• Aucun résultat trouvé

Lucien CHABASON – La loi Littoral et la prise en compte des risques liés au changement climatique

La communication de Lucien CHABASON vise à présenter la manière dont la loi du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi Littoral, dont il a été l’un des initiateurs, prend en compte la question des risques liés au climat. Il faut rappeler au préalable, souligne Lucien CHABASON, que la question climatique ne figurait pas à l’agenda du législateur entre 1983 et 1985, au moment de l’élaboration de la loi Littoral. Cette loi ne comporte ainsi que très peu de dispositions prenant en compte explicitement les risques liés aux perturbations du climat. Elle fait surtout référence au phénomène de l’érosion des côtes et aux politiques regroupées, à l’époque, sous le terme de « défense contre la mer ». Si cette expression peut de nos jours susciter une certaine appréhension, elle renvoie à une représentation de cette période selon laquelle la mer constitue une sorte d’ennemi contre lequel il faudrait se défendre. Pour autant, cette loi Littoral, par les nouveautés qu’elle apporte en matière de conception de l’aménagement du littoral français, s’est révélée un outil utile dans le nouveau contexte marqué par les risques climatiques, y compris en matière de risques de submersion et d’inondation. Qui plus est, comme l’écrivait déjà Montesquieu en son temps, rappelle Lucien CHABASON, il ne faut toucher aux lois que d’une main tremblante. Cette recommandation s’applique tout particulièrement à la loi Littoral, dans la mesure où, depuis son adoption, des amendements variés ont tenté de manière régulière d’en réduire la portée ou d’en édulcorer le contenu en mettant en défaut la vigilance des associations de protection de la nature. Ce sera en tous cas le thème principal que Lucien CHABASON développera dans cette communication. En premier lieu, poursuit Lucien CHABASON, la loi Littoral renvoie à une démarche dont les origines sont relativement anciennes, celle de l’aménagement, une démarche fondamentalement politique dans le meilleur sens de ce terme. L’aménagement repose en effet sur ce que l’un des fondateurs de

   

 

Université de La Rochelle, le jeudi 3 avril 2014. 76

 

 

 

 

la DATAR7 appelait la « géographie volontaire du territoire ». En d’autres termes, l’aménagement procède de l’idée que l’on peut, au travers d’une volonté politique et en fonction des techniques et des moyens disponibles, orienter l’organisation du territoire. Dans cette perspective, l’idée centrale de la loi Littoral a consisté à poser ce que Lucien CHABASON nomme un « principe d’aménagement en profondeur ».

Sur le plan historique, la loi Littoral trouve son origine dans une série de luttes menées dans les années 1960, des luttes qui ne se réduisent pas, comme l’affirmait une brochure publiée par une association de l’époque, l’URVN8, en 1972, au mot d’ordre de « La Côte d’Azur assassinée », face aux travaux menés sur Marina Baie des Anges à Mandelieu. Ces luttes font aussi écho à l’opinion choquée devant ce qui fut nommé à l’époque les « merlinades », c’est-à-dire les opérations réalisées, notamment en Vendée, à Saint-Jean de Mons, par monsieur Merlin, un promoteur qui faisait à tous les Français la promesse de posséder d’ici quelques années une maison les « pieds dans l’eau ». Ses agissements ont conduit à une véritable révolte de l’opinion publique. Des luttes se développèrent aussi, à la même époque, à Lacanau, contre une opération immobilière baptisée L’Océanide et consistant dans la construction d’une large barre de béton en bordure de falaise, face à la mer. Le projet suscita l’opposition de la Mission interministérielle d’aménagement de la côte aquitaine, qui avait émis un avis défavorable à la délivrance du permis de construire. Cette fronde aboutit finalement à la démission de son président, Philippe Saint-Marc, lequel devint d’ailleurs dans les années 70 un leader écologiste modéré. Pour Lucien CHABASON, ces luttes relevaient d’une véritable guerre dont il s’agissait, finalement, de sortir par l’élaboration d’une vision partagée.

