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Un mouvement global de remise en cause de la place de l’État

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 100-103)

CHAPITRE 1 : Origines et fondements du modèle centralisé

1. Un mouvement global de remise en cause de la place de l’État

Jean-Pierre WILLIOT situe l’amorce d’une remise en cause du modèle énergétique français en 1986 avec la privatisation d’Elf puis plus nettement encore avec la privatisation d’EDF271. Si l’année 2004 marque effectivement une date charnière, l’importante centralisation du secteur énergétique suscite à partir des années 1970 l’amorce d’une remise en question qui s’exprime par l’addition ou la superposition de plusieurs éléments et tendances. Elle apparaît en particulier à travers les solutions qui sont avancées pour réformer le régime dominant sur le modèle de déréglementation à l’anglo-saxonne. C’est en effet à cette période que les États-Unis initient ce type de politique sous la présidence de Jimmy CARTER (1977-1981)272. Ils sont suivis de peu par la Grande-Bretagne dès l’arrivée au pouvoir de Margaret THATCHER en 1979273. Ces initiatives vont être une source d’inspiration pour la France alors que des critiques envers l’interventionnisme étatique se multiplient en raison de l’irruption des problèmes économiques consécutifs aux chocs pétroliers. La conversion au néolibéralisme d’intellectuels et d’hommes politiques s’accélère

271 WILLIOT, 2009, Etat et énergies XIX°-XX° siècles, p.40.

272 Les premiers monopoles sautent dans les transports aériens puis dans le téléphone et le secteur financier. En 1978, le Public utility regulatory Policies Act (PURPA) ouvre le marché à la production indépendante tandis que l’Energy policy Act de 1992 mettra en place l’accès des tiers au réseau.

273 Ici, la privatisation commence avec quelques années de décalage par le gaz en 1986 puis l’électricité avec le démantèlement du Central Electricity Generating Bord, principal producteur et distributeur détenant le monopole public de transport. Il naît de cette loi trois entreprises de production, une de transport et douze entreprises régionales de distribution. Un organisme de régulation est créé, l’Office de régulation électrique, chargé de veiller à la concurrence (cf. notamment GLACHANT, 1998, L'électricité en Grande-Bretagne : une industrie privée et un service public partiel).

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dans les années 1980 alors que le poids important de l’État dans la société commence à faire peur274. Ceci d’autant plus fortement que la centralisation s’amplifie encore à cette époque.

Les années 1965-1970 sont en effet le théâtre d’un fort mouvement de concentration des entreprises publiques275. Le début des années 1970 marquent d’une façon plus générale l’amorce d’une rupture qui clos la période de l’État « modernisateur » et ouvre sur une crise et une mutation du service public à la française276. L’État n’est progressivement plus le synonyme de performance mais de lourdeur et d’inadaptation aux changements économiques.

Le keynésianisme né après la guerre donne des signes d’essoufflements dus aux chamboulements économiques des années 1970. Un des principaux griefs est que les entreprises publiques ne sont pas efficaces comparées à celle du secteur privé. Une critique qui s’appuie sur des résultats discutés des monopoles277. Les libéraux remettent donc en cause les vertus de ce modèle sclérosant un secteur que la libre concurrence permettrait selon eux de dynamiser. Des conceptions économiques qui se diffusent largement et se heurtent à un système électrique qui est l’incarnation matérielle et organisationnelle des conceptions expérimentées durant les Trente Glorieuses. La situation du secteur montre certains signes qui alimentent ce questionnement comme l’essoufflement du programme électronucléaire avec des prévisions de croissance de consommation moins élevées que prévues au moment où le parc est en cours de finalisation. Dans un contexte de chute et de stabilisation des prix du pétrole278, des tensions économiques et financières naissent (creusement des déficits, surcapacité de production).

Cette gestion étatique des entreprises publiques va provoquer des réactions exprimées dans un rapport qui fait date rédigé par le haut fonctionnaire Simon NORA en avril 1967279. Il propose notamment que les entreprises publiques soient gérées comme des entreprises privées

274 MULOT, 2002, Libéralisme et néolibéralisme : continuité ou rupture ; DENORD, 2004, La conversion au néo-libéralisme.

275 BIZAGUET, 1983, L'importance des entreprises publiques dans l'économie française et européenne après les nationalisations de 1982, p.444.

