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La théorie de Hodge et la démonstration du théorème d’existence de formes méromorphes

Dans le document Uniformisation des surfaces de Riemann (Page 126-134)

Encadré III.1 : Rotationnel et divergence

III.2. Retour moderne à la théorie de Riemann

III.2.1. La théorie de Hodge et la démonstration du théorème d’existence de formes méromorphes

L’idée de Klein consistant à munir une surface de Riemann d’une métri-que riemannienne compatible avec la structure complexe est à la base

FIGUREIII.4. Champ électrostatique plan

des preuves modernes du théorème II.2.5 d’existence de formes méro-morphes. La démonstration que nous donnons ici est inspirée du livre de Springer[Spr1957].

On se donne encore une fois une surface de Riemann compacteS munie d’une métrique riemannienne compatible. Soitωune 1-forme (lisse) surS. La formeωest diteco-ferméesi∗ωest fermée. Elle est dite harmoniquesi elle est à la fois fermée et co-fermée.

La preuve du théorème II.2.5 repose sur le théorème suivant, qui est un cas particulier de lathéorie de Hodgevalable en toutes dimensions et développée justement en cherchant à généraliser la situation bidimen-sionnelle :

Théorème III.2.1. — Toute1-forme lisseωà valeurs réelles se décompose de manière unique en une somme de trois 1-formes :

ω=ωh+d F+∗d G,

oùωhest une forme harmonique lisse, et F et G sont des fonctions lisses à valeurs réelles définies globalement sur T .

Bien sûr, l’unicité a trait aux 1-formesωh,d F,∗d G et non pas aux fonctionsFetGqui, elles, ne sont définies qu’à des constantes d’intégra-tion près. Expliquons pourquoi ce résultat implique le théorème II.2.5.

Démonstration du théorème II.2.5 à l’aide du théorème III.2.1

Commençons par démontrer le théorème pour les formes holo-morphes. Comme une 1-forme holomorphe est complètement détermi-née par sa partie réelle et que, de plus, toute 1-forme harmonique est la partie réelle d’une 1-forme holomorphe, il s’agit donc de démontrer qu’il existe une unique 1-forme harmonique ayant des périodes prescrites.

Nous utiliserons, sans la justifier, une forme très élémentaire du théo-rème de de Rham, bien postérieur à Klein. Sur une surface compacte orientable de genreg, on peut d’une part prescrire les 2g-périodes d’une 1-forme fermée et d’autre part, une forme est exacte si et seulement si ces périodes sont nulles.

Pour l’existence, considérons une 1-forme ferméeωà valeurs réelles ayant les périodes prescrites et appliquons-lui le théorème III.2.1.

Puisque ω est fermée, la partie co-exacte ∗d G de ω est fermée. La proposition suivante assure alors que∗d G=0. Ainsiωest cohomologue à sa composante harmoniqueωh, qui est donc solution du problème.

Proposition III.2.2. — Pour toute fonction lisse G :S→R, nous avons Z

S

|∗d G|2vol=− Z

S

G·d(∗d G).

Démonstration. — Puisque la somme

G·d(∗d G) +d G∧ ∗d G

est exacte (égale à la différentielle de la 1-formeG· ∗d G) nous avons Z

S

G·d(∗d G) =− Z

S

d G∧ ∗d G.

Les formesd Get∗d G étant orthogonales et de même norme on a l’éga-litéd G∧ ∗d G=|∗d G|2vol, ce qui achève la preuve.

Pour l’unicité, il suffit de prouver qu’une 1-forme harmoniqueωdont les périodes sont nulles est nulle. Mais une telle forme est exacte et sa pri-mitive est une fonction harmonique. Par le principe du maximum, cette primitive est constante,ωest donc nulle.

Nous traitons maintenant le cas des formes méromorphes. Fixons des points P1, . . .,Pm de la surface,A1, . . .,Am des nombres complexes de somme nulle, et des périodes réelles. Nous cherchons une forme méro-morphe surSayant des pôles en lesPi de partie principaleAi et ayant les parties réelles de périodes prescrites.

Prenons une 1-forme réelleα0lisse surS\ {P1, ...,Pm}et qui, au voisi-nage de chaque pointPi vérifie

α0=Re€

(Aizi−1+Biz−2i +Ciz−3i +· · ·)d zi

Š.

Puisqueα0est harmonique au voisinage des pointsPi, la 2-forme0y est nulle. Elle s’étend donc en une forme lisse surS.

Lemme III.2.3. — R

S0=0.

Démonstration. — Choisissons de petits disquesDi centrés aux points Pi sur lesquels0=0. On a alors d’après le théorème de Stokes

Cette dernière somme est égale à Re 2iπX

i

Ai

! ,

qui est nulle par l’hypothèse sur les résidus des parties principales don-nées.

