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Les principes de la régulation

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 120-123)

Conclusion du chapitre 1

CHAPITRE 2 : Une configuration institutionnelle nouvelle nouvelle

A. Les principes de la régulation

La notion de régulation connaît depuis plusieurs années un regain d’intérêt afin d’exprimer l’action des pouvoirs publics sur fond de modification et de complexification de la société333. Spontanément, elle repose sur l’idée simple d’une fonction regroupant l’ensemble des actions visant à assurer l’équilibre d’un système par un ou plusieurs acteurs qualifiés de régulateur(s). Dans le cadre de notre objet de recherche, il existe plusieurs protagonistes

333 La régulation sous toutes ses formes est abondamment discutée depuis de nombreuses années. Dans le champ du droit, voir par exemple CHEVALLIER, 2001, La régulation juridique en question ; CHEVALLIER, 2008, L'Etat post-moderne ; FRISON-ROCHE, 2004, Les nouveaux champs de la régulation ; Le GALÈS, 1999, Régulation, gouvernance et territoire ; Le GALÈS, 2005, Recomposition de l'Etat et territoire : L'Etat régulateur, une révolution bureaucratique en marche ? ; RIFFAULT-SILK, 2011/1, La régulation de l'énergie : bilan et réforme. « À consulter les dictionnaires du XIXe siècle, on constate dit Georges CANGUILHEM, que le terme de régulateur a précédé celui de régulation. Au XVIIIe siècle, « régulateur » est un terme d'horlogerie aussi bien que d'économie ou de politique, de mécanique aussi bien que de mécanique céleste. Le mot est importé par Lavoisier en physiologie animale. C'est dans les mêmes disciplines que le vocable de régulation est introduit au XIXe siècle. Au XXe siècle, c'est en biologie et dans les sciences sociales qu'il en est fait un usage privilégié » (CANGUILHEM, 2015, Régulation, épistémologie).

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qualifiés ainsi et « l’usage souvent peu justifié du terme […] en droit de l’énergie ne facilite guère leur reconnaissance » avertit Laurence CALANDRI334. L’irruption de la question de la régulation dans le débat public date du début des années 2000 alors qu’elle était déjà popularisée et expérimentée depuis plusieurs décennies dans les pays anglo-saxons (dans un sens un peu différent, plus restrictif et synonyme de réglementation)335. La régulation n’est pas seulement un paradigme scientifique. C’est aussi une représentation idéologique qui évoque une conception nouvelle du rôle de l’État et des conditions du maintien de la cohésion sociale par une organisation spécifique des différents champs de la société. Compte tenu de cela, dans une perspective institutionnelle, il nous apparaissait nécessaire de partir d’une interprétation juridique de la régulation, a fortiori parce qu’elle sous-entend un arsenal législatif et règlementaire à la disposition des régulateurs.

Le travail de définition réalisé par le juriste Jacques CHEVALLIER s’avère à ce titre éclairant336. La notion de régulation peut s’entendre selon lui en tenant compte de trois acceptions : la fonction de régulation du droit, la régulation en tant que droit spécifique, et le droit de la régulation.

La fonction de régulation du droit repose sur l’existence d’un régulateur, « une instance capable, par sa position d’extériorité, d’assurer le maintien de l’équilibre du système en cause » et sur des dispositifs de régulation (ex. les tribunaux). L’État détenant le monopole de la contrainte légitime mais n’étant pas la seule instance de régulation sociale, il peut être utile de distinguer la régulation étatique de la régulation juridique, plus englobante. La régulation étatique s’exerce notamment par des « procédés diffus » qui peuvent associer droit et incitations. Parallèlement, la régulation juridique n’est pas uniquement l’apanage de l’État

334 CALANDRI, 2013, Les rapports entre les collectivités territoriales et les régulateurs nationaux et européens de l'énergie, p.96.

335 Le concept a fait son entrée dans la législation en particulier via la loi Nouvelle régulation économique du 15 mai 2001 (n° 2001-420). Cette soudaine introduction est discutée par Claude CHAMPAUD : « […] on remarquera, dit-il, que le terme même de régulation est absent des tables alphabétiques des matières des meilleurs ouvrages de droit économique et/ou du droit de la concurrence » (CHAMPAUD, 2002, Régulation et droit économique, p.27).

336 CHEVALLIER, 2001, La régulation juridique en question, p.828. Patrick Le GALÈS mentionne également d’autres typologies comme celle, plus large, consistant à distinguer trois types d’idéaux. Tout d’abord la régulation étatique. Ensuite la régulation par le marché. Depuis l’émergence du capitalisme, ce type de régulation a joué un rôle croissant pour organiser les échanges entre une offre et une demande avec un ajustement par les prix (ou parfois par les quantités...). D’autre part la régulation dite de coopération/réciprocité (parfois appelée régulation par l’échange social ou régulation politique) basée sur des valeurs, des normes, une identité, de la confiance exprimant des formes d’échange et/ou une solidarité entre les membres d’une communauté, d’un clan, d’une famille (voir Le GALÈS, 1999, Régulation, gouvernance et territoire, par ex. p.7 et 8).

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mais peut émaner de groupes socioprofessionnels dotés de prérogatives d’autorégulation (ex.

ordres professionnels).

