• Aucun résultat trouvé

État des connaissances sur le non recours

1. Introduction

1.1. État des connaissances sur le non recours

Au niveau international, la question du non-recours aux droits sociaux (en anglais « non take-up ») a donné lieu à une riche et abondante littérature scientifique depuis les années 1960 tandis que le volume de recherche consacré à ce sujet ou à ses liens avec la santé en Suisse reste à ce jour extrêmement limité.

En matière de droits sociaux, la diffusion et la conceptualisation du problème du non-recours en Europe est intimement lié aux transformations des régimes de protection sociale. Trois périodes peuvent être distinguées de ce point de vue (Hamel & Warin, 2010). Dès les années 1960, les premiers travaux se multiplient dans les pays anglo-saxons, en réponse aux problèmes d’effectivité des politiques de ciblage caractérisant la protection sociale de ces pays (means-testing benefits)7. Dans cette perspective, c’est une définition restreinte du non-recours qui domine, liée aux conditions d’éligibilité à des prestations sociales financières.

Par la suite, la problématique du non-recours se diffuse en Europe continentale dans un contexte de transformations des systèmes de protection sociale. La réduction des prestations universelles et le renforcement des prestations ciblées contribuent à remettre à l’agenda la question de l’accès aux droits sociaux pour les populations les plus démunies. Suite aux changements des régimes de prestations, de nombreuses personnes ne remplissent plus les critères d’éligibilité. Des travaux soulignent alors le caractère dissuasif de certaines prestations et mettent l’accent sur les raisons institutionnelles au non-recours (par ex. van Oorschot, 1991, cité par Hamel & Warin, 2010). Pour certains auteurs, la définition du non-recours doit s’élargir pour inclure les personnes qui ne sont plus éligibles (European Commission, 2006; Warin, 2010b).

Enfin, le développement récent des politiques d’activation en Europe à partir de la fin des années 1990 (Barbier, 2013) renforce lui aussi l’intérêt pour les questions d’accès aux droits (Daly, 2002). Le renforcement des contreparties aux droits sociaux, l’individualisation des prestations comme la mobilisation des principes d’autonomie et de responsabilité, transforment le rapport entre les prestataires et les destinataires.

Dans ce contexte, la question de la « non-demande » prend de l’importance ; des travaux questionnent notamment la vision « passive » ou « souffrante » ou « irrationnelle » des usagers potentiels de l’offre publique portée par la littérature dominante, de même que l’ambivalence des politiques d’activation. Ces travaux montrent les différentes manières dont les usagers potentiels des services publics se réapproprient et réinterprètent les normes des politiques d’activation ou des politiques de la santé (Rode, 2010; Warin, 2008).

Dans la foulée, le champ du non-recours s’élargit, des chercheurs proposant d’englober dans sa définition l’accès aux prestations dans leur ensemble, financières ou non, et incluant les prestations de soins (Rode, 2010; Warin, 2011).

1.1.1. La littérature internationale : ampleur et facteurs explicatifs du non-recours

Ce qui frappe en premier lieu, c’est l’ampleur estimée du phénomène du non-recours dans la plupart des pays européens, une ampleur qui dépend du type de prestations. De nombreux pays ont commencé à analyser le non-recours de façon approfondie et quantifiée il y a un certain temps déjà (pour une revue de la littérature antérieure à la fin des années 1990, voir van Oorschot, 1998). Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut mentionner 24 études, réalisées dans un certain nombre de pays européens et aux États-Unis (voir Tableau dans l’Annexe 8.1, p. 210). Ces recherches sont souvent basées sur des enquêtes qui contiennent des informations sur la situation financière et professionnelle des ménages, et essayent d’appliquer des normes d’attributions de diverses prestations sous condition de ressources (mais aussi parfois concernant des assurances sociales). Toutes ces études, portant sur l’aide sociale générale ou sur des prestations sous

7 En Grande-Bretagne, la question du „non take up of social benefits“ se pose dès les années 1930, en lien avec les politiques de ciblage des populations (means-testing benefits) (Warin, 2010b).

conditions de ressources ciblées sur certains groupes de la population, indiquent des taux de non recours substantiels, se situant souvent aux alentours de la moitié des personnes potentiellement concernées par ces prestations.