Comme0est une forme lisse d’intégrale nulle, elle admet une pri-mitiveω. Considérons maintenant la 1-forme ferméeα1 =α0ωsur S\ {P1, ...,Pm}. De même que précédemment, la 2-formed(∗α1)s’étend en une 2-forme lisse et d’intégrale nulle surS. Notonsβ une primitive lisse de la 2-formed(∗α1) surS et appliquons-lui le théorème III.2.1 : β=βh+d F+∗d G. De l’égalité=d(∗α1), nous déduisons

d(∗d G) =d(∗α1).

La 1-formeα2 =α1d G est fermée (commeα1) et co-fermée d’après l’équation précédente. Elle est donc harmonique en dehors de ses pôles.

C’est la partie réelle de la forme méromorphe cherchée, ce qui conclut la preuve du théorème II.2.5.

Démonstration du théorème III.2.1. — Introduisons l’espace1L2(S)des 1-formes différentielles réelles surSdont les coefficients sont des fonc-tions mesurables de carré intégrable. C’est un espace de Hilbert muni du produit scalaire la dernière égalité découlant de la formule III.13.

SoitEl’adhérence dansΩ1L2(S)de l’espace des formes exactes lisses,E l’adhérence dansΩ1L2(S)de l’espace des formes co-exactes lisses (c’est-à-dire qui s’écrivent∗d F, oùFest une fonction lisse). Soitωune 1-forme etFune fonction (toutes deux supposées lisses). On a alors

Z La première égalité découle de la formule III.13, page 118 ; la deuxième découle de la relation de Leibniz d(F∗ω) =d F∧ ∗ω+F d(∗ω)et de la formule de Stokes.

En appliquant cette identité àω=∗d G, oùGest une fonction lisse, on trouve que〈d F,d GL2=0. Les espacesEetEsont donc orthogonaux.

En introduisant l’orthogonalHdeEE, on obtient une décomposition en somme directe orthogonale

1L2(S) =HEE.

Il s’agit maintenant de montrer queH est l’espace des formes harmo-niques lisses. Il suffit de montrer que tout élément deHcoïncide locale-ment avec une forme harmonique lisse.

En se plaçant dans des coordonnées conformes et en choisissant la métrique euclidienne standard (ce qui est permis, vu que les espaces fonctionnels précédents ne dépendent que de la structure conforme deS), on est ramené au lemme local suivant :

Lemme III.2.4(Lemme de Weyl). — SoitD le disque unité muni de sa métrique euclidienne d x2+d y2. Toute 1-forme sur D mesurable, de carré intégrable et orthogonale aux formes exactes et co-exactes à support compact est harmonique.

Démonstration. — Soitωune 1-forme surDintégrable et orthogonale aux formes exactes et co-exactes à supports compacts. Commençons par

remarquer que siωest lisse, alorsωest harmonique. Il s’agit de mon-trer queωest fermée et co-fermée. Puisque∗ωa les mêmes propriétés queω, il suffit par exemple de montrer que∗ωest fermée. Maisωest orthogonale aux formes fermées à support compact ; donc, d’après les formules (III.14, page 130), la formed(∗ω)est orthogonale à toutes les fonctions à support compact. Cette forme est donc nulle.

L’idée est alors de régulariser ωpar convolution. On remarque que si le noyau de convolution est choisi invariant par rotation, la formeω est égale à sa convolée. Cela provient de la formule de la moyenne qui assure que la valeur d’une fonction harmonique en un point est égale à sa moyenne sur tout cercle centré en ce point. Ainsi, on montre queω est égale à sa convolée et donc est lisse.

Formellement, pour tout ρ ∈]0, 1[, notons Dρ le disque fermé de centre 0 et de rayonρ, et introduisons unnoyau régularisant(Kρ)ρ∈]0,1[

tel que, pour toutρ∈]0, 1[:

1. Kρest une fonction positive lisse définie surD, de supportDρ, et d’intégrale égale à 1 ;

2. Kρ(x,y)ne dépend que dex2+y2.

Pour toute fonction intégrablef :D→Ret toutρ∈]0, 1[, on considère la fonctionMρf définie par

Mρf(x,y) = Z

D

Kρ(x0x,y0y)f(x0,y0)d x0d y0.

De même, pour toute 1-formeω=ωxd x+ωyd y surDet toutρ∈]0, 1[, on considère la 1-formeMρωdéfinie par

Mρω= (Mρωx)d x+ (Mρωy)d y. On a alors les propriétés suivantes :

(i) Pour toute fonction intégrablef, la fonctionMρf est définie et lisse surD1−ρ.

