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Les espaces de modules des surfaces de Riemann

Dans le document Uniformisation des surfaces de Riemann (Page 101-106)

Encadré II.5 : Théorème de Riemann-Roch et dualité de Serre Un mot sur la manière de présenter le théorème de

II.3. Variété jacobienne et espaces de modules

II.3.1. Les espaces de modules des surfaces de Riemann

L’équivalence birationnelle. — Au début de son étude, Riemann pense la surfaceT associée à une fonction algébriques(z)comme recouvrant de manière ramifiée la sphèreCz associée au plan de la variable com-plexez(3). Mais il envisage ensuite de changer la variablez permettant de se représenterT :

Une fonction z1 de z, ramifiée commeT, qui devient infinie du premier ordre pour n1 points de cette surface[...], prend chaque valeur pour n1 points de la surfaceT. Par conséquent, lorsque l’on s’imagine chaque point de T représenté par un point d’un plan représentant géométriquement la valeur dez1 en ce point, la totalité de ces points forme une surfaceT1

recouvrant partoutn1 fois le plan desz1, surface qui est, comme l’on sait, une représentation, semblable en ses plus petites parties, de la surfaceT. À chaque point d’une de ces surfaces correspond alors un pointuniquede l’autre.

Plus tard on allait apprendre à dire queTetT1sontisomorphesen tant que surfaces de Riemann, et en particulier homéomorphes. Mais pour arriver à ce langage, il allait falloir reconnaître que divers types d’objets mathématiques ont des structures internes, qui définissent leurforme, et ce travail de Riemann contribuera beaucoup à cette prise de conscience.

Après avoir représentéT d’une nouvelle manière à l’aide d’une fonc-tion méromorphez1, on peut regarder la représentation que l’on obtient lorsque l’on rajoute une deuxième fonction méromorphe :

3. Plus précisément au-dessus du plan. L’usage de la sphère de Riemann sera explicite chez Neumann[Neum1865].

Si l’on désigne pars1une autre fonction quelconque dez, ramifiée comme l’est T [...], alors (§ V) entre s1 et z1 a lieu une équation de la forme F1(s1,z1) =0, oùF1est une puissance d’une fonction entière irréductible de s1,z1, et l’on peut, lorsque cette puissance a pour exposant l’unité, exprimer rationnellement ens1 etz1 toutes les fonctions de z1 ramifiées comme l’est T1, et, par suite, toutes les fonctions rationnelles de s et z (§VIII).

L’équationF(s,z) =0 peut donc, à l’aide d’une transformation rationnelle, être transformée enF1(s1,z1) =0 etvice versa.

La relation d’équivalence qu’il introduit à partir de ces considérations est le point de départ de lagéométrie birationnelle(voir Klein[Kle1928, chapitre VII]) :

On considère maintenant, comme faisant partie d’une même classe, toutes les équations algébriques irréductibles entre deux grandeurs variables, qui peuvent être transformées les unes dans les autres par des substitutions rationnelles[...].

Le choix d’une équationF(s,z) =0 dans une telle classe, et de l’une des deux variabless que l’on exprimera comme fonction algébrique de l’autrez à l’aide de l’équation, permet de définir «un système de fonc-tions algébriques à mêmes ramificafonc-tions», c’est-à-dire, en termes moder-nes,une extension finie du corpsC(z). Il s’agit ici du corps des fonctions rationnelles sur la courbe définie par l’équationF(s,z) =0 (qui peut être pensé aussi comme corps des fonctions méromorphes sur la surface de Riemann associée). On arrive à la définition actuelle : deux courbes algé-briques sontbirationnellement équivalentessi leurs corps de fonctions rationnelles sont isomorphes en tant qu’extension de corps deC. En fait, deux courbes non singulières sont birationnellement équivalente si et seulement si elles sont biholomorphes.

