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L’uniformisation « abélienne » par Jacobi et Riemann

Dans le document Uniformisation des surfaces de Riemann (Page 106-113)

Encadré II.5 : Théorème de Riemann-Roch et dualité de Serre Un mot sur la manière de présenter le théorème de

II.3. Variété jacobienne et espaces de modules

II.3.2. L’uniformisation « abélienne » par Jacobi et Riemann

Une autre contribution importante de [Rie1857] est la résolution du

« problème d’inversion » laissé ouvert par Abel et Jacobi. Pour mieux expliquer la contribution de Riemann, revenons à Abel qui – autour de 1829 – parvient à généraliser le théorème d’addition d’Euler aux intégrales abéliennes. Il part d’une intégrale

Zx

x0

y d x

y(x)est une fonction algébrique définie par une équation polyno-miale irréductibleF(x,y) =0. Il montre alors qu’il existe un entierµ¾0

y d x près. Il faut simplement penser à l’expression ci-dessus comme une égalité formelle entre sommes de primitives.

Par exemple, pour l’intégrale de la forme de seconde espèce d x/x, c’est-à-dire le logarithme complexe, on a

Za

Si on utilise plusieurs fois le théorème d’Abel, on voit donc qu’il conduit à une « addition » deµ-uplets de points. Plus précisément :

Étant donnés(x1, ...,xµ)et(x01, ...,xµ0)définis à l’ordre près, on peut trou-ver(x001, ...,xµ00)également bien défini à l’ordre près, dépendant rationnelle-ment de(x1, ...,xµ)et de(x01, ...,xµ0)tel que

Alors qu’Euler et Gauss ajoutaient des points sur une lemniscate (pour laquelleµ=1), Abel ajoute des ensembles àµéléments.

Tout cela restait assez mystérieux et n’était d’ailleurs pas tout à fait correct. En particulier la signification de cet entier µ restait cachée.

Lorsque l’intégrale abélienne est de première espèce,µest le genregde la surface de Riemann associée ày. Lorsque l’intégrale est de seconde espèce, comme dans l’exemple du logarithme,µest égal àg+1. Il faudra d’abord attendre le travail de Jacobi et surtout celui de Riemann pour comprendre cela. Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, Abel et Jacobi ne pensaient pas à une courbe algébrique comme à une surface dotée d’une topologie.

Pour une description du théorème d’Abel de son point de vue, on pourra consulter [Cat2004, Kleim2004]. On verra qu’Abel en a en fait donné plusieurs versions assez différentes.

Les fonctions hyperelliptiques et le problème d’inversion de Jacobi. — L’une des premières familles d’intégrales abéliennes qui dépassent le cas des intégrales elliptiques est la suivante :

u= Zx

0

(α+βx)d x pP ,

P est un polynôme de degré 6. Il correspond à la courbe d’équation y2 = P(x) une surface de RiemannS de genre 2 et (α+βx)d x/y se relève en une différentielle holomorphe. L’intégrale a donc un sens si l’on précise une classe d’homotopie de chemin joignant les deux limites d’intégration. Répétons que la phrase qui précède n’était pas accessible à Jacobi.

La « fonction »u se relève donc en une fonction multiforme surS. Rap-pelons que pour un polynômeP de degré 3 ou 4 l’analogue de l’appli-cationu admet une réciproque doublement périodique. Dans notre cas l’étude de la réciproque deu présente deux difficultés majeures.

La première difficulté est que la forme(α+βx)d x/y s’annule en deux points (x=−α/βcorrespond à deux points sur la surface : les deux déter-minations dep

P). Il en résulte queuprésente des points critiques si bien que sa « réciproque », si elle existait, présenterait des points de ramifica-tion et ne serait donc pas uniforme ! Cette difficulté ne se présentait pas dans le cas elliptique car la formed x/p

P (avecP de degré 3 ou 4) ne s’annule pas sur la courbe elliptique correspondante.

