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La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques

1. L ES CREATIONS REALISEES PAR LE BIAIS D ’UNE INTELLIGENCE

1.2 La notion d’œuvre, décelable dans l’acte matériel de création à travers l’intention de l’humain derrière la

1.2.1 La résurgence des questions relatives aux œuvres photographiques

Avant d’exposer les raisons qui pourraient conduire à inclure ces créations parmi les œuvres de l’esprit, il sera intéressant de rappeler que les questions qui se posent ici ont été traitées en grande partie par le passé relativement aux œuvres photographiques.

À ses débuts, la photographie n’était pas regardée comme un art, car l’on considérait que le photographe, actionnant simplement l’obturateur de l’appareil photo, ne prenait aucunement part à un processus créatif. Cet acte nécessitait tout au plus un certain savoir-faire. L’empreinte de la personnalité du photographe ne pouvait alors se retrouver dans une création réalisée par un simple processus mécanique. Ainsi, certains auteurs ont pu plaider pour un refus total de protection134.

Toutefois, les œuvres photographiques ont finalement trouvé leur place sans trop de difficulté au sein du CPI, où elles figurent désormais à l’article L. 112-2-9e. La jurisprudence et la doctrine ont elles aussi admis que « l’appareil photographique (et maintenant l’ordinateur, le logiciel, le téléphone portable) [ont] remplacé le pinceau, sans pour autant annihiler l’exécution personnelle de l’œuvre »135. Pour recevoir la qualification d’œuvres de l’esprit, celles-ci doivent toutefois être originales et porter l’empreinte de la personnalité de leur

134 V. A Morillot, De la protection accordée aux œuvres d’art, aux photographies, aux dessins et modèles

industriels et aux brevets d’invention dans l’empire d’Allemagne, Paris, Berlin, 1878, p. 157 et s. Cité par Caron, supra, note 87. p.132.

auteur136. La jurisprudence européenne a eu l’occasion de rappeler, à travers plusieurs arrêts, que l’originalité d’une photographie pouvait se manifester lors des trois stades différents de l’exécution de celle-ci. Tout d’abord, l’originalité peut se déceler au moment de la phase préparatoire à la prise du cliché, lors de laquelle le photographe « compose le paysage ou la scène qu’il va ensuite fixer »,137 notamment en choisissant le sujet138 de la photographie, « la qualité des contrastes de couleurs et de reliefs, le jeu de la lumière et des volumes »139. Ensuite, l’artiste dispose d’une marge d’appréciation au stade de la prise du cliché en ce qu’il peut choisir « le cadrage, l’instant convenable de la prise de vue »140. Enfin, il pourra effectuer des choix finaux lors du développement du cliché, auparavant, en choisissant le format du tirage et les teintes de couleur et, aujourd’hui, en effectuant toute une série de retouches au cliché, pouvant aller jusqu’à modifier les couleurs, recadrer l’image, ajouter ou supprimer des éléments… La marge de manœuvre du photographe pour exercer des choix libres et créatifs est très bien résumée dans l’arrêt Eva-Maria Painer :

Au stade de la phase préparatoire, l’auteur pourra choisir la mise en scène, la pose de la personne à photographier ou l’éclairage. Lors de la prise de la photographie de portrait, il pourra choisir le cadrage, l’angle de prise de vue ou encore l’atmosphère créée. Enfin, lors du tirage du cliché, l’auteur pourra choisir parmi diverses techniques de développement qui existent celle qu’il souhaite adopter, ou encore procéder, le cas échéant, à l’emploi de logiciels.141

Certains États, notamment le Canada, ont eu davantage de difficulté à appréhender la place des œuvres photographiques au sein du droit d’auteur. En effet, la loi canadienne, si elle considérait les photographies comme des œuvres, n’accordait pas pour autant la qualité d’auteur de celles-ci au photographe mais au propriétaire de l’appareil photo142. Cependant,

136 V. par ex. Cass. civ. 1re, 17 déc. 1991, Bull. civ., nº 360 ; CA Versailles, 12e ch., 23 sept. 1999, D. 2000,

Cah. D. aff., p. 668, note Bigot ; CA Paris, 4e ch. 24 mai 2000, Légipresse 2000, nº 173, I, p. 88 cité par Lionel

Costes, « Conditions de protection par le droit d’auteur d’une oeuvre photographique » (2009) 46 Rev Lamy Droit Immatériel Ex Lamy Droit Inform 21‑21.

