à l’absence d’auteur personne physique ?

Pour remédier à l’absence de créateur, condition nécessaire d’accès à la protection par le droit de la propriété littéraire et artistique, de nombreux auteurs104 sont allés jusqu’à considérer que l’IA pouvait se voir reconnaître une personnalité juridique à part entière : une audacieuse proposition qui impliquerait un bouleversement de plusieurs piliers du droit et qui se justifie difficilement.

Mus par des sentiments d’empathie105, certains auteurs ont proposé d’accorder une personnalité juridique aux « robots », permettant de conférer des droits à ces derniers. Cette dimension affective n’est pas ignorée non plus par le Parlement européen qui prévoit, dans une résolution du 16 février 2017 concernant des règles de droit civil sur la robotique, qu’« il convient d’accorder une attention toute particulière au fait qu’une relation émotionnelle

104 Notamment : l’auteure Pamela Mc Corduck, les avocats Alain Bensoussan, Muriel Cahen et Marshall

Willick, ou encore la députée européenne Mady Delvaux.

105 Une expérience au cours de laquelle Pleo, un dinosaure robotisé se faisait maltraiter par des humains a

conduit Kate Darling, chercheuse au MIT, à envisager la nécessité d’accorder une protection juridique aux robots sociaux « non pour eux-mêmes mais au bénéfice des humains » : Lucia Sillig, « Donnons des droits aux robots », Le Monde science et techno (17 février 2013). Pamela Mc Corduck, auteure de « Machines who think », établit, quant à elle, un parallèle entre le déni de personnalité juridique aux robots aujourd’hui et la privation de droits des femmes au 19e siècle, au prétexte qu’elles ne possédaient pas un corps masculin.

(« Pamela McCorduck has noted that the structure-based argument against recognition of artificially intelligent

machines as persons resembles nothing as clearly as the nineteenth-century assertions that women were inherently incapable of cognition for lack of a male body »), dans Willick, supra, note 9.

est susceptible de se développer entre l’homme et le robot, notamment chez les personnes vulnérables (enfants, personnes âgées, personnes handicapées), et attire l’attention sur les problématiques soulevées par les éventuelles conséquences physiques ou émotionnelles graves, pour l’utilisateur humain, d’un tel lien émotionnel106. » Cette solution résoudrait de façon assez commode la question de savoir si les créations générées par une IA peuvent être qualifiées d’œuvres ou non. En effet, à partir du moment où l’IA créatrice se verrait reconnaître une personnalité juridique, il suffirait de se poser la question de savoir si la création générée par celle-ci répond à l’exigence d’originalité. Si tel était le cas, la porte du droit d’auteur s’ouvrirait alors sans plus de difficulté pour accueillir ces créations.

Si cette solution n’était guère envisageable il y a une vingtaine d’années, elle s’impose aujourd’hui de plus en plus parmi la doctrine et a même trouvé écho dans la résolution du Parlement européen précitée107 qui « demande à la Commission (…) d’évaluer et de prendre en compte les conséquences de toutes les solutions juridiques envisageables, telles que (…) la création, à terme, d’une personnalité juridique spécifique aux robots, pour qu’au moins les robots autonomes les plus sophistiqués puissent être considérés comme des personnes électroniques responsables, tenues de réparer tout dommage causé à un tiers ; il serait envisageable de conférer la personnalité électronique à tout robot qui prend des décisions autonomes ou qui interagit de manière indépendante avec des tiers ».

Si cette proposition vise originairement à résoudre l’épineuse question du régime de responsabilité en cas de dommage causé par un robot intelligent, le fait de doter celui-ci d’une personnalité juridique aura des répercussions dans d’autres domaines du droit et pourra servir d’appui aux revendications de la doctrine favorable à la titularité de droits d’auteur au profit de l’IA. On peut d’ailleurs trouver une trace de ces revendications dans un document présentant des suggestions pour un livre vert concernant les problématiques légales soulevées par la robotique108. En effet, ce document considère que « les utilisateurs d’agents artificiels

106 Parlement Européen, Règles de droit civil sur la robotique. Résolution du Parlement européen du 16 février

2017 contenant des recommandations à la Commission concernant des règles de droit civil sur la robotique (2015/2103(INL), P8_TA-PROV(2017)0051, février 2017.

107 Ibid.

108 Christophe Leroux et al, euRobotics The European Robotics Coordination Action - Suggestion for a green

paper on legal issues in robotics - Contribution to Deliverable D3.2.1 on ELS issues in robotics, Christophe

n’ont aucun contrôle, sinon un contrôle très limité sur la création finale générée par ceux- ci, ainsi, il semble pertinent d’adapter les critères de la protection par le droit de la propriété intellectuelle pour accorder une telle protection aux œuvres générées par des robots »109 et il va plus loin en considérant qu’une telle solution implique de reconnaître une personnalité juridique à l’agent créateur110.