On sait peu de choses sur le cas particulier des familles (entendues ici comme ménages avec enfants mineurs) dont le rapport au non-recours semble indéterminé. Ainsi, les études européennes susmentionnées laissent entendre que le fait d’appartenir à un ménage monoparental semble réduire la probabilité de non recours, mais pas forcément de façon statistiquement significative (Bargain, Immervoll, & Viitamäki, 2012;

Bruckmeier & Wiemers, 2011; Frick & Groh-Samberg, 2007)8. Par ailleurs, dans certaines études les couples avec enfants semblent avoir une probabilité plus élevée que d’autres ménages de ne pas recourir aux prestations d’aide sociale (Frick & Groh-Samberg, 2007; Kayser & Frick, 2000); au contraire, d’autres travaux semblent indiquer un effet inverse dans certains modèles de régression (Fuchs, 2007). L’effet observé dépend, de toute évidence, des spécifications des divers modèles, notamment du fait de contrôler des variables liées à l’emploi, qui ne sont pas distribuées au hasard d’un type de ménage à l’autre.

De la même manière, les résultats quantitatifs sont peu parlants concernant un éventuel effet de genre. Lorsqu'on contrôle pour le type de ménage dans les modèles de régression, l'effet "pur" du genre n'est guère perceptible (Fuchs, 2007), voire parfois contre-intuitif: en Allemagne, un pays dont le régime d'État providence est similaire à celui de la Suisse à bien des égards, le fait qu'un ménage soit "dirigé" par un homme augmente les chances de recourir à l'aide sociale (Bruckmeier & Wiemers, 2011; Frick & Groh-Samberg, 2007).

De façon plus descriptive, toujours dans le cas de l'Allemagne, Riphahn (2001) montre que le taux de non recours est légèrement plus élevé dans les ménages "dirigés" par des hommes, une conclusion partagée par Kayser et Frick (2000). Dans les modèles de régression, par contre, l'effet du genre n'est pas significatif (Kayser

& Frick, 2000; Riphahn, 2001).

Si la littérature permet de confirmer l’ampleur du non-recours elle fournit aussi des pistes permettant de l’expliquer, notamment en se basant sur diverses catégories de facteurs, correspondants à divers niveaux de la réalité (voir Tableau dans l’Annexe 8.1, p. 210). Au niveau macrosocial, les déterminants politiques (au sens de « policy ») sont mis en avant, ainsi que leur traduction au niveau administratif. Des facteurs politiques tels que l’état des finances publiques, les conditions d’éligibilité, les organismes en charge de l’attribution des prestations, la « générosité » des prestations proposées, ainsi que des facteurs administratifs tels que le niveau de détails du contrôle des revenus et de la fortune, les heures d’ouverture des services sociaux, les procédures d’admission et de prise de rendez-vous, la gestion des langues étrangères, la qualité et la complexité des informations transmises, les locaux dans lesquels se trouvent les services sociaux, etc. ont été soulignés par ces divers travaux.

Au niveau microsocial, l’interaction entre les professionnel.le.s du social et les bénéficiaires potentiels joue un rôle décisif (et est influencée par un certain nombre de facteurs administratifs mentionnés ci-dessus) ; la mauvaise compréhension et interprétation des règlements par les bénéficiaires potentiels, la sous-estimation du sérieux de la situation personnelle, les sentiments de honte et d’être rabaissé.e par les travailleur.se.s sociaux, et la recherche de stratégies alternatives sont également des facteurs décisifs mis en avant par les auteur.e.s.

8 Ces indications sur le profil sociodémographique des personnes ne recourant pas aux prestations auxquelles elles auraient droit, avec un focus sur les ménages avec enfants sont données notamment grâce à des modèles de régression, généralement des modèles non linéaires de type probit, permettant d’isoler l’effet « pur » du type de ménage sur la probabilité de ne pas recourir aux prestations sociales.