Sur le plan juridique, la loi Littoral avait été précédée par une directive de 1976 sur l’aménagement, elle-même consécutive à un rapport publié par la DATAR. Cette délégation disposait à l’époque d’un pouvoir de coordination interministérielle considérable et s’efforçait de rassembler les différents ministères autour d’une vision commune en vue d’orienter l’action du Gouvernement et du Parlement. Elle veillait également à la mise en œuvre de ces réorientations et pouvait en rendre compte auprès du Parlement. Cet exemple montre en tous cas, estime Lucien CHABASON au vu des échanges de la première matinée, qu’un véritable travail de coordination entre acteurs politiques demeure possible en France. La directive de 1976, adoptée par la DATAR, s’avéra pourtant peu à peu inapplicable dans le cadre du processus de décentralisation amorcé en France. En effet, les textes fondateurs de la décentralisation prévoyaient dès cette date que l’État ne pouvait, par des mesures réglementaires, imposer des normes. Une loi est donc apparue nécessaire et s’est traduite par l’élaboration de la loi Littoral. Il faut également se rappeler, souligne Lucien CHABASON, que cette loi fut votée à l’unanimité. La loi Littoral fut ainsi, et demeure, un texte important, mais elle donna surtout lieu à une forte appropriation par l’opinion publique, la société civile, ainsi que par les juges en charge de veiller à ses conditions d’application. Certains tendent aujourd’hui à considérer, à l’encontre de cette importance du rôle du juge, que les citoyens qui font valoir leurs droits devant des tribunaux sont animés par des intentions malveillantes ou intéressées ou que les contentieux qui s’élèvent sont des contentieux que l’on qualifie de scélérats. Certaines ordonnances visaient même, pour la première fois depuis un siècle, à réduire le droit d’attaquer en justice des promoteurs pour mettre en cause la délivrance de permis illégaux. En réalité, les tribunaux ont joué un rôle majeur dans la mise en œuvre et le développement de la loi Littoral.

Lucien CHABASON en vient ensuite aux principales dispositions de la loi Littoral afin de montrer comment a été mis en œuvre le principe précité d’un aménagement en profondeur du littoral.

• La loi Littoral vise en premier lieu à éviter les routes littorales à moins de 2 km afin d’interdire de nouvelles voies de transit construites au cœur même des milieux naturels. La loi prévoit toutefois une exception pour des motifs topographiques. À l’île de Ré, par exemple, la route départementale qui relie La Couarde et le phare des Baleines ne peut à l’évidence être tracée à 2 km du littoral. • La loi Littoral vise en second lieu à protéger les sites naturels les plus remarquables. Alors que les

débats actuels tournent autour de l’articulation entre droit de l’environnement et droit de l’urbanisme, comme l’ont mis en évidence les échanges de la matinée, l’article L146-6 du Code de l’urbanisme, issu de la loi Littoral, instaure en une seule mesure une protection des sites les plus

       

7

 Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale. 

8

Université de La Rochelle, le jeudi 3 avril 2014. 77

 

 

 

 

remarquables du littoral français. Cette disposition a ainsi facilité la tâche du Conservatoire du littoral, dans la mesure où celui-ci n’acquiert que les sites déjà protégés par voie réglementaire. Ses actions ont donc été précédées par un intense travail réalisé par des inspecteurs des sites, des DIREN9 (devenues les DREAL) et des associations pour faire acter la protection d’un site racheté dans un second temps par le Conservatoire.

• Troisièmement, la loi Littoral pose une interdiction de construire dans la bande des 100 m sur les espaces non urbanisée.

• Deux autres dispositions s’ajoutent à ce principe : la première vise à prohiber la constructibilité dans les zones proches du rivage et recommande le report des constructions en profondeur, sauf exception prévue pour des motifs justifiés par les SCoT10. L’application de cette exception est cependant pour ainsi dire facilitée par le fait que les SCoT, comme l’ont rappelé les échanges de la première table ronde, ne traitent pas ou peu les problématiques de l’aménagement propres au littoral. La seconde disposition de la loi recommande de maintenir ce qu’elle qualifie de « coupures d’urbanisation ». Au total, la loi Littoral compte donc 4 dispositions incitant à la construction en profondeur pour protéger le littoral.

