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Thématisation du non-recours à Genève

3. Le contexte des politiques sociales genevoises

3.3. Thématisation du non-recours à Genève

A l’instar des autres cantons de Suisse romande (Knüsel & Colombo, 2015), la thématisation du non-recours aux prestations sociales à Genève est un phénomène récent, tant au niveau de l’espace public que des politiques publiques. Si la Direction générale des affaires sociales du canton ne mentionnait pas explicitement cette problématique dans sa documentation à l’époque de l’enquête (2017), le service social de la Ville de Genève

102 En 2018, le CAPAS regroupe 42 associations.

103 L’OASI compte 18 associations en 2018.

104 En 2016, le thème des assises était : La prise en charge extra-scolaire et extra-familiale des enfants; en 2017, le thème traité était : Les vulnérabilités psychiques et sociales des familles, quelles barrières aux prestations ?

visibilise son action en faveur d’un meilleur accès aux prestations. Dans cette partie, nous rendons compte de la manière dont le non-recours est thématisé à Genève sur la base d’une analyse de la documentation disponible uniquement (documentation officielle et articles de presse). La perception du phénomène par les acteurs du réseau fait l’objet d’un chapitre spécifique.

3.3.1. Le non-recours dans la documentation officielle

Au niveau cantonal, on ne trouve à ce jour aucune mention au non-recours aux prestations sociales dans la documentation officielle à Genève. On a vu qu’en 2010, « année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale », une motion parlementaire105 demandait de faire la lumière sur la pauvreté dans le canton.

Toutefois, le Rapport sur la pauvreté du Conseil d’État paru en 2016 en réponse à cette motion n’aborde pas le non-recours106. Seul un rapport indépendant mandaté par la Cour des Comptes et analysant les trajectoires des chômeurs en fin de droits y fait indirectement référence, mentionnant l’état « Aucun »107. Celui-ci inclut les personnes qui, à leur sortie de l’assurance chômage ne sont pas prises en charge par l’une des mesures ou aides cantonales qui leur sont destinées et « disparaissent » du dispositif des aides cantonales.

Bien que le non-recours ne soit pas un thème explicite d’intervention, la DGAS, sous la responsabilité du Conseiller d’État du parti « Mouvement des Citoyens Genevois », Mauro Poggia, s’est engagé dans une série d’action en lien avec cette problématique, plus particulièrement la mise en place d’un groupe de travail visant à formuler des propositions dans trois domaines jugés prioritaires : le logement, le soutien à l’employabilité et la

« lisibilité des dispositifs d’aide sociale ». Le canton a aussi mis à disposition des données statistiques, par l’intermédiaire de l’Office cantonal de la statistique, dans le cadre du second volet de la présente étude. Il s’agit du projet de recherche de la HETS dont l’objectif est de « mesurer le non-recours aux prestations sociales » à Genève108.

Par contraste, la documentation de la Ville de Genève fait explicitement référence au thème de l’accès aux prestations, particulièrement l’accès des populations issues de la migration. Le Rapport d’activité 2015 du Département de la cohésion sociale et de la solidarité (DCSS) de la Ville mentionne que des mesures pour favoriser l’accès aux prestations des personnes allophones ont été mises en place, comme la traduction des documents administratifs et promotionnels en cinq langues et des permanences allophones dans les PIS. Le non-recours apparaît aussi explicitement dans plusieurs recherches mandatées par la Ville, en particulier celles qui analysent les besoins en matière de prestations sociales ainsi que leur accessibilité (Ambruso et al., 2017; Bonoli & Berclaz, 2007)109. Favoriser l’accès aux prestations de l’ensemble des personnes précarisées est d’ailleurs une des missions des PIS.

3.3.2. La thématisation du non-recours dans l’espace public

La progressive thématisation du non-recours dans l’espace public doit beaucoup aux initiatives de la Ville de Genève (et sa magistrate du Parti des Verts, Esther Alder, en charge du Département de la cohésion sociale et de la solidarité depuis 2011) et des associations. Ainsi, fin 2013, la question du « non recours » est mise

105 M-1950 « Il faut connaître l’ampleur et l’évolution de la pauvreté pour la combattre ! ».

106 Par contraste, le Rapport sur la pauvreté du canton de Fribourg (Direction de la santé et des affaires sociales (DSAS), 2016) traite du non-recours.

107 Studer, Hadzibdic, Ritschard (2015). Analyse des trajectoires des chômeurs en fin de droits dans le canton de Genève. Institut d’études démographiques et des parcours de vie, Faculté des sciences de la société, Université de Genève.

108 « Mesurer le non-recours aux prestations sociales pour mieux le comprendre. Ampleur du phénomène pour diverses prestations de ressources sur la base de données discales et sociales » Sous la direction d’E. Crettaz et B. Lucas, HETS de Genève. Financement : Commission scientifique du Domaine Travail social de la HES-SO. MENORE 66879/TS-RAD16-61

109 Une étude récente sur la Ville de Vernier thématise aussi explicitement le non-recours des familles « de milieu populaire » à certaines prestations (Widmer, Roduit, & Zufferey Bersier, 2016).