1.1.2. État de la recherche en Suisse

En comparaison de la littérature produite dans d’autres pays européens, la littérature sur le non-recours en Suisse est extrêmement limitée (Neuenschwander, Hümbelin, Kalbermatter, & Ruder, 2012). Les rares données disponibles laissent toutefois supposer un phénomène de grande ampleur. Ainsi, la fameuse étude nationale sur la pauvreté, produite dans le cadre du PNR 29 (Leu, Burri, & Priester, 1997) estimé le taux de non recours à l’aide sociale/prestations sous conditions de ressource comme se situant dans un intervalle de 45% à 86%, en fonction des éléments inclus dans l’analyse. Fluder et Stremlow (1999) estiment, pour la première moitié des années 1990, un taux de 66% de non recours à l’aide sociale. De son côté Crettaz, dans une étude publiée par l’Office Fédéral de la Statistique (Crettaz et al., 2009), estime qu’un bon quart (28,2%) des personnes pauvres en 2005 - le seuil de pauvreté étant dérivé des normes de la CSIAS - ne perçoivent aucune prestation sociale (rentes vieillesse, assurance invalidité, prestations liées à la maladie ou à un accident, bourse d’étude, réduction des primes de caisse maladie, ni aucune autre forme de soutien financier). Les chiffres les plus précis concernent le canton de Berne, où le taux de non-recours à l’aide sociale atteindrait 26.3% (Hümbelin, 2016). Le non-recours se révèle plus faible en milieu urbain que dans les régions rurales, un phénomène attribué à l’anonymat que procurent les villes.

Il est encore plus difficile de se prononcer sur l’ampleur du non-recours des familles dans le cas suisse, notamment car il n’y a pas, à notre connaissance, d’études contenant des analyses statistiques approfondies telles que celles présentées dans la littérature internationale. On peut toutefois obtenir une réponse indirecte en comparant la statistique de l’aide sociale avec les statistiques sur la pauvreté (Crettaz et al., 2009)9. Pour les personnes en âge de travailler, on constate que les ménages monoparentaux sont fortement surreprésentés parmi les ménages pauvres ainsi que parmi les bénéficiaires de prestations d’aide sociale (mais encore plus fortement dans la statistique de l’aide sociale), alors que, au contraire, les couples avec enfants sont légèrement surreprésentés parmi les ménages pauvres et fortement sous-représentés dans la statistique de l’aide sociale (Crettaz et al., 2009). Ceci semble donc confirmer les éléments de réponse tirés des études européennes susmentionnées (plus rigoureuses, car reposant sur des statistiques inférentielles plutôt que descriptives), à savoir que le non recours des ménages monoparentaux est inférieur à la moyenne, et, par contre, pour les couples avec enfant supérieur, voire très supérieur, à la moyenne10. En revanche, nous n'avons pas, à notre connaissance, d'information sur les différences de non-recours en fonction du genre.

Les rares travaux ayant abordé de façon approfondie le non-recours en Suisse fournissent des pistes intéressantes pour l’interprétation de ses causes dans le cas de Genève. Ainsi l’une des premières études d’envergure sur ce thème – et à notre connaissance la seule à mobiliser une approche qualitative - est la recherche intitulée Les oubliés de la protection sociale ou « La pauvreté cachée, menée dans le cadre du PNR 45 (Rossini & Favre-Baudraz, 2004)11. Cette étude qualitative considère que le ciblage des prestations contient les germes de nouvelles exclusions. Se basant sur 165 récits de vie reconstruits par des travailleurs sociaux, les auteurs pointent l’importance du refus de solliciter les régimes de protection sociale, qui se manifeste dans la moitié des 165 parcours de vie étudiés. Des liens avec des problématiques de santé, de même qu’avec des problématiques d’endettement sont aussi soulignés dans les parcours de vie. Du point de vue des perceptions

9 Ces dernières établissent si un ménage est pauvre ou non sur la base d’un échantillon représentatif de la population et de données relatives au revenu disponible équivalent du ménage, résultats intéressants si le seuil de pauvreté est dérivé des normes de la Conférence des Institutions d’Action Sociale (CSIAS). En comparant ces deux statistiques avec la composition de la population suisse en termes de types de ménage, on peut savoir quels types de ménages sont surreprésentés au sein de la population monétairement pauvre et parmi les bénéficiaires de prestations d’aide sociale.

10 Un déterminant important identifié est l’écart de pauvreté, c.à.d. la différence entre le revenu médian de chaque groupe et le seuil de pauvreté : celui-ci est beaucoup plus élevé pour les familles monoparentales (en encore plus élevé pour les personnes seules) que pour les familles avec enfants (Crettaz et al., 2009), indiquant ainsi que les ménages monoparentaux ont une marge de manœuvre beaucoup plus limitée que les couples avec enfants, notamment en termes d’emploi.