Décomptes de modules. — À partir de là, Riemann introduit le problème desmodulespour les surfaces de Riemann de genreg. Il s’agit, une fois le type topologique (c’est-à-dire le genre) fixé, d’étudier les classes d’équi-valence birationnelle dont les surfaces de Riemann ont ce type topo-logique.

Riemann explique que, pourg¾2(4):

[...]une classe de systèmes de fonctions à mêmes ramifications et(2p+1)fois connexes et la classe d’équations algébriques qui lui appartient, dépendent 4. Dans les citations qui suivent le genre est notép.

de 3p3 grandeurs variant de manière continue, qui seront nommées les modules de la classe.

De nos jours on parle d’espace des modules, mais ici on voit Riemann ne parler que du nombre de paramètres nécessaires pour se locali-ser dans cet espace, c’est-à-dire de sa dimension complexe, sans faire référence à la possibilité de construire globalement un tel « espace ».

Pourtant il y pensait, comme le montre l’extrait suivant de son discours d’habilitation[Rie1854, pages 282 et 283], prononcé trois ans plus tôt :

Les concepts de grandeur ne sont possibles que là où il existe un concept général qui permette différents modes de détermination. Suivant qu’il est, ou non, possible de passer de l’un de ces modes de détermination à un autre, d’une manière continue, ils forment une variété continue ou une variété discrète[...]les occasions qui peuvent faire naître les concepts dont les modes de détermination forment une variété continue sont si rares dans la vie ordinaire, que les lieux des objets sensibles et les couleurs sont à peu près les seuls concepts simples dont les modes de détermination forment une variété de plusieurs dimensions. C’est seulement dans les hautes Mathématiques que les occasions pour la formation et le développement de ces concepts deviennent plus fréquentes.

De telles recherches sont devenues nécessaires dans plusieurs parties des Mathématiques, notamment pour l’étude des fonctions analytiques à plusieurs valeurs, et c’est surtout à cause de leur imperfection que le célèbre théorème d’Abel, ainsi que les travaux de Lagrange, de Pfaff, de Jacobi sur la théorie générale des équations différentielles, sont restés si longtemps stériles.

Riemann propose deux méthodes pour le calcul du nombre de modu-les, la première valable uniquement pourg >1, et la deuxième valable aussi pourg =1 (dans le casg =0, on a vu au chapitre précédent que toutes les surfaces de Riemann sont isomorphes àCz'CP1).

Première méthode.— Riemann considère l’ensemble des fonctions méromorphes ayant exactement µ pôles (comptés avec multiplicités) sur T, où µ est un entier supérieur à 2g. Autrement dit, il considère l’espace des applications holomorphes de degré µ de T vers CP1. Il découle du théorème de Riemann–Roch (théorème II.2.14 et enca-dré II.5) que cet espace est de dimension 2µg+1.

D’après le théorème de Riemann–Hurwitz (encadré II.4), une fonction deT dansCP1ayantµpôles possède 2(µ+g−1)valeurs de ramifica-tion, c’est-à-dire que son image critique est un sous-ensemble fini de la

sphère de Riemann ayant ce cardinal. En faisant varier la fonction (« les constantes arbitraires » dont elle dépend), cet ensemble fini varie. Alors : Ces constantes peuvent être déterminées de telle sorte que 2µ−p+1 valeurs de ramification prennent des valeurs données, quand ces valeurs de ramifi-cation sont des fonctions indépendantes entre elles de ces constantes, et cela seulement d’un nombre fini de manières, puisque les équations de condition sont algébriques.

Riemann affirme ensuite que cette hypothèse d’indépendance entre fonctions est vérifiée dès queg>1. Dans ce cas, en choisissant la fonc-tion méromorphe surTde telle manière que 2µ−g+1 « valeurs de rami-fication prennent des valeurs données », il reste 3g−3 valeurs de ramifi-cation libres, qui forment donc un système complet de modules pourT. Deuxième méthode. — Au lieu de considérer comme dans la méthode précédente des attributs des fonctions méromorphes sur T, cette deuxième méthode considère des attributs des intégralesw de formes holomorphes (intégrales de première espèce). Plus précisément, leurs modules de périodicité par rapport à un système de sections fixées transformantT en une surface simplement connexeT0et leurs valeurs aux zéros de la forme holomorphe associée, c’est-à-dire les valeurs critiques dew|T0.

