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Thierry SAUZEAU – De l’histoire à la prospective littorale face aux changements environnementaux (16 e 21 e siècles)

L’objectif de cette communication de Thierry SAUZEAU, tel qu’il est annoncé par son titre, peut sembler étonnant : alors que l’histoire fait référence au passé, il s’agira en effet de se projeter vers l’avenir. Thierry SAUZEAU introduit son propos en soulignant que la trajectoire d’un territoire peut être appréhendée sous la forme d’un double jeu : un puzzle, d’une part, dans lequel le littoral se compose de différentes pièces qui se mettent en place au fil du temps et qui s’emboîtent les unes dans les autres de façon plus ou moins coordonnée ; d’autre part, un jeu de rôle, dans lequel le littoral mobilise des rôles différents, qu’ils soient sociaux, économiques ou politiques. Dans cette perspective, l’histoire peut être mobilisée pour étayer des scénarios, confirmer des tendances repérées par les chercheurs de diverses disciplines, notamment la géographie ou les géosciences, et déterminer comment ces tendances s’ancrent dans le passé tel qu’il est appréhendé par l’historien et comment elles s’articulent avec les tendances actuelles.

L’objectif de cette communication est ainsi de proposer une grammaire mettant en évidence comment les trajectoires de ces petits territoires littoraux, étudiées depuis longtemps par Thierry SAUZEAU, sont porteuses de tendances sur les côtes soumises à un risque essentiel, notamment la submersion par surcote. Différents types de paysages peuvent dans ce cadre être distingués : certains sont liés à la poldérisation ; d’autres sont issus de la mise en place de marais, suite à l’implantation de salines, devenues des pâturages ou converties en claires ostréicoles ; d’autres littoraux, enfin, que Thierry

 

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SAUZEAU appelle des côtes à houle, sont affectés par une dynamique largement déterminée, sur le temps long, par la houle.

La situation étudiée dans cette communication présentée par Thierry SAUZEAU peut être synthétisée de la façon suivante : des côtes sur lesquelles l’acteur principal de la dynamique côtière est la marée, se trouvant sur des littoraux relativement bien abrités, parfois orientés contre le flux majeur de la houle, notamment dans les grandes îles côtières du centre-ouest atlantique. Ce cas se retrouve en particulier dans les estuaires, les anses, les golfes, les petites mers bordières comme la mer des Pertuis ou encore les avant-côtes des domaines insulaires. Le moteur principal de l’occupation humaine sur ces territoires est la conquête, sous la forme d’appropriation de zones qui sont alors soustraites aux flots de marée et continuent aujourd’hui à être engraissées de sédiments. En effet, ces côtes à marées, au moins dans le centre-ouest atlantique, se caractérisent par une dynamique dans laquelle la sédimentation se poursuit, qu’il s’agisse de sable ou, surtout, de vase. Pour identifier cette dynamique, l’historien peut s’appuyer sur une série d’indices et d’outils : la télédétection autrefois et, désormais, le LiDAR ; la cartographie rétrospective des aménagements et des emprises ; l’histoire des usages et des sociétés ou, pour reprendre l’image employée par Thierry SAUZEAU, le

jeu de rôle implanté sur ce puzzle territorial.

Cette dynamique de conquête des mers débute dès le XIIIe siècle, mais c’est surtout aux XVIIe et XVIIIe siècles que cette conquête prend, pour des raisons essentiellement politiques, toute son importance. La monarchie absolue, en effet, octroie des privilèges à des entrepreneurs qui, dans le cadre de leurs concessions, soustraient des zones d’estran vaseux aux flots de marée en érigeant des digues. Ces aménagements entraînent alors la formation de paysages en patchwork, mis en évidence sur les cartes anciennes. Ces espaces comportent en général des formes de drainage interconnectées, incluant fréquemment une maison d’éclusier ou une vanne permettant d’empêcher la marée haute d’apporter l’eau salée sur les zones endiguées et, à marée basse, de drainer l’eau de ruissellement venant du plateau calcaire et susceptible de noyer ces zones affectées pour l’essentiel à l’agriculture. À l’avant de ces espaces, on trouve dès les XVIIe et XVIIIe siècles des parties submersibles, souvent concédées en pâturage, et un étang vaseux qui s’engraisse, ainsi que des activités d’élevage de moules ou de culture ostréicole. Au XIXe siècle, on assiste souvent à la construction d’un second réseau de digues, réalisée à l’initiative de propriétaires privés dans le cadre de la loi de 1807. Au XXe siècle, et surtout dans l’après-guerre, la grande agriculture entraîne souvent la disparition des digues intermédiaires et la formation de grandes parcelles sur lesquelles on trouve des drains enfouis. Ces territoires voient donc leur vulnérabilité s’accroître du fait de la disparition de ces remparts successifs qui permettaient auparavant d’isoler les parcelles face à la submersion. Par ailleurs, les brèches routières réalisées dans la seconde moitié du XXe siècle participent aussi à cette augmentation de la sensibilité des territoires littoraux et sont souvent associées à la construction de lotissements, comme ce fut le cas à Charron ou à La Faute-sur-Mer. L’historien constate ainsi que ces paysages ont été suffisamment dégradés pour qu’il puisse être envisagé de les restaurer dans leur état d’intégrité initiale avant d’envisager, éventuellement, leur retrait ou leur déprise finale.