137 Caron, supra, note 87.

138 TGI Paris, 14 mai 1987, Cah. dr. auteur, 1988, p. 20. 139 CA Paris 11 juin 1990 ; RIDA oct. 1990, p. 293. 140 Ibid.

141 Eva-Maria Painer c. Standard VerlagsGmbH e.a, 2011 Cour de Justice de l’Union Européenne [Eva-Maria

Painer].

142 Art. 2 Loi sur le droit d’auteur. Version en vigueur du 2005-12-12 au 2012-11-06, LRC, ch C-42, 1985. Art.

10.2 Loi sur le droit d’auteur. L.R. (1985), ch. C-42, art. 10; 1993, ch. 44, art. 60; 1994, ch. 47, art. 69(F); 1997, ch. 24, art. 7.11. [Abrogé, 1997, ch. 24, art. 8] Abrogée le 6 nov. 2012. « Le propriétaire, au moment de la

le droit d’auteur canadien a été modernisé par une loi de 2012 et l’article 10 de la version antérieure qui disposait : « Le propriétaire, au moment de la confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original, est considéré comme l’auteur de la photographie »143 a été abrogé. La qualité d’auteur de l’œuvre photographique revient à présent à la personne ayant réalisé le cliché (sous réserve d’originalité de celui-ci).

Si le régime qui était auparavant celui des œuvres photographiques est aujourd’hui dépassé, il est toutefois une intéressante source d’inspiration quant au régime à conférer aux créations générées au moyen d’une IA. Le droit est souvent réticent à accueillir de nouvelles technologies mais la technique, à terme, a raison de ces arguments. Or, le processus de réalisation d’une photographie est comparable à celui de certaines créations générées par IA. En effet, le processus photographique est très semblable au fonctionnement de certains robots physiques intégrant des logiciels relevant de l’art algorithmique « personnel »144 qui reproduisent un objet placé devant eux. Afin de faire fonctionner ces robots145, il est nécessaire tout d’abord de choisir un ou des sujets, de les placer dans des conditions appropriées de luminosité et d’éclairage, de choisir éventuellement les couleurs qui seront mises à la disposition du robot et tout au moins l’outil avec lequel celui-ci va exécuter la reproduction du sujet qui aura été placé devant lui. Le choix du papier va également avoir son importance dans le rendu final de la création. Une fois tous ces réglages et préparatifs effectués, l’utilisateur du robot-peintre va amorcer le processus créatif en démarrant le robot, de la même façon qu’un photographe appuierait sur l’obturateur de l’appareil photo. Dans la

confection du cliché initial ou de la planche ou, lorsqu’il n’y a pas de cliché ou de planche, de l’original, est considéré comme l’auteur de la photographie »

143 Ibid.

144 Programmation de logiciels par un artiste afin de générer une œuvre relevant de la musique, des arts

graphiques ou plastiques.

