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La timide résurgence des collectivités

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 106-111)

CHAPITRE 1 : Origines et fondements du modèle centralisé

B. La timide résurgence des collectivités

Avec les évolutions d’ordre technico-économique, la décentralisation politique est un autre grand facteur qui fait pression sur le mode de régulation centralisé du système électrique. S’il s’agit d’une rupture importante d’un point de vue politique, ses conséquences s’étalent en revanche dans le temps. Ce champ qui évolue assez lentement reste en effet peu

297 BOY, 1994, L'écologie : une nouvelle culture politique?, p.48. Le projet du Larzac ne sera abandonné que lors de l’arrivée de François MITTERRAND au pouvoir.

298 PICARD, et al., 1985, Histoires de l'EDF : comment se sont prises les décisions de 1946 à nos jours, p. 239.

299 SAINTENY, 1994, Les médias français face à l'écologisme, p.87.

300 Par exemple le cas du Monde du 07 juin 1979, journal à l’audience et à la légitimité importante, sur les confrères comme sur la population.

301 TOULON, 2009, La sensibilisation de l'opinion publique aux économies d'énergie 1974-1986, p.74.

302 GARRAUD, 1979, Politique électro-nucléaire et mobilisation : la tentative de constitution d'un enjeu, p.454.

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concerné par les changements qui ont réformé plus profondément les politiques sociales ou celles de la ville303. Il reste aussi jusqu’à récemment très peu connu des Français, qu’ils soient usagers ou élus304.

La décentralisation politique débute avec les lois Defferre votées entre 1982 et 1983 (Acte I de la décentralisation). Cette réforme représente une forte évolution dans la façon dont l’État administre le pays en ayant pour objectif de rapprocher l’administration des citoyens, de donner davantage de compétences aux autorités élues et de développer l’initiative locale305. Ainsi, pour l’énergie, la loi de 1978 sur les réseaux de chaleur a tout d’abord constitué une exception306. Vécue comme une atteinte au principe de nationalisation par les syndicats d’EDF mais plébiscitée par les associations d’ingénieurs et de techniciens territoriaux, cette loi peut être considérée comme étant un des premiers outils de planification énergétique locale plaçant ces réseaux sous la responsabilité du maire.

L’acte I de la décentralisation sera suivi par une série d’ajustements législatifs et réglementaires qui se répercutent timidement sur le rôle des territoires institutionnels locaux dans l’électricité. Premièrement, la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République qui relance la coopération intercommunale (communautés de communes et communautés de villes). Elle donne notamment des prérogatives supplémentaires aux pouvoirs déconcentrés de l’État vis-à-vis des administrations centrales (rôle des préfets de région dans les politiques communautaires et le développement structurel). Deuxièmement, loi du 5 février 1995 (loi PASQUA) créée les structures de projet appelées « pays » qui permettent aux collectivités de s’associer afin de réaliser des actions de développement communes. Troisièmement, la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (LOADDT dite loi VOYNET, complétée par la loi du 12 juillet 1999) créée les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) en prenant la forme de communautés de communes, de communautés d’agglomération et de communautés urbaines. A côté, l’intercommunalité de service est assurée par les syndicats de communes

303 Cf. DURAN et THOENIG, 1996, L'État et la gestion publique territoriale ; EPSTEIN, 2005, Gouverner à distance. Quand l'Etat se retire des territoires.

304 BOUVIER, 2005, Les collectivités locales et l'électricité. Territoires, acteurs et enjeux autour du service public local de l'électricité en France, p.203.

305 Le contrôle des actes administratifs des collectivités locales ne se fait plus a priori mais a posteriori. Le département et la région deviennent des collectivités territoriales au sens plein et entier du terme. Le président du conseil général et celui du conseil régional sont désormais élus par leurs assemblées respectives dont les membres sont eux-mêmes élus au suffrage universel (elles ne sont plus des assemblées consultatives). L’État transfert des blocs de compétences en direction des régions, des départements et des communes, en contrepartie de dotations financières devant leur permettre d’être autonomes.

306 BOUVIER, 2005, Les collectivités locales et l'électricité. Territoires, acteurs et enjeux autour du service public local de l'électricité en France, p.217-218.

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déjà existants (SIVOM et SIVU)307. Elle fait par ailleurs référence aux agendas 21 locaux qui comportent un volet énergie.

Des éléments contextuels vont inciter les collectivités à s’intéresser à l’énergie avec en particulier l’émergence de la problématique du développement durable. La fin de la période nationalisée est caractérisée par la naissance de structures, souvent associatives, dont les objectifs sont le développement durable en général ou l’énergie en particulier. Les années 1990 sont celles du lancement d’actions politiques qui se sont traduites par des expérimentations locales. Un certain nombre de collectivités pionnières ont mis en place des mesures à travers par exemple la création de services administratifs dédiés ou d’expérimentation de dispositifs utilisant les énergies renouvelables308. Les agendas 21 locaux ont eux-aussi eu des effets en suggérant la pertinence du cadre local pour les politiques de développement durable, et indirectement de l’énergie309. Une partie d’entre eux, basé sur un diagnostic, permet le début d’une prise de conscience locale des problématiques énergétiques.