Une variante de ce scénario décrit par Thierry SAUZEAU est celle des marais salants. Ces systèmes sont là aussi créés très souvent au XIIIe siècle et leur aménagement se poursuit au XVIIIe siècle grâce à des systèmes hydrauliques permettant de contrôler les entrées et les sorties des flots de marée. En effet, l’eau salée est utilisée dans la production de sel grâce à des champs de salines associées à des systèmes isolants et reliés par de petits chemins. Ce système se double, le plus souvent, d’un village perché, médiéval ou gallo-romain, et d’une avant-côte qui tire profit de la sédimentation accélérée. Les acteurs les plus stratégiques sur ces territoires sont, au XIIIe siècle, les grandes abbayes qui se voient concéder des chartes pour créer ces paysages puis, au XVIIIe siècle, de grands seigneurs qui demandent au pouvoir central l’autorisation de poursuivre ces aménagements. Au milieu de XIXe

   

 

 

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siècle, les marais salants d’autrefois deviennent ce que l’on appelle des marais gâts et les systèmes de production de sel sont abandonnés. On constate aussi qu’est très souvent tracée sur la digue originelle une route, tandis que sont mis en place à l’avant des dispositifs nouveaux gérés par de nouveaux acteurs, par exemple des ostréiculteurs et des claires ostréicoles. En concurrence avec ces paysages, de nouveaux types de polders, construits à l’initiative privée au 19e siècle, viennent aussi avancer le trait de côte face à la mer. Le point d’aboutissement de ces transformations du paysage se manifeste dans les usages que l’on peut aujourd’hui observer. À l’arrière, les parcelles sont transformées en pâturage tandis que des routes de plus en plus empruntées traversent ces systèmes. Des lotissements apparaissent, descendant parfois très bas dans ces marais salants encaissés par rapport au trait de côte, avec pour résultat les problèmes de sensibilité et de vulnérabilité pour les habitants qui viennent s’y installer. L’avant-côte créée au XIXe siècle se trouve très souvent déstructurée par l’installation de la grande agriculture et l’enterrement des drains, faisant ainsi apparaître de vastes zones pouvant être submergées à la moindre alerte. Des routes transversales, enfin, viennent briser les digues anciennes. Au total, les systèmes de défense se trouvent déstructurés en profondeur. Les paysages sont moins exposés aux évènements situés à l’avant de ces territoires puisque la sédimentation s’y poursuit. Mais le manque d’intérêt manifesté par les habitants pour structurer ces paysages a pour conséquence d’en accroître la sensibilité et en détermine largement la vulnérabilité, dès lors que des populations viennent s’y implanter.

En conclusion, l’historien constate l’existence d’une sorte d’effet de cliquet sur lequel il serait possible d’agir. Bien qu’ils aient été conçus dans le passé pour résister aux submersions, les paysages sont exposés aux évolutions environnementales rappelées lors de ces journées, notamment la montée du niveau des eaux et des risques de submersion plus importants que par le passé. Il est donc nécessaire de procéder à un travail de remise à niveau, estime Thierry SAUZEAU, avant d’envisager le cas échéant de manière systématique leur déprise ou leur retour à la mer.

Concernant les côtes à houle, leur occupation humaine est relativement plus récente et résulte d’une stabilisation par plantation de dunes, notamment dans la seconde moitié du XIXe siècle, puis par implantation d’ouvrages côtiers à cette même période et jusqu’au XXe siècle (ports, épis, enrochements…). On assiste ainsi à la formation de paysages de forêts, en bordure de marais, souvent rétro-littoraux, car les cordons de dunes viennent isoler des zones qui auraient été sans cela des zones submersibles et marécageuses, soumises au balancement du flot de marée. La conquête de ces zones remonte au XVIIe siècle, mais se renforce surtout aux XIXe et XXe siècles. Elle peut être appréhendée par la cartographie du trait de côte et l’histoire des programmes de stabilisation des dunes.

