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BATTIAU-QUENEY – Exemples de déstabilisation des côtes en France

Freddy VINET – Diagnostic et réduction de la vulnérabilité du bâti face à la submersion marine : un exemple d’application sur l’île d’Oléron

Y. BATTIAU-QUENEY – Exemples de déstabilisation des côtes en France

Yvonne BATTIAU-QUENEY présentera dans cette communication un exemple de déstabilisation d’un système côtier à Wissant, dans le Pas-de-Calais, et axera son propos sur les systèmes plage-dune, ceux-ci étant les plus affectés par ces processus. Ces systèmes présentent 2 caractéristiques essentielles. Premièrement, ils sont mouvants par nature et fonctionnent grâce à des échanges constants de sédiments, essentiellement du sable. Toute intervention réalisée pour figer ce système crée de la vulnérabilité. En second lieu, l’équilibre de ces systèmes dépend de la disponibilité en sédiments, ceux-ci étant en grande partie hérités de périodes anciennes. Or, la ressource en sable, on le sait peu, est une ressource non ou peu renouvelable.

Ces systèmes plage-dune restent pourtant difficiles à modéliser pour plusieurs raisons : d’une part, les énergies entrantes sont variables dans le temps et dans l’espace ; d’autre part, alors que certains paramètres sont correctement prévisibles, par exemple la marée, d’autres sont bien plus aléatoires et dépendent des tempêtes. Cette complexité procède aussi de la diversité des agents du système, tous interdépendants (marées, houle, courants, végétation), auxquels s’ajoute l’intervention humaine. Ces espaces fonctionnement grâce à des systèmes sédimentaires provisoirement stockés dans des réservoirs, essentiellement l’avant-plage en mer et l’avant-dune à terre. Lorsque ces sédiments ne se trouvent pas dans ces réservoirs, ils se déplacent constamment entre les différents compartiments du système (avant-plage, plage et avant-dune). Dans ce système, le trait de côte est par définition très éphémère, à la façon d’un instantané dans une séquence d’évènements qui se succèdent plus ou moins rapidement. Cette mobilité naturelle du trait de côte est nécessaire au bon équilibre du système. Chaque fois que l’on veut le figer par des ouvrages durs, que ce soit des digues, des pérets, des épis ou des enrochements, l’équilibre naturel est rompu et constitue une source de vulnérabilité. L’avant-dune joue dans ce système un rôle majeur. Elle réalimente la plage en cas de tempête et représente un réservoir de sable essentiel à l’équilibre de la plage. Une plage a besoin, pour ainsi dire, de « respirer » et l’un des poumons essentiels dans ce processus est constitué par l’avant-dune. Yvonne BATTIAU-QUENEY prend l’exemple de la dune d’Ecault (Pas-de-Calais). En avant de l’ancienne dune, mise en place avant les années 2000 s’est créée une nouvelle avant-dune, en contact direct avec une plage alimentée par les transports de sable par le vent au moment des tempêtes. Cette avant-dune a été profondément taillée en falaise en décembre 2013. Dans ce cas, le système plage-dune a bien fonctionné et « respire » : l’avant-dune se gonfle, entraînant une avancée du trait de côte en période calme, tandis que, au moment des tempêtes, l’avant-dune se vide et le trait

 

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de côte recule. Sur la côte d’Opale, ces systèmes fonctionnent normalement, comme le montre le cas de la plage de Merlimont, au droit d’une réserve biologique nationale gérée par l’ONF. Des champs de dunes embryonnaires se forment en période de mer calme, puis la dune peut être entaillée en falaise lors d’une tempête. On retrouve également ce type normal de fonctionnement sur la plage du Touquet, au sud de la station balnéaire. Dans ces différents cas, ce système de respiration naturelle assure une grande stabilité du trait de côte sur le long terme, depuis au moins la Seconde Guerre mondiale.

Un autre exemple de bon fonctionnement concerne un secteur de la côte aquitaine, dans les Landes, sur laquelle le trait de côte est stable depuis un siècle. On y trouve également un ensemble de constructions qui respectent la mobilité naturelle du système plage-dune dans la mesure où aucun enrochement ni aucune digue n’y font obstacle. Les constructions y sont par ailleurs suffisamment espacées pour que les échanges puissent se produire à l’intérieur de ce système et bien que le sable s’étale davantage au niveau des lotissements.

