• Aucun résultat trouvé

La quartique de Klein

Dans le document Uniformisation des surfaces de Riemann (Page 157-161)

La théorie des intégrales elliptiques, qui s’est intensivement développée au cours du dix-neuvième siècle, fournit de nouvelles fonctions. À une intégrale elliptique est associé sonréseau marquédes périodes, c’est-à-dire la donnée d’un sous-groupe discret de rang 2 du groupe additif(C,+) et d’une base(ω1,ω2)∈C×C de ce réseau telle que Im(ω12)>0.

Notons donc

M=§

1,ω2)∈C×C

ω12∈H ª

l’ensemble des réseaux marqués. On remarque queMest stable par l’ac-tion naturelle de SL(2,Z)surC2(et que SL(2,Z)\M s’identifie à l’ensem-ble des réseaux deC, voir[Ser1970]). Cette action induit une action de SL(2,Z)surHpar homographies :

‚ a b c d

Œ

·τ=aτ+b +d.

Nous rappelons dans le paragraphe V.1 qu’il existe une fonction j:H→C

invariante sous l’action de SL(2,Z)et telle que deux réseauxΛ1etΛ2deC sont homothétiques(1)si et seulement sij([Λ1]) =j([Λ2]), où[Λi]désigne la classe d’homothétie du réseauΛi. À la suite des travaux fondateurs, que l’on doit notamment à Gauss, Legendre, Abel et Jacobi, on cherche à

1. C’est-à-dire tels qu’il existe unλCtel queλΛ1= Λ2, ce qui est équivalent au fait queC/Λ1etC/Λ2sont isomorphes.

relierj(τ)etj0(τ) =j(Nτ)pourτ∈HetN entier¾2. On montre(2)(voir paragraphe V.1.3) qu’il existe un polynômeΦN∈C[X,Y]tel que

ΦN(j0,j) =0. (V.1)

LorsqueΦN est minimal, il s’agit del’équation modulaire(3)associée aux transformations d’ordreN. L’équation modulaire associée aux transfor-mations d’ordre 7 (c’est-à-dire lorsqueN=7) est le sujet central de l’arti-cle[Kle1878c]. Klein y introduit un modèle géométrique remarquable de la surface X(7)obtenue en compactifiant le quotient deHpar le sous-groupe

I2désigne la matrice identité. Plus généralement, on définitle sous-groupe principal de congruence de niveau N par

Γ(N) =§

α∈SL(2,Z)

αI2(modN)ª .

Nous montrerons au paragraphe V.1 que le quotient Γ(N)\H peut être compactifié en une surface de Riemann notéeX(N). Le groupeΓ(1) coïn-cide bien sûr avec SL(2,Z)et nous verrons que la surface X(1)est iso-morphe à la sphère de RiemannCP1.

Klein montre que la surfaceX(7)est isomorphe à la quartique plane lisseC4d’équationx3y +y3z+z3x =0 , invariante par l’action projec-tive d’un groupeGisomorphe à PSL(2,F7)(groupe d’automorphismes de X(7), voir V.1.1). Dans ce modèle projectif, le morphisme naturel deX(7) surX(1)'CP1est matérialisé par la projection deC4surG\C4(identifié àCP1) ; c’est un revêtement galoisien dont la fibre générique est considé-rée par Klein comme « la résolvante de Galois » (4)de l’équation modu-laire de niveau 7. En s’appuyant sur les nombreuses propriétés géomé-triques de sa quartique et sur l’étude de l’équationΦ7(·,j) =0, il parvient à décrire la fibre au-dessus d’une valeur donnée j(τ)par des quotients

2. Rappelons, à titre d’analogie, que les fonctions trigonométriques cos(x)et cos(N x) sont liées par l’équation algébrique

cos(N x) =TN(cosx), TNest leN-ième polynôme de Tchebychev.