En 1700, un ensemble de données permettent à la nature, sur ces paysages, de faire face aux évolutions. Il s’agit fréquemment de zones dans lesquelles le trait de côte n’a cessé d’avancer et de reculer au gré des changements climatiques et environnementaux. Mais ces variations ne posent pas de difficultés particulières en raison de la mobilité des dunes et des possibilités d’ajustement qui en résultent. Cette mobilité suscite pourtant des protestations de la part des habitants vivant très en retrait par rapport au trait de côte, lorsque ceux-ci voient leurs cultures régulièrement envahies par le sable. Mais le reste du territoire, souvent implanté sur des zones calcaires, constituées de champs ou de vignes, demeure relativement épargné par ces problématiques. Les marais retro-littoraux, par ailleurs, sont en communication avec la mer de façon épisodique ou régulière, comme le montre l’histoire de la côte des Sables-d’Olonne, à La Tranche sur Mer, ou celle de l’île d’Oléron, sur sa côte sauvage. Les habitants ne se rendent sur ces côtes que de manière ponctuelle, notamment pour y pêcher dans les écluses à poissons ou y piller les épaves de navires qui font fréquemment naufrage sur ces côtes. Les enjeux y sont donc relativement faibles et les utilisations relèvent davantage d’opportunités ponctuelles.

 

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S’agissant de l’état actuel de ces territoires littoraux, il est en revanche bien plus problématique, estime Thierry SAUZEAU, ou du moins il interroge l’historien en termes de montée des vulnérabilités. Plusieurs éléments peuvent ici être mis en avant : le tracé des routes côtières, après-guerre et dans les années 1960, dont les rubans en bitume empêchent la mobilité avant-arrière du massif de dunes et autorise à l’arrière l’implantation d’un ensemble d’enjeux, en particulier des lotissements montant au plus près de la dune pour disposer d’une vue sur la mer ; l’occupation estivale par des campings qui s’implantent de plus en plus à l’année et accueillent des populations plus flottantes vivant dans des

mobile homes. On peut aussi identifier dans ces espaces des enjeux plus inattendus : découverte

dans les zones bombardées d’explosifs qui ne sont pas déclenchés ; installation de stations d’épuration pour traiter les eaux usées descendant vers la côte ; utilisation des dunes pour créer des décharges publiques, et dont la presse se fait régulièrement l’écho au moment de l’exhumation des déchets à la faveur du retrait de dunes. Au total, il résulte de l’ensemble de ces éléments des vulnérabilités multiples, qu’elles soient industrielles, sociales ou touristiques, en fonction des sites concernés.

Le travail présenté aujourd’hui, conclut Thierry SAUZEAU, constitue le point de départ d’un programme de l’UPLC19 soutenu par la Fondation de France et se présente comme une sorte de grammaire du littoral, ayant pour point focal les trajectoires historiques de ces territoires et y associant les questions naturelles, sociales ou économiques avec, en filigrane, la problématique du repli stratégique. Cette grammaire repose également sur un grand nombre d’études de cas, dans la mesure où chaque territoire se présente comme un cas particulier. La seconde étape de ce programme consistera dans l’organisation de présentations publiques, sur le terrain, des études réalisées afin de recueillir les réactions des habitants. Il se poursuivra ensuite en 2015 par une recherche portant sur les différentes manières dont les populations s’approprient ou discutent les conclusions de ce programme.

Échanges avec la salle

Nicolas POUVREAU (SHOM) signale que le SHOM dispose d’un important patrimoine cartographique, tel que les cartes Beautemps-Beaupré, du XIXe siècle, mais aussi des minutes ou des actes à très haute résolution représentant l’ensemble des habitations se trouvant sur le littoral. Il pourrait être intéressant, pour cet intervenant, de procéder à des comparaisons entre les données présentées par Thierry SAUZEAU et ces petites habitations représentées sur ces cartes au début et la fin du XIXe siècle afin de déterminer si les mécanismes présentés dans cette étude peuvent être généralisés à l’ensemble des côtes françaises.

Philippe LAUZI – Les risques et enjeux littoraux en Guyane française : contexte hydro-

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