• D’autres dispositions de la loi comportent un volet social, notamment le sentier du littoral, un dispositif propre à la France qu’aucun autre pays, hormis le Royaume-Uni, n’a mis en place. Elle comporte également des dispositions visant à lutter contre la privatisation des plages. En l’absence d’une telle réglementation, en effet, l’ensemble des plages de la Côte d’Azur serait aujourd’hui constitué d’espaces privatisés. La Loi Littoral, non seulement n’autorise les concessions privées que sur une partie des plages, mais oblige en outre le concessionnaire à maintenir ouvert le passage entre le bord de mer et les plages concédées.

• Enfin, l’aménagement réalisé dans le cadre de la loi Littoral repose sur une articulation entre l’État et les collectivités. Celles-ci peuvent aujourd’hui adopter des PLU11, mettre en œuvre des SCoT et, dans certains secteurs, développer des stratégies générales d’adaptation de la loi, notamment le Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse (PADDUC) ou encore les Schémas d’Aménagement Régionaux (SAR) dans les Départements d’outre-mer.

La loi Littoral, souligne cependant Lucien CHABASON, n’aborde pas un certain nombre de problématiques qui sont au centre des enjeux soulevés dans ce colloque, notamment la question de ce que la loi appelle à l’époque la « défense contre la mer », une politique que l’on désignerait plutôt, à présent, sous l’expression de « prévention des risques ». De ce point de vue, les enjeux posés lors de la première table ronde ne sont pas directement clarifiés par la loi Littoral, étant traités à cette date dans d’autres textes (Code général des collectivités territoriales, Code rural et de la pêche maritime, Code des assurances, Code de l’environnement…). En revanche, les auteurs de la loi abordent plus explicitement les enjeux essentiels liés au domaine public maritime en souhaitant mettre en place une plus grande transparence dans les procédures d’autorisation des travaux réalisés sur ce domaine, y compris pour les concessions de plages privées. Chacune de ces opérations exige, en effet, une enquête publique à l’occasion de laquelle de nombreuses associations interviennent pour s’emparer de ces problématiques.

Il reste toutefois, convient Lucien CHABASON, que la question de la responsabilité ou celle de la répartition des charges entre l’État et les collectivités ne sont pas traitées. Dans le cadre de la loi Littoral, les travaux de défense contre la mer demeurent facultatifs. Les collectivités peuvent déployer un certain nombre d’actions sans être tenues sur ce point à une obligation expresse. Si elles ont le devoir de protéger leurs populations, elles ne sont pas contraintes, pour le faire, d’édifier des digues ou des ouvrages monumentaux comme ceux que Lucien CHABASON a vus parfois émerger en Poitou-Charentes. En cas de risque, les élus doivent informer la population et faciliter le cas échéant son évacuation. Le sujet reste toutefois plus ouvert qu’il ne semble, estime Lucien CHABASON, et le choix est laissé aux collectivités de réaliser des grands travaux ou de prendre des mesures alternatives. Cependant, une fois les travaux engagés, ces collectivités ont pour responsabilité que les

       

9  Directions régionales de l’environnement, puis DREAL (Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement).  10  Schémas de cohérence territoriale.  11  Plans locaux d’urbanisme. 

   

 

Université de La Rochelle, le jeudi 3 avril 2014. 78

 

 

 

 

opérations n’occasionnent pas de dégâts supplémentaires, comme cela a pu se produire en France dans certains cas de figure.

En définitive, la loi Littoral permet d’encadrer plus clairement l’ensemble des travaux menés sur le domaine public maritime. Ses dispositions renvoient donc à des aspects très concrets puisque c’est sur ce domaine que sont construits des épis, des ports ou des darces ayant entraîné cette « bétonisation » graduelle à laquelle nous avons pu assister sur le littoral. Le Var, rappelle à cet égard Lucien CHABASON, abrite aujourd’hui 27 communes et 26 ports de plaisance, certaines communes possédant à elles seules deux de ces ports. Si ce processus s’était poursuivi dans ces proportions, la « bétonisation » du littoral se serait généralisée dans ce département, de Menton à Cassis. Pourtant, cette solution était déjà perçue à l’époque comme n’étant pas durable dans tous les sens du terme, y compris en matière d’urbanisme, puisque la perspective d’agrandir un port ou toute autre construction humaine se heurte nécessairement, à un moment ou un autre, à des limites spatiales. Aujourd’hui, 100 000 personnes attendent effectivement la construction d’anneaux dans ces ports et accusent la loi Littoral de les en priver. Pourtant, quand bien même un port supplémentaire devait être construit, estime Lucien CHABASON, d’autres habitants en viendraient inévitablement à exiger la construction d’un nouvel anneau. L’extension des ports a donc connu un point d’arrêt, comme le montrent par exemple les récriminations exprimées dans un journal tel que Le Marin à propos du manque d’anneaux.