Sur la côte d’Opale, au XVIIIe siècle, la carte de Cassini montre une bordure quasiment continue de dunes tandis que le littoral était délaissé par l’homme, sauf quelques ports de pêche comme celui de Wissant. Mais le tourisme se développe à partir de la fin du XIXe siècle, les premières stations balnéaires voient le jour et hôtels et villas sont installés sur les dunes, de façon à ce qu’ils soient situés au plus près de la mer. Ces constructions répondent à la demande des touristes qui souhaitent séjourner au plus près du bord de mer. À Wissant, en 1905, est construite une promenade, conçue comme un ouvrage d’embellissement et de confort et non comme un ouvrage de protection contre la mer. En 1910, les photographies de l’époque montrent comment le perré de la digue épouse exactement la forme de l’ancienne dune. Mais l’on voit dès 1914 que le sable commence à envahir le front de mer et celui-ci, à la demande des touristes, est systématiquement déblayé. Entre les 2 guerres, vers 1930, la plage de Wissant se situe à peu près au niveau de la promenade, en bordure des villas et des hôtels. À l’abri du « banc à la ligne », nom d’un banc pré-littoral enraciné au cap Gris- Nez, la baie tend à se combler. Avec la guerre, la plupart de ces constructions sont détruites. Cette baie, constituant la partie de la côte française la plus proche de l’Angleterre, a connu une très forte concentration de blockhaus et d’ouvrages du "Mur de l’Atlantique" et a subi de nombreux bombardements anglais. À la fin des années 1940, le sable envahit tout le système et une nouvelle avant-dune tend à se former en avant des villas ou des anciennes constructions désormais rasées. Le site fait aussi l’objet d’opérations de déminage de grande envergure en raison du nombre élevé d’obus et de mines restants. Le choix est alors fait de désensabler massivement le front de mer. Ces opérations se poursuivent après la reconstruction d’après-guerre pour faire face à des arrivées constantes de sable sur le front de mer. Ce sable est utilisé pour fabriquer des matériaux de construction, dans un contexte marqué par un vaste essor de constructions et de voiries nouvelles. Pourtant, le site est marqué à partir de cette date par une série de retournements ayant lieu de manière progressive. En 1986, on cesse de désensabler le front de mer, car le niveau de la plage commence à s’abaisser tandis qu’un déficit sédimentaire global apparaît dans la baie. Or, on ne peut comprendre ces phénomènes si on ne prend pas en compte les mauvaises pratiques passées et les quantités massives de sable qui ont été retirées. Le résultat en est un abaissement de près de 5 m du niveau de la plage entre 1986 et la fin du XXe siècle. Le trait de côte a été figé, entraînant la disparition de cette réserve de sable que constituait l’avant-dune. La digue, datant de 1905, est détruite en 2001. En 2002, le maire reconstruit la digue à l’identique, mais celle-ci, suite à une forte tempête en 2007 et une surcote importante, est à nouveau dévastée. Les autorités aménagent en urgence des enrochements qui se sont maintenus jusqu’à aujourd’hui. Pourtant, la priorité du maire, en 2014, reste la reconstruction de la digue, pour un montant s’élevant à près de 10 M€. Ce processus naturel se retrouve, souligne Yvonne BATTIAU-QUENEY, dans de nombreuses stations

   

 

 

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balnéaires protégées par une digue, chaque fois que l’avant-dune est détruite, entraînant un abaissement naturel de la plage, comme le montre aussi le cas de La Baule.

Au final, conclut Yvonne BATTIAU-QUENEY, le cas de Wissant est une illustration significative d’une déstabilisation anthropique d’un système côtier, résultant de mauvaises pratiques. Pourtant, on ne peut reprocher aux autorités de l’époque de telles pratiques, compte tenu du manque de connaissances disponibles sur ces processus à cette période. Ce choix a été fait après-guerre et il était sans doute difficile de procéder autrement. Qui plus est, ce processus de déstabilisation est insidieux, car il ne se manifeste pas tout de suite par des signes visibles et, une fois atteint un seuil, le phénomène s’accélère de manière irréversible. À ce titre, Yvonne BATTIAU-QUENEY émet le souhait que des enseignements puissent être tirés de ce cas exemplaire de Wissant : respecter les échanges de sable entre la plage et la dune et ne pas dilapider la ressource sédimentaire nécessaire au bon fonctionnement du système côtier.

Échanges avec la salle

Patrick MOQUAY (Communauté de communes de l’île d’Oléron) souligne que le problème actuel tient au fait que ces sites, comme le montre le cas de Wissant, sont déjà aménagés. Ainsi, lorsque les élus répondent aux habitants qui constatent le recul de la côte qu’il faut respecter les échanges naturels, ne pas intervenir et ne pas durcir le trait de côte là où il conserve sa mobilité, ils se heurtent à des réactions d’opposition ou d’incompréhension. Patrick MOQUAY se demande donc, dans le cas de Wissant, ce qui peut être recommandé, une fois acté que la digue est bel et bien présente et que le site est d’ores et déjà occupé, de sorte qu’il paraît difficile de respecter les cycles naturels

Yvonne BATTIAU-QUENEY estime que les solutions doivent être spécifiques à chaque site. Une solution possible à Wissant ne le sera pas nécessairement, par exemple, à Oléron. En second lieu, la France dispose sur les côtes de la Manche et de la mer du Nord de ressources en sable situées en mer et qui sont bien plus importantes que celles disponibles en Charente et sur la côte aquitaine. Mais les opportunités d’utiliser les ressources en sable localement ne sont pas toujours mises en œuvre, comme l’illustre le cas de l’extension du port de Calais, évoqué par Yvonne BATTIAU-QUENEY lors de la première journée du colloque. Pour prendre en compte l’essor du trafic et développer le port, la Région Nord-Pas-de-Calais a en effet pour projet de créer de nouveaux bassins au sein des bancs de sable pré-littoraux. Pour que le projet soit réalisable, il faut que la granulométrie du sable soit compatible avec celui de la plage. Cette région dispose donc de ressources, alors que ce n’est pas le cas sur d’autres littoraux français. Un consensus s’est dégagé dans la région pour que les excédents de sable soient utilisés pour remblayer les plages, ceci d’autant plus que, du fait de la dérive littorale du Sud vers le Nord, le sable engorgeant le port de Calais est issu de la baie de Wissant. Il est donc raisonnable que ses excédents puissent revenir vers leur bassin d’origine.

