• Aucun résultat trouvé

Le créateur, personne physique titulaire ab initio des droits d’auteur

2. L A COMPLEXE DETERMINATION DES DROITS ATTACHES AUX CREATIONS GENEREES PAR UNE INTELLIGENCE ARTIFICIELLE

2.1 La titularité des droits attachés à l’œuvre réalisée par une intelligence artificielle

2.1.1 Le créateur, personne physique titulaire ab initio des droits d’auteur

Plusieurs intervenants au processus créatif se dégagent comme candidats potentiels à cette titularité des droits en fonction de leur degré d’intervention dans le processus créatif. Le programmeur de l’IA tout d’abord, une fois dépassé le stade de l’idée, est le premier à effectuer des actions concrètes, dans l’univers tangible de la forme, en vue de la création par le robot. Si l’idée n’émane pas nécessairement de lui, il a pour le moins l’intention de mettre au point un robot créateur. Ensuite, une fois ce robot achevé et mis en service, un utilisateur l’emploie afin qu’il effectue la tâche pour laquelle il a été conçu : la création. Cet utilisateur peut être le programmeur lui-même : artiste ayant conçu une machine pour le seconder dans la création ou bien il peut être le cessionnaire du robot intelligent. Enfin, si de nombreux robots ont vu le jour grâce à une vocation créatrice pure et désintéressée économiquement, d’autres ont été conçus pour servir l’intérêt économique de personnes morales. Par exemple, l’activité créatrice du robot virtuel Watson d’IBM205 n’est sans doute pas désintéressée. Ainsi, la personne (physique ou morale), qui réalise un effort financier substantiel, nécessaire au développement ces programmes intelligents, ne devrait-elle pas pouvoir récolter les fruits de cet investissement sous la forme de droits patrimoniaux ?

Le CPI206, la Convention de Berne207 et la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle208 posent une présomption simple d’autorat au profit de la personne sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée. Mais, dans le cas des créations générées par une IA, ce principe n’est pas d’un grand secours dans la détermination de l’auteur. En effet, la personne sous le nom de laquelle la création est divulguée (si tant est que l’on puisse la

205 « IBM - Art with Watson » (18 avril 2017), en ligne : IBM - Art with Watson

<https://www.ibm.com/watson/artwithwatson/> (consulté le 24 juin 2017).

206 art. L. 113-1 CPI.

207 OMPI, Convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, art. 15.1, 9 septembre

1886 [Convention de Berne] : « Pour que les auteurs des œuvres littéraires et artistiques protégés par la présente Convention soient, sauf preuve contraire, considérés comme tels et admis en conséquence devant les tribunaux des pays de l’Union à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, il suffit que le nom soit indiqué sur l’œuvre en la manière usitée. »

208 Le Parlement européen, Conseil de l’Union européenne, directive 2004/48/CE du Parlement européen et du

Conseil relative au respect des droits de propriété intellectuelle, art. 5, 2003/0024/COD, avril 2004 :

« Présomption de la qualité d'auteur ou de titulaire du droit. Aux fins de l'application des mesures, procédures et réparations prévues dans la présente directive, pour que l'auteur d'une œuvre littéraire ou artistique soit, jusqu'à preuve du contraire, considéré comme tel et admis en conséquence à exercer des poursuites contre les contrefacteurs, il suffit que son nom soit indiqué sur l'œuvre de la manière usuelle. »

qualifier d’œuvre) ne sera pas, bien souvent, celle qui l’aura réalisée de sa main. Les qualités essentielles de l’auteur seront donc à rechercher ailleurs. L’article L. 113-7 du CPI permet mieux de cerner la notion puisqu’il précise qu’« ont la qualité d’auteur d’une œuvre audiovisuelle la ou les personnes physiques qui réalisent la création intellectuelle de cette œuvre ». Si ce principe se limite à l’œuvre audiovisuelle, il pose toutefois la nécessité pour l’auteur d’être le créateur intellectuel de l’œuvre. La jurisprudence précise également la notion en ajoutant que « l’auteur effectif s’entend de celui qui réalise ou exécute personnellement l’œuvre ou l’objet. »209 Elle insiste également, de façon constante, sur le caractère de personne physique de l’auteur210.

La réponse apportée par la question de la définition de l’auteur par les États de Common law, elle, soulève autant de questions qu’elle n’apporte de réponses. Au Royaume-Uni, le Copyrights Designs and Patents Act de 1988 définit l’auteur comme « la personne qui crée l’œuvre »211. L’article est toutefois plus complet que son équivalent français car il envisage plusieurs cas d’œuvres spécifiques (enregistrement sonore, radiodiffusion, arrangement typographique…) et précise, pour ces créations, qui doit se voir reconnaître la qualité d’auteur. Cette exhaustivité témoigne d’une volonté de ne pas laisser d’œuvre « orpheline », volonté confirmée par le dernier alinéa de l’article qui dispose : « L’identité d’un auteur doit être considérée comme inconnue s’il est impossible pour une personne d’établir sa qualité par une enquête raisonnable ; mais si son identité vient à être connue, elle ne doit plus être considérée comme inconnue. »212 Le droit américain, lui, est beaucoup plus évasif, puisque la Copyright Law of the United States ne mentionne pas la définition de l’auteur dans la section §101 de la loi mais prévoit simplement que « le droit d’auteur sur une œuvre protégée

209 Cass. civ. 1re, 15 nov. 2005 : D. 2006, 1116, note Tricoire ; Propr. intell. 2006, n°20, p. 356, obs. Vivant ;

RIDA avr. 2006 note Kéréver. Ou encore « la qualité d’auteur d’une œuvre ne peut être attribuée à une

personne physique que s’il est établi que cette personne a personnellement réalisé l’œuvre » : Cass. civ. 1re, 17

oct. 2000 : CCE 2001, n°98, note Caron.