3. Une version antérieure, l’équation modulaire de Jacobi, concerne le module λ=k2.

4. Entendons par là que le corps de fonctions deC4est un corps de décomposition de cette équation surC(j).

de formes modulaires explicites définies sur le demi-plan H de la va-riableτ(rapport des périodes). Ce résultat est la contribution majeure de l’article[Kle1878c]. En outre, il apporte une autre nouveauté : le para-métrage explicite d’une courbe algébrique de genre >1 (à un nombre fini de points près) au moyen d’une variable complexe uniforme. Klein démontre en particulier le théorème suivant :

Théorème V.0.6. — La surface de Riemann associée à la quartique planeC4d’équation

x3y+y3z+z3x=0

privée de ses 24 points d’inflexion est uniformisée par la variableτ∈Hvia les formules

Autrement dit, les formules précédentes décrivent concrètement un morphisme de revêtement universel H → C4\ I4, oùI4 est l’ensem-ble des points d’inflexion de C4. Durant les années 1878–1879, Klein publie une série de travaux sur les équations modulaires, en particulier [Kle1878b, Kle1878c, Kle1879b] consacrés respectivement aux trans-formations d’ordre p = 5, 7 et 11. Dans chaque cas, il construit de manière géométrique une résolvante de Galois, en donne explicitement les racines – au moyen de formes modulaires – et montre comment retrouver l’équation modulaire elle-même (de degrép+1) ainsi qu’une résolvante de degrép spécifique à ces valeurs particulières dep. Pour p=5, le modèle géométrique deX(5)utilisé par Klein est l’icosaèdre(5), la résolvante de degré 5 étant quant à elle reliée à l’équation générale du cinquième degré comme l’avait montré Hermite[Her1858]. De même que la sphère admet un pavage régulier par les faces de l’icosaèdre, la

5. Klein montre que le morphismeX(5)X(1)est isomorphe à celui qui quotiente la sphère unité deR3par le groupe de rotation de l’icosaèdre régulier.

surface modulaireX(7)admet un pavage régulier triangulaire. Sa combi-natoire est héritée du choix d’un pavage de type(2, 3,∞)(6)deHet ses triangles sont du type(2, 3, 7). Il est décrit dans[Kle1878c](en particulier p. 125-127 dans les œuvres complètes) et relié aux éléments géomé-triques de C4. Les aspects arithmétiques, algébriques, géométriques et combinatoires, étroitement imbriqués dans le travail de Klein, font de la quartique C4 un objet central et fascinant. On pourra consulter [Levy1999a], et notamment [Elk1999] qui replace C4 dans le contexte de l’arithmétique moderne. Nous nous concentrerons ici sur un point précis, en suivant [Kle1878c]: le paramétrage de la quartique de Klein, qui marque une étape importante dans l’uniformisation explicite des courbes algébriques. Quant aux formules du théorème V.0.6, elles seront obtenues dans la section finale V.2.5.

V.1. Formes modulaires, invariantj V.1.1. Surfaces modulaires

On sait depuis Gauss (voir encadré V.1 et figure V.1) que l’ensemble D(1) =§

τ∈H

|τ|¾1,|Re(τ)|¶1/2 ª

est un domaine fondamental pour l’action de SL(2,Z) surH, c’est-à-dire que toute orbite de SL(2,Z) rencontre D(1) et que les translatés γ·int(D(1))(γ∈SL(2,Z)) sont deux à deux disjoints. Nous y reviendrons au chapitre VI.

Proposition V.1.1. — SoitΓun sous-groupe d’indice fini deSL(2,Z). Le quotient

YΓ= Γ\H

admet une structure de surface de Riemann non compacte biholomorphe à une surface de Riemann compacte XΓprivée d’un nombre fini de points.

6. Un pavage deHpar des triangles est de type(a,b,c)s’il est réalisé par des triangles hyperboliques(a,b,c), c’est-à-dire d’angles(2aπ,2bπ,2cπ).

Dans le document Uniformisation des surfaces de Riemann (Page 157-161)