La seconde acception concerne la régulation en tant que type de droit spécifique apparu dans le cadre de l’État providence. Ce type de droit, de nature « interventionniste », est envisagé comme un outil aux mains de l’État visant à atteindre des objectifs, en particulier en termes de politique publique, et à produire des effets économiques et sociaux. Il succède à un type plus « libéral » de droit relevant d’une action annonçant des interdits mais laissant une part d’autonomie individuelle. A cette régulation « intrusive » en succède désormais une nouvelle issue de la crise de l’État providence. C’est à ce titre que nous avons séparé dans le chapitre 1 de la thèse une première phase de régulation de type libéral qui précède la nationalisation et assure le maintien des grands équilibres sociaux, et une seconde phase de régulation centralisée qui elle est postérieure provenant d’un État ayant intégré la totalité des outils de régulation du système énergétique.

Troisièmement, le droit de régulation qui se démarque des précédents par son pragmatisme, sa contextualisation et son caractère négocié, exprimant un réajustement des modalités de la régulation sociale visible en particulier à travers par exemple le mouvement de déréglementation. Cette forme de régulation relève ainsi davantage du droit « mou » ou

« souple » (soft law) qui repose d’une part sur des objectifs, des directives et des recommandations au dépend des formes plus contraignantes du droit de type interventionniste (droit « dur », hard law), et d’autre part sur une souplesse caractérisée par une réflexivité basée sur des corrections et des ajustements permanents.

Ces trois acceptions données par Jacques CHEVALLIER ont l’avantage d’offrir une définition thémato-chronologique. Elles permettent d’avoir une représentation schématique de la régulation et sont aussi explicatives des évolutions historiques du rôle de l’État dans la société française. Des compléments peuvent être ajoutés compte-tenu des interprétations existantes et de la diversification récente des sources de la régulation. Au niveau national, une partie de la capacité de régulation, notamment dans la fixation de ses objectifs, a été déléguée à d’autres acteurs que l’État. Les agences ou les autorités indépendantes de l’administration ont vu leur rôle s’accroître au niveau national337. Ces organismes ne sont pas nécessairement placés sous la tutelle de l’État et jouissent d’une certaine liberté d’action. Ils prennent en France la forme d’agences agissant dans un secteur spécifique et justifient, pour leurs créateurs, une intégration de fonctions traditionnellement disjointes comme l’émission d’une réglementation, le contrôle et la sanction. Cet agencement peut être vu comme un moyen pour l’État, qui est à l’origine ce processus, de réformer opportunément son action. Inversement, il peut être vu comme le fruit de contraintes s’exerçant sur lui (ex. réglementation européenne).

La régulation se configure donc au niveau national parfois indépendamment de l’État, lequel

337 Comme l’ont par exemple montré les travaux de G. MAJONE (MAJONE, 1996, La Communauté européenne, un Etat régulateur).

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se trouve soumis lui-même à des régulateurs chargés d’apporter une neutralité et une capacité d’arbitrage fondée sur une expertise dans un domaine spécifique. Au niveau supra-étatique, les organisations internationales disposent aussi d’une capacité de régulation autonome. C’est le cas de l’Organisation mondiale du commerce mais aussi de l’Union européenne. Au niveau infranational, la régulation tend à se localiser au niveau des collectivités territoriales sous l’effet des politiques de décentralisation mais aussi d’un mouvement de territorialisation des politiques publiques dans le cadre de la réforme du mode d’action de l’État.

Cette évolution ouvre sur des emboîtements scalaires qui font que la régulation n’apparaît plus comme un objet d’un seul tenant. « Tandis que l’État a de moins en moins de prise sur les dispositifs de régulation transnationaux, l’enracinement des dispositifs localisés ou segmentés dans leur milieu d’intervention favorise leur émancipation ; les agences et administrations indépendantes sont ainsi insensiblement portées à intérioriser la rationalité du secteur qu’elles sont chargées d’encadrer et de réguler » précise Jacques CHEVALLIER338. La configuration ainsi créée tend vers un enchevêtrement d’organisations qui s’articulent difficilement ou même s’opposent en raison de la pluralité des rationalités qui les animent.

Dans le secteur de l’énergie, nous avons pu constater qu’avant la nationalisation de 1946, le mode d’intervention de l’État était de nature libérale. Ce dernier intervenait prioritairement pour assurer l’ordre, gérer les conflits ou les évènements susceptibles de remettre en question les grands équilibres sociaux339. Ensuite, cette organisation s’est progressivement statocentrée par l’internalisation des principaux leviers d’action, laissant au moins formellement beaucoup moins de place à l’initiative individuelle ou locale. Or, quels changements peut-on constater au regard de cette définition de la régulation ? Que dire du développement d’un droit de la régulation dans le domaine électrique ? En quoi cette nouvelle régulation forme-t-elle une alternative à la régulation centralisée ?

Nous allons nous pencher sur la façon dont celle-ci est aujourd’hui organisée à travers les prérogatives et positionnement des principaux régulateurs institutionnels. Nous présenterons tout d’abord les acteurs qui sont une source de régulation aux côté de l’État au niveau national. Nous déterminerons ensuite le rôle du régulateur européen dont les prérogatives en la matière se sont accrues depuis la directive de libéralisation en 1996.

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