Le décompte permettant de retrouver les 3g−3 modules dont dépend la surfaceT est le suivant :

[...]l’on peut, dans la grandeurw=α1w1+α2w2+· · ·+αpwp+c, que l’on introduira comme variable indépendante, déterminer et les grandeursα, de telle sorte que, parmi 2pmodules de périodicité,pd’entre eux prennent des valeurs données, et la constantec, lorsquepest>1, de telle sorte qu’une des 2p2 valeurs de ramification des fonctions périodiques dewait une valeur donnée. De cette manièrew est complètement déterminé et, par consé-quent, les 3p3 grandeurs restantes dont dépend le mode de ramification et la périodicité de ces fonctions dewle sont aussi[...].

Par la suite se posa la question de comprendre si l’ensemble des classes d’isomorphisme de surfaces de Riemann de genregfixé pouvait être muni naturellement de structures supplémentaires. Par exemple, a-t-il une topologie rendant les paramètres considérés par Riemann dans les deux méthodes précédentes des fonctions continues ? C’est lorsque l’on munit l’ensemble des classes d’isomorphisme d’un certain type d’objets de structures supplémentaires de nature géométrique que

l’on parle d’espace des modules. Le problème général des modules, se posant à la suite de Riemann, est de construire de telles structures qui reflètent les structures considérées sur les objets examinés.

Par exemple, si on regarde les surfaces de Riemann compactes en tant que courbes algébriques complexes, on peut se demander s’il existe un espace des modules qui soit lui-même une variété algébrique complexe.

De nos jours on sait que c’est le cas (voir le livre[HaMo1998]) :

Proposition II.3.1. — Il existe une variété quasi-projective complexe irréductibleMg (en particulier connexe) qui est un espace des modules grossier pour les courbes algébriques complexes lisses compactes de genre g .

Expliquons ce que cela veut dire. On peut facilement définir la notion defamilles algébriquesde courbes de genreg : il s’agit d’un morphisme algébriqueX−→π Btel que les fibresπ−1(b)soient toutes des courbes de genre g. On obtient ainsi une famille de courbes « paramétrée » par la baseB. Notre espaceMg est caractérisé par le fait que pour chaque fa-mille de ce type, il existeune uniqueapplication algébriqueB −→ Mγ g

telle que pour toutbB, la courbeπ−1(b)appartienne à la classe d’iso-morphisme représentée par le pointγ(b)∈ Mg. En particulier, on voit que les points deMg sont canoniquement en bijection avec les classes d’isomorphisme de courbes de genre g, ce qui montre que la structure algébrique deMg est bien une structure géométrique sur cet ensemble de modules.

Un point important est que Mg lui-même n’est base d’aucun mor-phisme algébriqueX−→ Mπ g tel que pour toutb ∈ Mb, la fibreπ−1(b) soit dans la classe d’isomorphisme représentée parb : on dit pour cette raison queMg n’est qu’un espace des modulesgrossier.

On voit que dans les deux méthodes proposées par Riemann, on considère en fait des surfaces de Riemann munies de certaines struc-tures supplémentaires : une fonction méromorphe ainsi qu’une numé-rotation de ses valeurs critiques, ou bien une base de l’homologie.

Il s’avéra important de poser la question de l’existence d’espaces de modules pour de telles surfaces de Riemann « enrichies ». L’avantage d’une telle approche est qu’en enrichissant suffisamment la structure, on obtient des objetssans automorphismes, et que cela facilite l’étude

du problème des modules. Par exemple, cela permet de montrer queMg

est en fait le quotient par un groupe fini d’une variété algébriquelisse.

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