(ii) Pour toute fonction intégrablef, on aMρd f =d€ MρfŠ

surD1−ρ. De même, pour toute 1-formeω, on aMρ(∗ω) =∗(Mρω)surD1−ρ. (iii) Pour tout couple de fonctionsf1etf2avecf1à support dansD1−ρ,

on a〈Mρf1,f2〉=〈f1,Mρf2〉.

(iv) Pour toute fonction intégrable f, et tous ρ,ρ0 ∈]0, 1[, on a MρMρ0f =Mρ0Mρf surD1−ρ−ρ0.

(v) Pour tout 0 < r < 1, les fonctions Mρf convergent vers f dans L2(Dr)lorsqueρtend vers 0.

(vi) Siu est une fonction harmonique surDalorsMρu=u surD1−ρ. Le dernier point, crucial, provient de la propriété de la moyenne pour les fonctions harmoniques et du choix deKρinvariant par rotation.

Les propriétés (ii) et (iii) montrent que siωest orthogonale à toutes les formes lisses exactes et co-exactes à support compact, alors Mρω est orthogonale à toutes les formes exactes et co-exactes dont le support est contenu dansD1−ρ. Mais commeMρωest lisse surD1−ρd’après la propriété (i), on a vu que cela implique qu’elle est en fait harmonique dansD1−ρ.

Pour conclure, il nous reste à démontrer queMρωest presque partout égale àωsurD1−ρ. Observons pour cela que les propriétés (ii) et (vi) montrent que, pour tousρ,ρ0avec 0< ρ,ρ0<1, on a

Mρ0Mρω=Mρ0(d u) =d€ Mρ0uŠ

=d u=Mρω

sur la bouleD1−ρ−ρ0, oùu est le potentiel deMρω. D’après (v), on en déduit

Mρω=Mρ0Mρω=MρMρ0ω=Mρ0ω,

sur la boule D1−ρ−ρ0. Alors pour tout 0 < r < 1, la famille Mρω est constante pour 0< ρ <1−r et tend versωdansΩ1L2(B(0,r))lorsqueρ tend vers 0.

On a donc montré queωest presque partout égale à une forme har-monique lisse. Le lemme est démontré.

Pour conclure la preuve du théorème III.2.1, nous aurons besoin d’un second lemme local.

Lemme III.2.5. — SoitDle disque unité muni de sa métrique euclidienne d x2+d y2. Soit ωune 1-forme lisse sur D. Alors il existe des fonctions lisses F et G définies sur le disque telles que

ω=d F+∗d G.

Remarque III.2.6. — Ce lemme semble indiquer que, dans l’énoncé du théorème III.2.1, la forme harmonique ωh est toujours nulle. Ce n’est bien sûr pas le cas : le lemme III.2.5 est un résultat local spécifique au disque.

Démonstration. — Si ω est fermée, elle est exacte surD. On cherche donc la fonctionG telle queω− ∗d G soit fermée. On mesure le défaut de fermeture deωen posant=ϕd xd y. Quitte à étendreωen une forme lisse surR2, on suppose queϕest définie sur le plan.

Alors, d’après la formule (III.14, page 130), on a d(ω− ∗d G) = (ϕ−∆G)d xd y.

Il nous reste donc à résoudre l’équation∆G = ϕ surD. Si ϕ est la masse de Dirac en 0, alors la fonction de GreenG0(r eiθ) = −log(r) convient. Pour traiter le cas général, il suffit, par linéarité, de convolerϕ parG0. On vérifie ainsi que la fonction suivante convient :

G(x,y) =− 1 2π

Z

D

logp

(x0x)2+ (y0y)2ϕ(x0,y0)d x0d y0.

Nous sommes maintenant en mesure d’achever la démonstration du théorème III.2.1. Considérons une 1-forme lisse ωsurS et écrivons la décomposition

ω=ωh+a+b,

ωhest harmonique,a appartient àEetb appartient àE. Nous prou-vons d’abord que a etb sont des formes lisses. Il suffit bien sûr de le vérifier localement. On considère donc un disque D dansS, suffisam-ment petit pour supporter des coordonnées conformes(x,y). D’après le lemme III.2.5, il existe des fonctions lissesFetGtelles que

ωh+ad F=∗d Gb.

Le membre de gauche est orthogonal aux formes co-exactes à support compact dansD, tandis que celui de droite est orthogonal aux formes exactes à support compact dansD. Cette forme différentielle est donc harmonique et lisse d’après le lemme III.2.4 de Weyl. Ceci force la régu-larité des formesaetb.

Pour conclure, il faut en déduire quea etb sont exactes. On montre, par exemple en utilisant le théorème d’Ascoli, que toute forme lisse qui est une limite dans la topologieL2de formes exactes lisses est exacte. Le théorème est démontré.

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