La seconde est que(α+βx)d x/y présente maintenantquatre pério-des qui sont les intégrales sur quatre lacets entourant pério-des paires de raci-nes deP. La fonction réciproque, si elle existait, aurait donc quatre pério-des indépendantes. Jacobi établit alors le fait, évident pour un mathéma-ticien d’aujourd’hui, qu’un sous-groupe de rang 4 deCne peut pas être discret et ne peut donc pas être le groupe des périodes d’une fonction méromorphe non constante.

Suite à l’article d’Abel sur les lois d’addition desµ-uplets de points, Jacobi eut deux nouvelles idées brillantes pour se sortir de l’impasse.

La première consiste à utiliser simultanément deux formes holo-morphes surC. Pour chaque lacetγsurC, on peut intégrer pd xP et x d xpP. On obtient un couple de périodes(ω1(γ),ω2(γ))∈C2. Lorsqueγ décrit tous les lacets deC, ces couples de périodes décrivent un sous-groupe abélien de rang 4 deC2et non plus dansCcomme précédemment. On peut donc s’attendre à ce que Λ soit un sous-groupe discret de C2 et c’est effectivement ce qui se passe. On dispose donc d’une application holomorphe, dite d’Abel–Jacobi, qui utilise deux formes :

xC7→

Le tore complexe C2 s’appelle aujourd’hui la jacobienne de la courbe C. Bien sûr, on ne peut pas parler d’uniformisation puisque le toreC2est de dimension 2 et ne paramètre en aucun cas la courbe C, de dimension 1.

La deuxième idée consiste à utiliser deux points, c’est-à-dire à utiliser l’application

La source et le but de cette application sont de même dimension mais elle ne peut pas être bijective puisque (x1,x2) et (x2,x1) ont la même image. On introduit donc le « carré symétrique » C(2) de C, quotient deC2par l’involution permutant les deux facteurs. Les éléments deC(2) sont donc les paires de points non ordonnés deC, non nécessairement distincts. À l’aide des fonctions symétriques élémentaires on munitC(2) d’une structure de variété algébrique lisse de dimension 2.

On dispose maintenant d’une application holomorphe deC(2)dans C2et c’est cette application que Jacobi cherche à inverser. La surjec-tivité est le « problème d’inversion de Jacobi » qu’il ne résoudra pas lui-même. Adolph Göbel et Georg Rosenhain le résoudront dans ce cas par-ticulier des courbes hyperelliptiques que nous venons d’évoquer. C’est à Riemann que l’on doit la solution complète de ce problème.

Riemann et le problème d’inversion de Jacobi.— Riemann commence par généraliser la construction à une surface quelconque, pas néces-sairement hyperelliptique. Rappelons que le théorème II.2.5 implique que l’espace des formes holomorphes sur S est de dimension égale au genre g deS. Lorsqu’on considère les intégrales de g formes holo-morphes qui en constituent une base sur tous les lacets de la surface, on obtient un sous-groupeΛdeCg. Riemann établit qu’il s’agit d’un réseau, c’est-à-dire qu’il est discret et que le quotientCgest compact. De la même manière que précédemment, on a une application d’Abel–Jacobi deCdansCg. En formant la somme des images dansCg, on obtient une application de la puissance symétriqueC(g)dansCg. Riemann établit alors deux théorèmes fondamentaux :

Théorème II.3.2. — LajacobienneCg/Λd’une courbe algébrique est une variété algébrique, c’est-à-dire qu’elle se plonge holomorphiquement dans un espace projectif de grande dimension et que son image est une sous-variété algébrique.

Théorème II.3.3. — L’application d’Abel–Jacobi C(g) → Cg est bira-tionnelle.

Cela ne signifie pas que cette application est un isomorphisme (un peu de topologie nous montrerait que ces deux espaces ne sont pas homéomorphes pour g ¾ 2). En revanche il existe une application rationnelleCgC(g)qui est un inverse de l’application d’Abel–Jacobi là où elle est définie.

Donner les preuves des théorèmes II.3.2 et II.3.3 nous entraînerait trop loin du sujet. Nous allons tout de même esquisser rapidement la preuve de la surjectivité de l’application du théorème II.3.3.