11 Recherche dirigée par Stéphane Rossini et Jean-Pierre Fragnière.

de l’État social, les auteurs soutiennent que les personnes qui se refusent à mobiliser une aide publique expriment la honte et le refus de la dépendance à l’État (voir aussi, sur l’aide sociale, Tabin, 1995). En revanche, les aides associatives sont plus facilement acceptées. Enfin, les étrangers craignent pour le permis de séjour.

Plus récemment, notons l’étude très détaillée de chercheur.se.s de la Haute Ecole Spécialiée bernoise (Neuenschwander et al., 2012) qui, sans estimer l’ampleur du non recours, cherchent à quantifier le poids respectifs de divers facteurs explicatifs du non-recours à l’aide sociale, sur la base d’une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon de 356 personnes ayant déposé une demande de rendez-vous dans cinq services sociaux de Suisse alémanique. Cette étude confirme des éléments discutés précédemment et apporte de nouvelles pistes pour une analyse du cas genevois.

Elle confirme en premier lieu l’importance de la non-connaissance (les chances d’obtenir des prestations sont liées avec la clarté des informations et les connaissances de l’aide sociale) et de la non réception. Ainsi, le type de procédure mise en place (entonnoir, goulot de bouteille, ou autre) a un impact marqué sur les chances d’obtenir un entretien et ensuite des prestations, ainsi que la « structure » (locaux, heures d’ouverture, etc.). Du côté de la non-demande, l’importance de la honte (« Schamgefühle ») et de la peur de la stigmatisation, mentionnées dans plus de la moitié des cas - éléments déjà pointés dans le cadre du PNR 45 (Rossini & Favre-Baudraz, 2004) – est soulignée. De plus, 55% des répondants pensent que l’aide sociale est reçue par beaucoup de personnes qui n’en ont pas besoin, ce qui montre selon les auteurs que le discours sur les abus à l’aide sociale a été intériorisé. Parmi les pistes nouvelles, on peut souligner l’importance de la recherche d’alternatives à l’aide sociale (plus de 90% des personnes interrogées) et l’estimation d’un temps de battement entre la prise de conscience du problème et le premier contact avec le service social de plus d’une année dans un cas sur quatre. De plus, le lien entre le non-recours et une problématique de santé semble confirmé par le fait que 57% de ces personnes disent avoir renoncé à des dépenses médicales/à des visites chez le médecin ou le dentiste. Pour finir, la recherche soulève un autre domaine problématique qui semble lié au non-recours : la dette. Deux tiers environ des répondants avaient des dettes ou des arriérés de paiement au moment de la prise de contact avec les services sociaux.

Pour le cas genevois, un rapport de 2009 adresse la question de l’adéquation entre les besoins sociaux et les prestations d’aide sociale en ville de Genève dans une perspective plus gestionnaire (Bonoli &

Berclaz, 2007). Il confirme que les familles nombreuses et les familles monoparentales comptent parmi les principaux groupes à risque de pauvreté/précarité. Sur la base d’un état des lieux des prestations, d’une analyse quantitative et d’entretiens avec des professionnels, le rapport signale des problèmes d’informations et d’accès aux prestations. Pour les auteurs, les causes du non-recours sont à chercher du côté de la complexification des démarches administratives et du fait « qu’une part importante de la population n’a pas les outils pour faire face aux exigences d’une société de l’information (…). » (Bonoli & Berclaz, 2007, p.22)12.

Enfin, si aujourd’hui, peu de travaux portent sur le non-recours aux droits sociaux en Suisse, un nombre encore plus restreint s’intéresse aux implications de celui-ci pour les individus, notamment en termes de santé. La question se pose plutôt en termes d’accès aux soins (ouverture du système de santé aux différentes formes de marginalité, par ex. Cattacin & Renschler, 2008) ou de renoncement aux soins pour des raisons notamment financières (Office Fédéral de Statistique (OFS), 2013). Cependant, sur la base de données indirectes, on peut penser que le non-recours aux droits sociaux est associé à une santé plus fragile. D’une part, les disparités de santé en lien avec les inégalités sociales sont largement documentées (p.ex. Potvin, Moquet, & Jones, 2010). D’autre part, la santé est également altérée chez les personnes en condition de précarité (Haut Comité de la Santé Publique, 1998) qu’il s’agisse de santé physique (Lecomte, Mizrahi, &

12 Les auteurs renvoient à un rapport de Amos et al. (2006) selon lequel « entre 1/3 et la moitié de la population genevoise a un niveau de compréhension qui ne lui permet pas résoudre les problèmes de la vie quotidienne.» (Bonoli & Berclaz, 2007, p.22).