à l’agenda des « Assises de la précarité » organisée par la Ville de Genève et un large comité de pilotage (COPIL)110 durant lesquelles Philippe Warin, le directeur de l’Observatoire des non-recours de Grenoble, donne une conférence sur ce thème. Suite aux Assises, des groupes de travail sont organisés, parmi lesquels un groupe dédié à la question du non-recours. C’est de la rencontre de ce groupe de travail et de la responsable de la présente recherche, professeure à la HETS que naîtra la présente recherche. Si la Ville et les associations jouent un rôle moteur, il est notable que l’Hospice général, un établissement cantonal autonome de droit public, s’est impliqué dans toutes les étapes de ce processus.

Les acteurs associatifs du réseau social, en particulier le CSP111 et Caritas, jouent un rôle important dans la thématisation du non-recours dans l’espace public, à travers leurs prises de position et leurs interventions dans les médias, visant à convaincre que l’ampleur du phénomène de non-recours est bien plus importante que celui – pourtant plus médiatisé - des « abus ». La communication sur le non-recours comme la communication à destination des publics cible est d’ailleurs un élément central de la stratégie du Centre social protestant. Dans un article consacré au phénomène du non-recours paru en 2016112, le CSP reproche au canton le fait de ne pas avoir communiqué à la population genevoise l’introduction en 2012 des PCFam de peur d’augmenter la facture sociale (alors que canton de Vaud a communiqué à ce sujet). Le magistrat en charge du Département de l’emploi et de l’action sociale (DEAS), Mauro Poggia, admet qu’il n’y a pas du côté de l’État de volonté de faire un large appel aux bénéficiaires des prestations sociales, en reconnaissant l’existence d’enjeux financiers. Il se défend cependant d’avoir mis en place une stratégie visant à ne pas informer la population pour faire des économies. De son côté, Esther Alder, la magistrate en charge du DCSS, évoque une stratégie plus active. La Ville s’est engagée en 2012 dans une campagne d’information sur certaines prestations publiques auprès de la population et dans les médias, ce qui aurait eu comme conséquence une augmentation des bénéficiaires.

Les associations mobilisent aussi le domaine de la recherche pour thématiser le non-recours. Ainsi, une référence au non-recours figure dans le dernier rapport d’observation de l’OASI paru en novembre 2016, tandis que les Assises de la famille, organisées en juin 2017 par Avenir familles et l’Observatoire des familles de l’Université de Genève abordent explicitement la question des barrières aux prestations au niveau des familles socialement et psychiquement vulnérables et a permis notamment de présenter des résultats préliminaires de la présente étude. Le colloque pour les 70 ans de Caritas Genève, organisé en novembre 2017113 a aussi permis de thématiser le non-recours aux prestations sociales par la présentation des premiers résultats de cette recherche.

Enfin, les institutions de recherche, et plus particulièrement la HETS de Genève s’impliquent directement dans la diffusion de résultats d’études autour de la thématique du non-recours aux prestations sociales. Ainsi, de nombreuses conférences ont été données à Genève par la responsable du projet ; par ailleurs les trois séminaires régionaux sur le non-recours organisés par la HETS, en partenariat avec la Haute Ecole de Santé de Genève (HEdS) et l’Institut d’études de la Citoyenneté de l’Université de Genève en 2015, 2016 et mars 2018 dans le cadre de la présente recherche, ont réuni des chercheuses et chercheurs de Suisse romande et de Grenoble et des acteurs du social à Genève. Les deux premiers séminaires ont été accompagnés par des conférences publiques de Philippe Warin et Helena Revil, de l’Observatoire des non-recours de Grenoble. A noter que des dynamiques similaires de valorisation de la recherche en Suisse portant sur le thème du non-recours sont en cours dans deux

110 Comité de pilotage, composé de : CSP, Caritas, Collectif d’associations pour l’action sociale (CAPAS), HG et HETS.

111 Voir la campagne du CSP de 2015 sur le non-recours, qui se base sur une étude de 2009 qui estime que 28,5% de la population en Suisse ne fait pas recours aux aides sociales. Cf. Près de 30% des personnes ayant droit à l’aide sociale n’y recours pas, RTS Info, 18 mars 2015.

112 Le non-recours, un scandale ? Le Courrier, 17.10.2016. Dans cet article, l’un des premiers à aborder ce phénomène à Genève, sont également présentés les objectifs de cette étude et discutés avec la responsable de la recherche les possibles causes et conséquences du phénomène.

113 Au niveau romand, la thématisation s’effectue par des articles récents publiés dans la Revue d’information sociale RESIO Non-recours : les raisons du mutisme actuel (Knüsel & Colombo, 2015); Le non-recours aux prestations sociales, ce mystère (Tabin & Leresche, 2016).

autres Hautes écoles spécialisés de Suisse occidentale, l’Ecole d’Etudes Sociales et Pédagogiques / Haute Ecole de travail social et de la santé (EESP) à Lausanne et la Berner Fachhochschule (BFH) – Soziale Arbeit à Berne.

3.4. Synthèse : Les paradoxes du régime d’aide aux