Un autre cas, celui d’Ostende, poursuit Yvonne BATTIAU-QUENEY, montre que les ingénieurs disposent aujourd’hui d’un important savoir-faire en matière de rechargement. Pour assurer un rechargement efficace, il faut introduire une quantité suffisamment importante au départ pour reconstituer les conditions hydrodynamiques existant dans les années 1920-1930. L’opinion suivant laquelle ces quantités de sable disparaîtraient rapidement est donc erronée. Dans le cas de Wissant, toute la partie centrale de la baie pourra ainsi profiter de ce réensablement massif. Selon les ingénieurs d’Ostende, la région pourrait disposer de réserves sur au moins 10 ans. Mais l’impact de ces opérations dépend aussi de la fréquence de tempêtes et de leur éventuelle coïncidence avec les grandes marées. Il faut donc également tenir compte, dans ces travaux, d’un ensemble de paramètres plus aléatoires. L’entretien sera nécessaire, mais au lieu de s’élever à 800 000 m³, il ne sera que de

 

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l’ordre de 10 000 ou 15 000 m³. Le coût des opérations serait aussi bien moins élevé que la reconstruction d’une digue. Enfin, la dimension esthétique des plages sera préservée et constituera un potentiel d’attraction touristique bien plus élevée.

Kevin NAHELOU (Surfrider Foundation Europe) souhaite avoir quelques précisions sur le rôle de la laisse de mer contre l’érosion du littoral.

Yvonne BATTIAU-QUENEY souligne que le Conservatoire du Littoral a étudié précisément ce phénomène. La laisse de mer, en effet, alimente toute une chaîne alimentaire et favorise le développement de la végétation, donc de ces champs de dunes embryonnaires qui représentent la naissance de l’avant-dune. Des actions de pédagogie ont été développées pour faire comprendre aux collectivités et aux aménageurs que la laisse de mer doit être préservée. Le seul cas dans lequel sa destruction peut s’imposer est celui des zones urbaines, comme la grande plage du Touquet. Les plages ne sont donc nettoyées que sur ces parties urbanisées afin d’éviter que ces portions de plage très fréquentées ne soient recouvertes d’algues. En revanche, en dehors de ces zones, il faut préférer au nettoyage mécanique, le triage manuel. Pour éviter, en second lieu, l’artificialisation d’une partie de ces côtes et le nettoyage mécanique de la plage, d’autres pratiques peuvent être mobilisées, comme le piégeage du sable par des ganivelles ou des fascines hors saison, puis son étalement durant la saison touristique. La commune de Merlimont a fait un autre choix, celui du système Ecoplage, pour faire face à la tendance à l’abaissement de la plage. Ce système consiste à drainer le haut de plage en pompant l’eau en profondeur, de façon que celle-ci ne puisse refluer et que le sable puisse ainsi rester en haut de plage. Ce système, d’origine danoise, suppose toutefois pour fonctionner que le site soit proche de l’équilibre sédimentaire.

Raphaëla LE GOUVELLO (Fondation GDF-Suez) fait observer qu’il existe d’autres systèmes, constitués de falaises de craie ou d’argile, qui subissent une forte érosion, avec un risque d’effondrement. Elle se demande quelles mesures pourraient être appliquées dans ce cas de figure. Yvonne BATTIAU-QUENEY estime que les solutions doivent être examinées au cas par cas, ce qui suppose au préalable d’étudier précisément comment fonctionne chacun de ces systèmes. Les mesures décrites par Yvonne BATTIAU-QUENEY ne peuvent s’appliquer à des falaises, dont le fonctionnement est profondément différent. En effet, une falaise active recule nécessairement et ne peut donner lieu à une résilience analogue à celle des systèmes plage-dune. La solution consiste, dans ce cas, soit à renforcer la falaise pour empêcher son recul, soit à accepter le recul. Les débats autour de ces choix recouvrent par ailleurs des enjeux financiers et requièrent la mise en œuvre d’analyses coûts-bénéfices. Dans certains cas, la relocalisation des biens doit plutôt être préconisée. Alexandre MAGNAN remercie l’ensemble des intervenants et des participants, puis clôt cette seconde séance plénière de la journée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Table ronde 3 

Quel système d’observation, à quel 

coût et pour quels bénéfices ? 

 

 

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Table ronde 3 – Quel système d’observation, à quel coût et pour

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