On trouve la consécration ultime de cet attachement des humains aux robots dans le scénario imaginé par Xavier Labbée qui envisage, avec une certaine part d’ironie, un monde (pas si éloigné du nôtre) dans lequel les humains chercheraient à consacrer par le mariage les liens affectifs qu’ils entretiennent avec leurs robots : « Pourquoi ne pourrait-on s’attacher un robot ? Et pourquoi ne pourrait-on dès lors chercher à l’épouser ?111 »

Parmi les plus fervents défenseurs de l’attribution d’une personnalité aux robots, il convient de citer Alain Bensoussan, pour qui « le temps est venu de créer un droit des robots les dotant d’une personnalité et d’une identité juridiques pour en faire, demain, des sujets de droit »112, et ce, afin que les « activités robotiques se développent dans l’intérêt général »113. Pour cet auteur, la création d’une personnalité juridique propre aux robots se justifie tout particulièrement en matière de droit d’auteur car, selon lui, « Lorsqu’on est plus capable d’opérer la distinction entre deux œuvres qui suscitent la même émotion de puissance émotionnelle, il nous semble que le robot créateur doit voir ses droits reconnus. »114 En effet, le risque de refuser d’accorder la qualité d’œuvre à de telles créations serait qu’elles tombent instantanément dans le domaine public, générant ainsi une grande perte de valeur, notamment pour les créateurs des robots et les programmeurs des logiciels qui en sont à l’origine, mais aussi pour les personnes ayant investi dans de tels « robots-artistes ».

109 « Users of intelligent agents have no control, or if any, a very little one, over the final work created by it.

That is why, it seems to be relevant to adapt the criteria of IP protection in order to grant such protection to robot-generated works », Ibid. p. 38.

110 « An intelligent agent can independently produce creative works. It seems therefore logical to consider

whether the intelligent agent could be the owner of its works (…). This solution is supported by some people and implies that intelligent agent acquires a legal personality. » Ibid. p. 39.

111 Labbée, supra, note 16. 112 Bensoussan, supra, note 61.

113 Alain Bensoussan, « Point de vue : Plaidoyer pour un droit des robots : de la « personne morale » à la

« personne robot ». » [2013] 1134 LJA.

114 Alain Bensoussan, « Le robot créateur peut-il être protégé par le droit d’auteur ? » [2016] 42 Planète Robots

D’autres auteurs, tels que Marshall Willick, ont considéré qu’il n’y avait pas de raison pour que l’IA ne bénéficie pas de la même fiction juridique que la personne morale, une construction permettant de faciliter les rapports au sein d’une société115. Cet argument s’appuie notamment sur le fait que les sociétés ont de plus en plus recours à l’IA dans le cadre de leurs processus décisionnels, et à terme, il n’est pas à exclure que la personne morale et l’algorithme décisionnel fusionnent en une même entité. Toutefois, dans l’hypothèse où le logiciel viendrait effectivement à prendre une telle place au sein de l’entreprise, l’opportunité d’accorder une personnalité juridique distincte au programme se justifie difficilement.

Enfin, dans une moindre mesure, certains souhaitent que l’émergence des créations autonomes s’accompagne de « deux régimes différents [qui] cohabiteront, l’un régi[ssant] les œuvres de l’esprit, l’autre accompagn[ant] et favoris[ant] “les œuvres de robots” »116. En matière de création artistique, les programmes sont en mesure de générer des créations s’éloignant considérablement de ce qu’aurait pu prévoir leur programmeur et le débat de savoir si une machine pouvait exprimer une créativité « propre » (en ce sens qu’elle n’a pas été préprogrammée) interroge encore les chercheurs117. En effet, une partie d’entre eux considère :

Il y a deux objections courantes à la critique selon laquelle un programme informatique est incapable de générer quelque chose qu'il n'a pas été expressément programmé à faire. La première concerne la capacité humaine à connaître ou à prédire intégralement le comportement de tout programme. Ce comportement, tout en étant défini par le programme (créé par le programmeur), a généralement un nombre important, parfois considérable, de chemins exécutables. Cela rend impossible pour le programmeur de comprendre et de prédire complètement le résultat de tous les programmes, sauf les plus triviaux, – une des raisons pour lesquelles le logiciel a des « bugs ». La deuxième objection découle de la capacité d'un programme à se modifier. Les programmes

115 « Corporate personality provides a possible precedent for computer personality. There seems to be no reason

why a computer could not equally satisfy the three factors cited above to justify personality. » Willick, supra,

note 9.

116 Karine Riahi et Amira Bounedjoum, « Un robot peut-il être un auteur ? », L’Usine Nouvelle (5 décembre

2015), en ligne : L’usine nouvelle <http://www.usinenouvelle.com/article/un-robot-peut-il-etre-un- auteur.N329423> (consulté le 21 janvier 2017).

117 Jon McCormack et al., « Ten Questions Concerning Generative Computer Art » (2014) 47:2 Leonardo

informatiques peuvent être adaptatifs ; ils peuvent apprendre et donc initier des comportements nouveaux et potentiellement créatifs.

Il semblerait toutefois que les défenseurs de la reconnaissance d’une personnalité juridique au profit de l’IA constituent une minorité et que la prudence prévale parmi les auteurs qui se sont jusqu’alors intéressés à la question. En effet, cette solution semble plutôt hasardeuse et, dans tous les cas, prématurée.

1.1.4 Accorder une personnalité juridique à l’IA : une solution risquée

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