Lucien CHABASON évoque pour conclure cette communication quelques pistes d’amélioration pour la loi Littoral. Comme il l’a rappelé, en effet, la loi ne traite pas certaines problématiques récentes liées aux risques du littoral ou apporte à certains enjeux des réponses qui ne sont plus tout à fait adaptées. Il est clair que cette loi a été conçue pour lutter contre le mitage et une forme de colonisation urbanistique des bords de mer, favorisant de ce fait, au moins implicitement, une densification du bâti. Une commune telle que Saint-Raphaël par exemple a vu disparaître ses anciennes villas anglaises pour permettre la construction à proximité de la bande des 100 m d’immeubles d’habitation. On peut donc se demander si, à la suite de ces évolutions de l’aménagement, la population ne subit pas une exposition de plus en plus importante à des risques d’évènements extrêmes. Certains éléments de réflexion ont ainsi pu émerger sur ces nouveaux enjeux dans le cadre de la Convention de Barcelone pour la protection de la Méditerranée, au moment de sa révision à Athènes en 2005. Cette convention a abouti à l’adoption d’un protocole sur la gestion des zones côtières dont l’une des dispositions portait sur la protection des côtes contre les tsunamis et les ouragans et visait à la fois les populations et les milieux naturels. La loi Littoral pourrait ainsi être complétée pour inclure ces nouvelles problématiques. De telles modifications pourraient en particulier être réalisées dans le cadre de l’obligation à laquelle est tenue la France, signataire de ce protocole, de traduire ses dispositions dans le droit national pour la partie méditerranéenne de son territoire.

En second lieu, la loi Littoral prévoit plusieurs dérogations importantes au nombre desquelles figurent les travaux de défense contre la mer. Ces opérations sont ainsi soustraites à la règle des 100 m prévue par la loi et permettent de fait de « bétonner » des hautes plages pour protéger, notamment, des habitations ou des terrains de camping. Cependant, on peut aussi craindre que de futures modifications apportées à la loi Littoral aillent dans un sens contraire aux objectifs de départ de ce texte et en dénaturent le contenu ou la portée. Des révisions de la loi sont régulièrement envisagées par le Parlement et, tout en reconnaissant son importance, proposent le plus souvent un ensemble de dispositions qui la remettent en cause de manière radicale, comme l’illustre un récent rapport émis par le Sénat. Nonobstant ce contexte qui peut susciter certaines inquiétudes, une disposition favorable et pouvant procéder du droit de l’environnement et de la directive européenne de 2004 sur la responsabilité environnementale pourrait définir les modalités propres à opérer des choix en matière d’environnement, que ce soit sous l’angle économique, en terme de sécurité des populations ou sous son volet écologique. L’ajout d’une telle disposition pourrait ainsi susciter, en amont, un débat sur les moyens les plus appropriés pour faire face aux risques climatiques sur le littoral français. En tout état de cause, ce débat devrait associer étroitement la population et présenter publiquement l’ensemble des options possibles dans ce domaine spécifique de l’aménagement du territoire. La loi Littoral pourrait ainsi comporter une série de dispositions pouvant être intégrées dans le Code de l’environnement et amorcer ainsi une articulation plus précise entre le droit de l’urbanisme, la protection du littoral et le droit de l’environnement. Cette articulation existe déjà en partie avec,

Université de La Rochelle, le jeudi 3 avril 2014. 79

 

 

 

 

notamment, les PPR12, normes issues du Code de l’environnement et constituant des servitudes s’imposant aux PLU. Ces exemples montrent, en toute hypothèse, que le droit de l’urbanisme et le droit de l’environnement peuvent être conciliés dès lors que les acteurs acceptent de travailler ensemble sur la base d’une vision commune.

Outline

Documents relatifs