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L’intention créatrice de l’humain à l’origine de l’œuvre, désireux de se prévaloir de la qualité d’auteur

1. L ES CREATIONS REALISEES PAR LE BIAIS D ’UNE INTELLIGENCE

1.2 La notion d’œuvre, décelable dans l’acte matériel de création à travers l’intention de l’humain derrière la

1.2.2 L’intention créatrice de l’humain à l’origine de l’œuvre, désireux de se prévaloir de la qualité d’auteur

Le fait qu’une personne physique n’exécute pas matériellement la création mais qu’elle se contente de réunir les conditions de sa production n’empêche pas nécessairement celle-ci d’accéder au rang d’œuvre. Par exemple, personne ne songerait à retirer sa qualité d’auteur à Pollock pour les œuvres qu’il a fait réaliser par un âne en attachant un pinceau trempé dans de la peinture au bout de sa queue. Ou encore, dans la fameuse affaire Renoir-Guino147, la qualité de coauteur a été attribuée à Renoir qui, dans l’incapacité de sculpter, avait donné à son disciple Guino des directives très précises quant aux œuvres à réaliser. La Cour de cassation avait alors considéré que sa personnalité transparaissait dans les directives transmises, justifiant une attribution de droits d’auteur à son égard. On pourrait alors considérer qu’une personne qui programmerait un logiciel et mettrait en place les conditions matérielles nécessaires à la création par celui-ci mériterait la qualité d’auteur au même titre que le célèbre artiste.

Ensuite, la place de l’humain dans les créations générées par IA ne doit pas être complètement occultée. En effet, toute création, même artificiellement générée, trouve (encore) sa source

dans l’esprit humain. L’intervention de l’humain est décelable à trois stades de la création, et est absolument indispensable lors du premier.

Tout d’abord, en amont de la création, le programmeur de l’IA est l’auteur des lignes de code déterminantes des actions futures de la machine. Dans le cas de l’art algorithmique « personnel », un artiste-programmeur ou un artiste en collaboration avec un programmeur traduit en code informatique des règles de création artistique. Pour l’instant, des programmes de dessin, de composition musicale et d’écriture (romans, poésie, scripts…) sont développés en majorité, mais cette technique pourrait sans difficulté être transposée à d’autres domaines de création artistique (chorégraphie, sculpture…). Le droit d’auteur a d’ailleurs volontairement ouvert le champ de la protection à tous types de création148. Ensuite, une fois ces règles acquises, le robot va générer une création qui ne sera que le résultat de calculs algorithmiques, toute la création en amont aura été programmée par un humain. Un programme peut être intelligent, en ce sens qu’il peut « apprendre » de ses propres créations149, mais il peut aussi exécuter constamment son programme et produire des créations de façon aléatoire mais sans apprentissage, d’une façon systématique150. Dans ce cas-là, le style de l’artiste à l’origine du programme créateur se retrouvera nécessairement dans la réalisation finale, et il ne serait pas aberrant de considérer que l’empreinte de sa personnalité y a également été transférée.

Dans le cas de l’art algorithmique « synthétique » et « imitant », l’intervention d’un artiste est plus dispensable puisque l’on va « apprendre » au logiciel à créer en intégrant dans sa base de données d’importantes quantités d’œuvres. Mais l’intervention humaine est toujours nécessaire. Tout d’abord, les œuvres intégrées au programme ont été réalisées en amont par des artistes humains, et ensuite, il faut programmer le logiciel afin qu’il analyse celles-ci et en retire des schémas créatifs qu’il pourra reproduire afin de générer de nouvelles créations. Ainsi, toute production découle, directement ou indirectement, de l’humain. En effet, le robot, s’il est capable d’analyse et d’imitation, est incapable, au contraire de l’humain, de

148 Article L. 112-2 CPI : « Sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code :

(…) ».

149 À l’image de Cloudpainter.

s’émanciper des règles existantes. Il ne pourra rien produire de totalement novateur ou révolutionnaire. Des chercheurs en art ont d’ailleurs mis en évidence le fait que :

Implicitement, toute œuvre générative « encode » les jugements esthétiques humains au sein de son choix de règles et de la réalisation. Cependant, même pour les systèmes capables de production à grande échelle (p. ex. systèmes évolutifs d'image), la variation esthétique de tous les produits est étroite, ce qui indique que la responsabilité esthétique dans l'art générique actuel réside principalement en l'artiste plutôt que dans le système qui génère le travail.151

Ensuite, au stade de la réalisation de l’œuvre, dans le cas où le robot créateur n’est pas un robot virtuel mais matériel, l’humain peut jouer un rôle très important dans la mise en place du cadre nécessaire à la création152. En effet, notamment dans le cas des robots-peintres, toute la préparation matérielle nécessaire à la réalisation de l’œuvre, ainsi que de nombreux choix, libres et arbitraires, sont effectués par l’humain qui donne ensuite l’ordre à la machine de créer. Ces choix, assimilables à ceux du photographe, sont multiples (choix du sujet, de l’angle, du support et des outils, du cadrage et de l’éclairage) et ne doivent aucunement être minimisés. D’autant plus qu’il n’est pas à exclure que l’humain effectue des réglages incidents ou des rectifications au cours du processus créatif, allant jusqu’à assister la machine. Dans cette hypothèse, la frontière serait très ténue entre création assistée par ordinateur et création générée de façon autonome par une machine. Le processus est également très semblable à celui de la photographie et dénier un droit sur ces créations semble difficilement justifiable au regard du droit d’auteur.