Démonstration. — Nous allons montrer que l’application d’Abel-Jacobi est de degré topologique non nul. Rappelons (voir[Mil1965]) que le degré

topologique d’une applicationCentre deux variétés compactes orien-tées est la somme sur les préimages d’une valeur régulière des signes des déterminants. En particulier, une application de degré topologique non nul est surjective.

L’application d’Abel-Jacobi est holomorphe et préserve donc l’orien-tation. Il suffit donc de prouver que son image contient une valeur régu-lière. Nous allons montrer qu’il existe ung-upletlC(g)où la différen-tielle est inversible. Cela suffit : le théorème d’inversion locale implique alors que l’image de notre application contient un ouvert non trivial et, par conséquent, au moins une valeur régulière.

Étant donné un g-uplet l = (x1, . . . ,xg) ∈C(g), remarquons que la différentielle de l’application d’Abel-Jacobi est non inversible enl si et seulement si il existe une forme de première espèceωsurCqui s’annule en chacun desxi. Il suffit donc de montrer qu’il existe ung-upletl sur lequel aucune forme ne s’annule. Pour cela considérons l’espace projec-tifP(Ω1(C)), de dimensiong−1. Le sous-ensembleA deP(Ω1(C))×C(g) constitué de tous les couples (ω¯,l) où ¯ωest la droite engendrée par la forme différentielle ω s’annulant sur le g-uplet l est un ensemble analytique de dimensiong−1. Sa projection sur le facteurC(g)ne peut donc pas être surjective.

Avec un peu plus de travail, on peut démontrer que le degré topo-logique de cette application est exactement égal à un. Ceci montre qu’il existe des ouverts denses dansC(g)et dansCgqui sont biholo-morphes, c’est-à-dire que l’application d’Abel–Jacobi est birationnelle.

On pourra par exemple trouver une preuve du premier théorème de Riemann (qui donne une condition nécessaire et suffisante pour qu’un tore Cg, qui est automatiquement une variété holomorphe, soit en fait une variété algébrique sous la forme des conditions bilinéaires de Riemann) dans [Bos1992]. Elle utilise une généralisation multidimen-sionnelle des fonctionsϑ de Jacobi, appelée depuis « fonction thêta de Riemann ».

La jacobienne est naturellement munie d’une structure de groupe abélien. Le théorème II.3.2 la munit en outre d’une structure de variété algébrique. De manière plus concise on dit que « la jacobienne est une variété abélienne », manière de réunir dans un même énoncé les noms

des deux protagonistes dont la compétition ne doit pas faire oublier la similitude de leurs visions des mathématiques(5).

Ces théorèmes donnent une nouvelle vision globale de la théorie des intégrales des fonctions algébriques et de celle des courbes algébriques : – l’identification birationnelle rend lumineuse le théorème d’Abel sur la possibilité d’ajouter desg-uplets de points : la mystérieuse for-mule d’addition devient une simple conséquence de la loi de groupe sur la jacobienne ;

– sans donner un paramétrage des points de la courbe, les théo-rèmes de Riemann donnent un modèle algébrique simple pour les g-uplets de points en les ramenant à un modèle algébrique donné.

Mais la suite de l’histoire allait montrer qu’on peut aller beaucoup plus loin que cette « uniformisation abélienne ». L’uniformisation des points deCelle-même (et de non deC(g)) sera obtenue vingt-cinq ans ans plus tard par Klein et Poincaré.

5. Dans une lettre restée célèbre adressée à Legendre et datée du 2 juillet 1830, Jacobi écrit : « Mais M. Poisson n’aurait pas dû reproduire dans son rapport une phrase peu adroite de feu M. Fourier, où ce dernier nous fait des reproches, à Abel et à moi, de ne pas nous être occupés de préférence du mouvement de la chaleur. Il est vrai que M. Fourier avait l’opinion que le but principal des mathématiques était l’utilité publique et l’expli-cation des phénomènes naturels ; mais un philosophe comme lui aurait dû savoir que le but unique de la science, c’est l’honneur de l’esprit humain, et que sous ce titre, une question de nombres vaut autant qu’une question du système du monde. »

Surfaces de Riemann et surfaces

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