276 POUPEAU, 2004b, Un siècle d'intervention publique dans le secteur de l'électricité en France.

277 DOLLÉ, 1978, Forces et faiblesses des entreprises nationales ; RIVIER, 1969, La place des entreprises publiques dans l'économie française ; SIWEK-POUYDESSEAU, 1974, La critique idéologique du management en France. Certains évènements contribuent également à exacerber les tensions autour du monopole comme les grèves de l’hiver 1986-1987 (particulièrement froid), provocant des coupures d’électricité et de vives réactions du public - manifestations, pétitions, violences (HURIET, 1999, Rapport au Sénat sur la proposition de loi relative au service minimum en cas de grève dans les services et entreprises publics).

278 Les prix du pétrole amorcent une baisse significative dès 1980 une fois les conséquences de la révolution iranienne passée (2ème choc pétrolier de 1979). Ils s’effondrent même entre 1985 et 1986. Excepté quelques hausses momentanées, ils ne progresseront de nouveau qu’à partir des années 2000.

279 Ce rapport est commandé par le président POMPIDOU dans le but d’analyser la situation des entreprises publiques françaises et de procéder à des recommandations visant à mettre un terme à une situation du secteur public jugée alarmante.

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selon des critères de rentabilité et avec une transparence sur les prix pratiqués sur la base d’un contrat280. Il ne s’agit ainsi pas de privatiser ni de libéraliser le secteur mais de l’organiser selon la logique de l’entreprise privée dans le cadre d’une autonomie accentuée par rapport au politique. Les conséquences sont assez limitées pour l’entreprise publique EDF qui peut désormais peser davantage sur l’élaboration de ses choix stratégiques, sous réserve d’atteindre des résultats fixés à l’avance et de respecter certaines contraintes fixées par contrat.

Néanmoins, cette autonomisation sera vite restreinte, l’État réactivant sa tutelle – en particulier sur la fixation des tarifs – deux ans plus tard afin de maîtriser l’inflation consécutive au premier choc pétrolier. Ainsi, c’est d’un réinvestissement de l’État dont il est question après 1973, en opposition avec les orientations préconisées par le rapport NORA281. EDF devient toutefois un peu plus une entreprise privée sous certains aspects.

L’accroissement de la logique marchande accompagné d’une « consummérisation » de l’usager marque l’ultime évolution de l’universalisation des réseaux. Lorsque tout le monde est raccordé « on considère la situation comme acquise et l'attention se porte sur les caractéristiques du service fourni (prix et/ou qualité de service) »282. La régulation marchande prend donc un peu plus le pas sur la régulation économique et politique.

Jusqu’au milieu des années 1980, la perspective d’une libéralisation et de l’introduction de la concurrence dans le secteur de l’électricité n’aboutit pas à une rupture. La fin de la période est même marquée par un regain de nationalisation avec la loi de 1982 qui fait entrer dans le giron de l’État des industries ou des établissements financiers et bancaires comme Thomson ou Paribas. Le retour de la droite au pouvoir en 1986 sera ensuite de nouveau synonyme de dé-nationalisations283. Cette orientation s’inscrit par conséquent dans une logique différente à celle choisie par les pays anglo-saxons dans lesquels le néolibéralisme se heurte à beaucoup moins de résistance qu’en France284.

280 Les principales conclusions sont résumées dans COHEN et HENRY, 1997, Service public, secteur public.

281 A partir de 1973, l’État tente de remédier à la crise en assurant presque seul le rythme des investissements alors que celui des entreprises privées stagne : modernisation des services de La Poste ou du téléphone, programme nucléaire (BIZAGUET, 1983, L'importance des entreprises publiques dans l'économie française et européenne après les nationalisations de 1982, p.445).

282 COUTARD et PFLIEGER, 2002, Une analyse du rôle des usagers dans le développement des services de réseaux en France.

283 Saint-Gobain, Parisbas, TF1, société générale etc. (cf. CROZET, 2007, Trente ans de déréglementation : quel bilan ? ; BIZAGUET, 1983, L'importance des entreprises publiques dans l'économie française et européenne après les nationalisations de 1982). Une tendance que ne remettra pas en cause le second septennat de François MITTERRAND dès 1988, malgré le gel du processus.

284 CHAMBAT, 1990, Service public et néolibéralisme.

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