Rétrospectivement, cet engagement dans les quelques territoires concernés apparaît comme l’amorce d’un engagement énergétique local310. En France, seules 36 collectivités ont dans un premier temps développé ce type de démarche entre 1994 et 2004. Dans un second temps, cette dynamique va se renforcer davantage à partir d’appels à projets – appelés « dispositifs de reconnaissance » – du ministère de l’Écologie et du Développement durable gérés par les services de l’État en région311.

307 Les SIVOM et SIVU, syndicats intercommunales à vocation multiple ou unique.

308 La ville de Rennes a par exemple mis en place dès la fin des années 1970 des actions qui seront pilotées dès 1983 par un adjoint au maire « délégué à la maîtrise de l’énergie ». Montpellier créée un service énergie, transformé en direction en 1987 et doté d’une autonomie financière. Montmélian fait en 1983 le choix du solaire thermique pour la réhabilitation de son centre nautique et sportif. Lorient créée en 1983 un « service énergie » qui procède à des études sur les flux des équipements municipaux et leurs économies (mais n’est pas responsable directement de l’énergie). La région Alsace fait aussi figure de pionnière en matière de promotion des énergies renouvelables. Elle a développée très tôt des politiques de développement du solaire PV (alors que la région est parmi les moins ensoleillées de France) et de la biomasse, en raison de ses importantes ressources forestières.

309 Sont potentiellement concernés par l’Agenda 21 tous les thèmes de développement durable (eau, social, énergie, etc.).

310 Ils ont notamment favorisé la mise en place de plan climat énergie territoriaux – PCET – qui les ont remplacés (ex. Mulhouse en 2007).

311 « Le dispositif de reconnaissance est animé par le ministère, qui invite les collectivités à faire reconnaître la réalité et la qualité de leur projet territorial de développement durable et agenda 21 local, dans une logique d’accompagnement. […] Soumis à expertise, le projet de la collectivité est reconnu s’il répond aux critères du cadre de référence national des projets territoriaux de développement durable et agendas 21 locaux. La reconnaissance "Agenda 21 local France" est un gage pour la qualité des projets stratégiques engagés et la cohérence des politiques menées à l’échelon local, sur la base d’une double expertise rigoureuse des dossiers présentés. Huit sessions ont été organisées depuis 2007 et plus de 450 projets, portés par toutes les échelles de collectivités depuis les communes jusqu’aux régions, ont été reconnus "Agenda 21 local France" témoignant de

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A cette occasion, le thème de la maîtrise de l’énergie s’impose pour des collectivités pionnières qui commencent à s’intéresser plus précisément à l’énergie, aux énergies renouvelables ou bien à des actions de maîtrise de la demande312. Bien entendu, la libéralisation du secteur favorise cet intérêt. C’est en particulier le cas des autorités organisatrices de la distribution qui se posent à cette date des questions sur leur capacité à se maintenir dans un cadre concurrentiel, alors même que cette fonction reprend peu à peu de la consistance313. Il est d’ailleurs possible de faire débuter l’intensification ou le renouveau de l’action des collectivités locales dans le champ de l’énergie à l’occasion de la négociation des cahiers des charges de concessions de distribution. La loi du 2 mars 1982 leur permettait bien d’avoir la capacité de réaliser leur propre cahier des charges mais les quelques demandes de renégociation n’avaient pas été suivi d’effets, rendant caduque toute ébauche de contractualisation314. Les cahiers des charges étaient jusque-là basés sur un modèle imposé par l’État qui laissait très peu de marges aux pouvoirs concédants. Les dispositions pouvaient ainsi être en vigueur depuis des décennies, excepté quelques avenants obtenus par certaines grandes villes. A la fin des années 1980, EDF accepte de renégocier les contrats de concession pour la première fois depuis 1946 selon une démarche similaire à celle précédent la nationalisation315. La négociation se fait en direct avec les collectivités concernées, l’État ne pouvant y participer au nom du respect des libertés locales. Une structure associative est créée à l’occasion, l’Association pour l’expertise des concessions, afin de mieux exercer leur pouvoir de contrôle par une meilleure capacité d’expertise. Il faut signaler également la montée en puissance d’un « nouveau corps », celui des fonctionnaires territoriaux, s’intéressant de près à l’énergie, et dont l’influence est importante dans l’élaboration des politiques publiques locales. Une « prise de pouvoir » qui s’appuie sur une « délégation de

la large prise de conscience de nouveaux modes de comportements et de décisions » (Ministère de l'Écologie, 2015c, Le dispositif de reconnaissance [En ligne]).