210 V. supra, 1.2.2 L’absence d’auteur-créateur, rendant vaine toute recherche d’originalité ?

211 Parlement du Royaume-Uni, Copyright, Designs and Patents Act, Sect. 9, 15 novembre 1988 : « In this Part

“author”, in relation to a work, means the person who creates it. »

212 Ibid. « The identity of an author shall be regarded as unknown if it is not possible for a person to ascertain

his identity by reasonable inquiry ; but if his identity is once known it shall not subsequently be regarded as unknown. »

par ce titre revient initialement à l’auteur ou aux auteurs de l’œuvre. »213 De façon analogue, le droit australien définit l’auteur d’une œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique comme étant le titulaire d’un droit d’auteur rattachable à l’œuvre214. La loi canadienne n’est guère plus précise, en ce qu’elle définit l’auteur d’une œuvre comme étant le « premier titulaire du droit d’auteur sur cette œuvre. »215 Les conditions rattachées à cette qualité d’auteur sont précisées dans l’article 5(1)a de cette même loi qui prévoit que le droit d’auteur « existe » si l’œuvre est réalisée par le résident d’un pays signataire216 ou si la première mise à disposition du public de l’œuvre a été faite dans un pays signataire. Le raisonnement est appliqué tel quel par les juridictions canadiennes217, et la question de la qualité d’auteur ne soulève guère de débat. Pourtant, ces définitions légales n’éclairent guère quant à la question de savoir quelles conditions sont véritablement requises pour se voir conférer cette qualité d’auteur ; quel degré de participation au processus créatif est requis pour se voir conférer cette qualité.

Si de longs développements sont consacrés par la doctrine et la jurisprudence à la notion d’œuvre de l’esprit, il est fait moins de cas de celle d’auteur. Renée-Pierre Lépaulle en donnait la définition suivante en 1927 : « Seul l'individu qui a apporté à la société un élément nouveau, qui par son travail est parvenu à faire sortir de son cerveau ou de la matière quelque chose de différent de ce qu'on avait vu jusqu'alors, seul celui-là peut réclamer le titre d'auteur. »218 Une délibération du comité exécutif de l’ALAI, en date de 1990, consacre quant à elle de substantiels développements à la question de la qualité d’auteur, qui apportent d’intéressantes précisions :

Affirmant que la définition de la notion d'auteur et la détermination du titulaire des droits d'auteur constituent deux questions d'importance capitale sur lesquelles

213 United States Congress, Copyright Law of the United States, USC, 17, A. 201(a) Ownership of copyright,

30 juillet 1947 : « Copyright in a work protected under this title vests initially in the author or authors of the

work. »

214 Commonwealth Consolidated Acts, Copyright Act 1968, sect. 35(2) : « Subject to this section, the author of

a literary, dramatic, musical or artistic work is the owner of any copyright subsisting in the work by virtue of this Part. »

215 art. 13.1 Loi sur le droit d’auteur, LRC, 1985..

216 Pays partie à la Convention de Berne, à la Convention universelle ou au traité de l’ODA, ou membre de

l’OMC. Art. 2 Loi sur le droit d’auteur, LRC, 1985..

217 V. par ex : Wing c. Van Velthuizen (2000), 9 C.P.R. (4th) 449 (C.F.P.I.).

218 Renée-Pierre Lépaulle, Les droits de l’auteur sur son œuvre, Paris, Dalloz, 1927, p.22. Cité par : Bertrand,

repose l'édifice du droit d'auteur. Rappelant que la convention de Berne a de manière constante, dans sa lettre et dans son esprit, reconnu et limité au seul créateur, personne physique, la qualité d'auteur. Rappelant aussi qu'il ressort clairement des dispositions de la convention de Berne que c'est l'auteur qui est titulaire originaire des droits économiques sur l'œuvre qu'il a créée, bien que ces derniers puissent être transférés par voie contractuelle ou autrement à autrui, et sauf l'exception limitée de l'article 14 bis par. 2. Considérant que l'attribution de la titularité des droits économiques à d'autres personnes que le créateur ne saurait avoir pour effet d'étendre à ces derniers la qualité d'auteur. Constate que la définition du mot « auteur » telle qu'elle apparaît au document précité opère une confusion regrettable entre les concepts pourtant distincts d'auteur et de titulaires, confusion qu'il importe de dénoncer et de ne pas perpétuer. Recommande en conséquence que la définition du mot « auteur » telle qu'elle apparaît au document précité soit limitée comme suit : « L'auteur est la personne physique qui crée l'œuvre » ce qui n'exclut pas l'application de certaines dispositions de la loi à des personnes autres que l'auteur.219

Ainsi, il faut veiller à distinguer le titulaire ab initio des droits d’auteur de leur cessionnaire, ce dernier n’étant pas nécessairement une personne physique, contrairement à l’auteur- créateur.

Avant de considérer ces titulaires potentiels des droits, il semble souhaitable d’exclure de prime abord le logiciel de l’IA en lui-même. Si cette solution est proposée par certains, lui conférer cette qualité impliquerait un bouleversement de la conception personnaliste du droit d’auteur qui prévaut en France et qui a influencé de nombreux systèmes juridiques. Ensuite, cette qualité d’auteur, dans la mesure où elle lui conférerait des droits, nécessiterait de lui accorder un patrimoine. Autant de solutions exclues précédemment en raison des risques qu’elle comporte tant d’un point de vue éthique que juridique220.

Documents relatifs