Mizrahi, 1996) ou psychologique (Bresson, 2003). On pourra cependant noter qu’aussi bien dans le cas des inégalités sociales que de la précarité, la question d’un lien de cause à effet demeure débattue. Aujourd’hui, il n’est toujours pas clair si une santé plus fragile mène à – et/ou résulte de – conditions économiques et sociales défavorables (Bresson, 2003).

Dans l’ensemble, la littérature disponible à ce jour décrit des taux importants de non-recours dans toute l’Europe, qui semblent dépendre du type de prestations et notamment de leur caractère plus ou moins ciblé. En référence à la typologie sus-citée, les facteurs liés à la « non compréhension » ou à la « non-réception » comptent parmi les plus souvent cités mais plusieurs travaux soutiennent l’hypothèse de l’importance de la « non-demande ». Ainsi, il apparaît que pour comprendre véritablement le phénomène du non-recours (en l’occurrence dans le cas de Genève), une connaissance du contexte institutionnel et politique, comme des raisons exprimées par les personnes concernées elles-mêmes, se révèle nécessaire. En Suisse, il n’y a pas eu à notre connaissance d’enquête qualitative de ce type. Les positions des personnes non-recourantes sont en effet reconstruites sur la base du discours des professionnels (Bonoli & Berclaz, 2007;

Rossini & Favre-Baudraz, 2004) ou établies à partir du cas de personnes ayant recouru, et cela sur la base d’un questionnaire standardisé (Neuenschwander et al., 2012).

Par ailleurs, il n’y a pas ou peu de travaux permettant de rendre compte spécifiquement du non-recours des familles et la littérature est, à notre connaissance, étrangement silencieuse sur la dimension genrée de ce phénomène. Les données disponibles issues d’enquêtes quantitatives ne montrent pas de relation claire entre sexe et non-recours, mais cela ne signifie pas que le phénomène ne soit pas genré. En effet, une large littérature renvoie au caractère genré de l’État et de l’État social suisse en particulier, laissant supposer que les institutions sociales sont traversées par des enjeux des genre (p. ex. J. Lewis, 1992; pour la Suisse: Martin, 2002; B. Studer, 1996) et soulignant notamment la force du maternalisme dans l’origine et le développement des politiques sociales (Skocpol, 1995; pour la Suisse : Giraud & Lucas, 2009, 2013).

Ainsi, en nous basant sur les acquis de la littérature sur la dimension genrée de l’État social ainsi que sur les nombreux travaux abordant cette question d’un point de vue sociologique, nous posons l’hypothèse que ces manières de parler et de donner du sens à la précarité et à l’aide sociale se distinguent significativement sur certains points (y compris au sein des couples partageant pourtant une même situation) mais peuvent aussi se rejoindre. Il s’agira d’analyser les discours des hommes comme celui des femmes à la lumière des constructions de genre que la littérature a largement documenté, y compris dans le cas suisse. Cela signifie être attentif, par exemple, aux valeurs à caractère « masculin » ou « féminin » et à la manière dont elles sont mobilisées par les hommes et les femmes et dans quels buts. Ainsi une étude récente se basant sur des entretiens auprès de 41 parents italien.ne.s de classe moyenne vivant dans la précarité montre comment les pères interrogés valorisent le soin aux enfants et élaborent des normes du bon père en rupture avec les modèles traditionnels, en lien avec le fait que la précarité de leur emploi leur donne du temps à consacrer à la famille.

En revanche, ils ne remettent pas en cause la norme du père/mari « gagne-pain » (Carreri, 2014). Notons enfin qu’une riche littérature montre combien les perceptions de santé se révèlent elles-mêmes genrées (sans parler

En revanche, ils ne remettent pas en cause la norme du père/mari « gagne-pain » (Carreri, 2014). Notons enfin qu’une riche littérature montre combien les perceptions de santé se révèlent elles-mêmes genrées (sans parler