145 Le plus connu d’entre est probablement e-David, mais il en existe de nombreux autres : les robots de Pindar

Von Arman, notamment, CloudPainter et Bitpainter, qui réalisent des portraits à la peinture, Billy the LEGO robot, le robot développé par la « Guild of robotic artisans » de l’université du Minnesota, le robot NoRAA, le robot Picassnake qui peint au rythme de la musique, le robot Pixobot qui réalise des portraits à base de points ou de lignes, le Robot Artist de l’International Center of Excellence in Intelligent Robotics and Automation Research in National Taiwan University (NTU-iCeiRA), le robot ComBOT de l’University of Illinois at Chicago, les robots du groupe de recherche eegb, les robots epenko, Heartalion, Pix 18 ou encore JacksonBot. Nombre de ces robots sont à la fois capables de reproduire un sujet placé devant eux et de générer des œuvres « abstraites ». Certains toutefois ne sont capables que d’effectuer l’une ou l’autre de ces deux tâches.

mesure du possible, l’humain pourra également intervenir durant le processus créatif : il est permis d’imaginer que la personne peut changer l’outil ou les couleurs à la disposition du robot, elle peut déplacer la feuille, ajuster l’éclairage… en bref, revenir sur tous les choix qu’elle a effectués au moment de démarrer le robot.

Ainsi, même dans le cas où le produit est finalement le fruit d’une intelligence artificielle146, la très grande similarité du processus créatif avec celui de la photographie pourrait laisser penser que les créations ainsi générées mériteraient de bénéficier du même régime que celui des photographies. Ainsi — et toujours sous réserve que la condition d’originalité soit remplie — ces créations pourraient accéder au rang d’œuvre. L’originalité de l’œuvre photographique étant laissée à la libre appréciation des juges du fond, ceux-ci pourraient rechercher l’empreinte de la personnalité du créateur à travers tous les choix créatifs précédemment mentionnés. Dans ce cas-là, le robot pourrait être considéré comme un outil (certes très perfectionné) qui serait employé par l’artiste, de la même façon qu’un appareil photo. Cependant, reconnaître la qualité d’œuvre à ces créations ne signifie pas reconnaître la qualité d’œuvre à une création générée par une IA. Cela signifie que l’on considère ici que l’IA est instrumentalisée par l’humain de façon à servir d’outil. Cependant, le même parallèle n’est pas envisageable dans le cas des logiciels fonctionnant selon un schéma d’art algorithmique « personnel » mais dépourvus de structure physique. En effet, dans ce cas-là, l’apport créatif de l’humain utilisateur se résumera à l’entrée de quelques instructions basiques, insuffisantes pour justifier qu’il imprime sa personnalité dans l’œuvre finale. Si l’humain utilisateur dispose d’une marge de manœuvre suffisante, il ne s’agira plus d’une création générée par une intelligence artificielle mais l’on reviendra au régime des créations assistées par ordinateur.

Cette assimilation des « robots-peintres » aux appareils photos semble permise par la lecture de l’article L. 112-2 9° du CPI qui dispose : « Sont considérées comme des œuvres de l’esprit au sens du présent Code (…) Les œuvres photographiques et celles réalisées à l’aide de

146 Puisque certains de ces robots perfectionnent leur technique de dessin ou de peinture au gré des créations

qu’ils réalisent, c’est par exemple le cas des robots de Pindar Von Arman, qui sont eux dotés d’une véritable capacité d’apprentissage autonome, fondée sur l’expérience (sans intervention humaine sur le code source du programme).

techniques analogues à la photographie. » Le législateur semble avoir souhaité, dès 1992, ne pas exclure de la protection des œuvres réalisées au moyen de technologies alors inexistantes. Ainsi, il semblerait qu’une inclusion, dans la catégorie des œuvres de l’esprit des créations originales, marquées par les choix créatifs de leur auteur soit non seulement justifiée d’un point de vue technique, mais également conforme à l’intention du législateur. Cette protection ne prendrait pas en compte, en revanche, les créations qui n’ont pas été réalisées « à l’aide de techniques analogues à la photographie » comme le mentionne l’article L. 112- 2 9° du CPI et exclurait donc les créations « abstraites » réalisées de façon autonome par des robots qui ne reproduiraient pas fidèlement un objet placé devant eux, mais qui prendraient des « libertés » créatives.

1.2.2 L’intention créatrice de l’humain à l’origine de l’œuvre, désireux

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