Enfin, au stade post-réalisation, l’humain démontre une intention créatrice et bien souvent l’intention de se prévaloir de la qualité d’auteur. Même si le critère de l’intention est en principe inopérant en la matière, il serait un indice intéressant d’identification de l’auteur. L’on pourrait considérer que ce n’est pas l’empreinte de la personnalité du logiciel que l’on décèle derrière ces créations, mais celle d’artistes ayant rendu sa réalisation possible. Le

151 McCormack et al, supra, note 25. « Implicitly, any generative artwork “encodes” human aesthetic judgments

within its choice of rules and realization. However, even for systems capable of voluminous output (e.g. image evolving systems), the aesthetic variation over all outputs is narrow, indicating that aesthetic responsibility in current generative art resides primarily with the artist rather than the system that generates the work. »

Professeur Gaudrat, notamment, insiste sur l’importance de l’intention lors de la divulgation d’une œuvre : « Il n’y a donc d’empreinte [de la personnalité] qualifiante que dans le cadre d’un processus volontaire d’expression. De plus, l’intention divulgatrice qui, à terme, destine à un public ce qui est exprimé, est nécessaire153. » (C’est notamment de ce que fait Duchamp en élevant un urinoir en œuvre d’art).

Par ailleurs, si ce critère de l’intention créatrice se fait relativement discret au sein de la doctrine relative à la propriété intellectuelle, il occupe une place importante en droit administratif, et l’on en trouve également la trace dans quelques décisions judiciaires. Par exemple, à propos de photographies : « Une telle finalité [publicitaire] n’est pas incompatible avec l’intention créatrice de leur auteur154 » ou encore : « quelle que soit leur qualité, ces photographies (…) ne présentent pas un caractère d’originalité et ne manifestent pas une intention créatrice, susceptibles de les faire regarder comme des œuvres de l’esprit155 » ou encore : «  l’ensemble ainsi élaboré, même si les divers éléments utilisés sont somme toute banals, manifeste une certaine intention créatrice et est original156. » De nombreuses autres décisions font également appel à ce critère afin de déterminer la qualité d’œuvre de l’esprit157. Un tel contentieux administratif, centré autour de l’intention créatrice des photographes s’explique par le fait que : « Les photographies qui “relèvent d’une démarche artistique et portent témoignage d’une intention créatrice manifeste de la part de leur auteur” (…) sont des œuvres de l’esprit ouvrant droit pour leur auteur à une exonération de la contribution foncière des entreprises158 ».

C’est en outre le critère de l’intention artistique qui permet de faire le départ entre un objet industriel et un objet d’art159. Une référence à l’intention artistique du « corps humain » a

153 Philippe Gaudrat, Répertoire de droit civil, 1 propriété des créateurs, § 1 - Qualités requises n°128, Dalloz,

Propriété littéraire et artistique, 2007. n°128.

154 Cour administrative d'appel de Versailles – 26 mai 2005 – n° 03VE01074. 155 Cour administrative d'appel de Douai – 6 juin 2017 – n° 16DA01051. 156 CA Paris – 29 septembre 2006 – n° 05/21905.

157 V. Par exemple : Conseil d'État – 11 mai 1984 – n° 34600, Conseil d'État – 4 décembre 1989 – n° 90993,

Cour administrative d'appel de Nantes – 21 avril 2016 – n° 15NT00073, CAA de NANTES – 12 juin 2014 – n° 13NT01760.

158 Photographes - CFE ou non ? – Armelle Verjat – JAC 2015, n°27, p.7.

également été faite pour apprécier son rôle dans la création des œuvres d’Yves Klein160. Et enfin, Stéphanie Lequette-De Kervenoaël remarque que l’on « assiste ainsi à une extension de la catégorie des œuvres d’art à des objets produits sans intention artistique, enracinés dans la culture populaire161 », par opposition aux œuvres de l’esprit, qui, elles, nécessitent cette intention artistique.

Ainsi, si l’intention reste un critère éminemment subjectif et ne compte pas parmi les conditions d’attribution de la qualité d’œuvre, au moins en droit d’auteur, on ne peut nier son importance. Il présenterait en effet une grande utilité pour tenter de reconnaître la qualité d’œuvre aux créations générées par une IA. Les robots étant d’ailleurs souvent programmés pour accomplir une tâche bien précise, cette intention créatrice est indéniablement présente et sera bien souvent la raison d’être même du robot.

1.2.3 Une objectivation de la notion d’originalité, la rendant accessible

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