312 BOUVIER, 2005, Les collectivités locales et l'électricité. Territoires, acteurs et enjeux autour du service public local de l'électricité en France, p.214-217.

313 La question des concessions est développée dans le chapitre 2, II, B.

314 Loi N°82-213 du 02 mars 1982. Sous réserve tout de même de se conformer à la législation, et notamment le contrôle tarifaire de l’État. Depuis la loi de 1906, les contrats de concession n’avaient pas été renégociés (reconduits par tacite reconduction). Cet élément prend place dans un système relationnel spécifique que François-Mathieu POUPEAU qualifie de « compromis républicain », permettant aux élus de développer leur influence comme à EDF de pouvoir faire évoluer son organisation et de préparer les évolutions à venir dans le cadre concurrentiel (POUPEAU, 2000, Un néo-libéralisme centralisateur. Les collectivités locales dans la libéralisation du système électrique français).

315 Ces évolutions sont détaillées par François-Mathieu POUPEAU (ibid.) sur lequel nous nous appuyions dans les lignes qui suivent.

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compétences » de la part d’élus316. Cependant, ni EDF ni la FNCCR ne souhaitent que les cahiers des charges soient rédigés à la libre appréciation des autorités concédantes mais d’après un modèle proposé. Un document type s’applique donc à tous à partir de 1992. Une convergence à caractère restrictif car cette entente entre la FNCCR et EDF a laissé de côté les autres acteurs, comme par exemple l’Association des ingénieurs des grandes villes de France.

La démarche sera donc fortement contestée317. En 1997, 84% des communes avaient signé un nouveau contrat fondé sur un même modèle avec EDF pour une durée d’environ 30 ans.

La réactivation du pouvoir concédant, très progressive rappelons-le, est due à plusieurs facteurs : incertitudes liées à l’Acte Unique de 1986 sur la libéralisation des marchés intérieurs, conséquences de la promulgation des lois de décentralisation318, souhait de contrer la volonté des grandes villes de se doter de cahiers des charges spécifiques ; remise en cause du FACÉ par le ministre de l’Industrie Alain MADELIN lors de la première cohabitation de 1986, etc.319 Ce dernier dispositif, déjà fort ancien à cette date, est adapté aux exigences du temps. Les fonds ont tout d’abord été progressivement alloués au renforcement des réseaux existants, après qu’ils eurent été déployés sur tout le territoire. Un rôle de maîtrise d’œuvre dans les travaux d’extension ou de modernisation des réseaux que la loi du 10 février 2000 a d’ailleurs conforté320. Par ailleurs, le FACÉ est progressivement devenu un outil de promotion des énergies renouvelables ou de maîtrise de l’énergie pour les collectivités territoriales321. Un champ d’action énergétique émerge, certes encore limité dans les années 1990, qui permet de se positionner plus qu’auparavant sur cette thématique.

La stratégie de l’État, d’EDF, comme de la FNCCR, reste en effet de maintenir une régulation centralisée et une redistribution des pouvoirs limitée vers le local, indépendamment des évolutions contextuelles évoquées322. De ce fait, les discussions ne concernent pas les associations d’élus et de fonctionnaires territoriaux qui risqueraient de remettre en cause cette stratégie. La dynamique qui opère politiquement a donc des effets très limités sur le secteur de l’électricité. Des propositions allant dans le sens d’une décentralisation restent par exemple

316 « Le militantisme d’un fonctionnaire territorial, soutenu par le conseil municipal, est susceptible d’entraîner toute la ville dans la voie des politiques énergétiques » (BOUVIER, 2005, Les collectivités locales et l'électricité.

Territoires, acteurs et enjeux autour du service public local de l'électricité en France, p.216).

317 Ibid., p.50.

318 Notamment la loi de décentralisation du 6 février 1992 qui contribue de façon décisive à la prise de conscience du pouvoir concédant des collectivités locales.

319 BOUVIER, 2005, Les collectivités locales et l'électricité. Territoires, acteurs et enjeux autour du service public local de l'électricité en France, p.50.

320 Articles 11 et 17.

321 BOUVIER, 2003, Enjeux géopolitiques autour de la distribution d'électricité en France.

322 Les dirigeants d’EDF (comme ses agents et la CGT), souhaitent que l’entreprise reste nationalisée à un moment où elle aurait pu choisir d’accroître son indépendance (POUPEAU, 2000, Un néo-libéralisme centralisateur. Les collectivités locales dans la libéralisation du système électrique français, p.18).

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lettre morte comme lors de la régionalisation actée dans la loi du 2 mars 1982 ou à l’occasion de l’enterrement du rapport MANDIL en 1993323. Les collectivités locales, et notamment les grandes villes, n’ont donc pas retrouvé leurs prérogatives d’antan au moment où est actée la directive qui ouvre les réseaux électriques à la concurrence.

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